
Numéro 72, 2018 Explorer la mémoire et l'histoire
Sommaire (11 articles)
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Présentation
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Jeanne d’Arc au Nouveau Monde : aperçus sur la légende johannique en Amérique française
Gilles Gallichan
p. 1–66
RésuméFR :
Jeanne d’Arc, la célèbre Pucelle d’Orléans, a connu un destin historique peu commun. Elle rejoint au panthéon les plus grandes figures de l’histoire française. Qui plus est, l’Église catholique, qui l’avait jadis condamnée, en a fait une sainte en 1920. Le Canada français a découvert Jeanne d’Arc au tournant du siècle par la presse, par une abondante littérature, par le théâtre et par les chansons. Le clergé catholique a fait d’elle un idéal patriotique. Dès lors, son image a été annexée au nationalisme et à la défense des droits linguistiques et religieux des Canadiens français. Le féminisme s’en est aussi emparé, le prénom « Jeanne-d’Arc » s’est popularisé et on lui a érigé des monuments et, dans les églises, on a offert ses statues à la dévotion populaire. Cet article évoque le passage de la figure johannique de la France vers l’Amérique francophone au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle.
EN :
Joan of Arc, the famous Maid of Orleans, had an unusual historical fate. She joins in the pantheon the greatest figures of French history. Moreover, the Catholic Church, which had once condemned her, made her a saint in 1920. French Canada discovered Joan of Arc at the turn of the century through the press, an abundance of literature, theater and through song. The Catholic clergy made her a patriotic ideal. From then on, her image was annexed to nationalism and the defense of linguistic and religious rights of French Canadians. Feminism has also taken hold of her, the name «Jeanne d’Arc» has become popular and monuments have been erected and, in churches, her statues have been offered for popular devotion. This article evokes the passage of the Johannine figure from France to French-speaking America in the nineteenth and the first half of the twentieth century.
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Papineau et la violence : conflits locaux et discours national en 1837 et en 1838
Yvan Lamonde
p. 67–96
RésuméFR :
La liberté vaut-elle qu’on verse une goutte de sang pour elle, demandait Daniel O’Connell ? Quel fut le rapport de Papineau à la violence, aux armes, à la prise d’armes ? À partir de ses positions sur le système seigneurial, les relations ethniques, la langue et la religion, l’analyse scrute l’outillage mental à partir duquel le leader patriote pouvait penser la radicalité physique. Les conflits locaux exacerbés étaient-ils recevables, reçus par le Parti patriote et par Papineau ?
EN :
Is freedom worth drawing a drop of blood for her, asked Daniel O’Connell? What was Papineau’s relation to violence, arms, the taking up of arms? From his positions on the seigneurial system, ethnic relations, language and religion, the analysis scrutinizes the mental tools from which the patriotic leader could think of physical radicalism. Were exacerbated local conflicts received by the Patriot Party and by Papineau?
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D’O’Connell à Robespierre. Les représentations de Louis-Joseph Papineau dans la presse anglophone du Bas-Canada (1827-1837)
Louis-Georges Harvey
p. 97–143
RésuméFR :
Les représentations de Papineau qui émergent dans le discours politique anglophone des années 1820 et 1830 se construisent à l’aide d’un vocabulaire politique et de dialectiques qui structurent la sphère publique locale, mais qui découlent de multiples traditions discursives observées dans les contextes britanniques, étatsuniens, ainsi qu’ailleurs en Amérique du Nord britannique. Les textes consacrés à Papineau entre 1827 et 1832 tournent sur la question de son aptitude à assumer les fonctions de président de l’Assemblée et de son rôle à la tête d’une cabale politique, que l’on désigne « Papineau faction ». Les journaux réformistes repoussent ces critiques et leur opposent une représentation de Papineau comme défenseur des droits du « peuple » bas-canadien au sens large du mot. Les attaques des critiques du chef patriote s’intensifient entre 1832 et 1834, alors qu’on insiste particulièrement sur la démagogie du chef patriote. Après 1834, les nombreux textes dédiés à Papineau le personnifient sous les traits d’un révolutionnaire français, parfois même de Robespierre, témoignent de la vigueur de la tradition anti-jacobine au Bas-Canada. Dans tous les cas, la figure de Papineau vient à incarner certains prototypes bien établis dans l’univers discursif de l’époque que les intervenants brandissent pour susciter la réaction du lecteur en renvoyant des images et des références historiques déjà très familières.
EN :
The representations of Louis-Joseph Papineau in anglophone political discourse of the 1820s and 1830s were constructed using a political vocabulary and political rhetorics which helped structure the local public sphere, but were also shaped by multiple discursive traditions present in the British, American, as well as British North American contexts. From 1827 to 1832, texts dealing with Papineau focused mainly on his ability to act as Speaker of the Lower Canadian Assembly and on his role as leader of what his political enemies termed the « Papineau faction ». Reform newspapers refuted such charges and countered them with a representation of Papineau which portrayed him as the defender of the people in the broadest sense. Attacks on the Patriote leader intensified between 1832 and 1834, and critics increasingly insisted on his demagogic tendencies. After 1834, many articles devoted to Papineau portrayed him as French revolutionary, as a Jacobin, and sometimes as Robespierre himself, which underlines the continued relevance of anti-Jacobin discourse in Lower Canada. In all of these cases, the representations of Papineau relied on prototypes well established in the discursive universe of the period, which writers brandished in order to call up historical images and references familiar to their readers.
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Voix des esclaves autochtones et des esclavagistes : un cas d’histoire intersectionnelle dans les archivesjudiciaires de la juridiction de Montréal
Dominique Deslandres
p. 145–175
RésuméFR :
L’affaire Constant se prête à merveille à l’analyse intersectionnelle qui invite à penser la pluralité des formes et des logiques de domination (en particulier sexe, race et classe) et la complexité de leurs articulations. En effet, elle révèle les dynamiques de pouvoir qui régissent la maison entièrement féminine dans laquelle est perpétré le crime d’un esclave panis en 1757. Mais surtout, au-delà de la vérité pérenne et tragique – et pourtant si souvent invisibilisée – qu’elle révèle de l’esclavage autochtone à Montréal et en Nouvelle-France, elle permet « d’entendre » les voix des esclaves autochtones et de prendre la mesure de leur agentivité (ou horizon d’action pensé et vécu).
EN :
The Constant case lends itself perfectly to intersectional analysis, which invites us to think about the plurality of forms and the logic of domination (in particular sex, race and class) and the complexity of their articulations. Indeed, it reveals the power dynamics that govern the all-female house in which the crime of a panis slave is perpetrated in 1757. Above all, beyond the perennial and tragic truth – and yet so often hidden in plain sight – that it reveals of the Native slavery in Montreal and in New France, it allows us to “hear” the voices of native slaves and to measure their agency.
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J’ai pensé à vous… Cartes postales et artisanat textile
Jocelyne Mathieu
p. 177–212
RésuméFR :
La carte postale est un moyen de correspondance brève. On la connaît surtout comme expression d’une pensée adressée à un proche à l’occasion d’un voyage, d’où son association avec le tourisme. D’abord pour la correspondance d’affaire, la carte postale sert souvent d’outil publicitaire en étant produite par des boutiques, des ateliers ou des sites à visiter; des produits sont ainsi promus, notamment comme souvenirs à rapporter. Certaines cartes mettent en valeur l’artisanat textile; elles s’avèrent alors d’un intérêt documentaire pour les chercheurs et les collectionneurs; quelques-unes retiennent ici notre attention.
EN :
The postcard is a brief means of correspondence. It is best known as an expression of a thought addressed to a loved one during a trip, hence its association with tourism. First as an advertising medium, the postcard often keeps this function by being produced by shops, workshops or sites to visit; products are thus promoted, especially as souvenirs to bring back home. Some cards showcase textile crafts; they turn out to be of documentary interest for researchers and collectors; some of them hold our attention here.
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Tit-Coq (1948) de Gratien Gélinas : de l’événement théâtral à la consécration littéraire
Lucie Robert
p. 213–247
RésuméFR :
Dès sa création en 1948, Tit-Coq de Gratien Gélinas est reçu non seulement comme la « première » pièce de son auteur, mais aussi comme l’acte de naissance du théâtre canadien-français. Or, la pièce elle-même, comme son auteur, tire profit d’une certaine tradition théâtrale, largement antérieure, qui se trouve ainsi reniée. Néanmoins au fil de la réception critique (dramatique et littéraire) s’imposera cette idée d’un acte fondateur qui, dans le contexte des débats esthétiques de l’époque, va favoriser pour la première fois l’intégration du théâtre et des textes dramatiques dans l’histoire littéraire.
EN :
From its creation in 1948, Gratien Gélinas’ Tit-Coq has been received not only as the «first» play of its author, but also as the founding moment of genuine French-Canadian theatre. However, the play itself, like its author, emerged from a certain theatrical tradition, largely prior, which is thus denied. Nevertheless, the critical reception (dramatic and literary) will impose this idea of a founding act which, in the context of the aesthetic debates of the time, will favor for the first time the integration of theater and dramatic texts into literary history.
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Rituels, modernisation et fierté : construction mémorielle dans la série télévisée J’ai la mémoire qui tourne
Andrée Fortin
p. 249–290
RésuméFR :
J’ai la mémoire qui tourne est une série télévisée de 12 émissions documentaires de 46 minutes, réalisée à partir de « films de famille », c’est-à-dire tournés au sein de familles québécoises entre les années 1920 et 1980, recueillis et mis en forme par les Productions de la Ruelle. Rituels et modernité en marche sont deux des lignes de force de la série; une troisième ligne narrative est la fierté découlant de la construction de la modernité à travers les aléas et les difficultés de toutes sortes. Pour construire une telle mémoire collective, il ne suffit pas de faire défiler des images. Les films de famille présentent le plus souvent des défauts techniques: l’image saute, elle est parfois surexposée, le cadrage est approximatif; la parole compense ces défauts, explique l’intérêt de l’image malgré ces défauts. Les stratégies de construction mémorielle ainsi que les mécanismes permettant le passage de la mémoire familiale à la mémoire collective sont ici analysés.
EN :
J’ai la mémoire qui tourne is a television series of 12 documentary programs of 46 minutes, made from «family films», that is to say, shot in Quebec families between the 1920s and 1980s, collected and shaped by Productions de la Ruelle. Rituals and modernity in motion are two of the series’ main strengths; a third narrative line is the pride arising from the construction of modernity through hazards and difficulties of all kinds. To build such a collective memory, it is not enough to scroll images. Family films most often have technical flaws: the image jumps, it is sometimes overexposed, the framing is approximate; speech compensates for these defects and explains the interest of the image despite these defects. The strategies of memory construction as well as the mechanisms allowing the passage from the family memory to the collective memory are here analyzed.
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Le gouvernement de Robert Bourassa et la culture, 1970-1976 : 1re partie : la souveraineté culturelle
Fernand Harvey
p. 291–326
RésuméFR :
Slogan électoral ou politique culturelle? La souveraineté culturelle mise de l’avant par le premier ministre Robert Bourassa a suscité d’importants débats à caractère politique, social et culturel au cours des deux mandats du gouvernement libéral, de 1970 à 1976. Ce débat met à l’avant-scène différents acteurs: deux ministres du gouvernement Bourassa – Jean-Paul L’Allier aux Communications et Denis Hardy aux Affaires culturelles –, des membres de l’opposition à Québec, le ministre Gérard Pelletier au niveau fédéral et un regroupement issu de la société civile, le Tribunal de la culture, présidé par l’anthropologue Marcel Rioux. En relation avec ce débat se profile un élargissement de la notion même de culture qui ne se limite plus aux arts, aux lettres et au patrimoine. La recherche d’une politique culturelle pour le Québec est ainsi étroitement liée à l’affirmation d’une politique des communications, laquelle soulève des obstacles constitutionnels avec le gouvernement fédéral.
EN :
Electoral slogan or cultural policy? The cultural sovereignty championed by Premier Robert Bourassa sparked important political, social and cultural debates during the Liberal government’s two terms of office from 1970 to 1976. This debate puts the spotlight on actors: two ministers from the Bourassa government - Jean-Paul L’Allier to Communications and Denis Hardy to Cultural Affairs – some members of the opposition in Quebec, Minister Gerard Pelletier at the federal level and a group from civil society, the Tribunal de la culture, chaired by the anthropologist Marcel Rioux. In connection with this debate, there is a broadening of the very notion of culture which is no longer limited to arts, letters and heritage. The quest for a cultural policy for Quebec is thus closely linked to the assertion of a communications policy, which raises constitutional obstacles with the federal government.
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Chronique de la recherche des Dix
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Index général