Volume 62, numéro 3, septembre 2021 Vers un droit des sociétés responsable : regard transatlantique
Sommaire (12 articles)
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Présentation
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L’instrumentalisation de la responsabilité sociale de l’entreprise en droit français
Emmanuelle Mazuyer
p. 653–691
RésuméFR :
La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et le système juridique peuvent entretenir des relations basées sur la complémentarité, le droit étant un complément nécessaire de la RSE, mais les instruments relevant de la RSE pouvant aussi être un relais utile au droit. Depuis quelque temps, la RSE a bien été intégrée dans les stratégies des pouvoirs publics, en complément de la norme étatique, voire comme alternative à cette dernière. Son utilisation par les législateurs vise à lui assigner certains objectifs de politique juridique et la confine dans une instrumentalisation dans un but défini, qu’il soit pratique ou politique. La polysémie et les contours flous d’une notion comme celle de la RSE permettent de l’instrumentaliser en lui assignant des fonctions qu’elle peut ne pas être apte à assumer. Le présent article propose d’analyser l’instrumentalisation de la RSE à l’oeuvre en droit français dans deux branches du droit : le droit des sociétés et le droit du travail. Le droit des sociétés semble, par nature, réceptif aux pratiques de RSE, alors que le droit du travail est plus réticent. Ainsi, le droit des sociétés laisse une large place à la volonté des destinataires des normes, à des dispositifs souples d’élaboration et de mise en oeuvre des règles, alors que le droit du travail reste fondé sur des principes d’impérativité, d’indisponibilité de la qualification de la relation de travail subordonnée et sur un rôle central du juge. Parfois, l’instrumentalisation de la RSE satisfait pouvoirs publics et acteurs économiques, et il est alors difficile de mobiliser des ressources juridiques pour contrer certaines dérives. Mais des limites existent afin de contrecarrer des dévoiements excessifs, voire inconstitutionnels. Elles sont d’ordre éthique lorsqu’il apparaît que la détermination de l’intérêt général ne peut pas échoir à des organisations commerciales constituées dans le but de générer du profit. Elles sont également d’ordre juridique lorsque les tentatives législatives remettent en cause la répartition des pouvoirs entre juges et législateur, législateur et acteurs privés ou acteurs privés et juges.
EN :
Corporate social responsibility (CSR) and the legal system can maintain a relationship based on complementarity, with the law being a necessary complement to CSR, but CSR instruments can also be a useful relay for the law. For some time now, CSR has been integrated into the strategies of public authorities, as a complement or even an alternative to the state standard. The use of CSR by legislators aims to assign certain legal policy objectives to it and confines it to an instrumentalization for a defined purpose, whether practical or political. The polysemy and vague contours of a concept such as CSR allow it to be instrumentalized by assigning it functions that it may not be able to perform. This article proposes to analyze the instrumentalization of CSR at work in French law in two branches of law : company law and labour law. Company law seems, by nature, receptive to CSR practices, whereas labour law is more reticent. Thus, company law leaves a lot of room for the will of the addressees of the norms, for flexible mechanisms of elaboration and implementation of the rules, whereas labour law remains based on the principles of imperative, unavailability of the qualification of the subordinate employment relationship and on a central role of the judge. Sometimes the instrumentalization of CSR satisfies public authorities and economic actors and it is then difficult to mobilise legal resources to counter certain abuses. But limits exist to counteract excessive or even unconstitutional deviations. They are ethical when it appears that the determination of the general interest cannot be left to commercial organizations set up to generate profit. They are also of a legal nature when legislative attempts call into question the division of powers between judges and legislator, legislator and private actors or private actors and judges.
ES :
La responsabilidad social empresarial (RSE) y el sistema jurídico pueden mantener relaciones basadas en la complementariedad, pues el derecho es un complemento necesario para la RSE y los instrumentos que están bajo la competencia de la RSE pueden igualmente ser mecanismos de utilidad para el derecho. Desde hace algún tiempo la RSE se ha integrado bien a las estrategias de los poderes públicos como complemento, e incluso como como una alternativa a la norma estatal. Su aplicación por parte de los legisladores tiene como meta asignarle ciertos objetivos de política jurídica, y la ha confinado a una instrumentalización con un objetivo definido, independientemente de que sea práctico o político. La polisemia y los límites vagos de una noción como la de la RSE han permitido instrumentalizarla, al asignarle funciones que no podría asumir. El presente artículo ha propuesto analizar la instrumentalización de la RSE aplicada en el derecho francés, específicamente en dos ramas del derecho : el derecho de sociedades y el derecho laboral. El derecho de sociedades parece por naturaleza estar abierto a las prácticas de la RSE, mientras que el derecho laboral es más reticente. De esta manera, el derecho de sociedades ha dejado un amplio margen a la voluntad de los destinatarios de las normas, y a dispositivos flexibles de elaboración y de implementación de reglas, mientras que el derecho laboral sigue basándose en los principios de imperatividad, indisponibilidad de la calificación de la relación laboral subordinada y sobre el rol central del juez. En ocasiones, la instrumentalización de la RSE ha logrado satisfacer a los poderes públicos y a los actores económicos, por lo que resulta difícil asegurar los recursos jurídicos para contrarrestar algunas desviaciones ; sin embargo, existen límites para hacer frente a los desvíos abusivos, que incluso podrían ser inconstitucionales. Estas son de orden ético cuando surge que la determinación del interés general no puede estar a favor de organizaciones comerciales constituidas con el fin de generar lucro. Son igualmente de orden jurídico cuando los intentos legislativos ponen en entredicho la repartición de poderes entre jueces y el legislador, el legislador y los actores privados, o entre los actores privados y los jueces.
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La raison d’être : décryptage d’une innovation en droit des sociétés — Regard français
Yassine Ben Messaoud
p. 693–730
RésuméFR :
Nouvellement introduite en droit français, la notion juridique de raison d’être est définie à l’article 1835 du Code civil comme « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Elle aurait pour but de revisiter la finalité de l’entreprise, de lutter contre sa financiarisation, de dépasser les doutes à l’égard de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et d’attirer les talents. Près d’un an après la promulgation de la Loi no 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, plus d’une centaine de grandes entreprises ont fait le choix de se donner une raison d’être. Pour autant, maints acteurs du monde économique l’assimilent à son équivalent en sciences de gestion. Cette confusion explique, en pratique, l’abondance de stipulations creuses et descriptives. C’est pourquoi, par souci de clarification, l’auteur veut proposer une définition juridique de cette nouvelle notion et un aperçu de son régime.
EN :
Newly introduced into French law, the legal concept of raison d’être is defined in article 1835 of the Civil Code as [translation]“made up of the principles with which the company is endowed and for the respect of which it intends to allocate resources in carrying out its operations.” The aim would be to revisit the company’s purpose, to fight against its “financialization,” to overcome doubts about its corporate social responsibility and to attract talent. Almost one year after the enactment of the PACTE Law on May 22, 2019, more than a hundred large companies have chosen to give themselves a raison d’être. However, many players in the economic world relate it to its equivalent in management sciences. In practice, this confusion explains the abundance of hollow and descriptive stipulations. For this reason, and for purposes of clarification, this article proposes a legal definition of this new concept as well as an overview of its regime.
ES :
La noción jurídica de la razón de ser, recientemente incorporada en el derecho francés, ha sido definida en el artículo 1835 del Código Civil como « constituida de principios que la sociedad se ha dotado, y para respetar aquellos principios a los que la sociedad puede destinar recursos para la realización de su actividad ». Dicha noción tendría como objetivo revisitar la finalidad de la empresa, con el fin de luchar contra su « financiarización », superar las dudas con respecto a la RSE y lograr atraer talentos. Casi un año después de la promulgación de la ley PACTE del 22 de mayo de 2019, más de un centenar de grandes empresas han decidido dotarse de una razón de ser. Por ello, muchos actores del mundo económico la han asimilado con su equivalente en ciencias de la gestión. Esta confusión explica, en la práctica, la abundancia de estipulaciones vacuas y descriptivas que persiguen ser aclaradas en este artículo, que tiene como finalidad la propuesta de una definición jurídica de esta nueva noción, así como una idea de su régimen.
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Les sociétés à mission : l’épreuve du feu à l’heure de la crise économique déclenchée par la pandémie de COVID-19 ? L’expérience française
Isabelle Desbarats
p. 731–756
RésuméFR :
Alors que des dizaines d’organisations privées françaises ont publiquement annoncé leur volonté de se convertir en « sociétés à mission », à quelles conditions l’octroi de ce « label vertueux » est-il subordonné et comment l’assumer ultérieurement ? L’enjeu n’est pas anodin, puisque se pose la question de savoir si « cette création juridique [relève] de l’effet d’annonce, voire du voeu pieu, ou [si elle est] réellement susceptible d’influer sur [le] système capitaliste et de lui conférer un supplément de raison d’être, voire un supplément d’âme » (L. Landivaux et G. Gien). L’actualité, à l’heure de la crise économique déclenchée par la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, reflète l’importance de ces questionnements et le « piège » menaçant les sociétés ayant résolu de se couler dans ce nouveau moule. En témoignerait le « cas » Danone présenté par certains comme une « allégorie de la faillite de cette idée de l’engagement volontaire. Le statut d’entreprise à mission donne un vernis de respectabilité. Mais on constate que les engagements ne tiennent pas face aux logiques de marché et ne permettent pas aux entreprises de s’en protéger » (S. Bommier 2020). Le sort des sociétés à mission « à la française » serait-il déjà scellé et leur échec, patent ? L’objet de cette contribution est de s’interroger sur les sociétés à mission « à la française », aujourd’hui soumises à une épreuve du feu déclenchée par la crise sanitaire.
EN :
At a time when dozens of private French organizations have publicly announced their desire to become “mission companies”, what conditions must be met before this “virtuous label” can be granted and how can it be assumed in the future ? The issue at stake is not without significance seeing as the question arises as to whether [translation] “this legal creation [is] a mere announcement, or even wishful thinking, or [if] it is really likely to influence [the] capitalist system and give it an additional reason for being, or even an additional soul” (L. Landivaux and G. Gien). The current economic crisis triggered by the COVID-19 health crisis reflects the importance of these questions and the “trap” threatening companies that have resolved to fit into this new mould. The Danone “case” — presented by some as an [translation] “allegory of the failure of this idea of voluntary commitment” — is a case in point. “The mission company status provides a veneer of respectability. However, it has been observed that commitments do not hold up to market logic and do not allow companies to protect themselves from it” (S. Bommier, 2020). Is the fate of French-style mission companies already sealed and their failure obvious ? The purpose of this contribution is to examine French-style mission companies, which the current health crisis is subjecting to a trial by fire.
ES :
Decenas de organizaciones privadas francesas han anunciado públicamente su voluntad de convertirse en « sociedades misioneras ». Pero, ¿bajo qué condiciones se otorga la concesión de esta « virtuosa denominación » y cómo asumirla posteriormente ? El asunto no es anodino, pues plantea la cuestión de saber si « esta creación jurídica [releva] del efecto del anuncio, posiblemente de un voto piadoso, o si [esta] es realmente susceptible de influenciar al sistema capitalista, para conferirle un suplemento de razón de ser -o incluso- un suplemento de alma » (L. Landivaux y G. Gien). La actualidad en el momento de la crisis económica desencadenada por la crisis sanitaria relacionada con la Covid-19 refleja la importancia de estos cuestionamientos y la « trampa » que amenaza a las sociedades que han resuelto adaptarse a esta nueva horma. Daría fe el « caso » Danone, presentado por algunos como una « alegoría de la quiebra de esa idea del compromiso voluntario, el estatuto de la empresa misionera le otorga una apariencia de respetabilidad. Sin embargo, se constata que los compromisos no pueden honrarse ante la lógica del mercado, y tampoco les permiten a las empresas protegerse » (S Bommier, 2020). Entonces, ¿la suerte de las sociedades misioneras « a la francesa » ya estaría echada, y su fracaso patentado ? El objetivo de esta contribución es interrogarse acerca de las sociedades misioneras « a la francesa » que hoy se encuentran sometidas a una prueba de fuego desencadenada por la crisis sanitaria.
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L’entreprise à mission : solution ou miroir aux alouettes pour la responsabilité sociale ? Une comparaison critique franco-canadienne
Ivan Tchotourian
p. 757–794
RésuméFR :
L’entreprise à mission est apparue récemment au Canada (en réalité dans les seules provinces de la Colombie-Britannique et de la Nouvelle-Écosse) et en France. Pas moins de quatre types d’entreprises ont ainsi été mises en place depuis 2013 : société à contribution communautaire (community contribution company), société d’intérêt communautaire (community interest company), société d’intérêt social (benefit company) et société à mission. Il est intéressant d’observer que les deux pays ont fait des choix distincts (certification versus structure spécifique) et que les règles régissant ces structures se révèlent différentes sur plusieurs aspects. L’auteur analyse l’intervention des législateurs de part et d’autre de l’Atlantique pour en livrer une vision critique relativement à leur apport sur la responsabilité sociale des entreprises et l’incitation à des comportements vertueux. Si le fait que le droit intervient est à saluer en raison du signal ainsi envoyé, l’état des lieux dressé par l’auteur montre que l’encadrement demeure perfectible, et pourrait constituer un frein au développement de l’entreprise à mission, mais aussi à une responsabilisation des entreprises et de la finance.
EN :
The mission company has recently emerged in Canada (actually only in the provinces of British Columbia and Nova Scotia) as well as in France. No less than four companies have been set up since 2013 : Community Contribution Company, Community Interest Company, Benefit Company and Mission Company. It is interesting to note that these countries have made distinct choices (certification v. dedicated structure) and that the rules governing these structures differ in several respects. This article analyzes legislative interventions on both sides of the Atlantic to provide a critical view of their contribution to corporate social responsibility and the encouragement of virtuous behaviour. While the intervention of the law is to be welcomed because of the signal it sends out, our assessment shows that the framework remains perfectible and could hinder the development of the mission company as well as corporate and financial accountability.
ES :
Las « sociedades misioneras » han aparecido recientemente en Canadá (en realidad, han aparecido únicamente en las provincias de Colombia Británica y Nueva Escocia) e igualmente en Francia. Desde el año 2013 al menos cuatro empresas se han constituido : la Community Contribution Company, la Community Interest Company, la Benefit Company y la « sociedad misionera ». Resulta interesante notar que estos países han tomado decisiones distintas (certificación versus estructura organizativa) y que las reglas que rigen estas estructuras pueden ser diferentes en diversos aspectos. Este artículo analiza la participación de los legisladores en ambos lados del Atlántico, para difundir una visión crítica relacionada con su aporte sobre la responsabilidad social de las empresas y el estímulo de comportamientos virtuosos. La intervención del derecho es digna de beneplácito, en virtud del gesto que se realiza, y nuestro análisis demuestra que la orientación puede ser perfectible, sin embargo, podría constituir un freno para el desarrollo de la « sociedad misionera » aunque también podría establecer una responsabilización de las empresas y de las finanzas.
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Vers une plus grande responsabilisation des sociétés canadiennes : le rôle des parties prenantes et de la divulgation des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance
Julie Biron et Viviane Lavergne
p. 795–825
RésuméFR :
Alors que les grandes sociétés par actions jouent un rôle indéniable dans l’économie actuelle, la liberté accordée à ces dernières pour atteindre leurs objectifs semble de plus en plus contestée. Un nombre croissant de personnes se demandent actuellement si cet important rôle économique des sociétés permet de justifier les externalités négatives qui peuvent découler de leurs activités. Afin de mieux comprendre la manière dont les acteurs privés exercent parfois des pressions sur les sociétés pour qu’elles intègrent des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) à leurs pratiques et repensent leur rôle, les auteures s’intéressent aux différents modes de pression auxquels les parties prenantes ont recours pour infléchir les choix faits par les administrateurs et les dirigeants des grandes sociétés canadiennes. De même, elles examinent les obligations en matière de divulgation d’informations ESG dans le but de déterminer si le Canada en fait assez pour favoriser une divulgation complète et représentative à cet égard en vue de faciliter une réelle surveillance des activités des sociétés par les parties prenantes.
EN :
While large corporations play an undeniable role in today’s economy, the freedom granted to them to achieve their objectives seems increasingly contested. A growing number of people are now asking whether this important economic role played by corporations justifies the negative externalities that may arise from their activities. To better understand how private players can pressure corporations into incorporating ESG factors into their practices and rethinking their role, this article focuses on the different forms of pressure to which stakeholders resort to influence the choices made by the directors and officers of large Canadian corporations. It also examines ESG disclosure obligations to determine whether Canada is doing enough to promote a full and representative disclosure of ESG information to enable effective oversight of company activities by stakeholders.
ES :
Las grandes sociedades de capitales han jugado un rol indiscutible en la economía actual. Sin embargo, la libertad que se les ha acordado para que estas puedan alcanzar sus objetivos parece ser contestada cada vez más. Actualmente, un número de personas cada vez mayor se pregunta si este importante papel económico que juegan las empresas les permite justificar las externalidades negativas que pueden resultar de sus actividades. Para comprender mejor cómo los actores privados pueden presionar a las sociedades con el fin de que integren criterios ESG (medioambientales, sociales y de gobernanza, por sus siglas en inglés) en sus prácticas y para que reconsideren su rol, el texto analiza las diferentes formas de presión a las cuales recurren las partes, con el objetivo de reorientar las opciones que han tomado los administradores y los ejecutivos de las grandes sociedades canadienses. De igual manera, en el artículo se examinan las obligaciones en materia de divulgación de las informaciones medioambientales, sociales y de gobernanza (ESG) con el fin de determinar si Canadá hace lo necesario para favorecer una divulgación completa y representativa de dichas informaciones, permitiendo así una verdadera vigilancia de las actividades de las sociedades por las diversas partes.
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L’évolution de la responsabilité civile des sociétés en droit français
Matthieu Zolomian
p. 827–857
RésuméFR :
De récentes réformes concernant le droit de la responsabilité civile emportent des conséquences importantes quant à la responsabilité civile pesant sur les sociétés en général, et les sociétés anonymes en particulier. De nombreuses lois ont été adoptées depuis 2016, créant ou renforçant des régimes de responsabilité qui s’appliquent aux sociétés, telles la Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages introduisant le préjudice écologique, l’ordonnance relative à l’action en dommages et intérêts du fait de la commission d’une pratique anticoncurrentielle ou encore la Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. La combinaison de ces lois permet de constater deux directions vers lesquelles la responsabilité civile des sociétés tend à s’orienter.
La première direction est une plus grande moralisation des comportements des sociétés commerciales. En vertu de ces nouveaux textes, les personnes morales doivent suivre dans leur action une certaine norme comportementale, sauf à être sanctionnées au titre de la responsabilité délictuelle. La responsabilité sociétale des entreprises devient alors de moins en moins morale, et de plus en plus juridique.
La seconde direction que le droit des sociétés veut emprunter est plus étonnante en ce qu’elle peut modifier un principe général du droit des sociétés. Plusieurs lois semblent introduire une responsabilité de la société mère du fait de sa filiale, qui paraît de prime abord être contraire au principe d’autonomie de chaque société au sein d’un groupe. La loi créant un devoir de vigilance permet ainsi de sanctionner la société mère en cas d’atteintes aux droits de la personne ou à l’environnement commises par sa filiale. Pour ce faire, il est toutefois nécessaire que la société mère ait manqué à son obligation de rédiger ou de mettre en oeuvre un plan de vigilance. Dans ce cas, le dommage réparé sera celui qui a été causé par la filiale, mais la faute ouvrant le cas à la responsabilité sera bien celle de la société mère. Cependant, une nouvelle règle, mêlant droit de la concurrence et droit de la responsabilité civile, peut aboutir à ce que la société mère soit responsable avec sa filiale sans même devoir prouver une quelconque faute de sa part. En présumant fautives toutes les personnes qui composent l’entreprise condamnée pour une atteinte anticoncurrentielle, le Code de commerce permet de prononcer un jugement contre une société mère si une de ses filiales a commis une faute anticoncurrentielle. L’importation d’une notion de droit de la concurrence — l’entreprise — en droit de la responsabilité civile entraîne alors une profonde mutation de la responsabilité civile au sein du groupe de sociétés.
EN :
Recent reforms in tort law have important consequences for the liability of companies in general and business corporations in particular. Numerous laws have been passed since 2016 to create or reinforce corporate liability regimes, such as the law introducing ecological damage, the ordinance relating to damages awarded to the victims of anti-competitive practices, or the law introducing a duty of care within certain companies. The combination of these laws reveals two directions in which corporate liability is tending to move.
The first is a rise in the moral standard of corporate behaviour. Pursuant to these new texts, legal persons must follow a certain standard of behaviour in their actions or risk punishment under tort law. Corporate social responsibility is thus becoming less and less moral and more and more legal.
The second direction in which company law is moving is more surprising, as it may change a general principle of company law. Several laws seem to introduce a liability of the parent company for its subsidiary, which at first sight seems to be contrary to the principle of autonomy of each company within a group. The law creating a duty of vigilance thus makes it possible to sanction the parent company in the event of human rights or environmental violations committed by its subsidiary. To do so, however, the parent company must have failed to put in place or implement a due diligence plan. In this case, the damage compensated will be that caused by the subsidiary, but the fault opening the case to liability will be that of the parent company. However, a new rule mixing competition law and civil liability law may lead to the parent company being liable with its subsidiary without even having to prove any fault on its part. By presuming that all the persons composing the company condemned for an anti-competitive infringement are at fault, the Commercial Code opens up the possibility of condemning a parent company if one of its subsidiaries has committed an anti-competitive fault. The importation of a competition law concept into tort law thus leads to a profound change in tort law within the corporate group.
ES :
Las recientes reformas alcanzadas en derecho de la responsabilidad civil han arraigado consecuencias importantes en cuanto a la responsabilidad civil que recae sobre las sociedades en general, y específicamente sobre las sociedades anónimas. Desde el año 2016 se han promulgado numerosas leyes que han creado o reforzado los regímenes de responsabilidad las sociedades, como la ley que contempla el perjuicio ecológico, la resolución judicial vinculada con la acción de indemnización por la comisión de una práctica anticompetitiva, o incluso, la ley que instaura el deber de vigilancia en el seno de algunas sociedades. La combinación de estas leyes ha permitido constatar dos direcciones hacia las cuales la responsabilidad civil de las sociedades tiende a orientarse.
La primera es una mayor moralización del comportamiento de las sociedades comerciales, pues de acuerdo a estas nuevas disposiciones, las personas morales deben observar en sus acciones una cierta norma de conducta, a menos que sean sancionadas por responsabilidad delictual. Las responsabilidad social de las empresas es cada vez menos moral y cada vez más jurídica.
La segunda dirección hacia la cual se orienta el derecho corporativo resulta ser más sorprendente, puesto que puede modificar un principio general del derecho mercantil. Varias leyes parecen incorporar una responsabilidad de la sociedad matriz por sus filiales, lo que parece, a primera vista, contrario al principio de autonomía de cada sociedad en el seno de un grupo. La ley que ha creado un deber de vigilancia ha permitido que se sancione a la sociedad matriz en caso de que su filial viole derechos humanos o vulnere el medio ambiente. Para esto, es necesario que la sociedad matriz haya faltado a su obligación para instaurar o implementar un plan de vigilancia. En este caso, el daño que se debe resarcir será aquel que haya sido causado por parte de la filial, sin embargo, la culpa que determine la responsabilidad será asumida por la sociedad matriz. No obstante, una nueva regla que aúna la normativa de competencia con el derecho de responsabilidad civil puede resultar en la determinación de la responsabilidad conjunta, por parte de la sociedad matriz y su filial, sin necesidad de tener que demostrar culpa alguna de su parte. Al presumir la culpabilidad de todas las personas que integran la empresa que ha sido condenada por infringir prácticas anticompetitivas, el Código de Comercio establece que una sociedad matriz puede ser condenada si una de sus filiales es responsable por haber infringido una disposición anticompetitiva. La importación de una noción del derecho de competencia -la empresa- en el ámbito del derecho de la responsabilidad civil ha provocado una profunda mutación de la responsabilidad civil en el seno del grupo de sociedades.
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La responsabilité des sociétés mères : les pas en avant des cours suprêmes anglaise et canadienne
Alexis Langenfeld
p. 859–897
RésuméFR :
Dans les pays de common law, le développement de la responsabilité des sociétés mères de groupes multinationaux est porté par l’activisme judiciaire. Celui-ci témoigne que les tribunaux travaillent en faveur de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Dans ce contexte, la Cour suprême du Canada a rendu la décision Nevsun Resources Ltd. c. Araya dans laquelle elle autorise les poursuites portées contre une entreprise canadienne pour violation du droit international coutumier. Cette décision aussi ambitieuse que polémique crée un nouveau recours dans la common law canadienne favorable à la responsabilisation des multinationales. La Cour suprême du Royaume-Uni, quant à elle, s’est prononcée sur le devoir de diligence des sociétés mères dans la décision Vedanta Resources PLC and another (Appellants) v. Lungowe and others (Respondents). Ici encore, la position est d’envergure et favorable à une responsabilisation accrue des groupes de sociétés. L’auteur présente et analyse ci-dessous les deux décisions en les remettant dans le contexte juridique antérieur qu’elles sont venues modifier.
EN :
In common law countries, the development of the liability of multinational groups’ parent companies is driven by judicial activism. This activism reflects the fact that the courts are working in favour of CSR. In this context, the Supreme Court of Canada, in its ruling in Nevsun Resources Ltd. v. Araya, allowed a case to proceed against a Canadian company for violation of international customary law. This decision, as ambitious as it is controversial, creates a new remedy in Canadian common law for holding multinationals accountable. For its part, the UK Supreme Court ruled on the duty of care of parent companies in Vedanta Resources PLC and another (Appellants) v. Lungowe and others (Respondents). Again, the position is ambitious and supportive of holding corporate groups more accountable. In this article, we present and analyse these two decisions, putting them into the previous legal context that they have changed.
ES :
En los países de derecho consuetudinario anglosajón, el activismo judicial se ha encargado del desarrollo de la responsabilidad de las empresas matrices de los grupos transnacionales. Este activismo ha puesto de manifiesto que los tribunales actúan a favor de la RSE. En este contexto, la Corte Suprema de Canadá dictaminó en el caso de Nevsun Resources Ltd. c. Araya la autorización de demandas interpuestas contra una empresa canadiense por haber violado el derecho internacional consuetudinario. Esta decisión tan ambiciosa como polémica ha creado un nuevo recurso en el derecho consuetudinario canadiense favorable para la responsabilización de las empresas multinacionales. La Corte Suprema del Reino Unido ha dictaminado en el caso Vedanta Resources PLC and another (Appellants) v. Lungowe and others (Respondents) el deber de diligencia que tienen las empresas matrices. Aquí se ha manifestado nuevamente el carácter ambicioso y favorable por una mayor responsabilización por parte de grupos empresariales. En nuestro artículo presentamos y analizamos ambas decisiones en el marco del contexto jurídico anterior y que dichas decisiones han modificado.
Textes hors thématique
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L’oralité devant le nouveau Tribunal judiciaire : une autonomie de la volonté renforcée pour un « procès à la carte »
Julie Courtois
p. 899–934
RésuméFR :
La dernière réforme de l’organisation judiciaire et juridictionnelle française renouvelle la question de l’oralité du procès civil. Par l’étude de la procédure orale applicable devant les juridictions de première instance françaises, l’oralité est questionnée au travers de sa fonction primaire qui est de permettre l’accès au juge ainsi que dans ses modalités d’organisation initialement centrées sur la présence des plaideurs. Le présent article analyse ainsi, dans un premier temps, le régime de la procédure orale dont les possibilités de recours à l’écrit et la prise en compte, accrue, de la volonté des justiciables en font une procédure de plus en plus aménageable à l’initiative du juge ou de ces derniers. Dans un second temps est questionné l’impact de l’extension de la représentation obligatoire et de la diversification des modes de résolution des conflits dans l’accès à la justice.
EN :
The latest reform of France’s judicial and jurisdictional organization renews the question of the orality of civil proceedings. By studying the oral procedure applicable before the French courts of first instance, orality is questioned through its primary function, which is to allow access to the judge, as well as through its organizational methods, which were initially centred on the presence of the litigants. This article begins by analyzing the system of oral proceedings, in which the possibility of recourse to writing and the increased consideration of the wishes of litigants make it a procedure that can be increasingly adapted at the initiative of the judge or the litigants themselves. Secondly, the impact of the extension of compulsory representation and the diversification of conflict resolution methods on access to justice is examined.
ES :
La última reforma de la organización judicial y jurisdiccional francesa ha reiterado el aspecto de la oralidad en el proceso civil. En el estudio del procedimiento oral aplicable ante las jurisdicciones francesas de primera instancia, la oralidad ha sido cuestionada por su función primaria que es permitirle el acceso al juez, así como por sus modalidades de organización centradas en un principio en la presencia de litigantes. De esta manera, este artículo analiza en un primer momento el régimen del procedimiento oral y las posibilidades de recurrir a la escritura y a una mayor consideración de la voluntad de los justiciables, creando así un procedimiento cada vez más conveniente a la iniciativa del juez o de los justiciables. En segundo lugar, se cuestiona el impacto de la extensión de la representación obligatoria, y la diversificación de los mecanismos para la resolución de conflictos en el acceso a la justicia.
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L’agriculture dans le régime juridique international du climat
Maismy-Mary Fleurant
p. 935–965
RésuméFR :
L’agriculture est sans nul doute l’un des secteurs les plus touchés par les changements climatiques. Si son adaptation est une source importante d’émissions de gaz à effet de serre, elle représente toujours un défi majeur, surtout pour les pays du Sud. C’est un secteur vital de leur économie, pourvoyeur d’emplois et garant de la sécurité alimentaire. Le régime juridique international du climat ne s’est néanmoins pas assez intéressé à cette problématique. Cela se constate non seulement dans les textes conventionnels, mais aussi dans les décisions de la Conférence des Parties (COP) et jusque dans le financement des projets et des programmes du mécanisme financier. Après l’avancée constatée à la 17e session de la COP, l’Action commune de Koronivia pour l’agriculture est l’initiative la plus marquante pour l’agriculture dans le régime du climat. Il faudra continuer sa mise en oeuvre dans l’objectif d’aboutir à l’établissement d’un vrai plan d’action pour ce secteur.
EN :
Agriculture is undoubtedly one of the sectors most affected by climate change. While the sector is a major source of greenhouse gas emissions, adapting it remains a major challenge, especially for countries in the southern hemisphere, where agriculture is economically vital and represents a source of jobs and guaranteed food security. However, the international legal regime has not paid enough attention to the climate issue. This can be observed not only in conventional treaties, but also in the Decisions of the Conference of the Parties and even in the funding of financial mechanism projects and programs. Following the progress made at COP 17, the Koronivia Joint Work is the most significant agricultural initiative in the climate regime. It will be necessary to continue its implementation with a view to achieving the establishment of a real plan of action for this sector.
ES :
Sin duda alguna, uno de los sectores que más ha sido afectado por los cambios climáticos es la agricultura, que constituye además una fuente considerable de emisiones de gases de efecto invernadero. Su adaptación sigue siendo un reto de importancia para los países del sur, puesto que conforma un sector vital de su economía, es generador de empleos y garante de la seguridad alimentaria. Sin embargo, el régimen jurídico internacional del clima no ha mostrado suficiente interés en esta problemática. Esto se ha podido constatar no solamente en los textos convencionales, sino también en las decisiones de la Conferencia de las Partes, e incluso en el financiamiento de los proyectos y programas del mecanismo financiero. Después del avance que se ha podido constatar en la COP-17, la acción común de Koronivia ha sido la iniciativa más significativa para la agricultura en el ámbito del clima. Es necesario que se siga con su aplicación con el fin de lograr el establecimiento de un verdadero Plan de Acción para este sector.