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Repenser l’autodétermination interne, c’est là non seulement le titre de l’ouvrage collectif en recension, mais aussi, et surtout, la proposition faite par celui-ci. Sous la direction du philosophe Michel Seymour, il rassemble treize contributions, de même qu’une introduction, que signe le directeur lui-même. Dans celle-ci, le professeur Seymour mentionne que l’ouvrage a notamment pour objet d’« approfondir le concept d’autodétermination interne […], de même que les liens que ce concept entretient avec la représentation politique, l’autonomie politique, le constitutionnalisme démocratique, les règles du vivre-ensemble et la politique de la reconnaissance[1] ». Voilà une tâche colossale, laquelle mérite indubitablement l’attention qui lui est accordée.
On peut ainsi se demander quels sont les moyens mobilisés pour atteindre cet objectif. La lecture de l’ouvrage nous permet d’en dégager à tout le moins quatre qui sont prépondérants, soit (1) la diversité des cas pratiques à l’étude, (2) l’apport mesuré entre ces cas et le traitement de questions plus théoriques, (3) le spectre des matières abordées relativement à l’expérience québécoise, et, enfin, (4) la nature intrinsèquement multidisciplinaire et interdisciplinaire de l’ouvrage. Nous reviendrons sur chacune de ces dimensions.
En premier lieu, pour ce qui est de la diversité des cas pratiques à l’étude, l’ouvrage consacre des chapitres entiers à la situation des nations minoritaires que sont la Catalogne[2], l’Écosse[3], la Corse[4], les peuples autochtones du Canada[5] et le Québec[6]. En ce sens, ce livre parvient à un équilibre des plus intéressants en abordant certains incontournables – soit la Catalogne, l’Écosse et le Québec –, mais aussi des cas moins souvent considérés lorsque vient le temps de traiter de processus d’autodétermination – tels la Corse et les peuples autochtones du Canada. À ce titre, il nous importe ici de souligner non seulement l’intérêt indéniable d’aborder la situation de ces derniers pour traiter des questions d’autodétermination interne et externe, mais également la nécessité de consacrer une attention particulière en recherche à l’expérience de nations minoritaires plus rarement étudiées par les auteurs.
À cet effet, nous nous permettrons de suggérer qu’il aurait été opportun de traiter – lors de contributions distinctes et autonomes – de deux expériences nationales supplémentaires, soit les cas flamand et sud-tyrolien. Effectivement, en ce qui concerne le premier, la Flandre constitue certainement un incontournable en matière d’autodétermination, notamment puisque celle-ci représente une majorité démographique de l’État auquel elle appartient, et que la Belgique fait montre d’une architecture institutionnelle absolument fascinante pour tout constitutionnaliste s’intéressant aux enjeux d’autonomie constitutionnelle. Quant au Tyrol du Sud, l’intérêt d’aborder ce cas découle principalement du fait que l’État italien auquel il participe développe une structure lui permettant de disposer d’une très vaste autonomie, considérant qu’il s’agit d’une minorité nationale d’environ un demi-million d’habitants.
En deuxième lieu, comme autre moyen mis de l’avant pour Repenser l’autodétermination interne, l’ouvrage fait montre d’une répartition mesurée entre l’attention accordée aux cas pratiques dont il a déjà été question et le traitement de questions théoriques. Cela semble d’ailleurs être un choix conscient, selon les mots de son directeur : « Les auteurs proposent de réfléchir aux justifications normatives permettant d’envisager l’élargissement du concept d’autodétermination interne au-delà de sa définition actuelle en droit international, et d’examiner différentes applications nouvelles de ce droit. Les avancées récentes de la jurisprudence seront explorées, de même que seront effectuées quelques études empiriques » (p. ix). Ainsi, les cinq premiers textes du livre portent sur des enjeux plus théoriques, tels que le sens à donner au concept d’autodétermination interne[7], ses liens avec les politiques d’intégration des immigrants que sont le multiculturalisme et l’interculturalisme[8], le sentiment d’appartenance des communautés minoritaires dans les États multinationaux[9], la place du peuple dans cette réflexion[10] ou encore, les diverses options favorisant les accords d’autodétermination interne[11]. Cette partie de l’ouvrage est sans aucun doute d’une grande richesse. Lorsqu’elle est jointe à celle qui suit et qui examine plus précisément différentes expériences de nations minoritaires en quête d’autodétermination, elle offre au lectorat un portrait pertinent des divers enjeux théoriques qui doivent accompagner une réflexion sur l’autodétermination interne.
À ce titre, d’autres questions ou enjeux auraient pu de toute évidence constituer une source de réflexion porteuse et faire ainsi l’objet de textes supplémentaires et individuels. Par exemple, un article consacré au fédéralisme multinational comme modèle étatique de gestion du pluralisme national étant susceptible de favoriser l’autodétermination interne aurait été fort approprié. D’un point de vue théorique et normatif, un tel texte aurait aidé à contextualiser et à opérationnaliser les divers arrangements institutionnels de la diversité que devrait prioriser un État fédéral désireux de favoriser un vivre-ensemble harmonieux.
En troisième lieu, toujours en ce qui a trait aux moyens que mobilise l’ouvrage pour Repenser l’autodétermination interne, celui-ci traite d’un spectre de différentes matières relatives au cas du Québec. En effet sont abordés la perspective de l’indépendance de la nation québécoise[12], son recours aux outils de nature référendaire[13] et la possibilité qu’elle se donne une constitution formelle[14]. Ainsi, il est évident que le fait d’explorer ces divers enjeux permet au lecteur d’avoir une vision plus large et englobante de l’ensemble des matières qui se rapportent de près ou de loin à l’autodétermination, outre qu’il offre l’avantage de les rattacher à un cas concret, celui du Québec. Dans un ouvrage publié par une maison d’édition québécoise – Les Éditions Thémis – et où les collaborateurs québécois sont fortement majoritaires, il s’agit certainement d’un choix judicieux.
Toutefois, et sans en faire un ouvrage consacré à l’expérience québécoise en matière d’autodétermination, il aurait été à propos d’analyser plus en profondeur des dimensions supplémentaires, telles que la représentation du Québec au sein des institutions fédérales, l’autonomie actuelle que lui permettent le partage des compétences et le fédéralisme canadien, ou encore son pouvoir d’influence au moment du processus de révision constitutionnelle. En effet, prendre en considération ces dimensions à travers le prisme, par exemple, des théories du consociationalisme et du fédéralisme aurait contribué certes à ouvrir sur des dimensions de l’autodétermination interne souvent laissées de côté, soit la représentation et l’autonomie politique, toujours en offrant le cas du Québec comme objet d’étude.
En quatrième et dernier lieu, l’ouvrage mise indéniablement sur la multidisciplinarité et l’interdisciplinarité pour atteindre l’objectif de Repenser l’autodétermination interne. En effet, il offre des contributions de la part de nombreux juristes (Hugo Cyr, Patrick Taillon, Daniel Turp, etc.), politologues (Geneviève Nootens, Alain-G. Gagnon, François Rocher, etc.) et philosophes (Michel Seymour, Stéphane Courtois, François Boucher, etc.). En ce sens, le piège de rassembler plusieurs perspectives d’une seule discipline, mais de complètement éluder celles provenant d’autres champs du savoir, nous semble bien éviter. Cette collaboration entre chercheurs de différents milieux est certainement de nature à permettre un dialogue intellectuel plus riche et équilibré que si l’exercice était limité à une seule branche de la connaissance.
Toujours en ce qui a trait aux divers horizons couverts par l’ouvrage, il aurait toutefois été pertinent de retrouver des contributions de la part d’autres disciplines, notamment en provenance de la sociologie et de l’histoire. En effet, les sociologues et les historiens, de par leurs méthodes et leurs objets d’étude, méritent nécessairement d’être inclus dans une discussion et une réflexion sur l’autodétermination interne. L’angle différent et la lentille spécifique de leur discipline permettraient sans aucun doute de donner un portrait plus complet et diversifié du concept au coeur de l’ouvrage recensé.
En résumé, pour ce qui est de la matière couverte, nous dirons donc que l’ouvrage offre un apport équilibré entre questions théoriques et cas pratiques, qu’il permet un tour d’horizon intéressant de divers exemples de nations minoritaires en quête d’autodétermination et qu’il insiste sur l’expérience du Québec pour pousser davantage certains aspects, le tout, à travers le prisme que permettent les disciplines du droit, de la science politique et de la philosophie. C’est assurément là une série d’apports significatifs participant à Repenser l’autodétermination interne et contribuant à l’avancement des connaissances. S’il est vrai que d’autres aspects auraient mérité une certaine attention, nous sommes bien évidemment conscient que ce sont là des choix auxquels doit faire face toute directrice ou tout directeur d’un ouvrage collectif qui se propose d’aborder une thématique aussi vaste que l’autodétermination interne. À cet égard, les avenues ici étudiées constituent, à n’en pas douter, un assemblage de grande qualité.
Quant à la structure générale de l’ouvrage, nous avons pensé, à première vue, qu’il aurait été intéressant de créer des sections dans lesquelles les divers articles auraient pu être répartis. Toutefois, cela aurait aussi eu pour effet de catégoriser les différents textes en fonction d’un thème précis, alors que nombre d’entre eux offrent une réflexion sur plus d’un enjeu à la fois. En ce sens, nous souscrivons au choix – peut-être même instinctif – du directeur de l’ouvrage de ne pas partager les articles entre diverses sections. D’autant plus que l’ordre privilégié pour la distribution des textes laisse d’emblée transparaître une cohérence certaine. En effet, les cinq articles qui portent sur des questions plus théoriques amorcent l’ouvrage, puis suivent ceux qui traitent de la Catalogne, de l’Écosse, de la Corse et des peuples autochtones pour, enfin, arriver aux quatre textes relatifs aux enjeux québécois. Cette organisation nous semble parfaitement cohérente.
En définitive, cet ouvrage collectif, sous la direction du professeur Seymour et auquel participent une quinzaine d’auteurs n’ayant, pour la plupart, plus besoin de présentation, atteint très bien son objectif de Repenser l’autodétermination interne. Si nous avons pris la liberté, dans la présente recension, de fournir quelques pistes ou avenues, lesquelles auraient pu contribuer à parfaire l’ouvrage – ou, du moins, à participer à sa réflexion sur l’autodétermination interne –, il ne faut évidemment pas y voir une critique des choix qui ont été faits en amont, mais plutôt des suggestions relativement à ceux qui pourraient être faits en aval. Et c’est là une force de l’ouvrage recensé : il propose non seulement une réflexion approfondie sur le concept d’autodétermination interne, mais il pave également la voie à de multiples avenues de recherches futures.
Parties annexes
Notes
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[1]
Michel Seymour, « Introduction », dans Michel Seymour (dir.), Repenser l’autodétermination interne, Montréal, Éditions Thémis, 2016, p. ix.
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[2]
Alain-G. Gagnon et Marc Sanjaume-Calvet, « Trois grands scénarios pour la Catalogne au xxie siècle : autonomie, fédéralisme et sécession », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 135.
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[3]
X.H. Rioux, « Peut-on faire “l’économie” de l’autodétermination ? Le cas écossais », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 175.
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[4]
Thierry Dominici, « Le nationalisme corse aujourd’hui. Revendication d’autodétermination, réalités partisanes et projets de sociétés », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 197.
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[5]
Jean-Olivier Roy, « Citoyenneté et démocratie chez les peuples autochtones contemporains au Canada : Le mouvement “Idle No More” », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 225.
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[6]
Frédéric Bérard, « Du caractère lénifiant de la règle de droit interne en matière d’accession à l’indépendance : les impacts du renvoi relatif à la sécession du Québec », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 245 ; Patrick Taillon, « Le référendum comme instrument de réforme paraconstitutionnelle au Québec et au Canada », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 265 ; François Rocher et Sébastien Martin Parker, « Autodétermination et constitution québécoise interne : “on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres” », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 295 ; Daniel Turp, « Le pouvoir constituant, le droit à l’autodétermination et la constitution du Québec », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 321.
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[7]
Michel Seymour, « Repenser l’autodétermination interne », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 1.
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[8]
François Boucher, « Le multiculturalisme dans les sociétés plurinationales », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 19.
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[9]
Hugo Cyr, « Autorités fonctionnelles et existentielles », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 53.
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[10]
Geneviève Nootens, « Le pouvoir constituant et les gens-comme-gouvernés : à propos du peuple “invisible” », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 91.
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[11]
Stéphane Courtois, « La stratégie “isoler et multiplier” convient-elle aux États multinationaux démocratiques ? », dans M. Seymour (dir.), préc., note 1, p. 117.
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[12]
F. Bérard, préc., note 6.
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[13]
P. Taillon, préc., note 6.
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[14]
F. Rocher et S.M. Parker, préc., note 6 ; D. Turp, préc., note 6.