Résumés
Résumé
Les technologies de l’information et des communications représenteraient des outils prometteurs pour favoriser la cohésion sociale. Parmi ces outils, Internet acquiert aujourd’hui une place de premier ordre dans la société. Le développement de ce réseau-monde est souvent présenté comme une fin en soi. De nombreux États encouragent l’appropriation de cette technologie en justifiant leurs actions par les nombreuses potentialités associées à Internet. Dans ce contexte, les individus privés de cet outil sont exclus. Cette nouvelle forme d’exclusion vient amplifier celles que vivent déjà ces individus. Cet article s’interroge sur les liens entre Internet et le développement social, plus particulièrement sur la place occupée par les sites de développement social sur la Toile et la manière dont ces organismes s’approprient le cyberespace par une analyse de contenu des sites Web. Les résultats d’une enquête apportent quelques éléments de réponse sur les possibilités de cet outil.
Mots clés:
- développement social,
- fossé numérique,
- Internet,
- territoire virtuel,
- exclusion
Abstract
Information and communication technologies are viewed by some as promising tools for supporting social cohesion. The Internet now plays a dominant role in this process. The development of the world-wide network is often seen as an end in itself. A number of countries even encourage their citizens to acquire the equipment necessary for use of the Internet. Where this is the case, individuals who do not have the skills or equipment may become marginalized. This new form of exclusion often compounds existing social inequities. This paper questions the relationships between Internet use and social development. It examines in particular the place sites of social development organizations occupy on the Web and, through a Web site analysis, it looks at the way these organizations adapt to cyberspace exclusion.
Key Words:
- social development,
- digital divide,
- Internet,
- virtual territory
Corps de l’article
La mondialisation et les technologies de l’information et des communications (TIC) sont de plus en plus perçues comme inséparables. En réalité, la mondialisation serait en grande partie redevable aux TIC, car elle est, de prime abord, un phénomène économique d’internationalisation des échanges (Vidal, 1997 : 16). Cependant, bien que d’importantes inégalités aient été créées par la mondialisation des échanges à l’échelle du globe, les TIC constitueraient un moyen de former de nouvelles solidarités, contribuant ainsi à atténuer les disparités (Klein et Carrière, 1999 : 161; Vidal, 1997 : 16), en reconstituant une relation de proximité sociale (Gigon et Crevoisier : 1999 : 154). Internet, en tant que l’un des véhicules le plus répandu et le plus connu des TIC (Côté, 1999 : 127), est un outil particulièrement prometteur de mise en relation de personne à personne (Gigon et Crevoisier : 1999 : 159).
Comment vérifier l’usage qui est fait des TIC et leur efficacité pour contrer les effets négatifs de la mondialisation? Ces technologies contribuent-elles au rapprochement des acteurs impliqués dans le développement social? Aident-elles à redéfinir le territoire par les réseaux virtuels, assiste-t-on à une « reterritorialisation » ou à une restructuration spatiale par les technologies de l’information? Certains auteurs le croient (Lévy, 1998), d’autres non (Vidal, 1997). Qu’en est-il des effets des TIC sur ce qu’Habermas qualifie de « vide social », c’est-à-dire la non-participation des citoyens aux débats sociaux? Les TIC permettent-elles la création ou l’extension de l’espace public servant de pont entre l’État et la société civile (Vidal, 1997 : 40) ou contribuent-elles au retranchement de l’individu dans la sphère privée? D’autres questions de fond sont aussi posées : « L’Internet contribue-t-il à créer virtuellement de nouveaux territoires économiques, sociaux, culturels ou politiques? Si oui, comment ceux-ci se comparent-ils aux territoires géographiques »? (Lefebvre, 1999 : 123) Ou encore : « Peut-on considérer que le cyberespace ou l’espace virtuel possède les attributs de la territorialité? » (Vidal, 1997 : 10) En fait, les recherches effectuées jusqu’à maintenant n’abordent que dans une très faible mesure le caractère social et collectif d’Internet (Fortin et al., 2000 : 2).
Le présent texte apporte des éléments empiriques de réponse à quelques-unes de ces questions en tentant de vérifier l’enracinement des sites Web dans l’espace local et communautaire de la région de Québec. Il examine également les hyperliens, pris au sens de relations sociales (où circule une information). En effet, qu’il s’agisse des institutions, des entreprises ou des citoyens, les chercheurs s’entendent pour reconnaître que l’information qui circule entre les acteurs locaux est à la base des liens qui s’établissent entre eux (Klein et Carrière, 1999 : 163).
Nous proposons également une analyse du contenu des sites Web des organismes présents sur la Toile afin de mieux cerner la façon dont ils s’approprient le cyberespace. Notre analyse s’inspire de celles de Fortin et ses collaborateurs (2000) et de Gigon et Crevoisier (1999). Elle a permis de recueillir de nombreuses informations sur les visées des sites étudiés. Ceux-ci ne font-ils que servir de vitrine promotionnelle à l’organisme ou sont-ils vraiment orientés vers le monde virtuel? Permettent-ils de véritables échanges? Si oui, de quelle manière? Les réponses à ces questions permettent de reconsidérer le potentiel de ces technologies en regard du développement.
Données et méthode
La première étape de la recherche vise à déterminer un échantillon de sites Web d’organismes de développement social de la grande région de Québec (Québec-Chaudière-Appalaches, comprenant les régions administratives 03 et 12). Cette base de données n’a pu être construite sans que soit défini ce qu’on entend par « organisme de développement social ». Nous avons opté pour une définition à caractère assez formel et consensuel, élaborée à partir de deux définitions québécoises provenant, pour l’une, du Conseil régional de concertation et de développement de Québec (CRCDQ, 2001 : 2), et pour l’autre, d’une allocution de la ministre Pauline Marois en novembre 2000 (Marois, 2000). Nous appelons « organisme de développement social » un organisme qui affiche clairement, dans sa mission, une volonté de prise en main et de développement endogène, c’est-à-dire un organisme qui oeuvre auprès des personnes et des communautés pour favoriser leur participation et répondre à leurs besoins dans le but d’améliorer les situations et de soutenir l’épanouissement personnel. Le caractère englobant de cette définition permet une première exploration de la présence des organismes de développement social dans l’Internet.
Il s’agit donc de répertorier les sites Web d’organismes de développement social de la grande région de Québec et l’ensemble de leurs hyperliens. La recherche de sites Web sur Internet est une entreprise de longue haleine. La recension des sites Web sur le développement social de la grande région de Québec a été réalisée au cours de l’hiver 2001. Elle nous a permis de créer un échantillon de 125 sites, qui ont été repérés à l’aide des moteurs de recherche La Toile du Québec, Google, Yahoo Canada, Voilà et Copernic. Ces moteurs de recherche ont permis d’obtenir un nombre impressionnant de résultats. Peu d’entre eux, toutefois, étaient pertinents pour la présente recherche, soit du fait que leur contenu ne correspondait pas à ce nous entendions étudier, soit parce qu’ils étaient localisés en dehors de notre territoire d’étude. Nous avons attribué un numéro d’identification à chaque site (ceux de l’échantillon et leurs hyperliens), la codification des sites étant essentielle pour repérer les différentes relations entre les sites. D’autres moyens auraient pu être employés, mais l’attribution d’un numéro d’identification unique permet d’éviter plusieurs problèmes tels que les doublons qui pourraient fausser les résultats[1].
Une base de données permettant de spatialiser les relations entre les sites Web de l’échantillon a également été créée à l’aide du logiciel Mapinfow 6,5. Ce logiciel permet, entre autres, de repérer dans l’espace physique les organismes et leurs hyperliens en attribuant des coordonnées géographiques aux sites à partir de leur adresse ou de leur code postal, lorsque que celui-ci est disponible. Cette base de données permet de mettre en relation ces sites Web en vue de constituer un éventuel réseau spatialisé, soit un réseau virtuel dont il est possible d’obtenir une représentation physique, et ainsi de mesurer l’ancrage territorial d’un phénomène qui n’en a que très peu au départ (Fortin et Sanderson, 1999 : 184-185). Elle permet aussi d’évaluer le degré d’insertion de chaque site dans ce réseau. L’insertion peut être mesurée par des indicateurs tels que le nombre de sites auxquels un site donné est relié (hyperliens), ce nombre pouvant être pondéré, par exemple, par la taille du site. Il s’agit là d’un indicateur de l’enracinement d’un site dans l’espace virtuel (Fortin, 1999 : 187). Ces différentes mesures seront présentées dans un article en préparation qui portera exclusivement sur l’analyse de réseau des sites Web.
Les sites de développement social de la région de Québec
Près de la moitié des sites retenus correspondent à des organismes oeuvrant en santé mentale ou physique (tableau 1). Cette proportion n’est guère surprenante car, depuis une vingtaine d’années, ces organismes représentent une part de plus en plus importante du champ communautaire québécois. En 1995, Bélanger et Desrosiers évoquaient plus de 2000 groupes communautaires, au Québec, dont l’activité principale était liée à la santé et aux services sociaux. Bien que la présente typologie classe ces organismes dans une seule catégorie (santé mentale et physique), ces organismes pratiquent des activités très diversifiées s’adressant à des clientèles multiples : toxicomanes, alcooliques, joueurs compulsifs, personnes atteintes d’une déficience physique, personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, etc. Leurs services varient entre les soins et la prévention. Hébergement, accompagnement, soins, information, formation, réadaptation et réinsertion font partie des nombreuses activités offertes par ces organismes, qui proposent parfois également des services de soutien aux proches de personnes éprouvant des difficultés (parents, enfants…). La majorité de ces organismes comptent sur l’appui de bénévoles ou d’intervenants.
Les organismes oeuvrant dans le secteur de l’emploi occupent le second rang en importance à l’intérieur de l’échantillon. Parmi ces derniers, plusieurs d’entre eux reçoivent directement leur financement de l’État, dont les centres d’emploi jeunesse. Ces derniers sont très bien représentés dans l’Internet et généralement facilement repérables. Ils peuvent également compter sur des intervenants rémunérés. D’autres organismes complètent cette catégorie, tels que ceux qui offrent des services de réinsertion sur le marché du travail.
Les organismes d’aide aux démunis offrent également divers services, allant de la construction de logements sociaux pour les personnes à faible revenu à la distribution de repas ou à l’hébergement de courte durée. Ils comptent sur l’appui de bénévoles et de quelques intervenants salariés.
Les organismes d’aide aux associations visent, entre autres, à favoriser l’action bénévole, que ce soit par des activités promotionnelles ou par le financement d’organismes communautaires. Des travailleurs rémunérés et des bénévoles (pour certains d’entre eux) oeuvrent à l’intérieur de ces organisations. Sont inclus dans cette catégorie un organisme public et un organisme parapublic, dont la mission affiche une volonté de développement social et qui prônent l’action bénévole sur le territoire qu’ils desservent. Il s’agit de la Régie régionale de Québec (http://www.rrsss03. gouv.qc.ca/index.html) et du Conseil régional de concertation et de développement Chaudière-Appalaches (CRCD) (http://www.chaudiere-appalaches.qc.ca). Ces deux organismes disposent de moyens financiers supérieurs à ceux d’autres organismes qui ne font pas partie du secteur public et consacrent de ce fait une proportion plus faible de leur budget de fonctionnement à leur représentation sur le Web.
Les organismes classés sous la rubrique « violence » oeuvrent principalement à contrer ou pallier la violence conjugale. Les services offerts s’adressent aux hommes violents ou à leur conjointe et à leur famille. La plupart des intervenants sont rémunérés, mais des bénévoles siègent aux conseils d’administration et participent à l’organisation d’activités de loisir. Leur financement provient de sources diverses (gouvernement ou associations).
La catégorie « centres communautaires et centre d’accès Internet » renferme un centre d’accès Internet ayant vu le jour grâce au financement du gouvernement fédéral dans le cadre du programme d’accès communautaire (PAC). Ce centre peut offrir des tarifs moindres aux utilisateurs grâce à la participation de bénévoles. Deux centres communautaires composés de personnel rémunéré permanent et bénéficiant de l’aide de quelques bénévoles font également partie de cette catégorie. Ils organisent des activités de loisir, d’accompagnement et d’écoute. L’un d’entre eux s’adresse principalement aux familles monoparentales. Ces organismes reçoivent un financement des paliers municipal et provincial. Des fonds privés complètent leur financement.
La catégorie défense des droits regroupe des organismes fournissant de l’information, des références. La clientèle de ces organismes est composée d’assistés sociaux, de jeunes et de pères de famille. Encore une fois, se côtoient du personnel rémunéré et des bénévoles.
Dans notre échantillon figure un site sur la recherche et le sauvetage. Nous avons retenu cet organisme en raison de sa volonté de mobilisation sociale en vue d’une action soutenue et coordonnée. Le tableau 1 présente la classification des organismes de l’échantillon. Une analyse de ces sites sera présentée par la suite.
Analyse de contenu des sites Web
L’analyse du contenu des sites Web de l’échantillon ne permet pas de connaître l’achalandage de ces derniers. La majorité des sites (78,4 %) inventoriés ne possédaient pas de compteur du nombre de visiteurs ou, du moins, ne partageaient pas cette information avec les internautes.
Près de la moitié des sites de l’échantillon étaient moyennement élaborés, c’est-à-dire qu’ils comptaient entre 5 et 20 pages présentant le contenu de leurs activités ou d’autres informations. Cependant, près du tiers (30,4 %) des organismes utilisaient leur site Web comme une vitrine promotionnelle et comptaient moins de 5 pages d’information. D’autres proposaient au contraire un site élaboré contenant plus de 20 pages de renseignements. Bien entendu, il faut tenir compte du financement dont disposent ces organismes pour développer leur site Web, afin de relativiser la manière dont certains organismes se démarquent des autres.
Les pages Web des organismes de l’échantillon sont répertoriées sur plus de 26 serveurs différents. Trois de ces serveurs se démarquent, soit le serveur Clic Net (31 %), le serveur Cam Internet (17,9 %) et Globetrotter (13,1 %). L’hébergement sur ces serveurs nécessitant certains déboursés, certaines pages Web sont amenées à disparaître ou à se rediriger vers d’autres serveurs offrant des hébergements à moindre coût.
L’évaluation de l’aspect visuel des sites relève de critères très subjectifs. Toutefois, il est possible d’affirmer que la majorité des sites de l’échantillon sont largement orientés vers la diffusion de l’information par l’utilisation du texte, et que peu d’entre eux exploitent abondamment le mode graphique (images, photos, etc.). De fait, peu de concepteurs ont utilisé les possibilités offertes par le multimédia pour rejoindre les internautes. Les sons, les bandes défilantes ou encore, tout simplement, la possibilité de consulter les sites en mode texte sont des possibilités peu exploitées. Cependant, quelques sites (18) font appel à de l’animation.
De quelle manière les organismes interagissent-ils avec les internautes? Les sites renferment-ils certains renseignements permettant une telle interaction? Cette possibilité d’interaction est-elle forte, moyenne ou faible? Différentes variables permettent de mesurer le degré d’interaction. La possibilité de clavarder sur le site, un lien vers un site de clavardage, sont de bons exemples d’interaction directe. Pouvoir faire partie de groupes de discussion, obtenir une adresse de courriel gratuite, s’abonner à une liste de distribution, faire des commentaires et avoir accès à une adresse postale, un numéro de téléphone ou de télécopieur sont également des variables importantes de l’interaction entre l’organisme et l’internaute. Pour synthétiser l’information, il semblait nécessaire de créer une échelle d’interaction.
L’échelle d’interaction varie de 0 (aucune interaction) à 17 (Interaction maximale). Cette échelle est crée à partir des différentes variables d’interaction présentées précédemment. Une réponse négative équivaut à 0 et une réponse positive équivaut à 1. Seules les variables se rapportant au clavardage sont notées différemment. Ces dernières représentant une forme d’interaction directe, donc plus élevée, ont été notées 0 (réponse négative) et 5 (réponse positive). Dans le tableau 2, nous avons regroupé en trois catégories les différents degrés d’interaction (faible, moyen ou élevé). Il s’avère que les organismes de développement social de la région d’étude exercent un faible degré d’interaction avec les internautes par le biais de leur site Web. La volonté de diffuser de l’information sur l’organisme et sa mission semble ressortir de la présente analyse.
L’analyse de contenu réalisée précédemment par Fortin (2000) propose également de vérifier l’orientation des sites. Ces sites sont-il orientés davantage vers le monde virtuel ou vers le monde physique? De la même manière que pour l’interaction, il semblait nécessaire de construire une échelle d’orientation à partir de différentes variables relevées sur les sites de l’échantillon. L’adresse postale, le numéro de téléphone, la présence d’un numéro de télécopieur, du nom d’un(e) responsable, de photographies, de publicités vers le monde physique, de commanditaires physiques, de concours et d’annonces classées donnent des indications sur l’orientation vers le monde physique des sites. L’échelle ainsi obtenue varie de 0 à 9. Un score de 0 (réponses négatives partout) représente le degré d’orientation vers le monde physique le plus faible et un score de 9 (réponses positives partout) représente le degré le plus élevé. Selon cette échelle, les sites Web de l’échantillon sont moyennement orientés vers le monde physique et contiennent des renseignements s’y rapportant (numéro de téléphone, télécopieur, etc.). Cependant, certaines variables obtiennent des résultats plus faibles, par exemple : la publicité vers le monde physique (56 %), la présence du nom d’un(e) responsable (59 %) et la présence de photographies (65,6 %). Le tableau 3 présente les résultats obtenus pour l’échelle d’orientation vers le monde physique.
Si les sites de l’échantillon sont moyennement orientés vers le monde physique, le sont-ils davantage vers le monde virtuel? Selon Fortin et al. (2000), l’orientation vers le monde virtuel d’un site peut être vérifiée principalement par deux variables : la présence d’un courrier électronique et le nombre d’hyperliens trouvés sur le site. L’échelle d’orientation vers le monde virtuel à partir de ces deux variables s’étend de 0 (les deux variables négatives) au résultat maximal correspondant au nombre total d’hyperliens recensés (plus le chiffre est élevé, plus le site est orienté vers le monde virtuel). Même s’il semble que les sites Web étudiés soient moyennement orientés vers le monde physique, seulement une faible proportion d’entre eux sont fortement orientés vers le monde virtuel (tableau 4).
Pour construire un indice permettant de situer sur un continuum les sites selon leur orientation vers le monde physique ou vers le monde virtuel, nous avons additionné les deux indices précédents. Le nouvel indice obtenu, qui mesure l’orientation globale, varie de -9 (très orienté vers le monde physique) à 9 (très orienté vers le monde virtuel). Il s’avère que les sites étudiés affichent un indice neutre (résultats de 0 ou faible). Notons qu’aucun site ne peut être qualifié de fortement orienté vers le monde physique ou vers le monde virtuel. Le tableau 5 présente les résultats obtenus.
Cette brève analyse du contenu des sites permet de brosser un tableau de l’utilisation d’une des dimensions du cyberespace par les organismes de développement social. Il appert que, dans leur site, ces derniers renseignent avant tout sur l’organisme (activités, mission, etc.). L’information sur « l’entité » physique (faisant référence à un territoire bien défini) demeure encore relativement importante, même dans un univers dit virtuel. De fait, les informations contenues dans les sites Web de ces organismes ont permis en général de situer ces derniers dans le territoire et de dresser une représentation cartographique de ces sites.
Répartition des organismes dans le territoire
La majorité des sites de l’échantillon sont concentrés dans la communauté urbaine de Québec (CUQ) (plus des deux tiers). La MRC de Desjardins, sur la rive sud de Québec, présente la deuxième concentration de sites Web d’organismes de développement social en importance (tableau 6).
On constate qu’une forte proportion des sites Web de l’échantillon se retrouve dans les entités géographiques où la population est la plus nombreuse (plus de 40 000 habitants) : plus de 85 % des sites s’y retrouvent (tableau 7). La répartition spatiale des sites est plus concentrée que la répartition de la population, une indication de l’orientation urbaine des TIC. Cette concentration dans les zones les plus populeuses n’est guère surprenante et confirme les résultats obtenus par d’autres chercheurs s’intéressant au phénomène Internet.
Répartition des hyperliens
Nous n’avons retenu que les hyperliens dont l’adresse était toujours valide au moment de leur saisie, à l’hiver 2001. Ces hyperliens sont de différentes natures. Certains renvoient à des sites à vocation économique, d’autres à des sites à vocation sociale et d’autres, encore, à certains sites gouvernementaux. Les 125 sites de l’échantillon proposaient 1613 liens. Ces références sont en réalité réalisées par 104 sites d’organismes de développement social, car 21 d’entre eux n’effectuaient aucune référence à des hyperliens au moment de la saisie.
La mouvance constante des sites Web se traduit par le fait que plus de 20 % des hyperliens n’étaient plus fonctionnels au moment de relever certaines de leurs caractéristiques. Les liens toujours disponibles étaient de tailles variées et se différenciaient des sites de l’échantillon par le fait qu’une plus grande proportion d’entre eux était associée aux sites élaborés et une très faible proportion représentait simplement une vitrine internet.
Parmi les hyperliens, seulement 98 d’entre eux proposaient un lien vers des sites contenus dans l’échantillon (seulement 58 sites différents). La grande majorité des liens se dirigeaient donc vers des organismes extérieurs à l’échantillon (ce qui laisse croire à peu de réseautage entre les organismes. De plus, après environ 18 mois, parmi les sites encore existants, plus de 20 % d’entre eux avaient abandonné leurs hyperliens vers ces sites). Au total, 1171 hyperliens différents ont été répertoriés (y compris ceux de l’échantillon) et géoréférencés.
La grande région de Québec (les régions administratives 03 et 12) contient à elle seule 533 sites Web, soit près de 46 % du total des sites hyperliés aux 125 sites de l’échantillon. La Communauté urbaine de Québec contient 326 sites hyperliés et la Communauté urbaine de Montréal contient également un nombre important de sites Web hyperliés à ceux de l’échantillon, soit 258 sites (figure 1).
La concentration des sites Web dans ces deux communautés urbaines et dans les secteurs les plus populeux nous amène à remettre en question la capacité d’Internet à rompre l’isolement de certaines régions. Internet est-il cet outil pouvant faire disparaître les frontières et les distances, permettant ainsi aux régions les plus éloignées des centres urbains d’accéder plus facilement à l’information? Se crée-t-il un clivage numérique à l’échelle locale?
Le clivage numérique
La notion de clivage numérique, ou fossé numérique, se rapporte au fait que l’adoption des technologies de l’information et des communications s’effectue à un rythme fort différent selon les caractéristiques socio-économiques d’une population (Grasland, 1999 : 145). En particulier, l’utilisation d’Internet s’avère étroitement liée au revenu, au niveau de scolarité, à l’âge, au lieu de résidence (urbain ou rural) et à la présence ou non d’enfants au sein d’un ménage (Institut de la Statistique du Québec, 2001). Il y a corrélation entre le clivage numérique et les autres fractures sociales, la fracture numérique ne décrivant pas seulement l’absence d’accès à l’information, mais aussi l’absence de production de nouvelles informations, l’impossibilité de partager, d’échanger et de se concerter (Communautique, 2001).
La communication-monde n’est pas universelle, car elle exclut plusieurs pays qui ne peuvent avoir accès à l’information. Ces nouvelles disparités s’appliquent également à l’intérieur même de certains pays, entre diverses régions et divers groupes sociaux, creusant un fossé numérique entre les inforiches et les infopauvres, les branchés et les non branchés (Klein, 1999 : 163). Même si une enquête de Statistique Canada révèle que 53 % des Québécois étaient branchés en 2000, il reste que 47 % ne l’étaient pas et, de ce fait, étaient exclus. Mentionnons que les provinces les plus riches sont aussi celles où le taux de pénétration d’Internet est le plus fort. À l’échelle mondiale, 2 milliards de personnes n’ont jamais utilisé le téléphone. Les pays pauvres économiquement comptent 60 % de la population mondiale, mais seulement 5 % des utilisateurs d’Internet. Un grand nombre d’exclusions un peu partout dans le monde se vivent encore à différentes intensités (Communautique, 1999; Fortin, 1999 : 203).
Ainsi, la technologie numérique apparaît à certains comme l’apanage des gens aisés. Une telle situation est difficile pour une bonne part des organismes de développement social (Communautique, 2002), les sites Web s’adressant à tous ceux et celles qui ont les moyens de naviguer. Le problème est encore plus accentué dans les zones rurales (Communautique, 2000 : 11). En effet, comme le mentionnait Dickinson et comme le montrent les résultats de la présente recherche, ce sont les régions métropolitaines de recensement qui adhèrent le plus à Internet (Statistique Canada, 2000). Les fournisseurs en milieu rural sont moins nombreux, leurs tarifs, moins compétitifs (Communautique, 1998). La densité de population n’explique que partiellement une telle corrélation. Elle correspondrait plutôt à une diffusion de l’utilisation d’Internet selon l’importance des activités scientifiques et, plus généralement, selon le profil des activités économiques que l’on retrouve plus spécifiquement en zone urbaine (tertiaire supérieur). Plus ces activités sont concentrées, plus la présence du Web se ferait sentir (Grasland, 1999 : 147-148). En ville, certains organismes bénéficient de davantage de financement, ce qui leur permet de se procurer plus facilement les équipements nécessaires et crée ainsi un nouveau fossé numérique entre les organismes eux-mêmes (Communautique, 1999). La nécessité grandissante d’utiliser les TIC risque de provoquer de nouveaux clivages sociaux entre ceux qui s’approprieront ces techniques et ceux qui s’en éloigneront. Ce processus amplifierait significativement les inégalités sociales existantes en déclassant ceux qui n’ont que peu d’accès à la culture et en favorisant, par un flux croissant d’informations, ceux qui sont privilégiés par un accès à la culture (Valois, 1997). L’Internet risque de créer de nouveaux analphabètes technologiques.
L’enjeu de l’exclusion se situe au centre de l’appropriation des [TIC] par les groupes communautaires ou d’économie sociale. L’action de ces groupes vise les populations les moins nanties, victimes de différentes formes de discrimination. Les risques de voir se développer une forme d’exclusion par les [TIC] qui les marginaliseront davantage les préoccupent donc au plus haut point.
(Communautique, 2001)
Par contre, les organismes sans but lucratif sont habituellement assez enracinés dans leurs milieux. Ils ont une bonne connaissance des besoins de la population et peuvent utiliser les TIC pour développer de nouveaux usages sociaux basés sur la solidarité et la justice sociale.
Que l’on parle de groupes d’alphabétisation ou d’éducation populaires, de centres de femmes, de groupes de défense des droits, de syndicats, d’organismes engagés dans le développement de la main-d’oeuvre, de corporations de développement économique communautaire, etc., tous ces groupes, dont le rôle central est aujourd’hui reconnu dans le développement de l’économie sociale, doivent occuper une place importante dans l’appropriation des nouvelles technologies par la population.
(Institut canadien d’éducation des adultes, 1996)
Ces groupes sont issus de la communauté et résident dans cette dernière, dans ce vaste champ social où se nouent les relations entre citoyens et citoyennes, où se construit finalement la ville. C’est par rapport au tissu social, toujours en construction et en évolution, que le communautaire se façonne et qu’il façonne en retour la communauté (CDÉACF, 2001). Les gouvernements provincial et fédéral encouragent le développement social auquel oeuvrent ces groupes par diverses mesures. Dans cette optique de prise en charge du développement par la base de la société, Internet devient un outil de plus, selon le discours étatique, pour favoriser ce développement.
En analysant la répartition des sites à l’échelle du Canada, on constate que les liens s’effectuent, avant tout, à l’échelle provinciale : bien que certains liens s’effectuent à l’extérieur de la province, à l’échelle nationale ou internationale, la majorité des organismes de développement social de la région de Québec renvoient à des sites québécois (94,8 %).
La barrière de la langue peut sans doute expliquer en partie cet attachement à la province en ce qui a trait aux liens internet : 95 % des sites référencés sont francophones ou, du moins, offrent la possibilité de naviguer en français et moins de 5 % sont des sites anglophones (tableau 9), que ces sites se situent à l’échelle locale, régionale, nationale ou internationale. Pour les organismes de développement social de la région de Québec, l’accès à un contenu francophone au moyen d’Internet semble primordial. Cet attachement au contenu francophone peut freiner l’obtention d’informations par les internautes québécois. « En janvier 2000, l’anglais prédomine largement sur la toile, étant la langue utilisée par 86,6 % des pages Web recensées. En comparaison, 2,4 % des pages sont en français et 0,5 %, en allemand » (Inktomi Nec Research Institute, 2000). Cette prédominance de l’anglais sur le Web excède de beaucoup le pourcentage des utilisateurs anglophones d’Internet. Selon Global Reach (2003), 35,2 % des internautes en ligne étaient anglophones en mars 2003. Les francophones, quant à eux, ne faisaient que 3,3 % des internautes et les personnes de langue allemande ont connu une augmentation de plus de 4 %, passant de 2 % à 6 %, de 2001 à 2003.
Le fait que les sites québécois se limitent à un contenu francophone permet-il de sortir du monde physique pour créer cet espace virtuel tant prisé? Il semble que cet attachement renvoie plutôt à l’image d’un territoire bien réel, celui de la province. L’idée qu’Internet abolirait les frontières ne serait-elle pas ainsi remise en question?
Conclusion
La langue dans laquelle les sites Web sont créés peut ajouter une autre barrière aux facteurs pouvant freiner l’usage d’Internet. Le fait d’être en zone non urbaine peu peuplée augmente également les difficultés de branchement des individus et groupes divers. Ces résultats partiels obtenus à partir des premières analyses des données d’une enquête menée dans la région de Québec vont dans le même sens que ceux que d’autres chercheurs ont déjà obtenus. Ces inégalités augmentent les risques de fracture numérique. Si Internet permet de participer à la société dans un nouvel espace d’échange, il peut également accroître l’isolement de certaines couches sociales dans le territoire québécois.
Bon nombre d’organismes de développement social usent présentement de cette technologie. Le volet le plus novateur de notre recherche consiste à relever et à localiser les hyperliens spécifiés dans leurs sites. Les premières analyses de ces liens permettent d’identifier les contours géographiques de la mise en réseau des organismes, lorsque un tel réseautage existe. Cependant, cette mise en réseau n’est-elle que formelle? Ou, à l’opposé, les acteurs en cause ont-ils conscience qu’ils forment entre eux ce qui est généralement appelé une « communauté virtuelle »? La formation d’une telle communauté d’organismes ne permet-elle pas de renforcer leur action en faveur du développement social, tout comme l’utilisation d’Internet devrait normalement aboutir à une amélioration des services qu’ils rendent à la population ? Une analyse de réseau plus poussée et complétée par des entrevues auprès des acteurs impliqués devrait permettre d’apporter des éléments de réponse à ces questions.
Parties annexes
Remerciements
Il est important de souligner l’aide précieuse apportée par Marius Thériault, professeur au Département d’aménagement de l’Université Laval et directeur du Centre de Recherche en Aménagement et Développement (CRAD). Sans ce dernier, la création des bases de données nécessaires à la réalisation de cette recherche n’en serait encore aujourd’hui qu’au stade embryonnaire. Je tiens également à remercier Paul Villeneuve, également professeur au même département et chercheur régulier au CRAD, pour ses conseils.
Note
-
[1]
Cette base de données a été par la suite transférée dans le logiciel Ucinet 6, utilisé par bon nombre de chercheurs pour les analyses de réseaux sociaux. Selon John Scott, ce logiciel, facile à utiliser, est jusqu’à maintenant l’un des meilleurs logiciels pour l’analyse de réseaux et certainement le plus accessible (Scott, 2000 : 178). Il intègre les principales techniques d’analyses de réseaux.
Bibliographie
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