Résumés
Résumé
Le présent article a pour sujet l’incidence des droits ancestraux sur la relation juridique entre les peuples autochtones et les sociétés privées travaillant à l’extraction des ressources naturelles en territoire québécois. La première partie aborde les ententes entre les sociétés extractives et les peuples autochtones relativement aux effets et aux retombées d’un projet d’extraction (appelées « ententes sur les répercussions et les avantages » ou ERA). La seconde traite de la responsabilité civile des sociétés extractives quant aux conséquences préjudiciables de leurs activités sur l’exercice des droits ancestraux des Autochtones. Il ressortira de l’ensemble du propos que les rapports entre les acteurs de l’industrie et les Autochtones se trouvent, dès lors qu’existent des droits ancestraux sur les terres visées, au carrefour du droit public et du droit privé. L’auteur s’attache à montrer que le droit québécois de la responsabilité civile, dont la Charte des droits et libertés de la personne, aura un rôle à jouer dans la protection des droits ancestraux des peuples autochtones sur la terre et les ressources. Sans annexer ni dénaturer le régime sui generis de ces droits tel qu’il a émergé dans la sphère du droit public, le droit privé québécois est à même de les accueillir et de les sanctuariser à sa manière. Par ailleurs, le droit public ne fait nullement obstacle à la conclusion des contrats particuliers que sont les ERA même lorsque de tels contrats restreignent l’exercice d’activités autochtones ressortant aux droits ancestraux. Le droit des contrats apparaît plutôt comme un des instruments à la disposition d’un peuple autochtone pour la mise en oeuvre de l’autonomie inhérente à ses droits ancestraux et pour la poursuite de son développement économique et social. L’incertitude quant à l’identité du groupe titulaire des droits ancestraux pourra cependant fragiliser ces ERA si elles ne respectent pas les régimes territoriaux autochtones.
Abstract
This article examines the impact of Aboriginal rights on the legal relationship between indigenous peoples and the extractive industry in Québec. The first part of the article deals with Impact and Benefit Agreements (IBAs) between resource extractors and indigenous peoples, while the second part looks at the companies’ civil liability for any detrimental effects their activities may have on the exercise of Aboriginal rights. The overall finding is that the relationship between industry players and indigenous peoples holding or claiming Aboriginal rights with respect to land and resources lies at the meeting-point of public and private law. The author shows that Québec law on civil liability, including the Charter of Human Rights and Freedoms, has a role to play in protecting indigenous peoples’ Aboriginal rights over the land and its resources. Without impairing the sui generis public law aspects of aboriginal rights, Québec private law is capable of acknowledging and protecting such rights in its own distinctive way. In addition, there is no obstacle in public law to the signing of specific contractual agreements such as IBAs, even when they restrict the exercise of activities arising from Aboriginal rights. In fact, contract law appears to be one of the means available to an indigenous people to exercise its decision-making authority inherent in Aboriginal rights and pursue its economic and social development. Enduring uncertainty about the identity of the group holding Aboriginal rights may, however, undermine such agreements if they fail to respect indigenous land tenure systems.
Resumen
Este artículo estudia el impacto de los derechos ancestrales en la relación jurídica existente entre los pueblos autóctonos y las sociedades privadas que operan en la extracción de recursos naturales en el territorio quebequense. La primera parte del escrito aborda los acuerdos suscritos entre las instituciones extractivas y los pueblos autóctonos, en lo que respecta los efectos y las repercusiones de un proyecto de extracción (AIB). La segunda parte trata sobre la responsabilidad civil de las instituciones extractivas, en lo que respecta los efectos perjudiciales de sus actividades sobre el ejercicio de los derechos ancestrales de los autóctonos. Por lo tanto, se desprende del conjunto del tema, que las relaciones entre los actores de la industria y los autóctonos se encuentran desde que los derechos ancestrales existen en dichas tierras, y se hallan en una encrucijada entre el derecho público y el derecho privado. El autor se consagra a demostrar que el derecho quebequense de la responsabilidad civil, particularmente en la Carta de Derechos y Libertades de la Persona (Charte québécoise des droits et libertés) juega un rol en la protección de los derechos ancestrales de los pueblos autóctonos, de la tierra y de los recursos. Sin anexar o desnaturalizar el régimen sui generis de estos derechos, tal y cual como ha surgido en la esfera del derecho público, el derecho privado quebequense ha podido albergarlo y garantizarlo a su manera. Además, el derecho público no obstaculiza de ningún modo la celebración de contratos particulares, los AIB (acuerdos de impacto y beneficios) incluso cuando tales contratos restringen el ejercicio de actividades autóctonas que supongan derechos ancestrales. El derecho contractual aparece más bien como uno de los instrumentos a disposición de un pueblo autóctono, en la implementación de la autonomía inherente con sus derechos ancestrales para el impulso de su desarrollo económico y social. Sin embargo, la incertidumbre en cuanto a la identidad del grupo titular de los derechos ancestrales podría fragilizar estos acuerdos si no se respetan los regímenes territoriales autóctonos.
Corps de l’article
L’attention des juristes qui s’intéressent à la question autochtone s’est, à ce jour, davantage tournée vers les enjeux de droit public, c’est-à-dire l’ensemble des questions se rapportant à la conciliation ou à la confrontation des prérogatives de la Couronne et des droits des peuples autochtones. La réflexion doctrinale et le contentieux judiciaire font ainsi une grande place à l’impact des revendications autochtones sur les politiques publiques, à l’interprétation de la Constitution, aux traités historiques et modernes auxquels l’État et certains peuples autochtones sont parties ou encore à l’honneur de Sa Majesté[1]. Par notre brève étude, nous visons à montrer l’importance de la relation entre les peuples autochtones et les particuliers, relation qui ressortit principalement au droit privé dont l’application se trouvera néanmoins infléchie par le droit public. Notre démonstration portera plus particulièrement sur la question des relations entre les peuples autochtones et les sociétés privées travaillant à l’extraction des ressources naturelles en territoire québécois.
La première partie de notre texte aborde la relation entre les sociétés extractives et les peuples autochtones dans le contexte d’une entente sur les répercussions et les avantages (ERA) en rapport avec la réalisation d’un projet d’extraction. La seconde traite du cadre juridique régissant les relations extracontractuelles entre les sociétés extractives et les Autochtones relativement aux effets de leurs activités sur le territoire autochtone. Il ressortira de l’ensemble du propos que les rapports entre les acteurs de l’industrie extractive et les Autochtones se trouvent, dès lors qu’existent des droits ancestraux sur les terres visées, au carrefour du droit public et du droit privé.
1 Les ententes entre les sociétés extractives et les autochtones
Le phénomène des ERA conclues entre des communautés autochtones et des sociétés extractives est relativement bien connu[2] et de plus en plus documenté[3]. Nous voulons plus particulièrement ici examiner les ERA en tant que lieu de rencontre du droit privé et du droit public en mettant en exergue la pertinence de ce dernier dans l’analyse de l’effet juridique d’une ERA sur les droits fonciers ancestraux et à l’égard des activités autochtones relevant d’un droit ancestral sur le territoire. Intervenant entre une entité représentant un groupe autochtone et une entreprise privée, une ERA est d’abord un accord régi par le droit général des contrats[4]. Elle renverra elle-même parfois au droit commun des contrats, ce qui, le cas échéant, autorisera l’interprète à recourir aux règles applicables aux contrats privés commerciaux, en se référant notamment au principe du « commercial sense[5] ».
En même temps, toutefois, les ERA sont souvent liées à une situation où la collectivité autochtone revendique ou détient des droits ancestraux ou issus d’un traité sur le secteur géographique visé par un projet d’intervention ou d’exploitation. Or le régime des droits ancestraux relève traditionnellement d’abord du droit public, puisque ces droits grèvent ab initio les terres de la Couronne[6]. Il en résulte des obligations historiques et constitutionnelles fondamentales définissant et encadrant la « relation spéciale[7] » entre l’État et les peuples premiers. Ces obligations qui remontent à la Proclamation royale de 1763, s’incarnent aujourd’hui au premier chef dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[8] et dans le principe de l’honneur de la Couronne engagé dès lors que l’État agit de manière à préjudicier aux droits ancestraux reconnus aux Autochtones et revendiqués par eux[9]. En outre, l’exercice par un peuple autochtone de ses droits possède une dimension de droit public puisqu’il donne à voir le déploiement d’une autonomie collective confirmée par la loi fondamentale[10]. La négociation d’une ERA survient d’ailleurs souvent en marge du processus réglementaire d’approbation du projet d’activité extractive, lequel processus comprend la consultation de communautés autochtones dont les droits ancestraux ou issus d’un traité sont potentiellement touchés et l’étude de mesures d’atténuation ou d’accommodement des effets du projet sur ces droits reconnus ou revendiqués.
C’est précisément parce que la réalisation du projet d’exploitation sur le territoire détenu ou revendiqué par le peuple autochtone sera de nature à influer sur la manière dont les Autochtones peuvent utiliser ou occuper le territoire qu’une société envisagera de s’entendre avec cette collectivité en vue de faciliter cette réalisation. Du point de vue de la société, il n’est pas question de trancher une revendication autochtone de droits ancestraux mais bien de lever un obstacle juridique potentiel, de faciliter l’acceptabilité sociale et politique de ses projets d’affaires et, si c’est possible, de créer une relation durable de confiance mutuelle avec la communauté. L’ERA s’attachera donc à régler un ensemble de questions concernant l’atténuation des effets du projet sur l’occupation et la jouissance autochtones du territoire, la conciliation des activités autochtones avec les activités extractives, ainsi que l’octroi à la communauté autochtone de certains bénéfices économiques et sociaux en rapport avec la réalisation du projet[11].
Bien que l’ERA n’ait pas pour objet de définir ou de préciser à l’égard de tous la portée des droits ancestraux d’un peuple autochtone sur le secteur où se réalisera le projet, elle ne sera pas toujours sans effet sur les droits ancestraux et sur leur exercice, si tant est que de tels droits existent. En effet, outre l’expression du consentement autochtone à la réalisation du projet, une ERA peut contenir des dispositions limitant et encadrant la présence et les activités des Autochtones sur le territoire. Or l’accès d’une entreprise au territoire et l’usage du territoire par les membres d’une communauté autochtone sont des questions qui peuvent relever des droits ancestraux. Le peuple autochtone détenant un titre ancestral sur le territoire peut refuser l’accès à ce territoire aux tiers, même à la Couronne[12], et il peut en outre assujettir cet accès à des conditions. Ce droit peut être en cause au moment de la négociation d’une ERA. À défaut de détenir un titre exclusif sur l’espace foncier visé par un projet, un groupe autochtone peut y avoir des droits non exclusifs d’occupation, d’usage et de prélèvement dont l’exercice peut être grevé ou limité par l’activité extractive envisagée[13].
Dans l’un ou l’autre de ces cas de figure, la nécessité de concilier le projet extractif et les droits ancestraux des Autochtones s’imposera. Or, l’ERA est justement un moyen par lequel la société et le groupe autochtone s’entendent quant à la réalisation du projet sur le territoire. Il faut cependant se demander dans quelle mesure et à quelles conditions il sera possible pour une entreprise et une communauté autochtone de convenir d’un tel accord particulier compte tenu des règles et des contraintes que le droit public impose lorsque des droits fonciers ancestraux ou des activités autochtones susceptibles de relever de droits ancestraux sont en cause. La première question est celle de la validité même d’une ERA susceptible de modifier ou de limiter concrètement l’exercice d’un droit ancestral.
1.1 La validité d’un contrat particulier octroyant des droits à des tiers et restreignant les activités autochtones relevant d’un droit ancestral
Une ERA contient généralement des dispositions qui, tout en soulignant qu’elle n’abroge aucun droit ancestral, confirme que la communauté autochtone consent à la réalisation du projet ainsi qu’aux restrictions qui en résulteraient sur certaines activités de prélèvement ou d’usage des ressources pratiquées par ses membres sur le territoire, lesquelles pourraient être protégées constitutionnellement en vertu d’un titre foncier ancestral ou de droits ancestraux d’occupation et d’usage. L’article suivant d’une ERA offre un exemple de ce type de disposition :
Except as otherwise specifically provided in this Agreement and in particular recognizing that [First Nation] by ratification of this Agreement have consented to the Project proceeding, and to the resulting interference with their aboriginal rights, title, claims and interests in accordance with the provisions of this Agreement, nothing in this Agreement shall abrogate or derogate or be interpreted so as to abrogate or derogate from the aboriginal rights, titles, claims and interests of [First Nation] and its members. The Company shall in accordance with this Agreement have the right to carry out the Project[14].
La question posée ici est celle de savoir si une ERA particulière peut validement, sans l’intervention de la Couronne, octroyer des droits à une société extractive sur les terres autochtones et restreindre des activités autochtones constituant l’exercice de droits ancestraux. Il est en effet fermement établi depuis la Proclamation royale de 1763 qu’une transaction ayant pour objet d’abandonner, de circonscrire ou autrement de limiter de manière durable et à l’égard de tous la substance des droits ancestraux sur la terre et les ressources d’un peuple autochtone ne peut intervenir qu’entre ce dernier et la Couronne dont l’honneur est en cause au regard de la Constitution[15]. L’interdit d’exotransmission du titre et des droits ancestraux ne prive cependant pas les Autochtones de la capacité de négocier avec les tiers relativement à l’accès aux terres et au prélèvement des ressources qui s’y trouvent.
La Cour suprême du Canada reconnaît la capacité d’un peuple autochtone titulaire d’un titre aborigène de s’entendre avec un particulier relativement à l’accès à ses terres et à leur usage. La plus haute juridiction du pays déclare en effet ce qui suit dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique : « Les gouvernements et particuliers qui proposent d’utiliser ou d’exploiter la terre, que ce soit avant ou après une déclaration de titre ancestral, peuvent éviter d’être accusés de porter atteinte aux droits ou de manquer à l’obligation de consulter adéquatement le groupe en obtenant le consentement du groupe autochtone en question[16]. »
D’ailleurs, la Cour suprême avait déjà précisé dans l’affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique que le titre aborigène habilite le groupe détenteur à déterminer l’usage qu’il conviendra de faire de ses terres, y compris un usage commercial ou industriel[17]. Ce faisant, elle admettait implicitement la possibilité pour le groupe détenant un titre ancestral d’établir des partenariats avec des tiers pour la mise en valeur économique de ses terres. On ne peut en effet penser que la Cour suprême n’envisageait alors qu’une exploitation « purement autochtone » du territoire. De plus, elle estime que le fait pour un peuple autochtone d’autoriser les tiers à utiliser son territoire constitue en réalité une manière d’affirmer et d’exercer le contrôle exclusif qui définit le titre ancestral[18].
La capacité d’un peuple autochtone de négocier avec les tiers sans que la Couronne soit partie à l’ERA n’est toutefois pas illimitée en droit public. Il est interdit à un peuple autochtone de céder par la voie d’un contrat particulier son pouvoir de détenir et de contrôler le territoire, car c’est sa prérogative exclusive selon les règles du droit public. Aucune entité non autochtone ne peut acquérir cette prérogative consubstantielle au patrimoine ancestral du groupe[19]. Il n’est donc pas loisible au peuple autochtone de concéder à une société extractive des droits complets de libre aliénation de la terre sans qu’il y ait eu abandon préalable du titre ancestral à la faveur d’un accord intervenu avec la Couronne fédérale. En outre, un peuple autochtone ne peut validement conclure avec un particulier une ERA consistant à autoriser un projet dont les effets sur les terres seraient tellement draconiens, dévastateurs et permanents qu’ils viendraient priver les générations actuelles et futures de leur lien au territoire. Dans ce cas, l’ERA par laquelle le groupe autochtone prétendrait consentir à un tel projet équivaudrait à une tentative de supprimer ou de neutraliser le titre ancestral. Seule une entente avec la Couronne peut faire cela[20].
Il se peut toutefois qu’un peuple autochtone ne possède pas un titre ancestral sur le secteur visé par une ERA, mais plutôt des droits ancestraux d’accès et de prélèvement des ressources à diverses fins précises. Ces droits n’emportent pas la propriété ou la maîtrise exclusive de la ressource elle-même, mais seulement un droit d’usage en rapport avec une activité spécifique[21]. Ainsi, seuls les membres appartenant au groupe titulaire du droit ou les personnes ayant un lien personnel suffisant avec ce dernier pourront se livrer à cette activité sur le fondement d’un droit ancestral[22]. Une ERA ne pourra donc, en présence d’un tel droit, prétendre accorder à une société extractive des droits d’usage de la ressource visée par ce droit.
Il arrivera cependant que les parties à une ERA veuillent imposer aux membres du groupe autochtone des restrictions quant à l’exercice de leurs activités de prélèvement dans le secteur d’implantation des infrastructures requises pour la réalisation d’un projet extractif. De telles restrictions peuvent s’avérer utiles, voire nécessaires à l’implantation et à l’opération des infrastructures. Or une ERA ne donnera aux parties la sécurité juridique recherchée quant à la réalisation du projet que si le groupe autochtone a la capacité juridique de lier ses membres. À cet égard, la Cour suprême admet d’emblée que, puisque les droits ancestraux appartiennent au groupe lui-même, et non aux individus qui en sont membres, celui-ci peut fixer les conditions et les modalités d’exercice d’un droit ancestral par ses membres[23]. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a donc affirmé avec raison que « les droits protégés par le par. 35 (1) sont des droits collectifs. La démarche des tribunaux a consisté à reconnaître qu’un Autochtone est le bénéficiaire des droits ancestraux ou issus de traités de sa collectivité. Ces droits, quelle que soit leur teneur spécifique, sont exercés avec le consentement et sous l’autorité de la collectivité[24]. »
Le principe d’« autorégulation » des droits ancestraux permet à la collectivité de décider de l’usage que ses membres peuvent faire ou non du territoire dans la limite de ses droits ancestraux. Cette décision oblige les membres à titre individuel[25]. Lorsque la collectivité exerce ainsi son droit sur le plan interne, aucune intervention de la Couronne n’est requise, car il n’est nullement question pour la collectivité de renoncer à un droit ancestral ou de le modifier. Au contraire, il s’agit en quelque sorte pour elle de l’exercer. Dans le cas où le secteur visé par un projet d’extraction serait grevé d’un titre ancestral ou de droits de prélèvement spécifiques en faveur du peuple autochtone visé, l’engagement contractuel de ce dernier de permettre la réalisation du projet en encadrant les activités de ses membres sur le territoire devrait donc être juridiquement exécutoire au nom du droit inhérent du groupe à l’autorégulation en matière de droits ancestraux.
Le principe de l’inaliénabilité des droits ancestraux sauf à la Couronne ne fait donc pas obstacle en général à la conclusion d’une ERA particulière entre un peuple autochtone et une société extractive, et ce, même lorsqu’aux termes de cette entente le groupe accepte de limiter ou d’encadrer les activités de ses membres dans une zone délimitée par cette dernière. Si le groupe a effectivement et librement exercé sa faculté d’autorégulation, un membre de ce groupe, ou toute autre personne, ne pourra dès lors invoquer un droit ancestral et se fonder sur le fait que la Couronne n’est pas partie à l’ERA pour en contester la validité ou l’opposabilité. Encore faudra-t-il toutefois que le groupe prétendant imposer de telles restrictions à ses membres soit effectivement celui qui est légitimement titulaire du titre ou du droit ancestral selon les règles de droit public.
1.2 L’identité de la partie autochtone ayant la capacité de contracter relativement aux droits ancestraux
Si une ERA envisagée par une société extractive a pour objet de régler la question de l’impact d’un projet sur une matière relevant d’un droit ancestral, et de régir des activités autochtones ressortissant à ce droit, cette entente ne pourra effectivement atteindre cet objectif que si elle est conclue avec et par le ou les groupes titulaires du droit ancestral. En effet, seul le ou seuls les groupes titulaires du titre aborigène sur un secteur peuvent convenir avec un tiers de ses droits d’accès et d’usage du secteur en vue de la réalisation d’un projet extractif. De même, seul le ou seuls les groupes titulaires de droits d’occupation ou de prélèvement dans le secteur peuvent convenir de modalités d’exploitation extractive du territoire par un tiers qui seront de nature à empêcher ou à limiter les activités de leurs membres relevant du droit ancestral du groupe visé. La partie contractante doit donc s’assurer de négocier avec le groupe autochtone détenteur ou revendicateur légitime de droits ancestraux sur le secteur visé par l’ERA. À défaut de le faire, celle-ci ne pourra juridiquement entraver la capacité des Autochtones de jouir du territoire, de l’occuper et de s’y livrer aux activités protégées par le droit ancestral. Le fait que l’ERA aura été ratifiée par un groupe par voie de référendum ou selon toute autre forme de consultation, ce qu’exigent souvent les sociétés extractives, ne donnera pas aux parties la sécurité juridique souhaitée si le groupe s’étant de la sorte prononcé n’est pas le titulaire légitime du droit ancestral sur le secteur visé par un projet.
Les parties peuvent certes, comme c’est le cas en pratique, assortir l’ERA de dispositions aux termes desquelles la partie autochtone se porte garante de sa capacité à s’engager au nom de la collectivité[26]. Une telle clause vient en fait confirmer que le défaut de capacité du signataire autochtone d’engager les membres de la collectivité pourra éventuellement mettre à mal l’effectivité ou la pleine opposabilité de l’ERA.
Comme les droits ancestraux sont indissociables de l’usage et de l’occupation des espaces fonciers, il serait logique de reconnaître aujourd’hui ces droits au groupe le plus susceptible de se voir imputer cet usage et cette occupation. Par conséquent, la détermination du groupe contemporain titulaire des droits ancestraux devrait se faire en indiquant in concreto le groupe actuel (1) qui est en mesure de démontrer un lien de continuité avec un groupe ancestral qui contrôlait ou utilisait le territoire en question avant le contact ou l’affirmation de souveraineté de la Couronne et (2) qui, selon les pratiques et les normes autochtones actuelles, peut se voir attribuer en propre les droits revendiqués sur le territoire. Le groupe autochtone apte à contracter pourra par conséquent être, selon la preuve présentée et acceptée relativement aux pratiques et aux normes effectives des groupes à l’égard du territoire revendiqué, la « nation », c’est-à-dire l’entité supracommunautaire, la communauté locale souvent appelée « bande », ou encore un sous-groupe à l’intérieur de cette dernière tel un clan ou un groupe familial. À noter que le groupe familial élargi occupait traditionnellement une place centrale dans l’organisation de certains peuples autochtones[27]. Les travaux portant sur les systèmes territoriaux des Algonquiens vivant au nord du fleuve Saint-Laurent montrent toutefois que, si la délimitation d’aires de prélèvement constituait un aspect fondamental du droit coutumier autochtone, « l’unité spatiale de base n’est pas toujours gérée par la famille mais peut l’être par la bande ou par une sous-section de celle-ci[28] ». Le type de ressource disponible sur un territoire donné déterminait souvent si son contrôle et sa gestion relevaient du groupe familial ou d’une entité collective plus large[29].
Il se peut fort bien que la configuration du groupe répondant aux conditions d’existence des droits ancestraux ait changé à la faveur des mutations induites par les politiques coloniales ou par les changements endogènes intervenus dans les modes d’occupation et d’utilisation du territoire. Les tribunaux ont, à bon droit, adopté une approche flexible et évolutive au moment de désigner le collectif contemporain apte à revendiquer un droit ancestral. Ainsi, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, dans l’affaire R. c. Bernard, s’est penchée sur la détermination du groupe de référence. M. Bernard, membre mi’kmaq de la Première Nation de Sipekne’katik, était accusé d’avoir chassé sans permis dans le nord de la ville de Saint John. En défense, il revendiquait le bénéfice d’un droit ancestral de chasse qui, selon lui, appartenait à l’ensemble de la nation mi’kmaq. La Cour d’appel statue comme suit :
[L]es Mi’kmaq s’organisaient historiquement en bandes distinctes ayant chacune leur territoire de chasse traditionnel. Même s’il existait une culture commune et des liens sociaux entre ces différentes collectivités, chacune d’elles avait son propre chef, et les collectivités se gouvernaient de manière indépendante[30].
Lors du procès, il n’a été présenté aucun élément de preuve qui permettrait de conclure qu’une nation moderne est devenue la collectivité actuelle habilitée à exercer tous les droits que les collectivités locales avaient historiquement exercés. Certes, il se pourrait que, dans certains cas, la preuve révèle que certains droits collectifs appartiennent à une tribu ou nation, mais ce n’était tout simplement pas le cas dans l’affaire faisant l’objet de l’appel[31].
Autrement dit, il serait possible pour un peuple autochtone de démontrer une évolution de ses structures ayant mené à une centralisation des droits au profit de la nation. La même approche découle de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Tsilhqot’in Nation v. British Columbia[32], où les Autochtones demandaient que l’ensemble de la « nation » tsilhqot’in soit déclaré titulaire des droits ancestraux plutôt que chaque bande ou communauté locale. Or la preuve démontrait qu’aucune organisation supracommunautaire centrale n’existait dans la gouvernance traditionnelle des Tsilhqot’in, qui se caractérisait par le rôle prééminent des clans familiaux dans la gestion du territoire. Cette preuve démontrait également en revanche qu’aucun groupe local ne revendiquait, ni traditionnellement ni aujourd’hui, des droits ancestraux exclusifs sur une partie du territoire. La Couronne, de son côté, faisait valoir que seul le groupe qui contrôlait ou occupait traditionnellement le territoire pouvait, à l’heure actuelle, être titulaire des droits ancestraux[33]. La Cour d’appel a rejeté cette approche pour privilégier une solution tenant compte de l’évolution des institutions autochtones. Selon la Cour d’appel, il faut prendre acte de la conception qu’a de nos jours le groupe de son rapport avec le territoire[34]. Le tribunal confirme donc que le groupe titulaire d’un droit ancestral est, dans cette affaire, la nation plutôt que les bandes ou les communautés locales[35]. Il précise toutefois que, selon les règles de la nation tsilhqot’in, la bande est la gardienne du territoire qu’elle occupe, ce qui l’autorise à ester en justice relativement à ce territoire.
L’approche évolutive permettra de respecter le principe d’ancestralité tout en tenant compte des transformations qui ont marqué l’histoire des Autochtones. Il faudra donc adopter une démarche pragmatique qui repose sur la reconnaissance de l’organisation actuelle du groupe autochtone plutôt que sur les institutions autochtones qui existaient à l’époque précoloniale ou les institutions dites traditionnelles. Cette façon de faire ne permet pas d’exclure a priori l’hypothèse qu’un groupe familial soit aujourd’hui titulaire de droits ancestraux qui lui sont propres s’il satisfait, en tant que collectif différencié, toutes les conditions d’existence de tels droits. Il se peut que des décennies d’application de la Loi sur les Indiens aient, dans certains cas, induit une dislocation des institutions traditionnelles et fait de la bande l’entité la plus à même de revendiquer la capacité de forger les pratiques foncières autochtones sur l’espace en cause au point d’en organiser l’occupation communautaire[36]. Toutefois, une société extractive — tout comme l’État d’ailleurs — qui devra faire face à des revendications distinctes émanant de groupes familiaux, ou de regroupements de familles, ne devra pas prendre ces revendications à la légère. Il faudra éviter de considérer que tout groupe autre que la bande ne représente que de simples « dissidents » dont les droits sont entièrement assujettis à la volonté de la communauté[37]. Lorsque le droit coutumier vivant accorde des prérogatives exclusives ou prioritaires à un sous-groupe, les droits de celui-ci devront être pris en considération, étant entendu que dans ce cas de figure les représentants de la bande ne pourront agir qu’à titre d’intermédiaire entre une entreprise et le sous-groupe dont l’assentiment sera requis.
Même si l’on suppose que, dans la majorité des cas, la communauté locale ou la bande sera considérée comme la titulaire ou la gestionnaire légitime des droits ancestraux, il importe de se pencher sur la question de savoir de quelle « bande » on parle au juste. La bande au sens de la Loi sur les Indiens est une entité définie par la loi fédérale et dont les droits et attributions découlent de cette loi[38]. De même, le « conseil de bande » créé par la Loi tient ses attributions de celle-ci qui ne régit pas les droits fonciers hors réserve. Par ailleurs, les droits ancestraux reconnus et confirmés par la loi fondamentale sont ceux d’un « peuple autochtone » et non ceux d’une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Le peuple autochtone est un collectif qui n’est pas créé par la common law, la loi fédérale ou la Constitution. En effet, les droits de groupe dont il est question sont des droits originaires dont la source est réputée extérieure et antérieure au droit de l’État[39]. La Cour suprême déclare que le « droit des Autochtones sur les terres qui grève le titre sous-jacent de la Couronne a une existence juridique indépendante[40] ». Le peuple autochtone titulaire d’un droit ancestral, parce qu’il est détenteur d’un patrimoine ou de droits juridiquement distincts de celui de ses membres, se trouve ipso jure investi d’une capacité juridique propre reconnue et confirmée par le droit étatique indépendamment des attributions de la bande et du conseil de bande créés par la Loi sur les Indiens[41].
Un conseil de bande ne peut donc s’autoriser de la Loi sur les Indiens pour conclure une ERA touchant la maîtrise foncière ou l’exercice d’activités qui relèvent d’un droit ancestral détenu par le « peuple autochtone » au sens de la common law et de la Loi constitutionnelle de 1982. Pourtant, en pratique ce sont souvent les conseils de bande qui négocient avec la Couronne et les promoteurs de projets extractifs et qui agissent au nom d’une communauté à l’occasion de consultations ou de la conclusion d’une ERA. La Cour fédérale prenait acte de ce fait dans une affaire où elle notait que les « Lax Kw’Alaams et les Metlakatla sont des bandes indiennes légalement constituées dont les chefs élus représentent régulièrement aujourd’hui les intérêts au titre de l’article 35 de la Nation Coast Tsimshian, notamment dans le cadre de la négociation de traités et de litiges connexes avec la Couronne[42] ». Il arrive toutefois que la légitimité et la représentativité des conseils de bande aux fins des interactions entre un peuple autochtone titulaire de droits ancestraux — ou porteur d’une revendication de tels droits — et la Couronne ou les promoteurs de projets extractifs soient contestées, notamment par des chefs héréditaires qui se considèrent comme les seuls détenteurs légitimes de la capacité de représentation du collectif titulaire des droits ancestraux. Ces chefs traditionnels estiment que le conseil de bande n’est qu’une simple créature de la loi fédérale exerçant des pouvoirs délégués limités aux seules terres de réserve[43]. Dans un dossier largement médiatisé, TransCanada a vu des chefs héréditaires désavouer une ERA conclue avec les conseils de bande wet’suwet’en en vue de la construction et de l’exploitation en Colombie-Britannique de l’oléoduc Coastal Gazlink, ce qui a mené au blocage de l’accès aux chantiers de construction de l’infrastructure[44].
Les tribunaux reconnaissent que la mise en place d’entités ayant vocation à représenter un peuple autochtone relativement à la reconnaissance, à la protection et à l’exercice de ses droits ancestraux relève de son autonomie interne[45]. Il paraît donc possible pour le peuple autochtone de choisir de confier à un conseil de bande la tâche de le représenter, non pas, dans ce cas de figure, en tant qu’organe statutaire fédéral, mais en tant qu’organisation servant de facto de véhicule au collectif juridique reconnu par la Constitution. Le peuple autochtone, exerçant son droit à l’autorégulation inhérent au droit ancestral, utilise pour des raisons pragmatiques et opérationnelles le conseil de bande comme porte-parole dans l’exercice de ses droits. Le conseil de bande est, dans ce contexte précis, le simple mandataire d’un collectif autoconstitué. La question de savoir si un conseil de bande est effectivement mandaté par un peuple autochtone pour le représenter aux fins de l’article 35 devra être examinée à la lumière des circonstances propres à chaque cas sans omettre de vérifier si le groupe que le conseil de bande prétend représenter est bel et bien le titulaire des droits ancestraux reconnus ou revendiqués.
En revanche, rien n’empêche le peuple autochtone de se donner un autre instrument que le conseil de bande aux fins de la revendication et de l’exercice de ses droits constitutionnellement protégés. Ces enjeux nouveaux de gouvernance autochtone émergeant dans le sillon de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 restent peu explorés en pratique par les communautés dont certaines peinent à s’affranchir de l’héritage de la Loi sur les Indiens. On voit donc l’importance pour quiconque négocie avec les Autochtones relativement aux droits ancestraux de s’intéresser à leurs mécanismes de gouvernance foncière afin de déterminer quel interlocuteur pourra engager les membres de la collectivité détentrice d’un droit ancestral. Une fois l’interlocuteur correctement déterminé, les parties devront aussi s’assurer que toute décision du groupe intéressé sera prise selon les règles et les normes de ce dernier[46]. Si l’ordre normatif autochtone exige par exemple le consensus des chefs de famille pour statuer sur l’exercice du titre aborigène, le non-respect de cette règle pourra être fatal.
Somme toute, force est de constater que les ERA soulèvent des questions de droit public de grande importance. Les relations entre les sociétés extractives et les peuples autochtones ne se limitent toutefois pas au sujet des ERA. De fait, comme nous le verrons dans la seconde partie de notre article, le droit public et le droit privé se rencontrent aussi dans le champ des relations extracontractuelles entre l’industrie et les Autochtones.
2 Les mésententes et les relations extra-contractuelles : la rencontre des droits autochtones et du droit privé québécois.
Plusieurs sociétés minières, gazières ou pétrolières mènent des activités d’extraction dans des territoires grevés de droits autochtones, ou faisant l’objet de revendications autochtones crédibles, sans avoir au préalable conclu d’ERA avec les groupes autochtones visés. Il faut en effet savoir que, sous réserve de certains cas particuliers[47], il n’existe pas d’obligation légale stricte pour une société de conclure une ERA avant d’entreprendre un projet, même si les incitations à le faire provenant des autorités peuvent parfois être fortes[48]. Il faudra alors voir quelles sont, en l’absence d’une relation contractuelle de la nature d’une ERA, les obligations et les responsabilités des sociétés extractives à l’égard des peuples autochtones relativement à leurs activités grevant l’exercice des droits ancestraux.
Le droit public déterminera tant la légalité que la portée des droits d’un concessionnaire à l’égard de la terre et des ressources lorsqu’existent des droits ancestraux autochtones. Les activités extractives seront soumises à l’ensemble du cadre légal et réglementaire applicable. Elles devront faire l’objet de toutes les autorisations requises, et toutes les conditions dont seront assorties ces autorisations devront être strictement respectées, y compris celles qui seront destinées à minimiser les impacts d’un projet sur la collectivité autochtone. Autrement dit, le droit public et statutaire imposera une gamme d’obligations et de contraintes qui s’imposeront à la société et qui bénéficieront, le cas échéant, aux Autochtones comme aux autres personnes visées. S’y ajoutera la dimension proprement constitutionnelle. Si, en raison de la compétence fédérale relative aux Indiens et aux terres qui leur sont réservées[49], on a pu douter à une certaine époque de la capacité des provinces de réglementer les droits fonciers et les activités relevant des droits ancestraux, la Cour suprême a statué dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in que la doctrine de l’exclusivité des compétences ne fait pas obstacle à l’opposabilité des lois provinciales d’application générale relatives aux terres et aux ressources. Ces dernières s’appliqueront aux terres autochtones et aux Autochtones à condition qu’elles ne portent pas atteinte aux droits ancestraux de manière injustifiée aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[50]. La plus haute juridiction du pays n’a toutefois pas été jusqu’à admettre qu’une province puisse opérer une extinction pure et simple de droits ancestraux en faveur de tiers[51].
L’annulation d’une concession ou de tout autre droit lié aux activités extractives, sur le fondement de la Loi ou des règlements, du partage fédératif des compétences ou de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mettra fin aux droits de la société visée[52]. La question de la responsabilité éventuelle de cette dernière à l’égard des Autochtones dont les droits ancestraux sont en cause se posera tout de même pour les activités réalisées avant que la concession ou tout autre droit d’extraction soit invalidé. Elle sera pertinente même si la concession est valide en droit public puisqu’il est possible que le droit privé régisse de manière complémentaire les activités des sociétés extractives de manière à concourir, avec le droit public, à la protection des droits des Autochtones.
Ce scénario nous oblige à revenir brièvement sur le terrain du droit constitutionnel pour préciser d’entrée de jeu que, la Cour suprême ayant accepté dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in qu’une loi provinciale d’application générale soit constitutionnellement applicable à l’exercice des droits ancestraux si elle respecte par ailleurs les exigences de l’article 35, le droit provincial relatif à la responsabilité civile s’appliquera, sous réserve de l’article 35, aux relations entre les particuliers et un peuple autochtone relativement à un conflit mettant en cause la jouissance et l’exercice des droits ancestraux. D’ailleurs dans l’arrêt Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts)[53], la Cour surpême avait déjà souligné que l’inapplicabilité aux particuliers de l’obligation de consulter et d’accommoder, qui sont des conditions de l’honneur de la Couronne, ne signifie nullement que les entreprises sont à l’abri de toute poursuite en responsabilité civile relativement à leur conduite sur un territoire revendiqué par un peuple autochtone :
Le fait que les tiers n’aient aucune obligation de consulter les peuples autochtones ou de trouver des accommodements à leurs préoccupations ne signifie pas qu’ils ne peuvent jamais être tenus responsables envers ceux-ci. S’ils font preuve de négligence dans des circonstances où ils ont une obligation de diligence envers les peuples autochtones, ou s’ils ne respectent pas les contrats conclus avec les Autochtones ou traitent avec eux d’une manière malhonnête, ils peuvent être tenus légalement responsables. Cependant, les tiers ne peuvent être jugés responsables de ne pas avoir rempli l’obligation de consulter et d’accommoder qui incombe à la Couronne[54].
La plus haute juridiction canadienne estime donc que le droit général de la responsabilité délictuelle est d’emblée à la disposition d’un peuple autochtone afin de compléter le régime de protection découlant de l’article 35. Dans une affaire où la société Alcan était poursuivie sur le fondement du droit des « torts », la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a adopté le même point de vue en statuant que, « while third parties cannot be held liable for failing to discharge the Crown’s duty to consult and accommodate, that does not mean that they can never be held liable for infringement of Aboriginal rights[55] ». Autrement dit, si l’obligation d’agir honorablement et de justifier une atteinte aux droits ancestraux en vertu de l’article 35 incombent en propre à la Couronne sous l’empire du droit public, les droits fonciers des Autochtones sont juridiquement opposables à tous, y compris aux particuliers qui peuvent donc être poursuivis en droit privé à la faveur d’un recours autonome par rapport à tout recours en dommages-intérêts contre l’État[56]. Il sera néanmoins utile et parfois nécessaire au débat judiciaire que le Procureur général comparaisse au dossier[57].
En définitive, la protection des droits ancestraux autochtones peut trouver dans le droit de la responsabilité civile un fondement distinct et complémentaire. La Cour supérieure du Québec a donc eu raison de refuser d’écarter à l’étape préliminaire une poursuite en dommages intentée par les Innus contre la société Iron Ore, poursuite fondée sur la responsabilité civile extracontractuelle ou les troubles de voisinage aux termes de l’article 976 du Code civil du Québec[58].
2.1 La responsabilité extracontractuelle des sociétés extractives basée sur la faute civile
Le régime général de responsabilité civile au Québec exige la preuve d’un comportement fautif ayant causé un préjudice à autrui[59]. Lorsqu’une société extractive a dûment obtenu de l’État toutes les autorisations requises pour réaliser son projet, sa présence et ses activités sur le territoire, conformément à la loi mais sans l’autorisation préalable de la collectivité autochtone, ne sauraient dans tous les cas être tenues pour fautives au sens du droit privé. On pourra difficilement imputer un délit civil à la société qui ne savait pas ni ne pouvait raisonnablement savoir qu’un peuple autochtone détenait ou revendiquait de manière crédible des droits ancestraux sur les terres ou les ressources visés par la concession consentie par les autorités. Le fait que la société savait ou aurait raisonnablement pu savoir qu’un peuple autochtone revendique ou détient des droits ancestraux sur les terres qu’elle exploite devrait-il rendre automatiquement ses activités fautives, alors même que les autorités gouvernementales lui ont préalablement octroyé tous les droits nécessaires à la poursuite de ces activités ? Il serait étonnant que les tribunaux jugent dans tous les cas qu’une entreprise engagera sa responsabilité civile dès lors qu’elle exerce, sans s’être d’abord entendue avec le peuple autochtone visé, des droits lui ayant d’ores et déjà été accordés par l’État. Ce dernier est en effet le gestionnaire des terres publiques, ce qui lui impose d’arbitrer et de coordonner les affectations de ces terres. Il lui incombe au premier chef de concilier la souveraineté de Sa Majesté avec la préexistence des peuples autochtones sur le territoire. On ne peut toutefois exclure l’hypothèse que les circonstances dans lesquelles une concession est accordée, ou les conditions sous réserve desquelles elle est octroyée[60], soient telles que le concessionnaire manquerait de diligence s’il s’en prévalait sans d’abord s’entendre ou négocier avec le peuple autochtone visé.
Si, en revanche, une entreprise extractive commet une faute dans le déroulement quotidien de ses activités, elle engage sa responsabilité lorsque cette faute entraîne un préjudice pour les Autochtones. La simple autorisation légale et administrative d’une activité extractive ne confère pas en tant que telle une immunité à l’égard de poursuites en droit privé, puisque la Cour suprême a explicitement statué que la volonté législative d’écarter le droit commun doit être claire et précise et qu’elle ne peut être inférée de l’autorisation administrative en soi[61].
Des poursuites en responsabilité civile intentées par des communautés autochtones contre des entreprises privées cheminent actuellement devant les tribunaux dans les provinces de common law[62] et au Québec[63]. Dans ces affaires, il est allégué que les activités des défenderesses ont porté préjudice aux droits ancestraux ou issus d’un traité des demanderesses et ainsi engagé leur responsabilité extracontractuelle en vertu du droit provincial.
Il convient de mentionner ici qu’en droit québécois de la responsabilité civile, à tout le moins, il n’est pas strictement nécessaire qu’un demandeur autochtone fasse la preuve d’un titre aborigène ou de droits ancestraux relativement au territoire pour avoir gain de cause dans le contexte d’une poursuite en dommages-intérêts pour faute. En effet, il devrait suffire qu’un Autochtone démontre que ses activités légitimes sur le territoire ont été entravées fautivement par la société défenderesse et de manière à lui causer un préjudice. Le fondement juridique spécifique de ses activités n’a pas à être les droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Si toutefois la partie demanderesse insiste pour obtenir réparation en tant que « peuple autochtone », c’est-à-dire à titre de collectif autochtone détenant un patrimoine et des droits distincts de ceux des individus qui le composent, l’invocation des droits précisément reconnus aux peuples autochtones s’imposera.
Devant les tribunaux, certaines sociétés contre lesquelles des recours en responsabilité ont été introduits ont argué que de tels recours devraient être jugés irrecevables dès lors qu’ils allèguent des droits dont l’existence n’a pas encore été reconnue par les autorités gouvernementales ou les tribunaux. C’est à bon droit que ces requêtes en irrecevabilité ont en général été refusées[64]. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 « reconnaît et confirme » les droits ancestraux, y compris le titre aborigène, des peuples autochtones. La terminologie employée par le constituant n’est pas fortuite, car le principe de « reconnaissance » précise que le droit étatique rend légitime et effective une situation préexistante. C’est ainsi que les droits ancestraux ne puisent pas leur source dans une concession, une attribution de l’État ou un jugement des tribunaux, mais dans la validation par la common law de droits dont les origines leur sont en principe extérieures[65]. La Cour suprême a rappelé dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in que les droits ancestraux sont antérieurs même à l’affirmation de souveraineté et qu’ils lui ont survécu[66].
En outre, le fait qu’au moment des événements qui lui sont reprochés l’entreprise ne savait peut-être pas que la collectivité autochtone était techniquement titulaire de droits ancestraux préexistants ne rendra pas moins fautives des activités extractives qui, par hypothèse, auraient imprudemment fait obstacle aux activités traditionnelles des Autochtones sur le territoire. Après tout, lorsqu’elle est en activité dans un milieu utilisé de longue date par des familles autochtones qui dépendent au moins partiellement de ce territoire pour leur subsistance et leur mode de vie, une société extractive ne peut agir comme si ce territoire était inoccupé ou sans importance pour les Autochtones.
Dès lors, une poursuite en dommages-intérêts pour faute en vertu de l’article 1457 du Code civil du Québec reste possible à l’encontre d’une société extractive par ailleurs titulaire de toutes les autorisations prévues par la loi.
2.2 La responsabilité des sociétés extractives sans égard à la faute : les troubles de voisinage
Le recours pour troubles de voisinage découle de l’article 976 du Code civil du Québec[67]. La responsabilité résulte de l’usage d’un fonds qui cause à l’occupant d’un fonds voisin des troubles et des inconvénients excédant le seuil de ce qui est normalement tolérable dans les circonstances particulières de l’affaire[68]. La Cour suprême a fait sienne l’interprétation voulant que les troubles de voisinage engendrent une responsabilité sans égard à la faute[69]. Les parties à un litige de voisinage n’ont pas à être propriétaires de l’un ou l’autre des fonds voisins[70] : il suffit qu’elles aient à l’égard des fonds en question un lien qui permettra de les qualifier d’« occupants[71] ». Or il n’est pas contestable qu’un peuple autochtone titulaire de droits ancestraux sur les terres de la Couronne constitue un occupant et un usager légitime du fonds au sens du Code civil.
Si l’on présume que le peuple en question détient un titre aborigène sur le secteur avoisinant le site des opérations d’extraction, il y possède a priori une maîtrise exclusive du sol[72]. Tout en soulignant la singularité du titre autochtone qui « n’équivaut pas à la propriété en fief simple et […] ne peut pas non plus être décrit au moyen des concepts traditionnels du droit des biens[73] », la Cour suprême en résume comme suit les attributs :
Le titre ancestral confère des droits de propriété semblables à ceux associés à la propriété en fief simple, y compris le droit de déterminer l’utilisation des terres, le droit de jouissance et d’occupation des terres, le droit de posséder les terres, le droit aux avantages économiques que procurent les terres et le droit d’utiliser et de gérer les terres de manière proactive.
Cependant, le titre ancestral comporte une restriction importante – il s’agit d’un titre collectif détenu non seulement pour la génération actuelle, mais pour toutes les générations futures. Cela signifie qu’il ne peut pas être cédé, sauf à la Couronne, ni être grevé d’une façon qui empêcherait les générations futures du groupe d’utiliser les terres et d’en jouir. Les terres ne peuvent pas non plus être aménagées ou utilisées d’une façon qui priverait de façon substantielle les générations futures de leur utilisation[74].
La Cour suprême qualifie en outre le groupe détenteur du titre ancestral de « propriétaire foncier » en affirmant que, « tout comme les autres propriétaires fonciers, les titulaires du titre ancestral des temps modernes peuvent utiliser leurs terres de façon moderne, s’ils le veulent[75] ». Pour sa part, la Cour d’appel du Québec insiste sur les particularismes du titre aborigène qu’elle refuse d’assimiler à un droit de propriété au sens du droit des biens en affirmant que le « titre aborigène ne confère pas un droit de propriété des terres visées, au sens du droit civil ou de la common law, la Couronne en conservant le titre, qui est grevé des droits autochtones préexistants à l’exercice de la souveraineté par la Couronne[76] ». La question posée par l’article 976 du Code civil n’est cependant pas de savoir si le peuple autochtone peut être considéré comme le « propriétaire » du fonds au sens du droit civil québécois[77], mais s’il en est l’occupant légitime. Le titre emporte la maîtrise exclusive de la terre et des ressources qui s’y trouvent, donc une véritable tenure foncière, ce qui suffit pour que le groupe titulaire jouisse de la protection contre les troubles de voisinage même si la Couronne conserve le titre sous-jacent des terres visées[78].
Il se peut que les droits ancestraux détenus par les Autochtones soient des droits d’usage et de prélèvement qui grèvent les terres appartenant à la Couronne. Certaines « coutumes, pratiques ou traditions » donneront lieu en effet à des droits ancestraux de prélever et d’utiliser des ressources naturelles (renouvelables ou non) à certaines fins particulières dans un secteur donné correspondant au territoire ancestral d’un peuple autochtone[79]. Il pourra s’agir de droits de prélèvement minéral, forestier, hydrique, végétal, halieutique, cynégétique, etc. La Cour suprême parle d’« activités particulières » pour décrire l’objet de ces droits[80]. Ces activités sont des pratiques actuelles, mais qui correspondent à une évolution logique, sur le plan fonctionnel et technique, des « coutumes, pratiques et traditions » qui faisaient partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone ancestral[81]. En conséquence, à l’opposé du titre aborigène, la nature et la portée des droits des différents groupes autochtones ne sont pas uniformes[82].
Ainsi, des terres de la Couronne peuvent être exemptes de « titre » ancestral, mais se trouver grevées de droits d’usage et de prélèvement des ressources[83]. En outre, comme l’indique la Cour suprême, « [u]n droit ancestral, une fois établi, englobe généralement d’autres droits nécessaires à son exercice réel[84] ». Les droits afférents aux ressources emportent inévitablement des droits corollaires sur l’espace, tel un droit d’accès, d’occupation temporaire et de passage sur le fonds de terre[85]. Le droit afférent à une ressource principale donne probablement aussi, par ricochet, le droit de prélever des ressources secondaires (bois, végétaux, eau, gravier, etc.) dont l’usage est raisonnablement lié à l’exercice du droit sur la ressource primaire. Considérant ce faisceau de droits, les Autochtones titulaires de droits non exclusifs de prélèvement et d’usage des terres et des ressources seront des occupants et des usagers légitimes du fonds de la Couronne et ils seront, à ce titre, habilités à invoquer l’article 976 du Code civil à l’encontre de l’occupant du fonds voisin.
Encore faudra-t-il toutefois qu’un tel fonds existe. L’application de l’article 976 suppose une configuration foncière précise, à savoir l’existence d’au moins deux fonds voisins, donc le voisinage d’emprises ou de maîtrises foncières distinctes sur le plan juridique. La Cour suprême estime que l’enjeu du trouble de voisinage est de préserver l’« équilibre entre les droits des propriétaires ou occupants de fonds voisins[86] ». Des personnes se trouvant sur le même fonds n’ont logiquement pas vocation à se prévaloir de cette disposition. Il faut donc déterminer si l’on observe la dualité ou la pluralité de fonds requise par le Code civil lorsqu’une société est titulaire de droits d’extraction sur le territoire traditionnel d’un peuple autochtone. Ces protagonistes occupent-ils deux fonds voisins ? L’espace concédé à la société extractive constitue-t-il un « fonds » au sens du Code civil, qui sera distinct de celui de la Couronne ou de celui du peuple autochtone si ce dernier détient le titre aborigène ?
Il faut, pour répondre à ces questions, considérer qu’un « fonds » est un terrain sur lequel porte un droit principal de propriété et non un simple droit réel sur un fonds[87]. Si l’on examine, à titre d’exemple, les droits concédés aux termes de la Loi sur les mines[88], il paraît clair que la société concessionnaire obtient des droits réels sur le fonds. Plusieurs dispositions de la Loi viennent étayer cette assertion. Par exemple, l’article 8 déclare ceci : « Sont des droits réels immobiliers les droits miniers conférés au moyen des titres suivants : claim ; bail minier ; concession minière ; bail d’exploitation de substances minérales de surface. » L’article 9 énonce que tout « droit minier, réel et immobilier constitue une propriété distincte de celle du sol sur lequel il porte ».
Par ailleurs, l’article 105 de la Loi sur les mines dispose que, « sous réserve des restrictions de la présente section, le locataire et le concessionnaire ont, sur le terrain qui fait l’objet du bail ou de la concession, les droits et obligations d’un propriétaire[89] ». Les obligations d’un propriétaire auxquelles il est fait référence devraient comprendre celle qu’impose l’article 976 du Code civil. De plus, il n’est pas exclu que, si la société extractive jouit de la pleine propriété des installations et des infrastructures minières érigées sur le site, on estime qu’il existe un fonds distinct aux fins du Code civil. Le professeur Sylvio Normand évoque l’hypothèse d’une propriété superficiaire :
Il est vraisemblable que le fonctionnement normal de l’accession est entravé. Il en découle que le concessionnaire devient propriétaire superficiaire des constructions et des ouvrages (installations et infrastructures minières immobilières) qu’il a érigés sur le site. Suivant ce cas de figure, il existe alors deux immeubles distincts qui se situent, l’un par rapport à l’autre, sur un plan vertical : la superficie et le tréfonds[90].
Nous ne traitons ici que de l’exemple des droits miniers de sorte que le régime foncier propre aux autres activités extractives, telles que les exploitations gazières ou pétrolières, devra être examiné afin de vérifier l’existence des « fonds voisins » dont dépend l’application de l’article 976 du Code civil.
Si la société extractive détient sur un terrain une forme de propriété constitutive d’un fonds voisin de celui qui est occupé ou utilisé par le peuple autochtone, ce dernier sera autorisé à réclamer de cette société des dommages-intérêts pour ce qui se rapporte au préjudice excédant les inconvénients normaux de voisinage, et ce, sans égard au caractère fautif ou non des opérations. Le Code civil précise par ailleurs que le trouble de voisinage s’apprécie « suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux[91] ». L’impact des activités extractives devra donc être jaugé en tenant compte de leur incidence sur un environnement et des ressources particuliers dont dépendent étroitement le mode de vie, la culture et la spiritualité des Autochtones visés.
2.3 La responsabilité en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne
L’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne énonce que « [t]oute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi[92] ». Aux termes de son article 49, une « atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de l’atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte ». L’auteur d’une atteinte illicite et intentionnelle peut en outre être condamné à verser des dommages-intérêts punitifs en vertu de l’article 49 (2).
Le recours fondé sur la Charte québécoise présente des caractéristiques uniques qui seront potentiellement d’intérêt pour un peuple autochtone. Il inscrit d’abord la question des droits autochtones dans le champ des droits fondamentaux conformément à l’approche qui règne dans les instruments internationaux. Ensuite, il vient complémenter la régime général de responsabilité pour faute en permettant à la victime d’obtenir des dommages punitifs dans le cas des atteintes les plus graves et, de surcroît, il offre vraisemblablement une voie de recours sans égard à la faute dans des situations qui ne tombent pas rigoureusement dans le champ d’application de l’article 976 du Code civil, mais qui sont analogues.
Aux termes de l’article 6 de la Charte québécoise, « toute personne » est titulaire du droit qu’elle protège, ce qui doit comprendre un peuple autochtone détenteur d’un droit ancestral sur la terre et les ressources, car celui-ci forme un collectif doté de la capacité juridique nécessaire à l’exercice et à la jouissance effective de ses droits propres. Il constitue donc « une personne » au sens de la Charte québécoise. Les membres du groupe titulaire de droits ancestraux pourraient en outre détenir un intérêt dérivé de celui du groupe suffisamment individualisé pour leur conférer la qualité pour agir en leur nom propre[93].
Par ailleurs, la notion de « bien » au coeur de l’article 6 de la Charte québécoise possède l’amplitude requise pour protéger les droits autochtones qui, malgré leur source et leurs attributs singuliers par rapport au droit général des biens, devraient recevoir le même traitement que les autres droits afférents à la terre et aux ressources[94]. Le droit ancestral foncier confère « un pouvoir juridiquement protégé sur une chose[95] » et représente donc un intérêt patrimonial. Le fait que, par hypothèse, les droits ancestraux n’entrent pas dans les catégories canoniques du droit général des biens ne devrait pas mettre en échec l’invocabilité de l’article 6. Une charte des droits n’est pas réductible au droit commun, tel que l’a notamment décidé le Conseil constitutionnel français au moment d’interpréter les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui traitent du droit de propriété. La juridiction constitutionnelle a opté « très fermement en faveur d’une “autonomisation” du droit constitutionnel de propriété à l’égard des règles classiques du droit civil[96] ».
Il faut en outre éviter d’appliquer la Charte québécoise d’une manière défavorable aux Autochtones en leur offrant une protection moindre que celle qui est offerte aux autres pour le motif qu’ils détiennent des droits irréductiblement autochtones éludant toute appréhension civiliste et ne pouvant, pour cette raison, constituer un « bien ». Cet impératif d’égalité à l’égard des Autochtones dans l’interprétation des instruments de protection des droits a d’ailleurs été affirmé sans équivoque par les instances et les tribunaux internationaux. Ces derniers ont statué que la protection des « biens » inscrite dans une charte des droits s’étend aux droits singuliers des peuples autochtones sur la terre et les ressources.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) n’a pas hésité à répondre par l’affirmative lorsqu’elle a été appelée à décider si l’article 21 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, aux termes duquel « [t]oute personne a droit à l’usage et à la jouissance de ses biens[97] », s’étend aux titres autochtones découlant de l’occupation traditionnelle de leurs terres ancestrales. La CIDH affirme être « d’avis que le droit de propriété protégé par l’article 21 de la Convention comprend, entre autres, les droits des membres des communautés autochtones découlant de la propriété collective[98] ». Selon la CIDH, les droits découlant des régimes fonciers traditionnels autochtones sont dignes du même respect que la propriété occidentale de type individualiste. À cet égard, la CIDH écrit :
En outre, cette cour considère que les communautés autochtones peuvent avoir une compréhension collective du concept de propriété et de possession, dans le sens où la propriété foncière « n’est pas centrée sur un individu mais plutôt sur le groupe et la communauté ». Cette notion de propriété et de possession de la terre ne correspond pas nécessairement au concept classique de propriété, mais mérite une égale protection aux termes de l’article 21 de la Convention américaine. Ne pas tenir compte des modes singuliers d’utilisation et de jouissance de la propriété qui trouvent leurs sources dans les cultures, usages, coutumes et croyances de chaque peuple reviendrait à soutenir qu’il n’y a qu’une seule manière d’utiliser et de disposer de la propriété, ce qui rendrait la protection de l’article 21 de la Convention illusoire pour des millions de personnes[99].
À l’instar de la CIDH, les instances de mise en oeuvre de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (communément appelée Convention européenne des droits de l’Homme)[100] ont eu à connaître de certaines affaires comportant une revendication autochtone à l’égard de la terre et des ressources fondée sur l’article premier du Protocole no 1 de la Convention qui affirme que « [t]oute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens[101] ». Dans l’affaire Könkäma et autres c. Suède[102], la Commission européenne admet que des droits de chasse et de pêche revendiqués par les Saamis « peuvent être considérés comme des biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1[103] ». Cette conception autonome et large de la propriété, ouverte au particularisme culturel autochtone, a été confirmée par la Cour européenne des droits de l’Homme qui conclut que des droits de pâturage des rennes, de chasse et de pêche revendiqués par des Autochtones relèvent de la notion de « bien » au sens de la Convention[104].
Il n’existe pas de motif décisif permettant d’interpréter autrement l’article 6 de la Charte québécoise qui est un instrument vivant capable de s’adapter à l’évolution des contextes et des conditions dans lesquelles se posent les problèmes de respect des droits et libertés au Québec. S’il est vrai que la protection de l’article 6 est sujette à une dérogation législative en raison des mots « sauf dans la mesure prévue par la loi », il faut se rappeler que la simple légalité d’une activité extractive découlant d’une autorisation administrative n’est pas considérée comme une mise à l’écart législative des obligations découlant du Code civil. Il en ira ainsi des obligations issues de la Charte québécoise.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, outre la possibilité d’obtenir des dommages punitifs en cas d’atteinte intentionnelle, l’intérêt de l’article 6 pour un peuple autochtone résidera dans le potentiel protecteur de la Charte québécoise dans des situations analogues à celles qui sont envisagées par l’article 976 du Code civil, mais qui ne présenteraient pas exactement la configuration foncière correspondant à une dualité ou à une pluralité de « fonds voisins ». Si, pour des raisons liées soit au régime foncier qui découle de la législation régissant l’industrie extractive, soit au régime particulier des droits ancestraux, il fallait conclure à l’inapplicabilité du régime de responsabilité pour troubles de voisinage sans égard à la faute prévu dans le Code civil, l’article 6 de la Charte québécoise serait à même de pallier cette carence et d’éviter toute injustice à l’égard des peuples autochtones, et ce, en leur offrant une réparation pour des inconvénients disproportionnés subis dans la jouissance de leur bien en raison d’activités extractives sur leur territoire ancestral.
La question du rapport entre la Charte québécoise et le droit de la responsabilité civile au Québec a fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Dans l’affaire Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., la Cour suprême affirme que « le recours offert par l’art. 49 de la Charte, dans la mesure où il confère la faculté de réclamer des dommages-intérêts compensatoires et exemplaires, est un recours en responsabilité civile[105] ». Elle réitérera cette position dans sa jurisprudence ultérieure en soulignant la « continuité historique et conceptuelle entre le droit de la responsabilité civile et la Charte québécoise[106] » et le fait que les « principes généraux de la responsabilité civile servent toujours de point de départ pour l’octroi de dommages-intérêts compensatoires à la suite d’une atteinte à un droit[107] ». C’est ainsi que le concept de faute civile a joué un rôle important dans l’application de l’article 49[108].
La Cour suprême, toutefois, n’a pas exclu que l’article 49 de la Charte québécoise puisse enrichir le régime de la responsabilité civile afin d’assurer une protection efficace des droits et libertés. Autrement dit, tout en participant du régime de la responsabilité civile, la Charte québécoise peut contribuer à son développement en conformité avec les valeurs et les principes du droit québécois. Par exemple, la Cour suprême a jugé recevable un recours sous l’empire de la Charte québécoise, même lorsque les conditions classiques de la responsabilité civile n’étaient pas toutes respectées, en exemptant le demandeur de prouver le préjudice et le lien de causalité dans le contexte de l’article 49 (2)[109]. Bien que la Cour suprême ait traité alors du cas précis des dommages punitifs qui sont expressément autorisés par la Charte québécoise, elle s’est appuyée sur des principes d’ordre général invocables dans d’autres situations lorsque les circonstances exigent des tribunaux qu’ils fassent preuve de flexibilité. Ainsi, la Cour suprême assoit l’autonomie matérielle du recours pour dommages punitifs sur des fondements allant bien au-delà du texte de l’article 49 (2) en affirmant que cette autonomie « ressort aussi bien du texte de l’art. 49 que des finalités distinctes de la mise en oeuvre de la Charte, ainsi que de la nécessité de laisser à celle-ci toute la souplesse nécessaire à la conception des mesures de réparation adaptées aux situations concrètes[110] ». Il en résulte, selon la Cour suprême, qu’un recours comme celui qui découle de l’article 49 (2) peut « viser des actes et des conduites qui ne cadrent pas avec la notion de faute civile, ne tombant pas ainsi dans le domaine d’application du régime général de responsabilité civile du Québec[111] ». La Cour suprême ajoute que, en « raison de son statut quasi constitutionnel, ce document […] a préséance, dans l’ordre normatif québécois, sur les règles de droit commun[112] » et qu’appliquer de manière mécanique les conditions générales du droit commun « revient à assujettir la mise en oeuvre des droits et libertés que protège la Charte aux règles des recours de droit civil. Rien ne justifie que soit maintenu cet obstacle[113]. »
Il paraît alors légitime de s’inspirer des principes du droit civil québécois pour les adapter aux exigences de situations nouvelles mettant en cause les droits des peuples autochtones. La continuité conceptuelle entre le droit de la responsabilité civile et la Charte québécoise ne s’oppose pas à la reconnaissance, dans le contexte de l’article 6, d’une responsabilité sans égard à la faute au profit d’un peuple autochtone dans un cas de figure ne comportant pas techniquement l’existence d’une dualité ou d’un pluralité de fonds au sens strict de l’article 976 du Code civil. Les tribunaux devraient dès lors se montrer ouverts à la reconnaissance en faveur d’un peuple autochtone détenant des droits ancestraux — et qui serait victime d’inconvénients anormaux dans la jouissance de ces droits — d’un régime de responsabilité sans égard à la faute en vertu des articles 6 et 49 de la Charte québécoise en présence d’une situation de proximité foncière analogue mais non identique au voisinage exigé par l’article 976 du Code civil.
2.4 Les immunités et la prescription
Le particulier contre qui est intenté un recours en responsabilité civile pour atteinte préjudiciable aux droits ancestraux d’un peuple autochtone voudra légitimement se prévaloir de tous les moyens de défense juridiquement admissibles. Le moyen le plus complet prendrait la forme d’une immunité découlant de la loi. Cependant, même en présence d’une volonté législative claire de protéger une société extractive de toute poursuite en responsabilité civile, un peuple autochtone pourrait, dans certains cas, contester une telle immunité s’il parvenait à établir ses droits ancestraux et les conséquences préjudiciables des activités de l’entreprise sur l’exercice de ces droits. Même si, du point de vue du partage fédératif des compétences, une immunité prescrite par une loi provinciale d’application générale serait constitutionnellement applicable dans la foulée de la décision dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in[114], elle risquerait fort de se heurter à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, lorsque les activités d’exploitation nuisent substantiellement à l’accès à la terre et aux ressources à l’égard desquelles un peuple autochtone détient un droit ancestral, empêcher les Autochtones d’intenter un recours en responsabilité civile en vue d’obtenir la réparation du préjudice subi reviendrait à permettre à des particuliers de priver impunément les Autochtones de la pleine jouissance de leurs droits ancestraux, ce qui constituerait à une première vue une atteinte à ces droits au sens de l’article 35. Ce serait une diminution « appréciable[115] » ou « significative[116] » des avantages découlant des droits ancestraux. L’État ou toute partie intéressée devrait alors justifier une telle atteinte en démontrant qu’elle satisfait aux critères rigoureux énoncés par la Cour suprême[117].
Le défendeur invoquera en outre les règles habituelles de prescription. Il semble bien qu’elles trouveront application dès lors qu’elles offrent au peuple autochtone qui s’estime lésé une possibilité raisonnable de faire valoir ses droits ancestraux. En s’appuyant sur l’arrêt Nation Tsilhqot’in, une cour d’appel a correctement jugé que les prescriptions prévues par le droit provincial sont constitutionnellement applicables à un recours en dommages-intérêts intenté contre une société de la Couronne provinciale pour atteinte aux droits issus d’un traité[118]. Dans d’autres affaires ne concernant pas les droits ancestraux des Autochtones, les tribunaux ont appliqué les délais usuels de prescription même lorsque le recours en dommages-intérêts s’appuyait sur un manquement à des normes constitutionnelles[119]. Une approche identique a été adoptée dans le cas de poursuites civiles fondées sur l’article 24 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés qui confère à la victime d’une violation de cette charte le droit de s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation[120]. Ces derniers n’ont toutefois pas encore statué sur le cas de délais de prescription qui seraient si courts qu’ils n’offriraient à un justiciable diligent aucune possibilité réaliste d’agir et constitueraient dans les faits des immunités déguisées. Cette possibilité préoccupe les tribunaux de sorte que plusieurs cours d’appel ont refusé d’exclure qu’un demandeur puisse démontrer qu’un délai de prescription excessivement bref constitue une entrave inconstitutionnelle au droit de demander réparation pour une violation de la Charte canadienne[121].
Cette réticence à cautionner des immunités indirectes paraît tout à fait conforme au statut constitutionnel des droits dont la sanction ne peut être neutralisée en pratique par le législateur. Elle sera également à propos lorsqu’il est question de la prescription des recours en dommages-intérêts contre des particuliers pour une atteinte préjudiciable aux droits ancestraux qui sont reconnus et confirmés par la Constitution. Ainsi, ces recours devront être intentés dans les temps normalement prévus par la loi, sous réserve de la possibilité pour le peuple autochtone visé de démontrer que le délai prévu par la loi ne permet pas raisonnablement d’obtenir la sanction des droits ancestraux et équivaut donc à une immunité attentatoire aux droits ancestraux au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Si une telle démonstration était faite, il incomberait, pour que le délai prévu par la loi soit néanmoins opposable aux demandeurs, à la partie intéressée d’établir la justification de cette atteinte en application des critères dégagés par la Cour suprême.
Conclusion
Les quelques éléments d’analyse proposés dans notre étude avaient davantage pour objet d’engager la réflexion que de traiter de l’ensemble des questions soulevées par la rencontre du droit public et du droit privé sur le terrain des droits des peuples autochtones[122]. En ce qui concerne la dimension extracontractuelle des relations entre les sociétés extractives et les Autochtones, nous pouvons d’emblée conclure que le droit privé québécois aura un rôle à jouer dans la protection des droits ancestraux des peuples autochtones sur la terre et les ressources. Sans annexer ni dénaturer le régime sui generis de ces droits tel qu’il a émergé dans la sphère du droit public, le droit privé québécois de la responsabilité est à même de les accueillir et de les sanctuariser à sa manière. À cet égard, la garantie de libre jouissance des biens inscrite dans la Charte québécoise pourra être un lieu privilégié de dialogue entre les droits autochtones et le droit privé au Québec, à condition que l’on rende cette charte perméable à la singularité foncière autochtone tel que le commande le principe de non-discrimination.
Sur le plan contractuel, nous constatons que le droit public ne fait nullement obstacle à la conclusion des contrats particuliers que sont les ERA. Le droit des contrats apparaît plutôt comme un des instruments à la disposition d’un peuple autochtone pour la mise en oeuvre de son autonomie et la poursuite libre de son développement économique et social. Toutefois, les conséquences de la difficulté de préciser le titulaire légitime des droits ancestraux sur l’opposabilité de ces contrats en droit privé ne devraient pas être sous-estimées.
Parties annexes
Notes
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[1]
Un ouvrage précurseur s’est toutefois penché dès 1992 sur les rapports entre le droit civil et les droits autochtones. Voir Association Henri-Capitant, Droit civil et droits autochtones : confrontation ou complémentarité, Outremont, Association Henri-Capitant, Section québécoise, 1992.
-
[2]
Voir Ginger Gibson et Ciaran O’Faircheallaigh, « IBA Community Toolkit. Negotiation and Implementation of Impact and Benefit Agreements », Walter & Duncan Gordon Foundation, 2010, [En ligne], [www.afoa.ca/afoadocs/L3/L3a%20-%20IBA_toolkit_March_2010_low_resolution.pdf] (23 janvier 2019). Voir aussi : Brad Gilmour et Bruce Mellett, « The Role of Impact and Benefit Agreements in the Resolution of Project Issues with First Nations », (2013) 51 Alta. L. Rev. 385 ; Woodward & Company, « Benefit Sharing Agreements in British Columbia : A Guide for First Nations, Businesses, and Governments », [En ligne], [www2.gov.bc.ca/assets/gov/farming-natural-resources-and-industry/natural-resource-use/land-water-use/crown-land/land-use-plans-and-objectives/westcoast-region/great-bear-rainforest/hw03b_benefit_sharing_final_report.pdf] (23 janvier 2019) ; Sophie Thériault, « Repenser les fondements du régime minier québécois au regard de l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder les peuples autochtones », (2010) 6 Rev. int. dr. & pol. dev. dur. McGill 217, 224 ; Jean M. Gagné et Émilie Bundock, « La mise en oeuvre des ententes entre les promoteurs de projets miniers et les communautés autochtones. Tendances et meilleures pratiques », dans C. Krolik (dir.), préc., note introductive, p. 179.
-
[3]
Ressources naturelles Canada a élaboré une carte interactive des ERA. Voir Ressources naturelles Canada, « Ententes minières avec les autochtones. Secteur des terres et des minéraux », [En ligne], [www.atlas.gc.ca/imaema/fr/index.html] (23 janvier 2019).
-
[4]
Une ERA a été qualifiée de « legally binding contract » par le tribunal dans l’affaire Cabana v. Newfoundland and Labrador, 2013 NLTD(G) 115, 340 Nfld. & P.E.I.R. 113 (N.L. S.C.), par. 19 (renversée pour d’autres motifs).
-
[5]
Voir, par exemple, l’affaire Kikiqtani Inuit Association v. Baffinland Iron Mines Corporation, [2018] 2 C.N.L.R. 151, par. 174-180 (T.A.).
-
[6]
Le moment du contact est la période de référence pour mettre en évidence les pratiques susceptibles de faire l’objet de droits ancestraux autres qu’un titre foncier : voir notamment l’arrêt Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), [2011] 3 R.C.S. 535, 2011 CSC 56. Lorsque le droit ancestral revendiqué à l’égard des terres est le titre foncier appelé « titre aborigène », l’occupation de ces terres au moment de l’affirmation de la souveraineté européenne sera prise en considération. Voir notamment : Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010 (ci-après « arrêt Delgamuukw ») ; Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, [2014] 2 R.C.S. 256, 2014 CSC 44 (ci-après « arrêt Nation Tsilhqot’in »). Pour une étude en langue française du titre aborigène et des autres droits ancestraux, voir notamment Ghislain Otis, « Le titre aborigène : émergence d’une figure nouvelle et durable du foncier autochtone ? », (2005) 46 C. de D. 795.
-
[7]
Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), [2013] 1 R.C.S. 623, 2013 CSC 14, par. 72.
-
[8]
L’article 35 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.), se lit comme suit : « Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés. » La Cour suprême a statué que cette disposition impose à l’État l’obligation de ne pas porter atteinte aux droits des Autochtones de manière injustifiée : voir l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075.
-
[9]
La plus haute juridiction canadienne a jugé que l’affirmation unilatérale de la souveraineté de la Couronne à l’égard des peuples autochtones et de leurs terres a donné naissance à l’obligation d’agir honorablement à leur égard, ce qui signifie notamment le devoir de consulter et d’accommoder un peuple autochtone chaque fois qu’est envisagée une action de nature à toucher négativement les droits revendiqués de manière crédible par ce peuple. Voir notamment : Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73 (ci-après « arrêt Nation Haïda ») ; Rio Tinto Alcan inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 R.C.S. 650, 2010 CSC 43 ; Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resources Operations), [2017] 2 R.C.S. 386, 2017 CSC 54.
-
[10]
Voir notamment Jeremy Webber, « The Public-Law Dimension of Indigenous Property Rights », dans Nigel Bankes et Timo Koivurova (dir.), The Proposed Nordic Saami Convention. National and International Dimensions of Indigenous Property Rights, Londres, Hart Publishing, 2013, p. 79.
-
[11]
Voir de manière générale : B. Gilmour et B. Mellett, préc., note 2 ; S. Thériault, préc., note 2, 242 ; J.M. Gagné et É. Bundock, préc., note 2, aux pages 188 et 189.
-
[12]
Ainsi, dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 90, la Cour suprême affirme ceci :
Une fois l’existence du titre ancestral sur des terres établie par un jugement déclaratoire ou une entente, le gouvernement doit demander le consentement du groupe autochtone titulaire du titre pour ses projets d’aménagement du territoire. En l’absence de consentement, le projet d’aménagement sur les terres assujetties au titre ne peut aller de l’avant si le gouvernement ne s’est pas acquitté de son obligation de consultation et ne peut justifier une atteinte à ce titre aux termes de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
-
[13]
Les droits ancestraux d’usage et de prélèvement existent sur des terres à l’égard desquelles un peuple autochtone ne détient pas de titre foncier exclusif. Il peut s’agir par exemple de droits de chasse, de pêche ou de trappe à des fins alimentaires, de subsistance ou de commerce. Voir notamment : Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada, préc., note 6 ; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723.
-
[14]
Document conservé dans les archives personnelles de l’auteur (l’italique est de nous). Des auteurs expliquent bien qu’une ERA contient différentes clauses relatives aux droits ancestraux, dont des clauses de non-renonciation et de non-abrogation, mais aussi des clauses d’autolimitation dans l’exercice de ces droits. Dès lors, « cette reconnaissance et cette non-dérogation est sujette à certaines contraintes à l’exercice de ces droits découlant de la réalisation du projet minier » : voir J.M. Gagné et É. Bundock, préc., note 2, à la page 189.
-
[15]
Outre la nécessité de préserver les prérogatives de la Couronne à l’égard du territoire dont elle est réputée détenir le titre sous-jacent, le besoin d’assurer des relations harmonieuses avec les Autochtones en les prémunissant contre les spoliations aux mains de spéculateurs sans scrupule a aussi, à l’origine, servi de justification à l’interdiction des transactions relatives aux droits ancestraux avec les particuliers : Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, 133 ; arrêt Delgamuukw, préc., note 6, par. 129. Voir, de manière générale, Kent McNeil, « Self-Government and the Inalienability of Aboriginal Title », (2002) 47 McGill L.J. 473.
-
[16]
Arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 97 (l’italique est de nous). Voir aussi le paragraphe 76 où la Cour suprême écrit que le « droit de contrôler la terre que confère le titre ancestral signifie que les gouvernements et les autres personnes qui veulent utiliser les terres doivent obtenir le consentement des titulaires du titre ancestral. Si le groupe autochtone ne consent pas à l’utilisation, le seul recours du gouvernement consiste à établir que l’utilisation proposée est justifiée en vertu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (l’italique est de nous).
-
[17]
Id., par. 67 ; arrêt Delgamuukw, préc., note 6, par. 116-124.
-
[18]
Voir l’arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 48.
-
[19]
Voir G. Otis, préc., note 6, 834-836.
-
[20]
Cette restriction à la capacité d’un peuple autochtone de décider de l’usage de ses terres ancestrales découle du principe de la « limite intrinsèque » que la Cour suprême a développé. Voir les arrêts Delgamuukw, préc., note 6, par. 125-132, et Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 74 et 88. Bien que ce principe ait été soulevé à ce jour relativement au titre aborigène, il appert qu’une limite semblable jouera en présence de droits de prélèvement, d’usage et d’occupation non exclusifs. En effet, ces droits manifestent sans conteste l’existence d’un lien très important et durable entre le groupe et son territoire traditionnel. La nécessité de préserver ce lien pour les générations futures ne semble pas moins grande que lorsqu’existe un titre aborigène.
-
[21]
R. c. Sappier ; R. c. Gray, [2006] 2 R.C.S. 686, 2006 CSC 54, par. 21.
-
[22]
Voir notamment l’arrêt R. c. Powley, [2003] 2 R.C.S. 207, 2003 CSC 43, par. 24.
-
[23]
La Cour suprême reconnaît que, lorsqu’un groupe autochtone est titulaire en propre d’un droit, il lui revient de fixer les modalités d’exercice de ce droit par les individus membres du groupe. Dans l’arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 17, la Cour suprême écrit que les droits issus d’un traité « n’appartiennent pas personnellement à l’individu, mais ils sont exercés sous l’autorité de la communauté à laquelle ce dernier appartient ». De même, en raison de sa nature collective, un droit ancestral « ne doit pas être exercé par un membre de la collectivité autochtone indépendamment de la société autochtone qu’il vise à préserver » : voir l’arrêt R. c. Sappier ; R. c. Gray, préc., note 21, par. 26. En outre, dans l’arrêt Delgamuukw, préc., note 6, par. 115, la Cour suprême souligne les conséquences du fait que le groupe, et non les individus qui en sont membres, se trouve titulaire en propre du titre aborigène :
Une dimension supplémentaire du titre aborigène est le fait qu’il est détenu collectivement. Le titre aborigène ne peut pas être détenu par un autochtone en particulier, il est un droit foncier collectif, détenu par tous les membres d’une nation autochtone. Les décisions relatives aux terres visées sont également prises par cette collectivité. Il s’agit d’une autre caractéristique sui generis du titre aborigène qui le différencie des intérêts de propriété ordinaires.
-
[24]
R. c. Bernard, 2017 NBCA 48, par. 52. Le tribunal ajoute ce qui suit (par. 58) : « J’accepte l’argument du ministère public selon lequel la nature des droits collectifs implique que la collectivité réglemente ou autorise l’exercice approprié de ces droits par ses membres pris individuellement en assurant un accès équitable aux ressources. »
-
[25]
Sous réserve de l’article 35 (4) de la Loi constitutionnelle de 1982 qui énonce que, « [i]ndépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits – ancestraux ou issus de traités – visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes ». Se pose aussi la question de savoir si la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après « Charte canadienne ») est opposable au groupe autochtone dans l’exercice du pouvoir normatif inhérent à un droit ancestral : voir notamment Ghislain Otis, « La gouvernance autochtone avec ou sans la Charte canadienne ? », (2004) 36 R.D. Ottawa 207.
-
[26]
Ainsi, dans une ERA qui se trouve dans les archives personnelles de l’auteur, chaque partie garantit que « it has the absolute and unrestricted power, authority and capacity to execute and deliver this Agreement and to perform its obligations thereunder ».
-
[27]
Voici ce qu’explique J. Webber, préc., note 10, à la page 87 : « Indeed, it often seems that the kinship group, as opposed to the people as a whole, is the primary unit, with the latter held together by the looser bonds of shared language, overlapping traditions (including traditions of social order) and more extended family ties ». L’auteur souligne à la page 96 le fait que « there is a strong sense, in many North American peoples, that families or other kinship groups are the foundational units, enjoying very great autonomy in their actions. Although they collaborate for many purposes through the institutions of their people, they do not generally consider themselves to be subject to the absolute sovereignty of that broader community ».
-
[28]
Sylvie Vincent, « “Chevauchements” territoriaux. Ou comment l’ignorance du droit coutumier algonquien permet de créer de faux problèmes », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 46, nos 2-3, 2016, p. 91, à la page 96. Voir aussi Jacques Leroux, « Le contrôle territorial ou posséder ce que l’on protège chez trois peuples algonquiens du Québec », dans Pierre Noreau (dir.), Gouvernance autochtone : reconfiguration d’un avenir collectif, Montréal, Thémis, 2010, p. 101 ; Michel Morin, « Indigenous Peoples, Political Economists and the Tragedy of the Commons », (2018) 19 Theor. Inq. L. 559, 573-585.
-
[29]
S. Vincent, préc., note 28, à la page 96, écrit ce qui suit (références omises) :
Généralement, les auteurs attribuent au type de gibier principalement chassé dans une région donnée le type de régime foncier qui y prédomine. Les groupes qui vivent essentiellement du castor, de l’orignal ou du caribou forestier et de l’ours, animaux qui sont sédentaires ou du moins ne se déplacent qu’à l’intérieur de territoires relativement restreints, privilégient une gestion familiale des territoires de chasse. Ceux qui vivent essentiellement du caribou de la toundra, animal beaucoup plus nomade, privilégient une gestion plus collective du territoire […]. Entre ces deux modèles, on peut trouver des ajustements qui allient l’un et l’autre selon les saisons.
-
[30]
R. c. Bernard, préc., note 24, par. 56.
-
[31]
Id., par. 62.
-
[32]
Tsilhqot’in Nation v. British Columbia, (2012) 324 B.C.A.C. 214.
-
[33]
Id., par. 145, où la position de la Couronne est résumée comme suit par le tribunal :
Aboriginal rights are communal rights. British Columbia suggests that in order for a collective to be considered a proper rights holder, it must have traditionally exercised decision-making authority with respect to the exploitation and allocation of such rights within the collective. British Columbia contends that the absence of any traditional pan-Tsilhqot’in governance structure is fatal to any claim on behalf of the Tsilhqot’in Nation.
-
[34]
Id., par. 149, où le tribunal explique ce qui suit : « In my view, the position taken by British Columbia does not take adequate account of the Aboriginal perspective with respect to this matter. I agree with the trial judge’s conclusion that the definition of the proper rights holder is a matter to be determined primarily from the viewpoint of the Aboriginal collective itself. »
-
[35]
Id., par. 148. Voir aussi l’affaire Kwicksutaineuk/Ah-Kwa-Mish First Nation v. Canada (Attorney General), (2012) 319 B.C.A.C. 273.
-
[36]
Des auteurs ont fait valoir les considérations historiques et pratiques qui pourraient favoriser l’ancrage des droits ancestraux dans la bande. Voir : André Émond, « Quels sont les partenaires autochtones avec lesquels la Couronne entretient une relation historique ? », (1997) 76 R. du B. can. 130 ; Sébastien Grammond, Terms of Coexistence. Indigenous Peoples and Canadian Law, Toronto, Carswell, 2013, p. 220 et 221.
-
[37]
Dans l’affaire Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam) c. Québec (Procureure générale), 2016 QCCS 807, la Cour supérieure du Québec déclare irrecevable un recours intenté par des chefs de famille innus s’opposant à une ERA intervenue entre leur conseil de bande et Hydro-Québec relativement à la construction du barrage hydroélectrique La Romaine. La Cour supérieure semble postuler que la bande est titulaire des droits ancestraux et que les chefs de famille ne sont que des « individus dissidents » et que dès lors « les intérêts de la bande doivent normalement prendre préséance sur les intérêts des individus dissidents » (par. 45). Elle ajoute cependant que, de toute façon, les lots des familles dissidentes ne sont pas directement touchés par le projet La Romaine (par. 52). Le postulat de la Cour supérieure qui rattache le titre ou les droits ancestraux à la bande n’est pas explicité de manière détaillée par la preuve relative au système foncier innu.
-
[38]
Loi sur les indiens, L.R.C. 1985, c. I-5, art. 2 (1) « bande ».
-
[39]
Voir notamment l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79, par. 75. Par la suite, la Cour suprême a réitéré le fait que, au « moment de l’affirmation de la souveraineté européenne, la Couronne a acquis un titre absolu ou sous-jacent sur toutes les terres de la province. Ce titre était toutefois grevé des droits préexistants des peuples autochtones qui occupaient et utilisaient les terres avant l’arrivée des Européens. » Voir l’arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 69.
-
[40]
Arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 69.
-
[41]
Sur la capacité juridique du peuple autochtone comme corollaire de la nature collective du titre ancestral, voir notamment Kent McNeil, Emerging Justice ? Essays on Indigenous Rights in Canada and Australia, Saskatoon, Native Law Center, University of Saskatchewan, 2001, p. 122-125. Voir également Kirsten Anker, « Translating Sui Generis Aboriginal Rights in the Civilian Imagination », dans Alexandra Popovici, Lionel Smith et Régine Tremblay (dir.), Les intraduisibles en droit civil, Montréal, Thémis, 2014, p. 1, aux pages 25-27.
-
[42]
Wesley c. Canada, [2017] F.C.J. No. 839, 2017 FC 725, par. 3, conf. par [2018] F.C.J. No. 254, 2018 FCA 41.
-
[43]
Voir, par exemple, id.
-
[44]
Voir Martin Papillon, « Les oléoducs de la discorde », Le Devoir, 16 janvier 2019, [En ligne], [www.ledevoir.com/opinion/idees/545596/environnement-les-oleoducs-de-la-discorde] (12 mars 2019).
-
[45]
Voir notamment : Wesley c. Canada, préc., note 42, par. 10 ; Spookw c. Gitxsan Treaty Society, (2017) 94 B.C.L.R. (5th) 280, par. 47.
-
[46]
Il est certes possible que le processus de délibération interne mis en place ne permette pas à toutes les voix d’être entendues également ou équitablement. Pensons en particulier à la place faite aux femmes. Voir notamment Cathleen Knotsch, Peter Siebenmorgen et Ben Bradshaw, « Les “Ententes sur les répercussions et les avantages” et le bien-être des communautés. Des occasions ratées ? », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 40, no 3, 2010, p. 59.
-
[47]
Voir l’article 26.2.1 de l’Accord entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 1993, [En ligne], [www.publications.gc.ca/collections/Collection/R32-134-1993F.pdf] (14 mars 2019), qui, sous réserve de quelques exceptions, rend obligatoire la conclusion d’une ERA avant le début de tout projet important de mise en valeur des ressources du territoire.
-
[48]
Voici ce que notent J.M. Gagné et É. Bundock, préc., note 2, à la page 189 : « Le gouvernement du Canada reconnaît d’ailleurs que les activités d’exploration et d’exploitation minière peuvent contribuer de manière significative à la prospérité et au bien-être des communautés autochtones et encourage ainsi la négociation d’ententes entre promoteurs de projets miniers et communautés autochtones. »
-
[49]
Voir la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), art. 91 (24).
-
[50]
Voir l’arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 140-151. Au paragraphe 150, la Cour suprême conclut que « la réglementation provinciale d’application générale s’appliquera à l’exercice des droits ancestraux, notamment au titre ancestral sur des terres, sous réserve de l’application du cadre d’analyse relatif à l’art. 35 qui permet de justifier une atteinte ». Elle a appliqué le même raisonnement pour justifier l’opposabilité constitutionnelle des lois provinciales d’application générale réglementant des activités ressortissant aux droits issus d’un traité : voir l’arrêt Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles), [2014] 2 R.C.S. 447, 2014 CSC 48, par. 53.
-
[51]
Voir : arrêt Delgamuukw, préc., note 6, par. 173-181 ; Kent McNeil, « Aboriginal Title and the Provinces after Tsilhqot’in Nation », (2015) 71 S.C.L.R. (2d) 67.
-
[52]
La question de la responsabilité de l’État à l’égard du concessionnaire pourrait alors sans doute être posée dans certains cas. La Cour suprême n’a toutefois pas encore été amenée à proposer une réponse précise à la question de l’impact des droits ancestraux sur les droits des tiers de bonne foi.
-
[53]
Nation Haïda, préc., note 9.
-
[54]
Id., par. 56.
-
[55]
Saik’uz First Nation v. Rio Tinto, 2015 BCCA 154, par. 77 (demande pour autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 2015-10-15, 36480).
-
[56]
C’est notamment ce qu’a décidé le tribunal dans l’affaire Ominayak v. Penn West Petroleum Ltd., 2015 ABQB 342, en jugeant recevable une poursuite distincte en responsabilité délictuelle contre une société privée pour atteinte aux droits ancestraux des demandeurs alors que ces derniers poursuivaient également la Couronne. Le tribunal explique au paragraphe 38 que la poursuite contre la société est de droit privé, alors que celle contre la Couronne est de droit public.
-
[57]
Voir notamment : Thomas v. Rio Tinto Alcan inc., 2016 BCSC 1474 ; Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam) c. Compagnie minière IOC inc. (Iron Ore Company of Canada), 2014 QCCS 2051.
-
[58]
Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam) c. Compagnie minière IOC inc. (Iron Ore Company of Canada), 2014 QCCS 4403 (demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.A., 2015-01-06, 500-09-024768-145 (500-17-076401-135), demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 2015-10-15, 36332).
-
[59]
L’article 1457 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, dispose ce qui suit : « Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages et la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. »
-
[60]
Il faudra, par exemple, voir si la concession est conditionnelle à des négociations avec les Autochtones.
-
[61]
Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392, 2008 CSC 64, par. 98. Pour qu’il y ait immunité à l’égard d’une poursuite civile, la loi doit comporter des « dispositions suffisamment précises pour permettre de conclure que le droit de la responsabilité civile est écarté ».
-
[62]
Voir, par exemple, l’affaire Saik’uz First Nation v. Rio Tinto, préc., note 55. Voir aussi l’affaire Ominayak v. Penn West Petroleum Ltd., préc., note 56.
-
[63]
Voir l’affaire Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam) c. Compagnie minière IOC inc. (Iron Ore Company of Canada), préc., note 58.
-
[64]
Voir : id., par. 29-42 ; Saik’uz First Nation v. Rio Tinto, préc., note 55, par. 53-79.
-
[65]
Bande indienne Wewaykum c. Canada, préc., note 39, par. 75.
-
[66]
Arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, où le tribunal rappelle que (par. 10), « [e]n 1973, la Cour suprême du Canada a marqué le début de l’ère moderne du droit inhérent aux terres ancestrales en statuant que les droits fonciers des Autochtones avaient subsisté à l’établissement des Européens et qu’ils étaient toujours valides s’ils n’avaient pas été éteints par traité ou autrement : Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313 ». La Cour suprême affirme plus loin ce qui suit (par. 69) : « Au moment de l’affirmation de la souveraineté européenne, la Couronne a acquis un titre absolu ou sous-jacent sur toutes les terres de la province. Ce titre était toutefois grevé des droits préexistants des peuples autochtones qui occupaient et utilisaient les terres avant l’arrivée des Européens. »
-
[67]
L’article 976 C.c.Q. dispose que « [l]es voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature et la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux ».
-
[68]
Voir notamment Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 110-121.
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[69]
Voir l’arrêt Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, préc., note 61, par. 86.
-
[70]
Comme le souligne S. Normand, préc., note 68, p. 114 et 115, peut être partie à une action pour trouble de voisinage « l’emphythéote, l’usufruitier, l’usager, l’occupant ou le locataire ».
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[71]
La Cour suprême affirme que la « reconnaissance de cette forme de responsabilité établit un juste équilibre entre les droits des propriétaires ou occupants de fonds voisins ». Voir l’arrêt Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, préc., note 61, par. 86. Dans l’affaire Coalition pour la protection de l’environnement du Parc linéaire « Petit train du Nord » c. Comté des Laurentides (Municipalité régionale), [2005] R.J.Q. 116, 2004 CanLII 45407 (Qc C.S.), par. 354 et 355, la Cour supérieure rappelle ceci :
Le terme “voisin” au sens de l’article 976 C.c.Q. est interprété largement ; ce peut être un propriétaire, locataire, occupant, usager, usufruitier, possesseur ou détenteur d’un fonds. Cette disposition assujettit non seulement toutes les personnes qui ont un droit réel dans un fonds, mais aussi celles qui ont un droit de jouissance ou d’usage. En d’autres termes, le trouble de voisinage susceptible d’entraîner une responsabilité doit avoir un lien avec le fait de l’occuper ou d’en avoir l’usage.
-
[72]
La Cour suprême étend la portée du titre aborigène aux droits miniers : voir l’arrêt Delgamuukw, préc., note 6, par. 122.
-
[73]
Id., par. 190 ; arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 72.
-
[74]
Arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 73 et 74.
-
[75]
Id., par. 75.
-
[76]
Procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2017 QCCA 1791, par. 74. La Cour d’appel ajoute ce qui suit au paragraphe 75 : « Contrairement à un droit de propriété traditionnel au sens de la common law ou du droit civil, le titre aborigène est inaliénable et ne peut être transféré, cédé ou vendu à personne d’autre que la Couronne. »
-
[77]
Pour une analyse des défis de qualification des droits ancestraux au regard du droit des biens québécois, voir K. Anker, préc., note 41.
-
[78]
Dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 71, la Cour suprême décrit ainsi les responsabilités et les droits découlant de ce titre sous-jacent :
Alors, que reste-t-il du titre absolu ou sous-jacent de la Couronne sur les terres détenues en vertu d’un titre ancestral ? Il ressort de la doctrine et de la jurisprudence deux éléments connexes – une obligation fiduciaire de la Couronne envers les Autochtones à l’égard des terres ancestrales et le droit de porter atteinte au titre ancestral si le gouvernement peut démontrer que l’atteinte est justifiée dans l’intérêt général du public en vertu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
-
[79]
La « coutume, pratique ou tradition » relative à l’usage des ressources aura nécessairement un ancrage spatial, de sorte qu’un droit s’y rapportant s’exercera sur une aire géographique déterminée. Voir : R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, par. 30 ; R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139, par. 39 ; arrêt Delgamuukw, préc., note 6, par. 138 et 176 ; R. c. Powley, préc., note 22, par. 19. Dans l’arrêt R. c. Côté, par. 39, la Cour suprême estime qu’« [u]ne coutume, pratique ou tradition autochtone valant d’être protégée en tant que droit ancestral se limitera fréquemment à un endroit ou territoire spécifique, compte tenu de la façon dont elle était exercée avant le contact avec les Européens ». Dans l’arrêt R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, par. 34, la Cour suprême a exigé que les Mohawks prouvent « que la pêche dans le lac Saint-François est “un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive” des Mohawks » (l’italique est de nous). Voir aussi l’arrêt Mitchell c. Canada (ministre du revenu national – M.R.N.), [2001] 1 R.C.S. 911, 2001 CSC 33, par. 56.
-
[80]
Arrêt Delgamuukw, préc., note 6, par. 139.
-
[81]
Voir notamment l’arrêt Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), préc., note 6, par. 50-56. Selon la Cour suprême, « [i]l s’agit donc pour les tribunaux de déterminer le lien entre le droit revendiqué et la culture ou le mode de vie du peuple autochtone avant son contact avec les Européens ». Voir l’arrêt R. c. Sappier ; R. c. Gray, préc., note 21, par. 22. Il faut dès lors, en principe, faire porter l’analyse sur une ou des pratiques particulières.
-
[82]
Voici ce qu’écrit la Cour suprême à ce sujet dans l’arrêt R. c. Gladstone, préc., note 13, par. 65 :
[L’]existence de droits ancestraux dépend largement des faits propres à chaque cas – pour statuer sur l’existence d’un tel droit, il faut examiner la culture distinctive particulière du groupe autochtone particulier qui revendique le droit, donc ses coutumes, pratiques et traditions spécifiques. Les droits reconnus et confirmés par le par. 35 (1) ne sont pas des droits qui sont détenus uniformément par tous les peuples autochtones au Canada. En effet, l’existence des droits ancestraux et leur nature sont fonction des diverses cultures et traditions autochtones qui existent au pays.
-
[83]
R. c. Van Der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, par. 74 ; R. c. Adams, préc., note 79, par. 25-29 ; R. c. Côté, préc., note 79, par. 38 ; arrêt Delgamuukw, préc., note 6, par. 138 et 176. La Cour suprême, dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 47, réitère que « [l]’utilisation régulière, mais non exclusive, peut donner naissance à des droits ancestraux usufructuaires ; en ce qui concerne le titre ancestral, l’utilisation doit avoir été exclusive ».
-
[84]
Mitchell c. Canada (Ministère du revenu national – M.R.N.), préc., note 79, par. 22.
-
[85]
Id. ; R. c. Côté, préc., note 79, par. 56 et 57.
-
[86]
Voir l’arrêt Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, préc., note 61, par. 86.
-
[87]
Nous remercions la professeure Anne-Françoise Debruche pour les explications qu’elle nous a fournies concernant l’importance de ne pas confondre la notion de fonds et l’existence de droits réels sur un fonds.
-
[88]
Loi sur les mines, RLRQ, c. M-13.1.
-
[89]
De même, l’article 114 de la Loi sur les mines précise ceci :
Les lots faisant l’objet d’une concession minière et ayant été aliénés conformément aux exigences de la Loi sur les mines telle qu’elle se lisait à la date de l’autorisation d’aliéner, ainsi que les lots dont la cession ne peut être invalidée en vertu de l’article 361, sont soustraits de la concession minière et font partie du domaine privé à compter de la date de l’aliénation ou de la cession.
Nous tenons à exprimer ici notre gratitude au professeur Sylvio Normand, de l’Université Laval, qui a porté ces dispositions à notre connaissance.
-
[90]
Extrait d’un échange électronique entre l’auteur et le professeur Normand le 23 août 2017. Reproduit ici avec la permission du professeur Normand.
-
[91]
C.c.Q., art. 976.
-
[92]
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 6 (ci-après « Charte québécoise »).
-
[93]
Behn c. Moulton Contracting Ltd., [2013] 2 R.C.S. 227, 2013 CSC 26, par. 35.
-
[94]
Il est intéressant de noter, par exemple, que le professeur S. Normand, préc., note 68, p. 304 et 305, qualifie des droits de chasse et de pêche de démembrement innommé de la propriété.
-
[95]
Jean-Louis Bergel, Marc Bruschi et Sylvie Cimamonti, Traité de droit civil. Les biens, Paris, L.G.D.J., 2010.
-
[96]
Dominique Rousseau et autres, Droit du contentieux constitutionnel, 11e éd., Paris, L.G.D.J., 2016, p. 702.
-
[97]
Convention américaine relative aux droits de l’homme, 22 novembre 1969, 1144 R.T.N.U. 123, art. 21.
-
[98]
Communidad Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua, CIADH, Série C, no 79, 31 août 2001, par. 148 (notre traduction).
-
[99]
Communidad Indigena Sawhoyamaxa c. Paraguay, CIADH, Série C, no 146, 29 mars 2006, par. 120 (notre traduction).
-
[100]
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, S.T.E. no 5.
-
[101]
Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’amendé par le Protocole no 11, 20 mars 1952, S.T.E. no 9, art. 1 ; voir notamment Ghislain Otis et Aurélie Laurent, « Le défi des revendications foncières autochtones : la Cour européenne des droits de l’homme sur la voie de la décolonisation de la propriété ? », R.T.D.H. 2012.43.
-
[102]
Könkäma et autres c. Suède, no 27033/95, décision de la Commission européenne des droits de l’homme du 25 décembre 1996, DR 87, p. 78.
-
[103]
Id., p. 85.
-
[104]
Handölsdalen Sami Village et autres c. Suède, CEDH no 39013/04, 30 mars 2010, par. 46.
-
[105]
Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, par. 128.
-
[106]
Aubry c. Éditions Vice-versa, [1998] 1 R.C.S. 591, par. 4.
-
[107]
Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 R.C.S. 214, 2011 CSC 9, par. 23.
-
[108]
Id., par. 24 ; Curateur c. SNE de l’Hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 116.
-
[109]
de Montigny c. Brossard (Succession), [2010] 3 R.C.S. 64, 2010 CSC 51.
-
[110]
Id., par. 44.
-
[111]
Id.
-
[112]
Id., par. 45.
-
[113]
Id., par. 45.
-
[114]
Une immunité ne portant que sur la réparation pécuniaire pour une atteinte au droit n’est pas assimilable à une extinction pure et simple du droit sous-jacent, extinction qui serait hors de portée de la province en raison de la compétence exclusive du Parlement fédéral aux termes de l’article 91 (24) de la Loi constitutionnelle de 1867.
-
[115]
R. c. Gladstone, préc., note 13, par. 43 ; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, par. 18.
-
[116]
Arrêt Nation Tsilhqot’in, préc., note 6, par. 124.
-
[117]
Id., par. 77, où la Cour suprême déclare ce qui suit :
Pour justifier qu’il puisse passer outre aux volontés du groupe qui détient le titre ancestral au motif que l’atteinte sert l’intérêt général du public, le gouvernement doit établir : (1) qu’il s’est acquitté de son obligation procédurale de consultation et d’accommodement, (2) que ses actes poursuivaient un objectif impérieux et réel ; et (3) que la mesure gouvernementale est compatible avec l’obligation fiduciaire qu’a la Couronne envers le groupe : Sparrow.
-
[118]
Peter Ballantyne Cree Nation v. Canada (Attorney General), 2016 SKCA 124, par. 247-262 (demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 2017-06-22, 37485) ; Michel v. Canada (Attorney General), [2017] S.C.C.A. No. 95.
-
[119]
Voir notamment l’arrêt Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances), [2007] 1 R.C.S. 3, 2007 CSC 1. Toutefois, la Cour suprême a apporté la précision suivante dans l’arrêt Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur Général), préc., note 7, par. 134 : « Notre Cour a statué que, bien que les délais de prescription s’appliquent aux demandes de réparations personnelles découlant de l’annulation d’une loi inconstitutionnelle, les tribunaux conservent le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité de la loi sous-jacente ».
-
[120]
Voir notamment : Ravndahl c. Saskatchewan, [2009] 1 R.C.S. 181, 2009 CSC 7 ; McGillivary v. New Brunswick, [1994] A.N.B. No. 34, 111 D.L.R. (4th) 483 (N.B.C.A.) ; Nagy v. Phillips, 1996 ABCA 280 ; Gauthier c. Lac Brome (Ville), [1995] J.Q. no 762 (C.A.) ; Gauthier c. Lambert, [1988] J.Q. no 56 (C.A.) (demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 1988-04-25, 20769).
-
[121]
Dans l’affaire Engler-Stringer c. Montréal (Ville de), 2013 QCCA 707, par. 60, la Cour d’appel du Québec souligne le passage suivant d’une décision de la Cour fédérale (l’extrait qui suit est tiré de l’arrêt Pearson c. Canada, 2006 CF 931, par. 54, conf. par 2007 CAF 380 (demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 2008-09-25, 32639)) :
[Il] appartiendra à la personne qui demande des dommages-intérêts en application du paragraphe 24 (1) de la Charte de prouver qu’un délai de prescription donné la prive d’une réparation convenable et juste. Ce n’est qu’une fois cette preuve faite que l’État devra justifier la restriction imposée au droit d’intenter contre lui une poursuite en dommages-intérêts fondée sur les actes qu’il a commis. En d’autres termes, les délais de prescription prévus par les lois provinciales et fédérales ne sont pas incompatibles avec le paragraphe 24 (1) de la Charte. L’objet des délais de prescription est aussi valable dans le contexte d’une demande fondée sur la Charte que dans le cas de toutes les autres demandes. Un demandeur ne devrait pas avoir le droit de poursuivre l’État indéfiniment uniquement parce sa plainte concerne la violation d’un droit constitutionnel. Tant que l’État n’essaie pas de faire indirectement ce qu’il ne peut faire directement, je ne vois aucune raison de ne pas appliquer un délai de prescription.
Voir aussi l’arrêt Prete v. Ontario (Attorney General), (1993) 68 O.A.C. 1 (demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 1994-04-28, 23972).
-
[122]
Il faudrait par exemple se pencher sur l’usage possible de l’action en revendication d’un bien à l’encontre d’une société extractive au motif qu’elle occuperait les terres autochtones sans droit : voir l’article 953 C.c.Q. Voir également l’action en reconnaissance d’un droit réel fondée sur l’article 912 C.c.Q.