Cahiers de géographie du Québec
Volume 21, numéro 53-54, 1977
Sommaire (9 articles)
Articles
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Paysage et territorialité
Claude Raffestin
p. 123–134
RésuméFR :
Dans cet article, l'auteur a tenté de distinguer les notions de paysage et de territorialité en montrant qu'elles ne se réclamaient pas des mêmes fondements épistémologiques. La notion de paysage procède du « vu » tandis que la notion de territorialité procède du « vécu ». Il s'est efforcé de faire la distinction à travers une approche de type sémiologique. La géographie classique a surtout exploré la géographie du paysage, alors qu'actuellement elle s'efforce de dégager une géographie de la territorialité. La territorialité pouvant être définie comme l'ensemble des relations entretenues par l'individu, en tant que membre d'une société, avec son environnement sensu lato. La géographie de la territorialité est en train de s'élaborer et tend à compléter, sinon à remplacer, la géographie du paysage.
EN :
In this article the author has attempted to distinguish between the two concepts of -landscape— and —territoriality- by showing that they are not based on the same epistemological fundaments. The concept of landscape originates from what is - seen -(« the seen »), whereas the concept of territoriality originates from what is — lived -(« the lived »). He has endeavoured to make this distinction through a semiological approach. Classical geographers have mainly explored the geography of landscape while today geographers are trying to introduce a geography of territoriality. Territoriality could be defined as the complete range of relationships an individual is led to establish with his environment (sensu lato) as a member of a community. The geography of territoriality is emerging and tends to complete, if not to replace, the geography of landscape.
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Analyse morphologique, classification et protection des paysages : le cas de Charlevoix
Jean Raveneau
p. 135–186
RésuméFR :
L'objectif de cette recherche est de trouver des méthodes d'analyse et de classification des paysages devant permettre l'application des articles de la Loi sur les biens culturels (Loi 2, 1972, Province de Québec) concernant la déclaration « d'arrondissements naturels ». La méthodologie proposée a été appliquée à la région de Charlevoix située à une centaine de km au nord-est de la ville de Québec.
On montre d'abord que les « arrondissements naturels » décrits dans la loi devraient plutôt porter le nom « d'arrondissements culturels ». L'identification des portions de territoire pouvant être déclarés arrondissements naturels ou culturels implique une analyse préalable des paysages de l'ensemble d'une région. Trois dimensions doivent être considérées : les formes, le peuplement, la perception. Dans cet article on aborde uniquement le problème de l'étude des formes des paysages, c'est-à-dire l'analyse morphologique. Quelques méthodes modernes d'analyse des paysages sont passées en, revue. Elles comportent généralement trois phases : inventaire, classification et évaluation proprement dite en fonction de critères particuliers (récréation notamment).
La région de Charlevoix se prête particulièrement bien à l'étude des paysages en raison de sa topographie contrastée, de l'ancienneté de son peuplement, de l'empreinte d'activités économiques diversifiées. On a d'abord procédé à une analyse visuelle comportant le relevé des limites visuelles, la classification des points de vue et le relevé des types d'itinéraires routiers. On a ensuite dressé un inventaire spatial et monté une matrice géographique d'informations comportant 70 variables relevées sur la base de 47 zones de travail. On a choisi des variables qui structurent l'image des paysages et qui en conditionnent l'évolution, à la fois dans l'espace et dans le temps. La matrice a été traitée simultanément selon des méthodes visuelles (méthode Bertin) et quantitatives (analyse factorielle). Ce traitement a fait ressortir l'influence structurante du relief, de l'ancienneté et de la densité du peuplement, de l'importance du patrimoine historique. Quatre grands ensembles géographiques ont ainsi été dégagés, chacun comportant plusieurs sous-ensembles : les zones montagneuses sans population, les zones de peuplement récent du plateau, les vallées et leurs rebords, le littoral. Une seconde classification porte spécifiquement sur les variables pouvant permettre de définir le « potentiel culturel ». Elle conduit à une hiérarchisation des zones de Charlevoix en fonction de leur intérêt plus ou moins grand pour une désignation éventuelle comme arrondissement « naturel » (ou culturel). Cette classification est complétée par l'identification des diverses formes de pollution des paysages. La principale menace de dégradation des paysages provient des poussées d'urbanisation anarchique à la périphérie de Baie-Saint-Paul et La Malbaie.
En conclusion il apparaît que la notion même d'arrondissement culturel ne permet pas de répondre aux impératifs de protection et de mise en valeur des paysages. Il faut plutôt penser en termes de développement culturel global impliquant des actions d'intensité différente selon les types de paysages et les dangers de dégradation les affectant.
EN :
The aim of this research is to find methods of landscape analysis and classification which would allow the enforcement of sections of the Cultural Property Act (Bill 2, 1972, Province of Québec) specifically those dealing with the declaration of « natural districts ». The proposed methodology was applied to the Charlevoix region, located one hundred km north-east of Québec City.
First the author demonstrates the misnaming of « natural districts » which should be called « cultural districts ». The identification of parts of territory that may be declared natural or cultural districts involve a previous landscape analysis of the whole region. Three components of landscape should be considered: shapes, settlement and perception. This paper deals only with the problem of shapes study, namely morphological analysis. Some modem methods of landscape analysis are reviewed. Three phases are generally involved : inventory, classification and evaluation depending on particular assumptions (i.e. : recreation).
The Charlevoix region is well fitted for a landscape study because of its strong topography, its early settlement and the mark of various economic activities on its landscape. First, a visual analysis was made, including a survey of Visual boundaries, classification of vistas and a survey of road itinerary patterns. The next step was to make a spatial inventory and to build a geographical data matrix comprising 70 variables pertaining to 47 working zones. Variables which frame the landscapes image and evolution in space and time were selected. The data matrix was handled both with visual and quantitative methods (Bertin's method and factor analysis). The leading factors revealed by data handling are the relief, the age and density of settlement and the importance of historical patrimony. Four major geographical areas were found, each comprising several sub-areas : mountainous unpopulated areas, late settlement plateau areas, the valleys and their edges and the St. Lawrence coast-line. A second classification involves only the variables tied with the definition of « cultural potential ». The result is a grading of Charlevoix areas according to their potential as a possible choice for natural or cultural districts. This classification is supplemented by the identification of various kinds of landscape pollutions. The main threat of landscape damage comes from the disordered spreading of townscapes around Baie-Saint-Paul and La Malbaie (Murray Bay).
A concluding remark is that the concept of cultural district does not offer a satisfying answer to the requirements of landscapes protection and development. One must rather think of a global cultural development involving various actions graduated according to landscape patterns and threats to harming them.
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Des paysages, des idées et des hommes : le projet collective de Charlevoix
Luc Bureau
p. 187–219
RésuméFR :
D'une façon quelque peu empirique, on peut distinguer quatre phases intereliées dans le processus de formation de l'image collective d'un milieu : l'identification, la modélisation, la signification et l'affectivité. Partant de ces composantes fondamentales de l'activité perceptuelle, et les mettant elles-mêmes en relation avec celles du paysage (les formes, les habitants et les valeurs), il nous a été possible de reconstituer la trame du projet collectif de Charlevoix et d'en reconnaître le niveau de consistance dans le temps et dans l'espace. Essentiellement polydimensionnel et ouvert dans le passé lointain, ce « projet » semble se contracter au fur et à mesure que l'on progresse dans le temps : l'éventail de choix se referme, en imposant des comportements de plus en plus stéréotypés. Débordant le cadre du passé et du présent, on en arrive à anticiper le profil du « nouveau projet collectif » qui s'articule, non pas en prévision d'un retour à la polyvalence ancienne, mais en fonction d'une nouvelle conception du développement, cherchant à introduire les idées de planification, de participation collective et de protection du milieu.
EN :
In a somewhat empirical way, one can distinguish four interrelated phases in the process of forming the collective image of a milieu: identification, « modélisation » (internal model), significance and affectivity. Beginning with these fundamental constituents of perceptual activity and placing them in relation to those of landscape (forms, inhabitants, and values) it has been possible for us to reconstitute the network of the regional objective of Charlevoix, and to identify its level of consistency. Essentially polydimensionnal and open in the distant past, this « objective » seems to contract as one progresses in time : the range of choice shrinks, imposing as it does so, more and more stereotyped patterns of behavior. By going beyond the conceptual limitations of the past and present, one can foresee the outline of a new regional objective which appears not as a possible return of the diversity of the past, but rather as the assertion of a new concept of development which attempts to introduce long range planning, collective participation, and protection of the environment.
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L’image du Vermont : mythologie américaine et réalité géographique
Daniel W. Gade
p. 221–241
RésuméFR :
Dans l'iconographie des États-Unis, le Vermont évoque par son seul nom un genre de vie dépassé ; un environnement sain et équilibré, y compris un paysage domestiqué mais non encore profané ; de même qu'un parc de récréation géant, vert ou blanc, aux confins de la Mégalopolis. Ces agréments de marque ont convergé pour façonner l'image nationale de l'état dont le fond est néanmoins en contradiction avec l'espace vécu. La construction de l'image, favorisée par une propagande fantaisiste, provient des impulsions venues des grandes villes. Bien des citadins recherchent dans la campagne bucolique un refuge mental pour leurs valeurs les plus chères. Certaines initiatives étatiques portent à croire que la force de l'image peut mouler le territoire, réduisant ainsi l'écart entre le mythe et la réalité.
EN :
The State of Vermont conveys to the average American a simple way or life ; a tamed but unspoiled rural landscape ; a healthy, balanced environment ; and a kind of sports park, green in summer, white in winter, on the edge of Megalopolis. These amenties have amalgamated to form a composite geographical image, one however, that contradicts the reality of the state. This distorted image, promoted by exaggerative publicity, is a reflection of a larger American search for bliss and stability in the countryside as a foil to the pressures or urban living and rapid social and economic change. Efforts within the state to fulfill the ideal suggest that the image has considerable power of transformation.
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Ethnic perceptions of Acadia
Colin H. Williams
p. 243–268
RésuméEN :
The name Acadia, given to a portion of the Atlantic region of North America, connotes a wide variety of territorial referents. From the results of a survey of a sample of New Brunswick high school students, it was determined that the exact nature and extent of the area known under the name of Acadia varied, depending on the sample location and ethnic affiliation of the respondants. But a core area common to all samples is centered on Moncton and its immediate hinterland.
FR :
Le nom Acadie donné à une certaine portion du territoire atlantique du nord-est de l'Amérique du Nord désigne une grande variété de référents territoriaux. À partir d'une enquête réalisée auprès d'un échantillon d'étudiants, de niveau secondaire du Nouveau-Brunswick, nous constatons que la nature exacte et l'étendue de l'aire symbolisée par ce nom varient en fonction de la provenance des répondants et de leur appartenance ethnique. Cependant, l'unanimité se fait autour de la localisation d'un foyer commun de la culture acadienne : la région de Moncton et son arrière-pays immédiat.
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La restauration du patrimoine aux États-Unis : évaluation critique et orientations
Pierce F. Lewis
p. 269–292
RésuméFR :
L'objectif de cet article est, d'une part de dresser un bilan des résultats de la sauvegarde et de la restauration du patrimoine architectural urbain des États-Unis, et d'autre part de définir les divers concepts qui sont invoqués par les défenseurs du patrimoine.L'auteur constate d'abord, qu'à de rares exceptions, les paysages urbains des XVIIIe et XIXe siècles ont été détruits. L'une des principales causes de l'échec de la sauvegarde du patrimoine aux États-Unis est l'absence de conscience historique chez les Américains. L'histoire et les objets qui s'y rattachent sont considérés comme une marchandise.Mais il existe cependant un certain attachement romantique pour le passé qui s'exprime, souvent maladroitement, faute de pouvoir s'appuyer sur des concepts de restaurationbien définis.
L'auteur analyse ensuite les divers concepts utilisés par les défenseurs des paysages historiques :— la « mémoire culturelle », qui invoque la fidélité au passé ;— la « patine du temps » qui est l'expression d'une perception esthétique et sensuelle des vieux objets ;— la « proxémie », qui est en relation avec la notion de voisinage et la qualité de l'environnement social ;— la « diversification de l'environnement », telle qu'elle existait autrefois, est un paliatif à la motonomie de l'architecture moderne ;— la valeur économique est un concept qui vise à appliquer les analyses coûts-bénéfices aux opérations de restauration.
Le cas de la sauvegarde du Vieux-Carré, à la Nouvelle-Orléans, est ensuite présentécomme une réussite sur le plan architectural, mais un succès discutable sur leplan social, puisque la population pauvre, des noirs en majorité, a été chassée du quartier par les loyers trop élevés. En conclusion l'auteur insiste sur ia nécessité de bien définir les principes directeurs dans toute opération de restauration du patrimoine.
EN :
In this paper, the author defines the various concepts and positions taken by different groups of preservationists in the U.S. « The historic preservation movement », he asserts, « has been and continues to be, a thundering failure ». Despite all the efforts, and with rare exception, urban landscapes of the eighteenth and nineteenth centuries have been destroyed. One of the principal causes for the failure of the historic preservation movement in the U.S. is the absence of a reverence for the past, and the counter current of those with « romantic attachment » to the past has not been able to surmount the ongoing destruction, mostly due to the lack of clear, well-defined arguments for preservation.
The author analyses five elemental arguments used by preservationists. The arguments are :1) Cultural Memory — Fidelity to the past can lead to the danger of preserving history like « a fly in amber ».2) Antique Texture — the expression of an aesthetic and sensual perception of objects as an argument for preservation is done at the risk of being called elitist.3) Successful Proximics — The preservation of old neighborhoods on the grounds that is will maintain the quality of the social environment is alluring, but such arguments cannot be universally applied and must be carefully studied.4) Environmental Diversity — Environments of the past were more diverse than the present. However, « If you justify historic preservation on the grounds of environmental variety, you cannot complain if your variety cornes in unexpected forms ».5) Economic Gain — Applying cost/benefit analysis to historic preservation is certainly the strongest of the five arguments. The profits from various restoration projects have been very interesting, but the costs are paid more in terms of alienating the poor (by relocating them) and turning history into a nightly show à la Disneyland (Old Quarter of New Orleans).
The author concludes by insisting on the necessity of well-defined principles that carry with them a vision of the future.
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L’art documentaire au service des sciences humaines : le cas du comté de Charlevoix au Québec
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Ouvrages récents (1973-1977) pertinents à la géographie culturelle (bibliographie)