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En 1960, alors qu’il a 31 ans, Rossel Vien publie sous le pseudonyme Gilles Delaunière, dans les Écrits du Canada français, son récit à saveur autobiographique « Un homme de trente ans ». L’année suivante, dans la même revue, et toujours sous le même nom de plume, paraît le récif fictif « L’auberge des trois lacs ». Dans ses deux premières nouvelles, Vien met en scène des personnages marginalisés et non conventionnels. En partant du concept théorique que développe Emir Delic sur la conscience altéritaire du minoritaire (2014), je postule que le sentiment généralisé de malaise que vivent les personnages clés de ces deux histoires naît d’un profond sentiment de rejet. Leur questionnement ontologique se double d’une prise de conscience (ou crise identitaire) de l’être social et discursif face à l’Autre, mais aussi face à soi. Ces constats entraînent un glissement progressif vers ce que j’appelle une surconscience du soi qui découvre avec désarroi que sa ‘différence’ est inacceptable aux yeux de la majorité. D’intérêt particulier sont les nombreuses stratégies littéraires qu’exploite Vien pour permettre à ses lecteurs d’entrer de plain-pied dans l’univers de ces êtres atypiques qui se sentent constamment en porte-à-faux, non seulement avec de leur communauté, mais aussi avec leur propre image de soi. Je me focaliserai sur l’étude de quelques procédés rhétoriques qu’emploient les narrateurs et certains personnages, tels que les oppositions binaires, les images choc, le non-dit, etc., et qui révèlent à la fois une surconscience altéritaire ainsi qu’une perception autre de la réalité.