Chronique bibliographique

Pierre Rainville, La répression de l’art et l’art de la répression. La profanation de la religion à l’épreuve des mutations du droit pénal au sujet du blasphème et de la protection des identités religieuses, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 132 p., ISBN 978-2-7637-4452-0[Notice]

  • Guillaume Provencher

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  • Guillaume Provencher
    Université Laval

Le pénaliste comparatiste Pierre Rainville a, par le passé, entretenu son lectorat sur les humeurs du droit pénal au sujet de l’humour et du rire. Pour son deuxième ouvrage à paraître dans la collection Dikè publiée aux Presses de l’Université Laval, il nous propose cette fois-ci une incursion dans le monde de l’art ou plutôt dans celui de sa répression quand l’art fait dans la profanation et qu’il avilit le sacré. De tout temps, lorsqu’un artiste choisit sciemment et outrancièrement d’aborder avec force et véhémence des thèmes religieux sensibles dans le dessein évident de choquer les fidèles, il s’expose à la possibilité de voir son oeuvre censurée et sa démarche sanctionnée par les tribunaux. Une proposition artistique qui aurait eu comme intention claire d’insulter la religion et de choquer la communauté de ses croyants en manquant délibérément de respect envers leur confession (p. 23) aurait été sanctionnable encore jusqu’à tout récemment par l’article 296 du Code criminel canadien. Depuis 1892 jusqu’à naguère, nous aurions pu dire de cet artiste frondeur et incendiaire qu’il eût perpétré un crime de blasphème. Or, ce dernier chef d’accusation n’existe plus à proprement parler au Canada depuis le mois de décembre 2018 alors que le Parlement canadien a abrogé officiellement l’article 296 C.cr. qui portait précisément sur le crime de libelle blasphématoire. La nouvelle position canadienne en matière de délit blasphématoire n’est pas un cas unique. En effet, l’abolition du crime de blasphème par le Canada s’inscrit dans le sillon de bien d’autres États occidentaux : par exemple, l’Angleterre a aussi rayé l’infraction de son code criminel en 2008 ; les Pays-Bas ont fait de même en 2014 ; puis la Norvège, en 2015 ; le Danemark, en 2017 ; et, enfin, l’Irlande a supprimé le crime de blasphème enchâssé dans sa constitution à l’issue d’un référendum qui s’est tenu en 2017 (p. 34). Destinés originalement à contrer les esprits dissidents « – qu’ils fussent d’une religion autre que chrétienne ou simplement athées –, cette infraction jadis destinée à museler le discours anti-divin […] en vint à se cantonner à la prohibition de la calomnie religieuse » (p. 18) et finit graduellement par ne punir que les cas les plus excessifs. Voué historiquement à la protection de la seule religion chrétienne dominante (on parle plus précisément de l’anglicanisme chez les uns ou du catholicisme chez les autres), le crime de blasphème est tombé peu à peu en désuétude au fur et à mesure que la chrétienté perdait de son emprise sur l’État. Le crime de blasphème, tel qu’il se présentait jusqu’à tout récemment, a toujours visé la protection d’une seule religion. Il n’a jamais su s’adapter aux réalités d’aujourd’hui ni à la pluralité religieuse contemporaine. Sollicités à cet égard et contraints à agir néanmoins à l’occasion, les États n’avaient pas beaucoup d’options sur la table. Plutôt que de chercher à donner un caractère universel au crime de blasphème et d’élargir son application à d’autres religions et croyances, ils ont tout simplement choisi d’abolir l’infraction. Malgré ces nombreux exemples de replis législatifs, il serait bien hasardeux de penser que le crime de blasphème ait pour autant été éliminé, voire que le blasphème est autorisé, toujours toléré, ou encore qu’il ne soit pas sanctionné dans les sociétés contemporaines. « L’abrogation du crime de blasphème n’épuise pas la question de l’interdit d’une oeuvre outrageante », dit Rainville (p. 47). Du coup, le blasphème et sa répression demeurent d’actualité au Canada comme ailleurs. Toutes les formes d’expression artistique qui s’autorisent à narguer la religion au sens large suscitent habituellement la controverse. Cette dernière constitue même la plupart du temps …

Parties annexes