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Le droit pénal est très largement sollicité dans la société actuelle comme mode de solution des problèmes sociaux. Il y a eu, au fil des dernières années, une prolifération des infractions et un durcissement des peines suivant un courant de populisme pénal sans équivoque. Pourtant, plusieurs phénomènes contemporains témoignent de l’effritement de la relation entre le public et le fonctionnement de la justice pénale : ils mettent en exergue le fait que la « confiance du public dans l’administration de la justice » dans le domaine du droit pénal n’est pas sans limites.
Les exemples abondent parmi ces phénomènes qui interpellent directement la notion de confiance du public dans l’administration de la justice pénale. Pensons à la déferlante #moiaussi qui a mis à l’ordre du jour plusieurs insatisfactions, notamment celles des victimes de violences sexuelles, par rapport au système de justice traditionnel et donné naissance à ce que d’aucuns ont qualifié de système de justice parallèle. Pour leur part, les peuples autochtones du Canada, surreprésentés dans le système de justice pénale, se montrent particulièrement méfiants envers ce dernier qui se révèle une source d’oppression et de discrimination. La confiance du public dans le système de justice pénale se trouve aussi mise à mal par la surmédiatisation de certaines affaires dont les verdicts d’acquittement ou l’abandon des poursuites sont régulièrement présentés comme des illustrations de l’échec généralisé du système de justice au sens large.
Que disent ces éléments sur l’actuel système de justice pénale, sur son fonctionnement et sur sa place, ou celle qu’il devrait occuper, dans la société ?
Ces phénomènes exigent, entre autres choses, que les pénalistes se penchent sur le concept même de confiance du public, qu’ils étudient en profondeur sa portée, son potentiel réformateur, ses limites et les dangers que recèle son utilisation à des fins populistes en matière pénale.
Pour réfléchir à cet égard, il importe d’aborder des questions essentielles telles que la conceptualisation de la confiance du public par le système de justice pénale lui-même qui justifie certaines décisions en recourant à cette notion. Il faut aussi analyser la manière dont les pouvoirs politiques envisagent la notion de confiance du public dans la justice pénale. Y a-t-il un lien entre la confiance du public et les peines sévères ? Qu’en est-il du rapport entre la confiance du public et les devoirs d’impartialité et d’indépendance des tribunaux à l’égard de l’opinion publique ? Le maintien de la confiance du public sert-il principalement aujourd’hui d’argument pour valoriser des peines et des procédures qui menacent les droits des accusés ? Ou encore peut-il jouer le rôle de fondement quant à la réforme du fonctionnement de certaines institutions comme les services de police, les services de poursuite, le tribunal lui-même ou le jury ? Le maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice passe-t-il par une revalorisation des objectifs traditionnels du système de justice pénale, généralement associés à la punitivité, ou — au contraire — par la mise en place de nouvelles conditions de dialogue entre les victimes, les accusés et la collectivité ? La confiance du public dans l’administration de la justice peut-elle faire l’économie des médias ?
Les cinq articles réunis autour de la thématique du présent numéro ne permettent pas d’épuiser le sujet ni d’apporter toutes les réponses aux interrogations complexes qui se posent lorsqu’il est question de réfléchir au concept clé de la confiance du public dans l’administration de la justice pénale. Cependant, ils nous semblent contribuer significativement à la réflexion sur le sujet, tout en illustrant ses multiples perspectives.
Dans leur texte, Richard Dubé et Margarida Garcia explorent, à partir d’une analyse empirique de débats parlementaires et d’entretiens qualitatifs réalisés auprès de juges canadiens, deux manières de concevoir le principe de la confiance du public dans l’administration de la justice, plus spécialement dans le domaine de la détermination de la peine (sentencing). La première conception émerge du système politique et estime que les peines sévères représentent la meilleure manière d’assurer le maintien de la confiance d’un public politiquement considéré comme répressif. La seconde conception ressort du système juridique et voit l’indépendance judiciaire de même que le respect de la règle de droit et des droits du justiciable comme la meilleure manière d’assurer le maintien de la confiance d’un public envisagé autrement, soit un public juridiquement bien informé. Les résultats indiquent que, si la perspective politique favorise le durcissement du régime pénal et l’exacerbation du populisme pénal, le système juridique y résiste et s’en prémunit dans des balises qui se rapportent précisément au droit et dont les principes devraient servir de pierre angulaire à une réforme de la perspective politique.
Dans une suite logique, le texte de Julie Desrosiers aborde l’interprétation jurisprudentielle du concept de confiance du public dans l’administration de la justice. Régulièrement invoquée par la Cour suprême du Canada à titre de considération sous-jacente en matière d’indépendance judiciaire, de publicité des débats et de célérité des procédures, la « confiance du public dans l’administration de la justice » tend à s’autonomiser pour devenir un critère décisionnel à part entière. Parfois, c’est le législateur qui procède à cette autonomisation. Ainsi, le Code criminel prévoit que la « confiance du public » est un critère dont le juge doit tenir compte pour décider de la détention ou de l’élargissement de l’accusé pendant le procès. Dans d’autres cas, la jurisprudence elle-même recourt à ce critère, par exemple lorsqu’il faut déterminer si des éléments de preuve obtenus en violation de la Charte canadienne des droits et libertés devraient être exclus de la preuve au procès. À l’issue de son étude, la professeure Desrosiers conclut que la nécessité de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice peut justifier des réformes législatives ou jurisprudentielles qui opèrent sur le plan systémique, mais qu’elle peut difficilement fonder une décision dans un cas d’espèce.
Toujours au regard des différentes manières de concevoir la notion de confiance du public dans l’administration de la justice pénale, le texte de Mylène Jaccoud ouvre la perspective sur l’expérience vécue par certains groupes vulnérables dans le système de justice pénale, en l’espèce les Autochtones. L’auteure met en évidence un certain nombre de limites sur la manière dont la confiance du public dans le système de justice est généralement abordée. La désignation de ces limites l’amène à suggérer d’analyser la confiance sous l’angle d’un rapport social, c’est-à-dire d’un rapport coconstruit dans des relations de pouvoir entre groupes vulnérabilisés et systèmes de régulation sociopénale et dans lesquelles une méfiance réciproque se forge et se renforce. La professeure Jaccoud tente de démontrer que la méfiance est constitutive du fonctionnement du système pénal à l’égard des autochtones qui, considérés comme des figures de risque, font l’objet d’une pénalité de contrôle et de surveillance. La méfiance est parallèlement ancrée dans l’expérience collective et individuelle des autochtones en raison d’un système de justice qui a constitué, de l’histoire coloniale jusqu’à nos jours, une source importante de discrimination, d’oppression et de sous-protection.
Le texte de Maude Cloutier porte lui aussi sur le regard critique posé par certains groupes vulnérables sur le système de justice pénale au Québec et la mise à mal de la confiance qui résulte de leurs interactions avec ce système, soit les victimes d’agression sexuelle. Selon l’auteure, le système de justice criminelle québécois, malgré toutes les réformes dont il a fait l’objet, continue de traiter de manière inappropriée les victimes d’agression sexuelle. L’attrition, l’influence du modèle du « vrai viol » et la victimisation secondaire sont autant de difficultés éprouvées par les victimes, qui participent à leur perte de confiance envers ce système. L’implantation de tribunaux spécialisés en matière sexuelle est présentée par plusieurs comme un mécanisme susceptible de rétablir cette confiance. Un regard sur les modèles sud-africains et néo-zélandais ainsi que sur leur effet positif permet de conclure, d’après l’auteure, que cette initiative s’avère prometteuse pour l’amélioration de l’expérience des victimes et qu’elle représente, conséquemment, un espoir pour le rétablissement de leur confiance envers le système de justice québécois.
Enfin, Benjamin Dzierlatka examine la façon dont la médiatisation grandissante des affaires pénales, par tous les moyens technologiques possibles, fait en sorte que ces dernières occupent dorénavant une place singulière dans la sphère médiatique. La publicisation de certaines affaires judiciaires poursuit deux objectifs : l’un de transparence, attribut nécessaire à toute société libre et démocratique ; l’autre pédagogique, permettant aux citoyens, profanes du fonctionnement de l’administration de la justice, de se familiariser avec cette technicité. Ces attributs sont tous deux essentiels à la promotion de la confiance du public dans l’administration de la justice, à la condition toutefois d’éviter d’en simplifier à outrance la complexité, et ce, en raison du risque de dénaturation, celle-ci pouvant prêter à confusion dans l’esprit du public. Analysant le rapport entre les médias et la justice sous l’angle de la confiance du public, l’auteur présente un regard croisé sur le droit et le journalisme à travers une étude des systèmes judiciaires de la France et du Canada.