Le présent commentaire bibliographique a été rédigé à un moment où l’accès à l’avortement (re)fait surface dans l’actualité politique en Amérique du Nord. D’un côté, au Canada, des courants plus hostiles à l’avortement ont tenté d’imposer ce thème au coeur de la campagne électorale fédérale, sans succès, car le chef du Parti conservateur du Canada, première cible de ces pressions, a affirmé prestement reconnaître aux femmes le droit de recourir librement à une interruption volontaire de grossesse (IVG) : Erin O’Toole avait sans doute en tête la défaite réservée en 2019 à son prédécesseur Andrew Sheer, contraint d’avouer être personnellement partisan provie, tout en s’engageant à ne pas intervenir pour limiter l’accès à l’avortement, une fois premier ministre. Évidemment, des résultats électoraux sont très rarement déterminés par un seul enjeu, mais la question de l’avortement se révèle toujours un sujet sensible, celui-ci figurant au nombre des griefs retenus par les militants conservateurs qui remettent en question le leadership du chef. D’un autre côté, au même moment aux États-Unis, où les pratiques abortives soulèvent toujours les plus vives controverses, une loi adoptée au Texas mettait en péril l’exercice du droit des femmes d’y recourir… que plusieurs considéraient comme acquis depuis l’arrêt Roe v. Wade prononcé par la Cour suprême en 1973. Malgré de nombreuses contestations, ce droit a survécu en principe ; cependant, les conditions de son exercice ont pu à l’occasion le rendre pratiquement obsolète. C’est notamment l’effet de la nouvelle mesure législative adoptée au Texas pour interdire tout avortement après la sixième semaine de grossesse. Des mesures similairement inspirées sont au programme politique en Floride et dans plusieurs autres États. Par exemple, il apparaît bien – à la lumière de l’évolution du cas du Mississippi – que la Cour suprême devra se pencher à nouveau sur ce dossier… Ces développements survenus au Canada et aux États-Unis ont pour effet de ranimer des débats que, candidement, plusieurs croyaient révolus. Ils font aussi resurgir des mobilisations qui avaient mené à l’état actuel du dossier du droit à l’avortement. Ils établissent la pertinence de la parution de L’avortement dans l’Union européenne qui présente un vaste tour d’horizon de la situation dans les 28 pays membres de cet ensemble, le Royaume-Uni inclus avant sa sortie avec le Brexit. Bérangère Marques-Pereira fait remarquer au début de sa présentation que l’Europe « est une des régions affichant un taux d’avortement le plus bas du monde : pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans, 29 ont eu recours à un avortement. Le Vieux Continent se situe ainsi en troisième position après l’Amérique du Nord (17) et l’Océanie (19) et avant l’Afrique (34), l’Asie (36) et l’Amérique latine (44) » (p. 15). Bien qu’ils s’avèrent intéressants, ces aspects du phénomène ne sont pas au centre du propos de l’auteure qui, d’entrée de jeu, souligne l’impossibilité de la neutralité d’une analyse scientifique « tant la connaissance savante demeure située dans un contexte social, culturel et politique empreint de présupposés normatifs » (p. 6). Elle pose néanmoins que l’on peut « attendre d’une démarche scientifique la mise en oeuvre d’une forme de réflexivité qui conduit à distinguer la visée constative et la visée normative » (p. 7). En clair, l’ouvrage L’avortement dans l’Union européenne n’emprunte pas le ton du plaidoyer : il repose plutôt principalement sur la constatation d’un état de fait – résultat d’une évolution – présenté avec objectivité sans prétention de neutralité. Empruntant à Myriam Revault d’Allones, Bérangère Marques-Pereira précise d’ailleurs qu’il n’y « a pas de faits bruts » (p. 10). Ainsi, sa lecture l’amène à voir que les « femmes ont conquis …
Bérangère Marques-Pereira, L’avortement dans l’Union européenne. Acteurs, enjeux et discours, Bruxelles, Centre de recherche et d’information socio-politiques, 2021, 281 p., ISBN 978-2-87075-252-4.[Notice]
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Raymond Hudon
Politologue, Univesité Laval