
Volume 65, numéro 4, décembre 2024
Sommaire (9 articles)
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L’ingratitude en droit québécois : regard sociohistorique sur l’action en révocation d’une donation
Andréanne Malacket, Pascal Fréchette et Pénéloppe Chabot
p. 673–723
RésuméFR :
Issue du droit romain, la révocation d’une donation entre vifs pour cause d’ingratitude est une peine privée imposée à un gratifié ayant manqué à son devoir de reconnaissance à l’endroit de son donateur. Dans le présent texte, les auteurs mettent en lumière le fondement et les caractères de la notion, outre qu’ils en retracent les origines. Partant, ils recomposent la genèse du recours en révocation pour cause d’ingratitude : du Code Justinien au Code Napoléon, puis de sa codification dans le Code civil du Bas Canada, à sa reconduction lors de la réforme du Code civil du Québec, plus spécialement en son article 1836. En ce sens, cet article énonce que l’ingratitude est un comportement gravement répréhensible qui s’apprécie à la lumière des facultés des parties, de la nature de la donation et des circonstances. Cependant, l’appréciation de ces circonstances soulève des difficultés. Trois axes se dégagent ainsi de la jurisprudence contemporaine et révèlent la nature de l’ingratitude : la bonne ou la mauvaise foi des parties, le préjudice subi par le donateur et les relations préexistantes entre les parties.
EN :
Originating from Roman law, the revocation of a gift inter vivos on account of ingratitude is a private penalty imposed on the donee who has failed in his or her duty of gratitude to his or her donor. Authors highlight the nature of the notion as well as its foundation and characters, while tracing its origins. Therefore, they reconstruct the genesis of the remedy of revocation for ingratitude : from the Justinian Code to the Napoleon Code, then from its codification in the Civil Code of Lower Canada, to its renewed status with the reform of the Civil Code of Quebec, more specifically in article 1836. Such provision states that ingratitude is a seriously reprehensible behavior towards the donor, which is assessed in the light of the faculties of the parties, the nature of the gift and the circumstances. However the assessment of those circumstances surrounding the act raise difficulties. Three factors drawn from contemporary case law hence reveal the nature of ingratitude : the good or bad faith of the parties, the prejudice caused to the donor and the preexisting relationship between the parties.
ES :
La revocación de una donación entre vivos por ingratitud, originaria del derecho romano, es una sanción de carácter privado que se le impone al donatario que haya faltado a su deber de gratitud hacia el donante. Los autores resaltan el fundamento y los caracteres de la noción, además de realizar la trazabilidad de los orígenes, reconstruyendo la génesis del recurso de revocación por causa de ingratitud desde el Código de Justiniano hasta el Código de Napoleón, y desde su codificación en el Code civil du Bas-Canada hasta su reconducción, en la reforma del Code Civil de Quebec al artículo 1836. Este artículo establece que la ingratitud es un comportamiento gravemente reprensible, que se examina a la luz de las facultades de las partes, de la naturaleza de la donación y de las circunstancias. No obstante, la valoración de dichas circunstancias plantea dificultades, por lo que se desprenden tres principios de la jurisprudencia contemporánea que revelan la naturaleza de la ingratitud : la buena o la mala fe de las partes, el perjuicio que haya sufrido el donante y las relaciones preexistentes entre las partes.
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L’union de fait, la provision pour frais et l’accès à la justice
Robert Leckey
p. 725–753
RésuméFR :
Dans les litiges en matière « familiale », une partie n’ayant pas les moyens de prendre part aux procédures peut demander une provision pour frais à la partie adverse. Ce dispositif favorise l’accès à la justice. Selon la Cour d’appel du Québec, la provision pour frais n’est pas disponible dans le contexte d’une réclamation pécuniaire entre d’anciens conjoints de fait, puisque c’est alors une matière purement « civile ». La règle du Code de procédure civile relative à ce sujet mérite d’être réévaluée. L’interprétation qui exclut les conjoints de fait omet plusieurs considérations pertinentes pour l’interprétation des lois : la nouveauté textuelle de la disposition en question, l’objectif de faciliter l’accès à la justice et la mise en cohérence du droit procédural avec le droit substantiel, déjà adapté par les tribunaux pour les conjoints de fait. Au surplus, cette interprétation restrictive est de nature à engendrer une discrimination injustifiée à l’encontre des conjoints de fait.
EN :
In “family” disputes, one party whose financial situation may prevent them from conducting their case may seek a provision for costs from the other. This mechanism promotes access to justice. According to the Court of Appeal of Quebec, a provision for costs is unavailable when an individual brings a financial claim against their former de facto spouse, it being a merely “civil” matter. The Code of Civil Procedure’s rule on provision for costs is ripe for reinterpretation. The reading that excludes de facto spouses fails to consider factors relevant to statutory interpretation : the rule’s textual novelty, the objective of fostering access to justice, and the importance of coherence between procedural law and substantive law, which courts have adapted for de facto spouses. Moreover, the restrictive reading likely discriminates unjustifiably against de facto spouses.
ES :
En litigios en materia « familiar », cuando una parte no posee los medios para actuar en los procedimientos puede solicitar una provisión por costos a la contraparte, el cual es un mecanismo que favorece el acceso a la justicia. Según la Corte de Apelaciones quebequesa, la provisión por costos no es posible en el marco de una reclamación pecuniaria entre exparejas de hecho, puesto que se trata de una materia puramente « civil ». La regla prevista en el Código de Procedimiento Civil relacionada con este tipo de asunto merece ser reevaluada. La interpretación que excluye a las parejas de hecho omite diversas consideraciones pertinentes en la interpretación de las leyes : la novedad textual de la disposición en cuestión, el objetivo para facilitar el acceso a la justicia y la coherencia del derecho procesal con el derecho sustancial, ya adaptada por los tribunales para las parejas de hecho. Además, esta interpretación restrictiva puede ocasionar una discriminación injustificada en contra de las parejas de hecho.
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La protection des enfants à naître contre les crimes violents : une menace au droit à l’avortement ?
Emmanuelle Léonard-Dufour
p. 755–788
RésuméFR :
Au Canada, il n’existe aucune infraction criminelle spécifique pour quiconque tue ou blesse un foetus au cours d’un crime à l’encontre d’une femme enceinte. Depuis plusieurs années, des projets de loi sont régulièrement déposés au Parlement pour pallier cette situation en modifiant le Code criminel afin de protéger les enfants à naître, notamment par la création de nouvelles infractions ou la codification à titre de facteur aggravant le fait qu’une victime est enceinte. Une telle loi n’a toutefois jamais été adoptée, car on craint que son entrée en vigueur octroie un statut juridique protégé au foetus, ou le reconnaisse à titre d’être humain, et mine éventuellement le droit à l’avortement. Toutefois, ces craintes ne sont pas fondées. La protection des enfants à naître des crimes à leur encontre ne mettrait pas en péril le droit à l’avortement et ne changerait pas le statut du foetus en droit.
EN :
In Canada, there is no specific criminal offence for anyone who kills or injures a fetus during a crime against a pregnant woman. For several years, bills have been regularly tabled in Parliament to remedy this by modifying the Criminal Code to further protect unborn children, by creating new offences or codifying as an aggravating factor the fact that a victim is pregnant. However, such a law was never passed due to fears that it would grant protected legal status to the fetus, or recognize it as a human being, and potentially undermine the right to abortion. However, these fears are unfounded. Protecting unborn children from crimes would not jeopardize the right to abortion or change the legal status of the fetus.
ES :
En Canadá no se ha previsto ninguna sanción penal específica para quien ultime o lesione un feto durante la comisión de un delito en contra de una mujer embarazada. Desde hace varios años se presentan regularmente ante el Parlamento proyectos de ley para modificar el Código Penal con el fin de resolver esta situación y proteger a los niños aún no nacidos, particularmente con la constitución de nuevos delitos o con la codificación considerando el hecho de que la víctima esté embarazada, como circunstancia agravante. No obstante, nunca se ha adoptado una ley de este tipo, ya que se teme que esto le conceda un estatuto jurídico protegido al feto o se le reconozca como ser humano, y eventualmente se socave el derecho al aborto. Sin embargo, dichos temores no tienen fundamento pues la protección de los niños por nacer por delitos en contra de ellos no pondría en peligro el derecho al aborto y no modificaría el estatus jurídico del feto.
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La substance et la procédure : l’effritement d’une distinction classique et ses conséquences pour le contrôle judiciaire
Kevin Bouchard et Monica Popescu
p. 789–825
RésuméFR :
Alors que certaines cours de révision considèrent qu’aucune norme de contrôle ne s’applique en contrôle judiciaire d’une décision administrative sur la procédure, d’autres appliquent soit la norme de la décision correcte, soit la norme de la décision raisonnable, ou encore, au cours des dernières années, les normes de contrôle généralement applicables en appel. Cette absence de consensus révèle les traces, au sein de la jurisprudence, de deux visions concurrentes de la légalité. L’une, plus formelle et centrée sur l’autorité, sépare nettement la substance et la forme du droit et peut être associée à la norme de la décision correcte. L’autre, plutôt substantielle et axée sur la justification de l’action gouvernementale, reconnaît les liens qui unissent la procédure et la substance et peut être rattachée à la norme de la décision raisonnable. Le présent article montre que l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada consolide le passage, entamé vingt ans plus tôt dans l’arrêt Baker, d’une culture de l’autorité à une culture de la justification et que, ce faisant, il rend inappropriée l’application de la norme de la décision correcte aux questions d’équité procédurale. Pour accroître la cohérence du droit du contrôle judiciaire, il convient désormais, conformément à cette lente évolution jurisprudentielle, de reconnaître que la révision des questions de procédure s’effectue selon la même analyse contextuelle de la raisonnabilité que celle des questions sur le fond.
EN :
While some reviewing courts consider that no standard of review applies to the judicial review of an administrative decision on procedure, others apply either the standard of correctness, the standard of reasonableness or, more recently, the general standards of appellate review. This lack of consensus reveals the traces, within the case law, of two competing visions of legality. One, more formal and focused on authority, clearly separates the substance and form of the law and can be associated with the standard of correctness. The other, which is more substantive and focuses on the justification of government action, recognizes the links between procedure and substance and can be associated with the standard of reasonableness. This article demonstrates that the Supreme Court of Canada’s decision in Vavilov consolidates the shift, begun twenty years earlier in Baker, from a culture of authority to a culture of justification, and that, in so doing, it renders inappropriate the application of the standard of correctness to questions of procedural fairness. To make the law of judicial review more coherent, it is now suitable, in line with these slow jurisprudential developments, to recognize that the review of procedural issues is carried out according to the same contextual analysis of reasonableness as that of substantive issues on their merits.
ES :
Mientras que algunos tribunales de revisión consideran que ninguna norma de control se aplica en la revisión judicial de una decisión administrativa procedural, otros tribunales aplican la norma de la decisión correcta o la norma de la decisión razonable, y recientemente, las normas de control que generalmente se aplican en apelación. Esta falta de consenso en el seno de la jurisprudencia revela indicios de dos visiones contrapuestas de la legalidad. Una más formal y ajustada a la autoridad, que separa claramente el fondo de la forma del derecho, y que puede asociarse a la norma de la decisión correcta. La otra, más sustantiva, que se ciñe a la justificación de la acción gubernamental y la cual reconoce los vínculos que aúnan procedimiento y sustancia, la cual puede asociarse con la norma de la decisión razonable. Este artículo demuestra que la decisión en el caso Vavilov, emanada del Tribunal Supremo de Canadá, afianza el cambio iniciado hace veinte años con el fallo del caso Baker, pasándose de una cultura de autoridad a una cultura de justificación, lo cual ha conllevado a la inapropiado de la aplicación de la norma de la decisión correcta para las cuestiones de equidad procesal. Para que el derecho del control judicial sea más coherente, convendría que, de conformidad con esta lenta evolución jurisprudencial, se reconozca que el control de las cuestiones de procedimiento se efectúe siguiendo el mismo análisis contextual de la razonabilidad que se aplica para las cuestiones de fondo.
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L’extradition, la courtoisie internationale et la Charte canadienne des droits et libertés
Mustapha Boussaffara
p. 827–868
RésuméFR :
La courtoisie internationale revêt une importance capitale dans le droit canadien de l’extradition. Non seulement elle constitue le fondement même de ce droit, mais elle sert également de principe d’interprétation constitutionnel empêchant l’application extraterritoriale de la Charte canadienne des droits et libertés en matière d’extradition. L’objectif principal de cet article est de démontrer que la courtoisie internationale ne peut en aucun cas constituer un obstacle à cette application. Pour y parvenir, il est d’abord nécessaire de démystifier la notion de courtoisie internationale. C’est que, malgré son importance, la signification et les origines réelles de cette notion n’ont jamais été définitivement élucidées. Nous montrerons que cette notion n’est rien d’autre que la doctrine américaine de la « comity » et que c’est par une utilisation maladroite de cette doctrine que la jurisprudence en est arrivée à la conclusion que la courtoisie internationale constitue un obstacle à l’application extraterritoriale de la Charte en matière d’extradition.
EN :
The comity of nations is of paramount importance in Canadian extradition law. Not only is it the very foundation of extradition law, but it also serves as a principle of constitutional interpretation preventing the extraterritorial application of the Charter in extradition matters. The main objective of this article is to demonstrate that the comity of nations can in no way constitute an obstacle to this application. To do so, it was first necessary to demystify the concept of comity of nations. This is because, despite its importance, the real meaning and origins of this concept have never been definitively elucidated. It shall be shown that this notion is nothing more than the American doctrine of “comity” and that it is through a clumsy use of this doctrine that the case law has come to the conclusion that the comity of nations constitutes an obstacle to the extraterritorial application of the Charter in extradition matters.
ES :
La cortesía internacional reviste de una importancia capital en la legislación canadiense en materia de extradición. No solamente constituye el fundamento mismo de este derecho sino que sirve igualmente como principio de interpretación constitucional, que impide la aplicación extraterritorial de la Carta en materia de extradición. El principal objetivo de este artículo es demostrar que la cortesía internacional no puede, en ningún caso, constituir un obstáculo a esta aplicación. Para lograr esto, primeramente se ha tenido que desmitificar la noción de cortesía internacional, que a pesar de su importancia, el significado y los orígenes reales de dicha noción nunca se ha dilucidado definitivamente. Demostraremos que esta noción no es otra cosa que la doctrina americana de la comity y debido a un uso impropio de esta doctrina es que la jurisprudencia ha llegado a la conclusión de que la cortesía internacional constituye un obstáculo a la aplicación extraterritorial de la Carta en materia de extradición.
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Comment la common law et le droit codifié sont-ils devenus deux modèles juridiques antagonistes ?
Sylvain Soleil
p. 869–893
RésuméFR :
Le droit comparé a habitué les juristes à l’opposition entre systèmes de common law et systèmes de droit codifié. Mais d’où vient cet antagonisme qui conduit à opposer de façon exagérée chaque trait d’identité de chacun de ces deux systèmes juridiques ? Le présent article, qui condense plusieurs années de recherche, insiste sur la période 1820-1835. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, une longue et violente controverse embrase alors les milieux politiques et les professions juridiques autour d’une question redoutable : faut-il abroger le système de common law au profit de la codification ? Ce qui, du fait de la dynamique même de la controverse, a creusé un abîme infranchissable entre les partisans de l’un et l’autre camps ; ainsi, deux armées et deux ensembles d’argumentaires ont favorisé l’antagonisme entre deux systèmes dont la doctrine contemporaine a hérité.
EN :
Comparative law has accustomed us to the opposition between common law systems and codified law systems. But what is the origin of this antagonism, which leads us to oppose each of these two legal systems in every way ? This article, which brings together several years of research, focuses on the period 1820-1835 : in the United States and the United Kingdom, a long and violent controversy engulfed political circles and the legal profession around a formidable question : should the common law system be abolished in favour of codification ? The very dynamics of the controversy created an unbridgeable chasm between the supporters of one side and the other ; two armies and two sets of arguments that fostered this antagonism between two systems that contemporary doctrine has inherited.
ES :
El derecho comparado nos ha acostumbrado a la oposición entre los sistemas de derecho común y los sistemas de derecho codificado. ¿De dónde viene este antagonismo, que ha acarreado oponer de esta manera, cada rasgo de identidad de cada uno de estos sistemas jurídicos ? Este artículo reúne varios años de investigaciones y hace hincapié en el periodo de 1820 a 1835 en los Estados Unidos y en el Reino Unido. Una larga y violenta controversia enardece el medio político y las profesiones jurídicas, la cual gira en torno a una cuestión fundamental : ¿Es necesario derogar el sistema de derecho común en beneficio de la codificación ? Esto, y debido a la dinámica misma de la controversia, ha cavado un abismo infranqueable entre los partidarios de uno y otro bando, dos fuerzas y dos conjuntos de argumentaciones han fomentado este antagonismo entre los dos sistemas que la doctrina contemporánea ha heredado
Chronique bibliographique
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Lorne M. Sossin and Gerard Kennedy, Boundaries of Judicial Review : The Law of Justiciability in Canada, 3rd ed., Toronto, Thomson Reuters, 2024, 575 p., ISBN 978-1-0382-0557-5.
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Stéphane Rousseau, Droit des valeurs mobilières : théorie et pratique, Montréal, Thémis, 2023, 824 p., ISBN 978-2-89400-489-0.