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Sans contredit, l’introduction de procédures en matière de protection de l’enfance influe de façon significative sur les droits constitutionnels des parents[1] et le cas échéant, de l’enfant lui-même. Il est en fait difficile d’imaginer une plus grande intrusion de l’État dans la vie de ces derniers que celle qui est causée par une procédure introduite à la Chambre de la jeunesse qui vise des mesures contestées[2]. Selon les circonstances, ces demandes portent atteinte d’emblée aux droits prévus par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et doivent respecter des exigences afin d’être justifiées et de demeurer constitutionnelles (partie 1).

Les principes de justice fondamentale et l’équité de la procédure en trame de fond, nous traiterons de certaines obligations du Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) en matière de preuve à la Chambre de la jeunesse (partie 2). Considérant la jurisprudence et les modifications introduites à la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ)[3] en 2022[4], le DPJ se doit, de prime abord, d’être transparent envers le tribunal. Le DPJ doit impérativement inclure, dans ses rapports et autres documents qu’il soumet, en plus des faits sur lesquels il base ses recommandations, les éléments importants qui sont défavorables à ses conclusions, le cas échéant. Au surplus, le DPJ, par l’entremise de son avocat, pourrait fort bien se trouver dans l’obligation de divulguer toute preuve pertinente quant au litige, sur demande d’une partie. Exceptionnellement, l’avocat pourrait exclure des éléments, en se fondant sur des règles liées à la confidentialité et à l’intérêt de l’enfant.

Finalement, nous aborderons les délais de communication et de production des pièces lorsqu’un dossier est judiciarisé à la Chambre de la jeunesse (partie 3). Bien qu’ils aient été légèrement prolongés dans le contexte de la dernière révision de la LPJ, ces délais apparaissent néanmoins toujours courts. Nonobstant le contexte spécifique de la protection de la jeunesse, dans lequel la célérité s’impose, la constitutionnalité de cette disposition paraît fragile, dans certaines circonstances.

1 Les procédures judiciaires en matière de protection de la jeunesse et la protection accordée par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés

Les procédures judiciaires dans le domaine de la protection de l’enfance peuvent en soi porter atteinte à la liberté et à la sécurité des parents et de l’enfant[5]. En 2022, la Cour suprême du Canada rappelait que « [l]a décision de placer des enfants aux soins de l’État entraîne des conséquences profondes pour les enfants et leurs familles, des décisions qui bouleversent leur vie[6] », citant un passage de l’affaire Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), selon lequel « [p]eu d’actes gouvernementaux peuvent avoir des répercussions plus profondes sur la vie des parents et de l’enfant[7] ».

Ainsi, une procédure intentée par le DPJ à la Chambre de la jeunesse influe sur des droits protégés par l’article 7 de la Charte canadienne, la gravité de l’atteinte variant selon les circonstances. Une demande du DPJ pour que des parents fassent rapport de la situation familiale, tout en maintenant l’enfant auprès d’eux, semble, à titre d’exemple, une atteinte relativement minime. En revanche, une demande du DPJ ayant comme objectif de retirer aux parents certains attributs de l’autorité parentale compromet leur droit à la liberté[8]. Par ailleurs, une procédure déposée en vertu de l’article 95 de la LPJ en vue de retirer l’enfant de sa famille afin de le confier à un autre milieu jusqu’à sa majorité peut nuire de façon significative à l’intégrité psychologique des parents et, selon le cas, de l’enfant, ce qui porte atteinte à leur droit à la sécurité[9].

Cela dit, la protection des enfants est un objectif fondamental de la société. La vulnérabilité de ces derniers et la nécessité d’adopter des mesures législatives qui ont pour objet de les protéger ne font aucun doute : c’est en outre une obligation de l’État en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant (CRDE)[10]. Dans des circonstances particulières, l’intervention de l’État par l’intermédiaire de la LPJ a comme objectif de ne protéger nul autre que le droit à la vie ou à l’intégrité physique de l’enfant[11]. Tel est notamment le cas lorsque la situation implique des abus physiques, des risques d’abus physique, un abandon ou une grave négligence. Une procédure judiciaire intentée à la Chambre de la jeunesse peut aussi avoir pour objectif de protéger le droit à l’intégrité psychologique de l’enfant[12], même si paradoxalement elle peut y porter atteinte.

Dans ce contexte, les atteintes aux droits des parents – et, selon le cas, de l’enfant – que peut impliquer l’application de la LPJ peuvent se justifient en vertu des principes de justice fondamentale, et ainsi demeurer conformes à la Charte canadienne. Ce concept, qui a fait couler beaucoup d’encre, s’applique au-delà du droit criminel, la Cour suprême ayant interprété à quelques reprises cette notion en matière de protection de l’enfance[13]. De façon importante, selon le plus haut tribunal du pays, une atteinte au droit à la liberté ou à l’intégrité respecte l’article 7 de la Charte canadienne, dans la mesure d’une procédure équitable[14].

Plus l’atteinte au droit à liberté et à la sécurité de la personne se révèle grave, plus les garanties sont élevées. Essentiellement, l’idée est que l’audition en matière de protection de la jeunesse se déroule de façon juste. Dans ce contexte, la présence d’un avis détaillé et d’un délai avant une audience, le fardeau de preuve appartenant à l’État, la nécessité de présenter une preuve solide et la possibilité d’une révision judiciaire seront, à titre d’exemples, des éléments permettant de qualifier la procédure d’équitable[15]. À noter que l’accès à la preuve produite et le droit d’y répondre demeurent des éléments incontournables, peu importe le domaine de droit visé, et ce, pour déterminer l’existence d’une procédure dite « équitable »[16].

2 Les obligations du Directeur de la protection de la jeunesse en matière de preuve

À la lumière de ce qui précède, la jurisprudence de la Chambre de la jeunesse impose au DPJ une obligation de transparence. Essentiellement, celle-ci exige au DPJ d’exposer au tribunal tout élément de la situation de l’enfant qui est pertinent dans le cadre de la demande judiciaire. Dans quelques décisions, des juges ont d’ailleurs déclaré que les droits d’un enfant avaient été lésés en raison de l’omission du DPJ, parfois délibérée, de rapporter un fait important au tribunal, lui rappelant l’absence de « cause à gagner[17] » et la nécessité d’« avoir accès à toute l’information pertinente pour prendre une décision éclairée dans l’intérêt des enfants[18] ».

Rappelons que lorsqu’un dossier est judiciarisé, c’est ultimement le juge de la Chambre de la jeunesse qui tranche les questions en litige. Ses décisions ont une incidence majeure dans la vie de l’enfant et de sa famille en décidant de l’engagement de l’État dans une situation donnée et des mesures applicables. En vertu de la LPJ, du Code civil du Québec[19] et de la CRDE, les décisions doivent être prises dans le meilleur intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits[20]. Or, pour y arriver, le tribunal s’appuie sur les faits et la preuve qu’on lui présente[21]. Pour cette raison, par analogie avec les enseignements de la Cour suprême en matière criminelle, les éléments recueillis par le DPJ dans le contexte de l’application de la loi ne lui appartiennent pas pour qu’il s’en serve en vue de soutenir ses propres conclusions, mais sont plutôt la « propriété du public » afin qu’une décision judiciaire soit rendue, dans l’intérêt de l’enfant[22].

À noter qu’en 2019, le Barreau du Québec avait déploré l’absence de dispositions législatives claires en matière de partage d’informations par le DPJ lors des consultations tenues à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (commission Laurent). Il avait plus précisément recommandé d’insérer dans la loi l’obligation du DPJ de « soumettre un portait complet et objectif de l’ensemble de la situation d’un enfant, peu importe ses prétentions[23] ». Cette obligation était alors comparée à celle d’un procureur aux poursuites criminelles et pénales, à la recherche de la vérité. Le Barreau du Québec avait réitéré cette recommandation dans son mémoire déposé relativement au projet de loi no 15[24].

À la suite des consultations particulières, le projet de loi no 15 a été amendé pour prévoir dans l’article 84.2 de la LPJ que toute analyse, toute étude, toute expertise ou tout rapport produit conformément à cette disposition « doit exposer les éléments nécessaires ou pertinents pour aider le tribunal à apprécier la situation d’un enfant, à évaluer si sa sécurité ou son développement est compromis ou demeure compromis ou à prendre toute décision en vertu de la présente loi[25] ». Bien que les débats parlementaires offrent peu d’éclairage sur les origines de cette modification législative[26], celle-ci codifie – discrètement – l’obligation de transparence du DPJ élaborée par la jurisprudence. En effet, le devoir de ce dernier d’exposer tous les éléments « nécessaires » ou « pertinents » qui permettront au tribunal de prendre une décision inclut non seulement ceux qui soutiennent les demandes du DPJ, mais aussi ceux qui ne lui sont pas favorables. De façon importante, cette obligation de transparence introduite dans la LPJ s’applique non seulement aux analyses, aux rapports, aux études ou aux expertises, mais également au rapport psychosocial mentionné dans l’article 86 de la LPJ[27].

Étroitement liée à l’obligation de transparence qui précède, mais au-delà de celle-ci, le DPJ, en vertu de la nécessité d’une procédure juste, pourrait avoir l’obligation de communiquer aux parties, sur demande, tous les éléments de preuve pertinents relativement au litige. Au cours de la dernière décennie, quelques décisions de la Chambre de la jeunesse ont porté sur des demandes incidentes de parties ayant pour objet la divulgation d’éléments de preuve en la possession du DPJ[28]. Alors que la jurisprudence de la Chambre de la jeunesse paraît parfois prudente quant à la question de la divulgation de la preuve en matière de protection de l’enfance, où elle insiste sur la confidentialité, la discrétion judiciaire et l’analyse au cas par cas[29], des décisions reconnaissent un certain droit des parents et de l’enfant à la divulgation des éléments de preuve pertinents[30].

D’ailleurs, la jurisprudence des autres provinces canadiennes traite d’un réel droit à la divulgation en matière de protection de l’enfance[31]. En 2002, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta dans l’affaire S.D.K. c. Alberta[32] avait confirmé l’obligation continue de l’autorité étatique de divulguer sur demande toute preuve pertinente quant au litige, y compris celle qu’elle ne souhaite pas déposer. Dans cette affaire, le Department of Child Welfare de l’Alberta avait intenté des procédures judiciaires afin de retirer trois enfants de la garde du père et de sa conjointe dans un contexte allégué d’abus physique. La mère biologique de deux de ces enfants avait alors requis une divulgation complète de la preuve qui n’avait été accueillie que partiellement par le Department of Child Welfare. Parmi les éléments manquants se trouvaient la documentation sur laquelle un rapport pour le tribunal avait été basé, les notes d’observation concernant les enfants, des documents en possession d’un psychologue qui avait évalué la mère et les rapports de police. En appel d’une décision de la Cour provinciale lui ayant refusé l’accès aux documents manquants, la mère prétendait que les règles applicables en matière de divulgation de la preuve dans une audience relative à la protection de la jeunesse étaient nulles autres que celles qui le sont en droit criminel, et qui ont été élaborées dans l’arrêt R. c. Stinchcombe[33].

Précisant qu’une application à l’aveugle de cette dernière décision en matière de protection de la jeunesse n’est pas appropriée, le tribunal de l’Alberta a plutôt opté pour un modèle de divulgation hybride, car ce ne sont ni les règles du droit criminel ni celles du droit civil qui s’appliquent. Cela dit, la juge Bielby soulignait que les enjeux sont aussi sérieux en matière de protection de la jeunesse qu’en ce qui a trait au droit criminel. Selon cette juge, cet aspect ainsi que des considérations relatives au critère du meilleur intérêt de l’enfant militaient en faveur d’un réel « droit à une divulgation complète en temps utile de la preuve »[34].

Ce tribunal a élaboré des lignes directrices, débutant par l’obligation continue de l’autorité étatique de divulguer sur demande toute preuve pertinente relativement au litige, y compris celle qu’elle ne souhaite pas déposer. Cette obligation, qui s’applique également aux éléments que des tiers possèdent (par exemple, un rapport de police ou des notes d’un psychologue)[35], demeure limitée à la preuve « pertinente » quant au litige. Au surplus, cette obligation ne concerne pas les informations qui permettraient d’identifier un informateur confidentiel ou les renseignements qui, s’ils étaient dévoilés, causeraient préjudice à l’enfant à un tel degré que ce dommage surpasserait les droits des parties à la divulgation[36]. Si certains éléments ne sont pas communiqués, l’autorité doit en informer la partie qui a demandé la divulgation, afin que celle-ci saisisse de la question, au besoin, le tribunal visé[37]. Enfin, le jugement précise que les éléments de preuve que l’autorité refuse de transmettre ne peuvent être ensuite déposés, à moins d’obtenir l’autorisation du tribunal[38].

À la lumière de cette dernière décision, un parent, un enfant ou une tierce partie dont les droits prévus dans l’article 7 de la Charte canadienne seraient touchés par une procédure intentée à la Chambre de la jeunesse posséderait le droit à une divulgation de la preuve pertinente relativement au litige[39]. L’obligation corollaire du DPJ comporterait un aspect discrétionnaire lui permettant de retenir des informations ou des documents sur la base d’une règle particulière liée à la confidentialité, du droit à la vie privée ou de l’intérêt de l’enfant.

Une certaine prudence du DPJ est toutefois nécessaire avant de retenir des informations en raison des dispositions législatives liées à la confidentialité des informations recueillies dans le contexte de l’application de la LPJ, qui figurent notamment aux articles 9.2, 9.3 et 72.5 de la LPJ ainsi qu’aux articles 18 et 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS)[40]. D’abord, rappelons que, peu importe la judiciarisation du dossier constitué en vertu de la LPJ, les parents et l’enfant de 14 ans et plus ont le droit, conformément à la LSSSS, d’y avoir accès[41], sous réserve d’exceptions[42].

Par ailleurs, toute partie au dossier judiciaire a accès à celui-ci, ce qui comprend les procédures et le rapport psychosocial[43]. Le DPJ divulgue ainsi des informations confidentielles au sens de la LPJ ou de la LSSSS, y compris celles auxquelles, en dehors du contexte judiciaire, une tierce partie, un parent ou un enfant n’aurait pas accès en vertu des mêmes lois[44]. Dans ce contexte, il semble à première vue inéquitable d’invoquer ces dispositions législatives[45] pour justifier la non-divulgation par le DPJ d’une preuve pertinente quant au litige, alors que le DPJ révèle lui-même d’autres informations tout aussi confidentielles au sens de la loi[46].

En fait, la confidentialité dont profitent les informations recueillies par le DPJ est en quelque sorte implicitement levée au bénéfice des parties au dossier judiciaire[47], la confidentialité faisant d’ailleurs l’objet d’un récent assouplissement par l’entremise du projet de loi no15 grâce à l’introduction de l’article 4.6 de la LPJ[48]. La levée serait implicite en raison des dispositions de la LPJ qui prévoient la communication et la production des pièces, telles que les articles 84.2 et 86 de la LPJ. Ainsi, si le DPJ peut refuser de transmettre certaines informations en vertu de la confidentialité, c’est d’abord en tenant compte d’une règle particulière telle que la protection accordée à l’identité de la personne ayant effectué un signalement[49] ou le droit au secret professionnel[50].

Cela dit, le droit à la divulgation doit s’interpréter en fonction des autres principes de justice fondamentale[51], qui inclut le droit à la vie privée des autres parties et des tiers[52] que les dispositions législatives de la LPJ et de la LSSSS protègent. Ce n’est toutefois que si l’incidence sur ce droit surpasse l’impact de l’absence de divulgation sur l’équité du procès[53] que des informations ne pourront être dévoilées. À titre d’exemple, des renseignements découlant de l’examen médical d’un enfant ou d’un adolescent, ayant eu lieu conformément à l’entente multisectorielle à la suite d’un signalement d’abus sexuel, pourraient être retenus à cause du degré d’entrave à la vie privée de ce jeune. Il pourrait en être de même, selon les circonstances, d’une information médicale concernant, notamment, une mère d’une famille d’accueil qui héberge l’enfant. Le degré de pertinence des éléments dont une partie souhaite la communication par rapport aux questions en litige sera alors un critère central dans l’analyse[54].

Par ailleurs, ce ne serait aussi qu’exceptionnellement que la communication d’une information, d’un document ou d’une autre preuve liée au litige pourrait se révéler réellement « contraire à l’intérêt de l’enfant ». En effet, de prime abord, la divulgation d’un élément pertinent quant au litige ne se heurte pas à l’objectif ultime de la LPJ, soit la protection de l’enfant et la mise en oeuvre du droit corollaire qui lui appartient. À l’inverse, la non-divulgation pourrait éventuellement mettre en péril le même droit fondamental de l’enfant ou celui qui est également primordial, c’est-à-dire d’être à l’abri d’une intervention non justifiée du DPJ, en empêchant potentiellement le tribunal de baser sa décision sur une preuve liée au litige[55].

Bien qu’il soit possible qu’une transmission d’informations fragilise la relation clinique de l’enfant ou d’un parent avec le DPJ, comme l’a précédemment soulevé la Chambre de la jeunesse à quelques reprises[56], c’est déjà le cas d’une grande partie des renseignements dévoilés par le DPJ lui-même durant l’instance. Si les préoccupations à cet égard sont compréhensibles, rappelons qu’il existe d’emblée une tension entre le processus judiciaire et l’intervention clinique en vertu de la LPJ[57]. En d’autres termes, le seul fait de judiciariser la situation d’un enfant peut compromettre, pour ainsi dire, la qualité de l’intervention sociale.

Là encore, ce ne serait qu’exceptionnellement que certaines considérations liées à l’intérêt de l’enfant, pourvu qu’elles soient bien réelles et non hypothétiques[58], si elles se rattachaient, par exemple, à la nécessité de ne pas prolonger indûment l’audience[59], pourraient justifier la rétention de renseignements en particulier.

En dehors de ce qui précède, un parent ou toute partie aurait droit d’obtenir, sur demande, la divulgation des informations pertinentes relativement au litige soumis à la Chambre de la jeunesse. L’obligation du DPJ qui en découle s’appliquerait aussi aux documents ou aux renseignements en possession d’un tiers[60], tel qu’un corps policier ou un établissement de santé. Dans ce contexte, les éléments sur lesquels se base une analyse, un rapport, une étude ou une expertise produit d’après l’article 84.2 de la LPJ, ou encore un rapport psychosocial mentionné dans l’article 86 de la LPJ, devraient normalement être fournis à une partie qui en fait la demande. À titre d’exemple, si l’avocat d’un parent ou celui d’un enfant requiert les notes d’un intervenant du DPJ ayant supervisé des contacts parent-enfant dans le contexte d’une demande en vue de suspendre ces derniers, celles-ci devraient lui être transmises. L’avocat du DPJ devrait également fournir lui-même, sur demande, les notes d’un intervenant ayant évalué un signalement dans le cas d’une demande contestée soumise conformément à l’article 38 de la LPJ, qui concerne une déclaration du tribunal selon laquelle la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis. Il en va de même pour l’enregistrement d’une entrevue policière menée selon l’entente multisectorielle.

Par analogie avec ce qu’explique la Cour suprême en matière criminelle dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, les parties devront alors compter sur l’avocat du DPJ, en qualité d’officier de justice, qui doit agir de façon responsable, « pour accepter de divulguer des renseignements pertinents »[61]. Si ce dernier refuse de dévoiler certains renseignements, il devra en expliquer les raisons afin qu’au besoin le tribunal tranche la question d’après les critères mentionnés auparavant[62].

Il est possible que des nuances nécessitent d’être apportées à ce qui précède. Dans des dossiers exceptionnels à la Chambre de la jeunesse où la procédure judiciaire ne porterait pas atteinte aux droits des parties prévus dans l’article 7 de la Charte canadienne, le DPJ n’aurait pas d’emblée une telle obligation de divulgation. À titre d’exemple, dans une demande en lésion de droits entendue par le tribunal à l’exclusion d’une demande soumise en vertu des articles 38 ou 95 de la LPJ, comme c’était le cas dans la décision Protection de la jeunesse – 114181[63], le DPJ n’aurait possiblement pas à transmettre, sur demande, les éléments de preuve pertinents par rapport au litige. En effet, dans cette affaire, le tribunal était exclusivement saisi d’une demande en lésion de droits de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Or, cette procédure ne portait pas atteinte en soi aux droits à la liberté ou à la sécurité, de la partie intervenante qui souhaitait la divulgation des notes évolutives concernant la situation de l’enfant[64], une distinction importante qui justifie potentiellement une analyse distincte de celle qui est basée sur l’article 7 de la Charte canadienne.

3 Les délais de communication de la preuve

Le projet de loi no 15, outre qu’il insère une précision quant au contenu de certaines pièces soumises au tribunal, a également modifié les délais en vertu desquels celles-ci sont produites et communiquées aux parties. En ce qui concerne une analyse, un rapport, une étude ou une expertise, le délai est ainsi passé de 3 à 5 jours, comme l’indique le premier alinéa de l’article 84.2 de la LPJ.

Introduite dans la loi en 2006 à la suite du projet de loi no 125, cette disposition découlait d’une recommandation provenant du rapport produit par l’équipe de travail sur la modernisation des processus judiciaires, qui déplorait une certaine confusion en matière de procédure applicable dans le contexte de la LPJ[65]. Dans ce rapport, on suggérait de clarifier l’application de quelques dispositions du Code de procédure civile en matière de protection de la jeunesse, y compris l’ancien article 402.1, selon lequel une expertise en matière civile devait être déposée 10 jours avant la date d’audience. L’équipe d’experts mentionnait toutefois qu’il était préférable de conserver le délai de 3 jours prévu par l’ancien article 113 du Règlement de la Cour du Québec[66], considérant ce dernier mieux « adapté au domaine de la protection de la jeunesse[67] », sans toutefois offrir d’explication. Ce délai écourté n’était alors qu’un exemple de l’assouplissement généralisé des règles de procédures en la matière[68].

Malgré ce qui précède, dans le contexte des travaux de la commission Laurent, certains acteurs, par exemple le Barreau du Québec et la Commission des services juridiques, ont souligné la problématique du court délai prévu dans l’article 84.2 de la LPJ[69]. Le premier recommandait un délai minimal de 10 jours avant l’audience pour la transmission des pièces au soutien de la procédure initiale[70]. C’est ainsi que la loi a été modifiée en vue d’augmenter de 2 jours le délai accordé pour produire et communiquer une analyse, un rapport, une étude ou une expertise. Quant au rapport psychosocial abordé plus haut, le second alinéa de la disposition modifiée prévoit qu’il doit être produit et communiqué aux parties 10 jours avant l’audience.

Pourtant, comme nous l’avons mentionné précédemment, les procédures intentées à la Chambre de la jeunesse peuvent avoir des conséquences profondes sur les enfants et les familles et risquent de bouleverser leur vie[71]. Pour cette raison, elles se distinguent des procédures en matière civile et familiale et comportent des exigences particulières liées à l’équité.

À ce sujet, la Cour suprême précise que le caractère équitable de la procédure varie en fonction des circonstances[72]. Dans certains contextes, une procédure en matière de protection de la jeunesse nécessitera donc un préavis d’audience raisonnable alors que, dans des cas urgents, une audience pourra être tenue sans préavis. D’ailleurs, dans Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, le plus haut tribunal du pays conclut à l’absence de violation conformément à l’article 7 de la Charte canadienne, considérant que les parents avaient eu droit à un préavis, avait eu accès aux renseignements et à la représentation qui peuvent être « justes et raisonnables, compte tenu de la nature et de l’urgence des procédures[73] ». En l’espèce, rappelons-le, ces procédures avaient pour objet la tutelle temporaire d’un enfant, dans le contexte d’un enfant malade ayant besoin d’une transfusion sanguine, où la Cour suprême reconnaissait l’existence d’une urgence « au sens large[74] ».

De manière importante, une demande entendue en vertu des articles 38 ou 95 de la LPJ, qui concerne respectivement une déclaration judiciaire selon laquelle la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis et la révision ou la prolongation de celle-ci, n’est pas une demande entendue dans un contexte de réelle urgence ou de danger imminent. Toute mesure nécessaire notamment afin d’éviter un préjudice grave ou en raison d’un motif sérieux a pu être ordonnée préalablement. À ne pas négliger, les demandes entendues en tenant compte de ces dispositions peuvent porter sur le retrait de l’enfant de son milieu familial de façon prolongée, voire jusqu’à sa majorité. Dans ce type de circonstances, considérant les exigences d’une procédure équitable, qui comprend inévitablement le droit de répondre à la preuve produite, nous remettons en question l’aspect « juste et raisonnable » du délai de 5 jours avant l’audience en vertu duquel les parties reçoivent d’importants éléments de preuve du DPJ.

Il en est de même pour le délai de 10 jours relatif au rapport psychosocial, la pièce maîtresse du DPJ. Il est illusoire de penser qu’une partie reçoive ce document, qu’elle demande par la suite la divulgation de certains éléments de preuve, comme nous l’avons exposé plus haut, qu’elle réponde à ce qui s’y trouve et se prépare en conséquence, le tout dans un délai de 10 jours. Au surplus, puisque la LPJ prévoit que le rapport psychosocial contient les recommandations du DPJ[75], il arrive fréquemment que la procédure initiale soumise conformément aux articles 38 ou 95, qui n’indique que sommairement les faits[76], soit complètement silencieuse quant aux mesures finales recherchées par l’État[77]. Dans un tel contexte, celles-ci pourraient, par exemple, viser une ordonnance d’interdit de contact parent-enfant ou le placement de ce dernier en famille d’accueil, et n’être connues des avocats des parties que par l’entremise de ce document, 10 jours avant une audition[78]. L’aspect juste et raisonnable de ce délai, dans les limites d’un processus qui, en réalité, est aux prises avec un important problème de délais judiciaires[79] et qui, au surplus, concerne une population souvent défavorisée[80], pourrait parfois être remis en question.

Si nous comprenons la préoccupation justifiant des délais plus courts en matière de protection de la jeunesse, soit la nécessité de procéder avec célérité et l’évolution rapide de la situation des enfants[81], l’idée demeure de trouver un équilibre entre l’objectif de protéger les enfants et l’importance de préserver le droit des parents et, le cas échéant, de l’enfant lui-même à la liberté et à la sécurité psychologique. À ce sujet, il est intéressant de s’arrêter aux préoccupations exprimées par l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec lors de l’étude du projet de loi no 15 quant à la prolongation des délais de production et de communication du rapport psychosocial. Celles-ci n’étaient pas liées aux particularités du domaine de la protection de la jeunesse, telle la situation de l’enfant qui évolue rapidement pouvant justifier des délais plus serrés. Les réticences de l’Ordre quant aux modifications législatives proposées étaient plutôt basées sur le manque de ressources et la pénurie de professionnels[82].

Conclusion

Les procédures à la Chambre de la jeunesse constituent une intrusion dans la vie des parents et de l’enfant. Une demande en vue d’une ordonnance de placement en famille d’accueil et le retrait des attributs de l’autorité parentale jusqu’à la majorité de l’enfant, à titre d’illustrations, représentent une atteinte majeure au droit à la liberté et à l’intégrité des parents. En fait, la perspective d’un parent de vivre sans son enfant, et vice versa, qu’impliquent certaines procédures peut légitimement se révéler encore plus intrusive et angoissante que celle de risquer une peine de prison, un casier judiciaire ou des travaux communautaires. Pour cette raison, afin de répondre aux principes de justice fondamentale et de demeurer constitutionnelles, les interventions judiciaires du DPJ doivent comporter une procédure équitable qui permet un juste équilibre entre l’atteinte de l’objectif – protéger l’enfant – et le droit de ce dernier et des parents d’être à l’abri d’une intrusion de l’État dans leur vie. Celle-ci pourrait être, ne l’oublions pas, injustifiée.

Dans ce contexte, le DPJ doit d’abord être transparent envers le tribunal et soumettre, dans ses pièces, autant les informations à l’appui de ses demandes que celles qui les freinent. La jurisprudence de la Chambre de la jeunesse rappelle cette obligation, clarifiée timidement par certaines modifications apportées à la LPJ récemment. Au-delà de cette obligation du DPJ envers le tribunal mais liée à celle-ci, les parties au dossier judiciaire pourraient avoir un réel droit à la divulgation des éléments de preuve, c’est-à-dire ceux sur lesquels reposent les différentes demandes du DPJ et ceux qui pourraient les réfuter. S’inspirant de l’arrêt Stinchcombe en matière criminelle et adaptant ses enseignements au domaine particulier de la protection de la jeunesse, l’avocat du DPJ devrait alors transmettre, sur demande, ce qui est en sa possession (ou celle d’un tiers) et qui est pertinent quant au litige, sous réserve d’exceptions rattachées à la confidentialité ou à l’intérêt de l’enfant, qui doivent être appliquées avec précaution.

Enfin, la constitutionnalité des délais de transmission et de production des pièces avant l’audience prévus par l’article 84.2 de la LPJ pourrait fort bien être remise en question dans certaines situations. Bien qu’ils aient été récemment prolongés par le projet de loi no 15, ces délais demeurent parfois très courts. Les demandes portant sur une déclaration selon laquelle la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis ou encore celles qui ont comme objectif de réviser ou de prolonger une ordonnance préalablement rendue, même si elles doivent être entendues rapidement, sont de nature différente de celles qui sont considérées comme plus « urgentes » et intentées durant l’instance, fondées sur l’article 76.1 de la LPJ. Un délai de 5 jours avant une audience en vertu duquel une partie reçoit une pièce importante liée à une procédure du DPJ, qui pourrait pourtant avoir été intentée plusieurs mois au préalable, risque d’être inéquitable dans certaines situations, notamment dans le cas d’une demande en vue du retrait permanent d’un enfant auprès de ses parents. Il pourrait en être de même du délai de 10 jours qui concerne le rapport psychosocial mentionné à l’article 86 de la LPJ, d’autant plus que c’est fréquemment ce dernier qui contient les conclusions finales recherchées par le DPJ.

En somme, l’accès des parents et des enfants à l’ensemble des éléments pertinents et des informations utiles à leur cause de même que des délais de communication des pièces justes en fonction des circonstances sont des éléments essentiels afin de concilier les demandes du DPJ à la Chambre de la jeunesse avec la Charte canadienne. Bien que ces dernières servent ultimement à protéger les enfants et à assurer la mise en oeuvre de leurs droits fondamentaux, elles doivent impérativement répondre à certaines exigences procédurales. En ce sens, les règles actuelles en matière d’accès et de communication de la preuve auraient intérêt à être clarifiées voire modifiées, à la lumière des principes de justice fondamentale.