À en croire le compositeur français Hector Berlioz, le temps serait un « grand professeur », qui aurait toutefois un effet pervers : celui de finalement « tuer ses élèves » ! D’ailleurs, l’une des plus grandes formes de « justice » n’est-elle pas que l’écoulement du temps est, objectivement, le même pour tout le monde ? Si cela mène, chez certains, à de profondes réflexions sur l’existence, la mort, l’évolution, les choix à faire, les souvenirs, le rythme de la vie, etc., le phénomène alimente aussi la pensée dans diverses branches de la connaissance, y compris dans le registre juridique. Ce sont justement à ces réflexions que le présent numéro thématique a voulu convier les personnes intéressées par l’intersection entre le temps et le droit ; et les contacts entre les deux sont nombreux. En effet, on pourrait même dire que le temps s’immisce dans tous les champs du droit. Viennent immédiatement à l’esprit les lenteurs de la justice, les délais de la procédure, qu’elle soit civile, pénale ou administrative, la durée des peines en droit criminel, la prescription et les droits acquis, notamment. Le temps et la preuve ne font pas toujours bon ménage, le passage des heures et des jours perturbant volontiers la mémoire des témoins. La question du temps est aussi bien présente dans les lois fondamentales, que les procédures complexes de modification constitutionnelle visent à inscrire dans la durée, parfois même dans l’éternité. Quant à elles, les mesures d’exception prises en raison de la récente pandémie de COVID-19 ont peut-être donné naissance à une notion oxymorique par excellence, celle de la « permanence de l’urgence ». Léo Ferré a-t-il raison de chanter « Avec le temps, va, tout s’en va » ? Rien n’est moins sûr… Si certains, comme François Ost, se penchent sur le temps du droit, on peut se demander s’il existe un droit au temps, dont bénéficieraient, entre autres, le consommateur après son achat, le juge pendant son délibéré, le législateur pendant les travaux parlementaires. En somme, le temps se décline en un florilège de variations dans toutes les branches du droit. C’est un peu la constatation à laquelle on en vient à la lecture combinée des textes qui composent le présent numéro thématique, passant du droit de la personne (Gaële Gidrol-Mistral et Michaël Lessard) au droit international (Rémi Fuhrmann), sans oublier le droit de la gouvernance (Stéphane Bernatchez), le droit des technologies de l’information (Jeanne Proulx), le contrôle judiciaire (Paul-David Chouinard) et la prescription extinctive (Antoine Motulsky-Falardeau). Le résultat de cette réflexion sur le couple « temps et droit » conduit, par exemple, à explorer les liens entre la temporalité juridique, d’un côté, et les notions de rétroaction et de réflexivité, de l’autre (Bernatchez). Cette réflexion met également en évidence la conception différente que les systèmes de droit civil et de common law entretiennent avec le temps. En ce sens, la mixité du droit québécois, où se côtoient ces deux traditions juridiques, peut causer certaines tensions (Chouinard). La question du temps suscite aussi des enjeux en ce qui concerne la mémoire et l’histoire, de même qu’en ce qui a trait à la manière dont celle-ci est ensuite mobilisée, notamment dans l’écriture de l’histoire critique du droit. Cela n’est pas sans impact sur la lutte à l’encontre des injustices contemporaines héritées du passé (Fuhrmann). Le numéro thématique nous renseigne également sur les effets juridiques du passage du temps, notamment à travers l’enjeu fondamental du statut juridique de l’embryon humain, et ce, face à des situations aussi diversifiées que celles de l’utérus artificiel, de l’enfant mort-né et de la grossesse pour autrui (Gidrol-Mistral …
Le temps
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Sylvette Guillemard
Professeure, Faculté de droit, Université LavalDave Guénette
Professeur, Faculté de droit, Université de Sherbrooke
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