Résumés
Résumé
La règle de conflit, qui a toujours été au coeur du droit international privé, a connu d’importantes transformations depuis quelques années. Considérée comme rigide, parce qu’elle est focalisée sur la localisation spatiale du rapport de droit, elle est devenue de plus en plus flexible et privilégie désormais la justice matérielle au détriment de la justice conflictuelle. Plus encore, elle a même été supplantée par la méthode de la reconnaissance. Cependant, le droit international privé camerounais est resté attaché à la méthode conflictuelle classique, alors qu’il serait nécessaire de prendre en considération toutes ces transformations qui ne sont pas sans incidences sur le développement du droit international privé.
Abstract
The principle of conflict of laws has always played a key role in private international law, and has undergone many transformations. Originally considered too rigid, because it focused on the spatial location of a given right, it has become more flexible and now gives material justice priority over conflicts justice. In some cases it has even been supplanted by the method of recognition. However, private international law in Cameroon remains attached to the classic conflicts approach, and there is a need to take into consideration all the transformations that have affected the development of private international law.
Resumen
La norma de conflicto, que siempre ha sido esencial en el ámbito del derecho internacional privado, ha sufrido importantes transformaciones. Considerada originalmente como rígida, ya que se centra en el emplazamiento espacial de la relación jurídica, se ha tornado cada vez más flexible y ha privilegiado a la justicia material, en menoscabo de la justicia conflictual ; aún más, esta norma ha sido incluso suplantada por el método del reconocimiento. No obstante, el derecho internacional privado camerunés ha conservado el vínculo con el método conflictual clásico, a pesar de que sería necesario tomar en cuenta todas estas transformaciones, que acarrean repercusiones en el desarrollo del derecho internacional privado.
Corps de l’article
La notion de conflit est essentiellement au coeur du droit international privé. Ce dernier a d’ailleurs été défini comme la science du conflit des lois[1]. Des conflits surgissent dès lors qu’il y a internationalisation des échanges, des relations humaines. Faute d’un droit privé universel applicable à de tels rapports, chaque État les soumet à sa propre réglementation. C’est à ce moment-là qu’entre en jeu le droit international privé, pour réguler le champ d’action de chaque loi[2]. Ce serait donc une sorte de droit des lois. Un auteur l’a défini ainsi : « le droit international privé peut être considéré comme étant la loi des lois. Il les domine dans leur ensemble, étend ou resserre le champ d’activité qu’il assigne à chacune d’elles, pour les contraindre à combiner leur action dans le but de tendre, en commun, à la réalisation du droit[3]. »
Pour parvenir à ces objectifs, le droit international privé emploie plusieurs méthodes[4]. Ainsi, la méthode des lois de police[5] consiste à se baser sur une analyse du but poursuivi par la loi, puis à la confronter avec les faits de l’espèce, en vue de se prononcer ou non sur l’application au cas d’espèce. Il existe aussi la réglementation directe des relations privées internationales par des normes substantielles, la méthode de la reconnaissance des situations, qui connaît en ce moment une effervescence en Europe[6], et la méthode conflictuelle ou conflictualiste, dont le procédé pour résoudre les problèmes suscités par le conflit des lois est la règle de conflit.
La règle de conflit des lois désigne, pour un certain type de situation présentant un caractère international, l’ordre juridique qui fournira la solution matérielle déterminant les droits et les obligations des sujets de ces situations. Le raisonnement conflictuel, en raison des solutions qu’il offre, est le paradigme[7] qui a le plus recueilli la confiance des internationaux privatistes[8]. Malgré l’élaboration de méthodes concurrentes[9], la règle de conflit reste la méthode dominante[10]. Au Cameroun, cette méthode a été introduite par le Code civil français de 1804 à l’époque de la colonisation, comme partout ailleurs en Afrique noire francophone[11]. Toutefois, contrairement à certains pays africains[12], le Cameroun n’a pas encore adopté un code civil qui lui est propre. Un projet de code civil est cependant en cours d’élaboration[13]. Ainsi, de lege lata, la méthode conflictuelle est bien connue au Cameroun du fait de l’article 3 du Code civil actuellement applicable, mais la jurisprudence camerounaise comporte une certaine particularité : le juge camerounais a tendance à appliquer systématiquement la lex fori aux litiges internationaux qui lui sont soumis[14], de sorte que les cas d’utilisation de la méthode conflictualiste ne sont pas fréquents[15]. Nous nous limiterons donc à analyser dans le présent article la méthode conflictuelle de lege feranda, notamment dans le projet de code civil et dans la doctrine camerounaise.
Nous estimons pertinent de rappeler ici les caractéristiques de la méthode conflictuelle telle qu’elle nous a été léguée par les glossateurs. Sa pérennité se justifie par le fait qu’elle concilie deux données fondamentales : l’antériorité de l’ordre juridique interne et la légitimité du commerce juridique international. D’abord, ne réglant pas elle-même la question de droit au fond mais s’en remettant à la loi d’un État, elle est indirecte. Ensuite, régulant les rapports privés internationaux, elle opère un choix entre les différentes lois susceptibles d’être appliquées et ne conduit pas nécessairement à l’application de la loi du juge saisi, car la méthode conflictuelle est bilatérale. Enfin, le critère de choix retenu ne se rapportant pas à la qualité des solutions substantielles mais à la localisation du rapport de droit, la règle de conflit classique est empreinte de neutralité matérielle.
Cependant, ces caractéristiques de la règle de conflit ne sont plus d’actualité. Si la bilatéralité et la neutralité de la règle de conflit ont été remises en cause[16], les mutations qui touchent sa neutralité[17] sont celles qui retiendront notre attention. En effet, on assiste depuis plusieurs décennies[18] à l’élaboration d’un nouveau type de règles de conflit s’écartant du schéma classique, de la nature traditionnellement répartitrice de celles-ci : ce sont les règles de conflit à caractère matériel. Au lieu de désigner une seule loi qui régira le rapport de droit, ces règles retiennent des rattachements multiples, et ce, en mettant plusieurs lois sur le même pied quant à leur applicabilité. Cette nouvelle structuration de la règle de conflit semble être aujourd’hui répandue[19]. De telle sorte qu’il importe de savoir comment le droit international privé camerounais a intégré ces mutations. Dans un contexte où apparaissent de plus en plus des méthodes concurrentes, il conviendrait de remettre en question celle qui a toujours été au coeur du droit international privé. À l’analyse, il ressort que, en droit international privé camerounais, la méthode conflictuelle traditionnelle est celle qui a la faveur du législateur, parce qu’elle est prépondérante par rapport aux autres méthodes. Cependant, compte tenu des bouleversements que connaît le droit international privé contemporain, on peut poser la question de la pertinence du choix de la règle de conflit classique dans la résolution du conflit de lois. Nous verrons ainsi que la doctrine et la forte influence des coutumes locales favorisent l’attachement du législateur camerounais à la méthode conflictuelle classique (partie 1), ce qui contraste avec la déchéance de cette méthode dans le droit international privé contemporain (partie 2).
1 L’attachement du législateur camerounais à la méthode conflictuelle classique
Beaucoup de critiques ont été formulées à l’égard de la règle de conflit traditionnelle, telle qu’elle a été conçue par Savigny[20]. En dépit de ce fait, le droit international privé camerounais y est resté attaché. Cette règle occupe donc une place de choix dans le règlement des conflits de lois (1.1), ce qui, à notre avis, est critiquable, compte tenu de l’évolution méthodologique constatée en la matière (1.2).
1.1 La prédominance de la localisation du rapport de droit dans la structuration de la règle de conflit
En ce qui concerne la règle de conflit, le législateur camerounais a choisi de procéder à des rattachements multiples. Pourtant, l’on ne saurait affirmer de façon absolue qu’il ait subi l’influence des évolutions qui ont touché la méthode conflictuelle en Europe et en Amérique. Au contraire, le poids des coutumes locales et la doctrine justifient au Cameroun (1.1.2) l’adoption des règles à rattachements multiples sans poursuite d’une finalité matérielle (1.1.1).
1.1.1 L’adoption de règles à rattachements multiples sans poursuite d’une finalité matérielle
L’une des principales caractéristiques du projet de code civil camerounais est le maintien des rattachements classiques. Le statut personnel conçu de façon large[21] est rattaché à la loi personnelle et comprend aussi bien l’état et la capacité des personnes que les régimes matrimoniaux, les donations et les successions[22]. C’est ainsi, par exemple, que le projet de code civil énonce que « [l]es effets extrapatrimoniaux et patrimoniaux du mariage sont régis par la loi nationale des époux et s’ils sont de nationalité différente, par la loi du pays où ils ont leur domicile commun, à défaut par la loi du juge saisi[23] ». Il en est aussi de même pour le divorce ou la séparation de corps[24] ou encore la dévolution successorale[25]. Toutefois, dans ce dernier cas, seule la succession portant sur les meubles est visée[26], la loi du lieu de situation étant applicable lorsque la succession porte sur un immeuble ou le fonds de commerce[27]. Ces rattachements sont approuvés par la doctrine[28], qui range le Cameroun dans la catégorie des pays africains de droit personnel[29]. Dans ces pays, la personne n’est pas envisagée dans sa singularité, mais plutôt dans le faisceau de relations familiales où elle est engagée[30]. Il n’est donc pas étonnant que, dans toutes ces matières, le critère de rattachement principal soit la loi nationale, indépendamment de la pluralité des rattachements retenus. Concernant la filiation qui a été l’un des domaines de prédilection des règles de conflit orientées, le législateur camerounais, tout en maintenant la distinction entre la filiation naturelle et la filiation légitime quant à l’établissement de celle-ci, soumet la première à la loi des effets du mariage, la seconde à la loi nationale de la mère et, en cas de reconnaissance, à celle du père[31]. Ainsi, il a refusé de se prononcer en faveur de la loi personnelle de l’enfant, comme dans la jurisprudence française antérieure à la loi du 3 janvier 1975[32].
Ces règles de conflit ne poursuivent aucune finalité matérielle, car la pluralité des rattachements n’est pas justifiée par un principe de faveur, mais plutôt par le souci de prévoir tous les cas de figure susceptibles d’être présentés à un juge. Elle peut également se justifier par des raisons de commodité[33]. Les lois en présence ne sont donc pas choisies en fonction de leur contenu : elles participent tout simplement de la spécialisation normative dans la réglementation des situations privées à caractère international[34]. Il peut en effet paraître présomptueux de prévoir un seul rattachement pour toutes les situations juridiques données. Lorsque le rattachement précédemment retenu est défaillant, le juge peut recourir aux rattachements suivants. Il existe toute une catégorie de règles de conflit qui prévoient des rattachements en cascades, à défaut d’efficience du rattachement précédent[35]. La loi nationale pouvant être impossible ou inappropriée à appliquer dans certains cas, il fallait donc rechercher d’autres critères pour suppléer au rattachement précédent.
Cependant, exceptionnellement, on peut lire la volonté du législateur camerounais de poursuivre certains objectifs matériels, notamment en matière de protection des incapables et de contrats internationaux. Cela est perceptible à travers une autre technique qu’il utilise, soit l’adoption de règles qui, tout en retenant un rattachement prédéterminé, prévoient également des clauses permettant de lui faire exception. C’est notamment le cas pour la capacité qui est régie par la loi nationale de l’intéressé[36]. Toutefois, échappent à la compétence de cette loi, les incapacités de jouissance et les cas d’ignorance excusable de la loi étrangère de même que l’organisation de la protection de l’incapable en cas d’urgence, qui relève de la loi camerounaise[37].
Les actes juridiques, quant à eux, sont rattachés à la locus regit actum[38]. Considéré comme impératif en matière de mariage[39], ce rattachement a été appliqué de façon facultative par la jurisprudence[40], qui a eu à admettre la validité d’un mariage entre Grecs célébré à l’église grecque orthodoxe de Yaoundé conformément à leur loi nationale. Cette règle simplement conçue pour la commodité des parties n’est pas considérée comme telle par le législateur camerounais qui y voit un rattachement impératif. En revanche, en faveur de la validité des contrats, le caractère facultatif de la loi du lieu de conclusion a été admis[41].
Quant aux faits juridiques, ceux-ci sont naturellement rattachés à la loi du lieu de leur survenance[42]. Toutefois, il peut être fait application de la loi du dommage[43], de celle du domicile ou de la résidence de la victime[44]. La prédominance de la localisation du rapport de droit se vérifie encore une fois de plus. Pensons, par exemple, à l’article qui énonce ceci : « Les droits de la personnalité sont régis par la lex loci delicti […] en cas d’atteinte aux droits de la personnalité par voie de média, il est fait application de la loi du domicile de la victime et à défaut la loi de la résidence[45]. » Le critère du domicile de la victime n’est retenu dans ce cas que parce qu’il pourrait y avoir difficulté à localiser le lieu du délit. Or, peu importe le canal par lequel les droits de la personnalité ont été violés, la loi jugée la plus favorable à la victime est celle qui aurait pu être retenue parmi toutes les lois susceptibles d’avoir un lien avec le délit. Pour ce qui est du statut réel, il est naturellement soumis à la loi du lieu de situation des biens, avec cette particularité que leur domaine se réduit aux immeubles, aux fonds de commerce et à l’indivision successorale, compte tenu de l’extension du domaine du statut personnel. Ces choix opérés par le législateur camerounais ne sont pas fortuits.
1.1.2 Le poids de la tradition et des réalités socioculturelles sur le choix de la règle de conflit bilatérale classique
La « crise » générale du droit international privé observée en Europe et en Amérique[46] ne semble pas avoir touché le Cameroun. Les débats sur la justice matérielle et la justice conflictuelle sont loin des réalités locales, celles-ci étant pour l’essentiel encore centrées sur la justice du choix de la loi[47]. L’une des raisons principales est sans nul doute le poids de la tradition africaine. M. Abd-El-Kader Boye l’avait déjà relevé : l’adhésion des États d’Afrique noire à la technique de la règle de conflit bilatérale, tout au moins en ce qui concerne le statut personnel, est justifiée par le fait que c’est le procédé qui s’accorde le mieux avec la tradition personnaliste négro-africaine[48]. Rappelons que le Cameroun est caractérisé par une pluralité de coutumes à base personnelle[49]. La coutume est alors entendue comme le système juridique d’origine ancestrale, d’un groupe d’êtres humains vivant en commun, sur un territoire commun, et obéissant aux mêmes règles de vie[50]. Considérée comme personnelle et non territoriale, la coutume régit la personne et ses biens[51]. Par conséquent, il est a priori impensable d’appliquer à un individu une coutume autre que la sienne. Comme l’a affirmé Meijers, « [c]elui qui renonce à sa loi personnelle abandonne un peu de soi-même, il commet une trahison envers l’entité intellectuelle par tous ceux qui sont unis par cette même loi[52] ». Transposé sur le plan international, l’attachement à la règle de conflit bilatérale, on peut le comprendre, permet de conserver son identité tout en respectant celle de l’autre. Il y a donc comme une sorte de « fusion » entre la technique de la méthode conflictuelle classique et le fonctionnement des sociétés traditionnelles africaines et camerounaise en particulier.
Si cette assertion est avérée dans le cas du rattachement du statut personnel à la loi nationale, elle peut être difficile à soutenir pour ce qui est des autres catégories et critères de rattachement. Ceux-ci ont été maintenus par un souci de cohérence, et surtout à cause de la méfiance envers les innovations venues d’ailleurs. Jean-Louis Bergel a affirmé à juste titre qu’« [i]l faut que le Droit soit compatible avec les aspirations des peuples et l’opinion publique pour que le corps social ne le rejette pas. Sinon, faute de pénétrer dans l’ordre juridique réel, il reste lettre morte et perd toute effectivité[53]. » Ainsi, les considérations de justice fondées sur l’analyse du contenu des lois en présence peuvent sembler loin des réalités camerounaises, dans un contexte où le juge peine encore à appliquer la méthode conflictuelle classique[54]. Cela pourrait justifier les réticences du législateur camerounais à intégrer de manière générale les nouvelles approches méthodologiques contemporaines, sauf en matière de forme des contrats où une certaine flexibilité de la règle locus regit actum a été consacrée.
Cependant, pour pertinentes que soient ces raisons, le droit international privé camerounais ne saurait évoluer en marge de l’évolution mondiale et les critiques effectuées à l’égard de la méthode conflictuelle classique sont à considérer.
1.2 Des critiques du choix méthodologique de résolution des conflits opérés par le législateur camerounais
La méthode conflictuelle, telle qu’elle a été utilisée par le législateur camerounais, est critiquable. En premier lieu, elle est extrêmement complexe. Dans la majorité des cas, le législateur a prévu des rattachements classiques tout en les assortissant de multiples exceptions, toutes fondées sur la localisation du rapport de droit, ce qui rend diffuse l’identification de la loi applicable[55]. On peut douter que le juge l’applique telle qu’elle, étant donné qu’il a souvent manifesté une répugnance à l’égard de la méthode conflictuelle[56].
En second lieu, les insuffisances de la règle de conflit classique ont été démontrées. Selon la règle de conflit traditionnelle, chaque fois qu’un tribunal doit connaître d’un litige comportant un élément d’extranéité susceptible de se rattacher à deux ou plusieurs États, il lui faut consulter son propre système de droit international privé pour choisir l’ordre juridique dont la loi a vocation à s’appliquer. Cette localisation stricte du rapport de droit peut conduire au choix d’une loi relativement appropriée pour régir la situation juridique.
Le fonctionnement de la règle de conflit savignienne est basé sur la localisation du rapport de droit. Savigny avait affirmé que, « pour chaque relation juridique, il faut rechercher le territoire auquel cette relation appartient et au droit duquel elle est soumise, conformément à la nature qui lui est propre, c’est-à-dire le terrain juridique où elle a son siège[57] ». C’est dire qu’il faut rechercher pour chaque relation juridique, conformément à sa nature, le lien qui la rattache à un État : c’est là le critère de rattachement. Autrement dit, il faudrait localiser chaque rapport de droit en fonction de sa nature, et ce, pour lui appliquer la loi de ce lieu[58]. Cette localisation s’effectue dans l’espace. Ainsi, lorsque l’objet du rapport de droit est une chose occupant un espace défini, on rattache le rapport de droit à la loi du lieu où se situe cette chose[59]. C’est ce qui donne compétence à la loi du lieu de situation de l’immeuble par exemple. Cette localisation peut également être aisée avec les personnes. En effet, en dépit de leur mobilité, elles entretiennent des liens permanents avec un lieu donné, d’où l’application de la loi personnelle à tous les rapports de droit qui ont pour objet la personne.
En ce qui concerne les obligations qui n’occupent pas de place dans l’espace, on peut les rattacher aux événements matériels qui leur donnent naissance : lieu de conclusion du contrat, survenance du délit[60].
Cependant, bien que des vertus de certitude et de prévisibilité puissent être portées à l’actif de ce système de rattachement, beaucoup de reproches peuvent également lui être faits. Ainsi, il n’est pas toujours approprié de rattacher un rapport à un seul État, notamment en matière de délits. Le fait dommageable peut avoir eu lieu dans un État, tandis que le dommage lui-même est survenu dans un autre État. De même, une personne peut ne pas avoir une seule nationalité, mais deux, voire plusieurs, ce qui la rattache a priori à plusieurs États. De ce fait, cela pourrait engendrer des conflits au moment de la résolution des litiges relatifs au statut de la personne d’un multinational[61].
Toutes ces hypothèses montrent que le rattachement d’un rapport juridique à la loi d’un seul État peut ne pas toujours être aisé. C’est certainement ce qui a justifié le choix du législateur camerounais de recourir à plusieurs rattachements. Cependant, le résultat n’est pas entièrement satisfaisant, parce que le législateur n’a pas tenu en compte des reproches qui ont été adressés par les auteurs américains à la méthode conflictuelle. L’un des plus décisifs a été fait par Cavers[62], à savoir celui de la mécanicité, de l’inflexibilité et, surtout de la trop grande prise en considération de la justice des conflits au détriment de la justice matérielle. Pour Cavers, le juge doit examiner non seulement les liens qu’entretiennent les diverses lois en présence avec la situation litigieuse, mais également leur contenu. Sa méthode, dite result-selective, envisage, pour effectuer le choix de la loi, la solution substantielle. Dans le but d’éviter l’arbitraire et l’insécurité juridique engendrée par cette méthode, Cavers a proposé l’élaboration des principes de préférence pouvant servir de guide au juge. Son approche a suscité une forte réprobation en Europe en raison du rôle qui est généralement accordé au juge dans les pays de tradition civiliste[63]. Corrélativement, un reproche d’insécurité juridique et d’arbitraire peut également s’ajouter. À notre avis, cette méthode mérite tout simplement d’être encadrée en fixant un nombre limité de lois dont le juge ou les parties ne pourraient s’écarter. La recherche de la sécurité juridique ne devrait pas oblitérer le besoin de justice inhérent à tout être humain. La position soutenue par les défenseurs de la règle de conflit traditionnelle, selon laquelle les considérations de justice étaient déjà présentes dans la notion de « siège » du rapport de droit selon Savigny[64], est vraie en partie. Cependant, les considérations de justice présentes dans les règles de conflit traditionnelles ne se préoccupent pas du résultat matériel à atteindre. Le choix du rattachement s’effectue plutôt en fonction des considérations abstraites par rapport à la teneur de la loi désignée[65]. C’est ainsi, par exemple, que le rattachement du régime matrimonial légal à la loi nationale du mari, après avoir été admis[66], a par la suite été rejeté à cause du principe de l’égalité entre l’homme et la femme[67]. Or la loi nationale du mari n’est pas toujours défavorable à la femme.
Le rattachement mécanique des situations juridiques peut conduire, cela se produit très souvent, à la désignation d’une loi non appropriée. Et cela, la jurisprudence et la doctrine l’ont bien remarqué dans l’application de la règle de conflit classique. C’est la raison d’être des mécanismes du renvoi et de l’exception d’ordre public international.
Il y a renvoi lorsque la règle de conflit du for désigne une loi qui, à son tour, refuse cette compétence en désignant une autre loi. L’admission du renvoi par la Cour de cassation française[68] montre bien que l’application mécanique des rattachement mène parfois à la désignation d’une loi qui refuse sa propre compétence, que ce soit au profit de la loi du for ou d’une loi étrangère.
Un autre mécanisme qui a permis de corriger de manière plus significative les défaillances de la règle de conflit traditionnelle est l’exception d’ordre public international. Désignée sans considération de son contenu, la loi étrangère peut, dans son application, donner lieu à un résultat estimé intolérable par le juge du for, d’où son éviction[69]. Il s’agit en effet d’assurer un équilibre entre l’accueil des lois étrangères et la cohérence de l’ordre juridique du for. En réalité, ce mécanisme ne serait pas utilisé si la désignation de la loi applicable n’était pas plus ou moins abstraite.
L’ordre public international a très souvent aussi été utilisé pour appliquer la loi la plus appropriée, ou la plus juste eu égard aux circonstances de l’espèce. Ainsi, dans une affaire d’accident de la circulation survenue à l’étranger entre nationaux, la loi étrangère du lieu du délit compétente selon la règle de conflit traditionnelle a été écartée en raison de l’ordre public[70]. L’application de la notion allemande de l’Inlandsbeziehung, soit l’ordre public de proximité en France[71], a multiplié les cas d’éviction de la loi étrangère non en raison de sa teneur, mais à cause de sa simple désignation[72]. Ces mécanismes sont seulement la traduction de l’idée que nous développons ici, à savoir que les rattachements arbitraires opérés par la règle de conflit conduisent parfois à une loi inadaptée au litige.
En outre, la doctrine américaine a formulé de nombreuses critiques en matière de responsabilité civile. Partant du constat de l’inaptitude de la lex loci delicti à donner une solution satisfaisante aux problèmes de la responsabilité extracontractuelle, Morris[73] établit le contraste qui existe entre le rattachement du contrat qui, en droit français comme anglais, se fait en tenant compte d’un ensemble de points de rattachement, et celui du délit qui s’opère en considérant un seul rattachement. Il propose donc de rechercher la proper law of the tort, en se basant sur un ensemble de facteurs de rattachement, tels que la nationalité de l’auteur et de la victime, la localisation de l’assurance responsabilité, le domicile et la résidence habituelle des parties. Même si la doctrine française n’a pas été séduite par cette méthode de solution des conflits de lois[74], l’évolution générale du droit international privé s’est faite dans un sens favorable à la prise en considération de ces critiques dans l’élaboration des règles de conflits.
Le législateur camerounais ne saurait donc rester en marge de ces évolutions, compte tenu des améliorations qu’elles apportent à la résolution des conflits de lois. L’intégration de ces critiques pourrait se matérialiser par l’élaboration d’une clause d’exception, permettant de désigner une autre loi que celle qui est retenue par la règle de conflit dès lors qu’il s’avère, d’après les faits, que le litige présente des liens plus étroits avec une autre loi. D’ailleurs, cette clause a déjà été introduite dans certaines lois[75] comme étant le fruit des critiques essuyées par la règle de conflit traditionnelle. Elle participe à l’élaboration d’un nouveau type de règles. Alors qu’elles se voulaient indifférentes au contenu des lois en présence, des règles de plus en plus nombreuses s’écartent de ce principe. Celles-ci sont flexibles parce qu’elles retiennent plusieurs rattachements, ce qui a une incidence sur le choix de la loi applicable. Leur structuration et leur finalité accentuent le déclin du conflictualisme, que semble n’avoir pas pris en considération le législateur camerounais.
2 L’élusion de la déchéance de la méthode conflictuelle par le législateur camerounais LEI
Au cours des années, le droit international privé contemporain a connu d’importants bouleversements qui ont conduit à des mutations méthodologiques profondes. Ainsi, la règle de conflit traditionnelle n’est plus au coeur du règlement des rapports privés internationaux. Non seulement elle a subi en elle-même des transformations, mais on assiste également à l’essor de méthodes qui entendent lui déroger. Toutes ces mutations influent sur la méthode conflictuelle (2.1) et accentuent son déclin en matérialisant davantage le droit international privé (2.2).
2.1 Les mutations touchant la méthode conflictuelle
La méthode conflictuelle est touchée de l’intérieur, c’est-à-dire en son propre sein, mais aussi de l’extérieur, parce qu’elle connaît des assauts qui tendent à réduire considérablement son domaine. Les transformations intrinsèques de la règle de conflit se manifestent dans l’élaboration des règles de conflit orientées qui, dans l’objectif de parvenir à une solution plus juste, opèrent un glissement du principe de proximité vers le principe de faveur (2.1.1). De l’extérieur, la méthode conflictuelle comme méthode prédominante du droit international privé est aujourd’hui sérieusement compromise par le changement de paradigme. Auparavant centré sur la coordination des ordres juridiques, celui-ci évolue de plus en plus vers la coopération. Cela entraîne l’essor de la méthode de la reconnaissance (2.1.2)
2.1.1 Le glissement du principe de proximité vers le principe de faveur
Le principe de proximité a été constaté par Paul Lagarde[76], qui y a vu le fondement de la quasi-totalité des règles de conflit. D’après ce principe, un rapport de droit est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus proches[77]. Cet auteur reconnaît toutefois que ce principe n’est pas le seul et qu’il en existe d’autres qui viennent souvent le concurrencer : le principe de souveraineté, le principe de faveur et le principe de l’autonomie de la volonté[78]. Cependant, le principe de proximité tend à s’effacer pour laisser la place au principe de faveur. Cela nous conduit à étudier les manifestations du glissement (2.1.1.1) et ses conséquences sur le fonctionnement de la règle de conflit (2.1.1.2).
2.1.1.1 Les manifestations du glissement du principe de proximité vers le principe de faveur
Le glissement du principe de proximité vers le principe de faveur s’est opéré par le moyen des règles de conflit à finalité matérielle. Inspirées des critiques de la doctrine américaine[79] relativement à la méthode traditionnelle de résolution des conflits de lois, elles partent du principe selon lequel le choix d’une loi ne saurait être définitif que si la solution qu’elle offre répond aux exigences de justice et si elle prend en considération les intérêts gouvernementaux des États dont les lois pourraient s’appliquer. Bien que les règles de conflit soient limitées pour le moment qu’à certaines matières, notamment en ce qui concerne le fait juridique[80] ou la forme des actes juridiques[81], et plus généralement lorsqu’une partie faible est en cause dans le rapport juridique[82], elles ont connu un essor considérable dans plusieurs législations en Afrique et dans le monde[83]. On en recense trois grandes catégories.
La première catégorie, tout en assortissant la règle d’un rattachement prédéterminé, prévoit des clauses qui permettent de lui faire exception[84] et d’écarter le jeu normal de la règle de conflit. C’est, par exemple, le cas de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles[85] qui dispose en son article 4 que la loi normalement désignée par la règle de conflit peut être écartée pour laisser place à la loi du pays avec laquelle le contrat présente des liens plus étroits. Bien qu’elle ne désigne pas la loi applicable en fonction de son contenu, cette règle peut être rangée dans la catégorie des règles à finalité matérielle, parce que la proper law ne peut être recherchée que lorsque la loi désignée par le jeu normal de la règle de conflit ne permet pas d’atteindre le résultat recherché[86].
La deuxième catégorie de règles, quant à elle, concerne celles qui prévoient des rattachements multiples. D’un point de vue technique, plusieurs hypothèses peuvent être distinguées. D’abord, il y a les règles de conflit qui envisagent des rattachements alternatifs : dans ces cas, peu importe la loi retenue, pourvu que le résultat déterminé soit atteint. Ensuite, il existe des règles de conflit à rattachements cumulatifs : dans cette hypothèse, le législateur entend éviter un résultat, en subordonnant sa production à l’existence de deux lois convergentes qui l’admettent. Enfin, certaines règles prévoient le choix de la loi applicable par les parties.
La troisième catégorie regroupe les règles qui imposent l’application de la lex fori lorsque les autorités du for sont compétentes. Ces règles font coïncider le forum avec le ius. Leurs domaines d’élection sont ceux où les individus souhaitent donner naissance à une situation juridique et sollicitent l’assistance d’une autorité publique[87].
Certains auteurs[88] ont considéré que toutes ces règles sont des applications du principe de « proximité suffisante », qui aurait remplacé le principe de proximité tout court. En effet, dans l’élaboration de ces règles, on ne cherche plus « le lien le plus étroit » entre la loi applicable et l’espèce, mais tout simplement « un lien étroit ». À notre avis, ces règles mettent la proximité au service de la faveur d’une solution. La recherche d’une « proximité suffisante » n’est alors effectuée que parce qu’une solution matérielle est recherchée. Il y a donc un glissement du principe de proximité vers le principe de faveur qui devient dès lors le plus prépondérant : ce dernier inspire et oriente le premier.
2.1.1.2 Les conséquences sur le fonctionnement de la règle de conflit
La première conséquence — positive d’ailleurs — des mutations de la méthode conflictuelle est la simplification de cette dernière. L’un des reproches qui lui a généralement été fait est sa complexité[89]. En effet, les règles de conflit substantielles modifient les étapes que le juge doit franchir pour résoudre un litige au moyen de la méthode bilatérale[90]. Le préalable est la qualification.
Le juge qui est placé devant un litige présentant un élément d’extranéité devra d’abord classer la question qui soulève le conflit de lois parmi les différentes catégories de son ordre juridique, en vue de lui appliquer le rattachement correspondant. La qualification est donc une étape obligatoire pour parvenir au prononcé de la décision[91]. La recherche d’un résultat influe forcément sur le choix de la qualification[92]. À noter que l’opération de qualification a souvent été utilisée par le juge pour échapper aux conséquences de l’application d’une règle jugée inacceptable[93]. Cependant, la particularité des règles à finalité matérielle se trouve dans le fait que cette instrumentalisation de la qualification s’avère explicite, et non plus simplement le fait d’un juge qui veut atteindre un résultat. Par exemple, en matière d’actes juridiques, la frontière entre la forme des actes et le fond se trouve réduite lorsque le but poursuivi est la validité de l’acte juridique en cause[94]. Un auteur a affirmé que l’on pourrait énoncer la règle suivante : « Si le contrat est valide en la forme selon la loi du lieu de conclusion mais ne l’est pas selon la loi qui la régit au fond, la loi du lieu de conclusion est applicable ; si le contrat n’est pas valide en la forme selon la loi du lieu de conclusion, mais l’est selon la loi qui le régit au fond, cette dernière loi est applicable[95]. » Ainsi, la catégorie « forme et fond » des actes et leurs rattachements respectifs deviennent fongibles.
Après la qualification et l’application du rattachement correspondant, le juge devra vérifier que la loi désignée par sa règle de conflit « veut s’appliquer » à la situation juridique visée. C’est la question du renvoi. Il y a renvoi chaque fois que la règle de conflit désigne comme compétente la loi d’un autre système juridique impliqué dans la situation internationale. Autrement dit, aucun système juridique ne se reconnaît compétent pour régir la situation en cause. Admis en droit international privé camerounais[96], le renvoi ne trouve plus à s’appliquer lorsque le rattachement du législateur est volontaire et vise un but bien déterminé.
Dans le même sens, les objectifs à caractère matériel protégés ou poursuivis par le législateur excluent le mécanisme du renvoi[97], parce que celui-ci constitue une perturbation dans la mise en oeuvre des valeurs du droit matériel[98]. Élaborés en vue d’atteindre un résultat bien précis, les rattachements alternatifs ou cumulatifs désignent une pluralité de lois, parmi lesquelles se trouve celle qui permettra d’atteindre la fin recherchée. Toutefois, exceptionnellement, le renvoi pourra être utilisé au service de la finalité à atteindre : ce sera le cas du renvoi in favorem[99].
Un autre mécanisme qui se trouvera perturbé par les règles de conflit à coloration matérielle est l’exception d’ordre public international. C’est la réaction de l’ordre juridique interne à l’abstraction des règles de conflit. La neutralité de principe de la règle de conflit traditionnelle, mettant sur le même pied la loi du for et la loi étrangère indépendamment de leur contenu[100], oblige le juge à rejeter cette dernière lorsque les solutions auxquelles elle aboutit sont choquantes pour son ordre juridique. La place de l’exception d’ordre public était donc nécessaire au bon fonctionnement de la règle de conflit traditionnelle[101]. Le législateur camerounais l’a d’ailleurs prévue, en supprimant la distinction entre l’effet radical et l’effet atténué de l’ordre public international[102], dans le but d’éviter d’avoir à procéder à une mesure des degrés de « choc » provoqués par les lois étrangères[103]. Toutefois, les considérations matérielles étant appréciées en aval au stade du raisonnement conflictuel, il n’est plus nécessaire de mettre en oeuvre le mécanisme de l’exception d’ordre public à la fin du processus conflictuel.
La deuxième conséquence fondamentale des règles de conflit à finalité matérielle est la projection, sur le plan international, des conceptions du for. Le droit international privé étant un droit de rattachement[104], la règle de conflit qui en constitue un élément essentiel ne conduit pas nécessairement à l’application de la lex fori. En effet, l’un des objectifs principaux de la règle de conflit traditionnelle est de rattacher chaque situation ou rapport juridique à la loi de l’État avec lequel elle présente les liens les plus étroits. Ainsi, elle peut conduire soit à l’application de la lex fori, soit à l’application de la loi étrangère qu’elle place a priori sur un pied d’égalité[105]. La bilatéralité de la règle de conflit a même été posée comme principe directeur du droit international privé[106]. Bien que cette bilatéralité ait été considérée comme l’idéal des universalistes parce qu’elle n’était en réalité qu’une utopie[107], elle constitue tout de même le postulat de la règle de conflit et, partant, du droit international privé. Par conséquent, il peut sembler dangereux de prôner l’application de règles qui projettent sur le plan international les solutions d’un État, au risque de compromettre l’harmonie internationale des solutions.
Cependant, la bilatéralité a déjà été mise à mal dans le fonctionnement traditionnel de la règle de conflit et l’est encore plus dans les règles de conflit à coloration matérielle. En effet, celles-ci, bien qu’elles soient apparemment bilatérales, conduisent à la transposition, sur le plan international, des solutions nationales de l’ordre juridique du for. Autrement dit, elles intègrent les questions juridiques auxquelles l’ordre juridique du for souhaite voir apporter une solution définie[108]. Or, la bilatéralité qui postule l’égalité entre la loi étrangère et la loi du for requiert que l’ordre juridique étatique accepte par avance d’appliquer des lois différentes des siennes. Loin de rechercher le meilleur rattachement, la règle de conflit à finalité matérielle fait plutôt le recensement des lois potentiellement utiles à la solution qu’elle entend promouvoir, et c’est la solution poursuivie dans l’ordre juridique du for qui dicte le choix de la loi applicable, même si celle-ci est la loi étrangère[109]. La faveur pour la validité d’un testament en la forme, ou de la reconnaissance de paternité naturelle, se satisfait aussi bien de la lex fori que de la loi étrangère. Des auteurs font remarquer à ce sujet que, « en introduisant des considérations d’ordre matériel dans la détermination même de la loi applicable, chaque État cherche à exporter ses propres conceptions touchant au fond du droit et l’expérience révèle que dans la grande majorité des cas, l’utilisation des règles de conflit à caractère substantiel débouche sur l’application de la loi du for[110] ». Les règles à rattachements cumulatifs traduisent l’hostilité d’un ordre juridique à l’égard d’une institution donnée. Les rattachements alternatifs, quant à eux, consistent presque toujours à favoriser soit une institution, soit une des parties au rapport de droit[111]. Par conséquent, ils donnent une supériorité au résultat contenu dans la loi du juge saisi[112].
L’évolution du droit international privé ne traduit que la réalité selon laquelle les règles de droit sont un ordonnancement dans le sens d’un idéal de justice[113]. Même si la conception de la justice ne peut être universelle et que cela peut justifier le reproche fait aux règles de conflit à finalité matérielle d’être excessivement particularistes[114], on ne peut nier qu’au fond le droit international privé a toujours été une projection sur le plan international des particularismes nationaux ou communautaires[115]. Cependant, ceux-ci peuvent être réduits lorsque la règle de conflit des lois est de source internationale. En effet, dans l’élaboration des règles de conflit internationales, le législateur cherche à concilier les intérêts nationaux et internationaux[116]. Cela constitue un bémol à l’excès de particularisme des règles de conflit orientées.
En réalité, l’hégémonie de la politique législative du for dans les règles de conflit n’est pas l’apanage des nouvelles règles de conflit. Elle était déjà présente dans les règles de conflit traditionnelles[117]. Si cette affirmation peut être vérifiée pour certaines règles de conflit, notamment celles qui rattachent, par exemple, le statut personnel à la loi nationale, elle est moins vérifiable pour les règles qui retiennent des rattachements plus neutres, ou objectifs, tels que le lieu de survenance du délit ou le lieu de formation du contrat. Par conséquent, l’hégémonie de la loi du for ou de sa politique législative est plus marquée dans les règles de conflit à coloration matérielle. Toutefois, d’autres méthodes tendent à donner davantage d’importance aux lois étrangères. C’est le cas de la méthode de la reconnaissance.
2.1.2 L’essor de la méthode de la reconnaissance
La mondialisation ayant entraîné le changement du contexte social international, la création des sociétés supraétatiques, notamment les organisations communautaires, et l’émergence des droits fondamentaux[118] ont changé le paradigme du droit international privé. Fondé sur la coordination des ordres juridiques, le paradigme de la règle de conflit fait place aujourd’hui à la coopération des ordres juridiques qui est le fondement de la méthode de la reconnaissance[119]. L’affranchissement de l’individu caractéristique de notre ère a pour conséquence que le rapport privé acquiert de plus en plus une autonomie par rapport à l’ordre étatique. On assiste dès lors à une réelle « privatisation[120] » du droit international privé. Celle-ci consacre le recul de la méthode conflictuelle qui devient de plus en plus inutile, parce qu’elle est basée sur la répartition. La coopération, quant à elle, s’exprime à travers la méthode de la reconnaissance.
Reconnaître une situation juridique, un acte public ou privé, un jugement[121], c’est accepter, recevoir la situation ou l’acte créé dans un ordre juridique étranger, dans l’ordre juridique du for. On parle de « reconnaissance » chaque fois que l’ordre juridique du for s’efface devant un autre ordre juridique[122]. La méthode n’est pas vraiment nouvelle : c’est en réalité une renaissance de la théorie des droits acquis[123]. Selon cette théorie fondée sur l’harmonie internationale des solutions dont Pillet a été l’un des fervents défenseurs, « [t]outes les fois qu’un droit a été régulièrement acquis dans un pays quelconque, ce droit doit être respecté et les effets qu’il produit doivent lui être garantis dans un autre pays[124] ». Rejetée en France par bon nombre d’auteurs[125], elle n’a cependant pas complètement disparu et apparaît parfois sous d’autres noms[126]. Elle a également connu une application par le moyen de l’effet atténué de l’ordre public, qui distingue la création d’une situation juridique de ses effets. La méthode de la reconnaissance reprend cette distinction, en soumettant la création des situations juridiques au procédé conflictuel et les effets de celles-ci à la reconnaissance[127].
C’est une méthode dérogatoire à la méthode conflictuelle. L’État du for tient compte de la règle de conflit de l’État d’origine, dès lors que celui-ci est compétent d’après l’application de ses règles de conflit. Par exemple, le Code néerlandais de droit international privé du 19 mai 2011[128] énonce en son article 9 :
Lorsque les effets juridiques sont attachés à un fait par l’État étranger concerné en application de la loi désignée par son droit international privé, ces même effets peuvent être reconnus à ce fait aux Pays-Bas, même par dérogation à la loi applicable en vertu du droit international privé néerlandais, dans la mesure où le refus de reconnaître de tels effets constituerait une violation inacceptable de la confiance justifiée des parties ou de la sécurité juridique[129].
Autrement dit, selon la méthode de la reconnaissance, le législateur camerounais peut énoncer à quelles conditions un mariage célébré au Cameroun est valide. En revanche, il ne devrait pas édicter à quelles conditions un mariage célébré à l’étranger sous l’empire d’une loi étrangère qui se reconnaît compétente est valide : il n’a qu’à accepter qu’une situation juridique est née à l’étranger et lui reconnaître tous les effets qui y sont attachés au Cameroun[130]. Les seules réserves à cette acceptation sont l’ordre public international, l’exigence d’une certaine proximité entre l’État d’origine et la situation ainsi que l’absence de fraude à la loi[131].
Cette méthode n’est pas mauvaise en soi, car il est tout à fait légitime de reconnaître une situation juridique créée à l’étranger sous réserve de l’impérativité de l’ordre juridique du for. Cependant, elle aura du mal à être reçue et appliquée au Cameroun pour plusieurs raisons. D’abord, le contexte social ayant favorisé la renaissance de cette méthode n’est pas encore tout à fait celui qui a cours dans ce pays. L’Union européenne, qui entraîne avec elle la libre circulation des personnes, la citoyenneté européenne et plus largement la création d’une réelle communauté juridique, constitue un stade plus avancé d’intégration que les organismes d’intégration africains dans lesquels le Cameroun est impliqué. Les institutions régionales, telles que la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (CEMAC) et l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), sont encore pour l’essentiel basées sur le développement économique des pays membres[132] : même l’OHADA qui réalise une unification juridique se limite au domaine du droit des affaires[133], et l’État des personnes qui constitue le terrain d’élection de la méthode en est donc exclu. Ensuite, le législateur camerounais a refusé de faire la distinction entre la création et les effets des situations juridiques, en rejetant la distinction entre l’effet radical et l’effet atténué de l’ordre public consacrée par la Cour de cassation française[134]. Or, il est clair que cette distinction était déjà une application subtile de la méthode de la reconnaissance. Enfin, le désir d’affirmation des États africains, et camerounais en particulier au moment où ce pays élabore un code civil qui lui est propre, peut justifier un rejet de cette méthode. Son seul véritable espoir reste le juge, qui a toujours eu une attitude hostile à l’égard de la méthode conflictuelle.
2.2 La matérialisation du droit international privé
Tel un médicament ayant des effets indésirables, toutes les mutations ayant influé sur la méthode conflictuelle ont donné une nouvelle orientation à la réglementation privée internationale. Elle consiste en l’extension du domaine des règles matérielles ou substantielles (2.2.1) et en une réduction du domaine de la méthode conflictuelle (2.2.2).
2.2.1 L’extension du domaine des règles substantielles
Les règles matérielles ou substantielles sont destinées à régir directement les relations privées internationales : elles procèdent donc d’une méthode différente de la méthode conflictuelle. Un exemple marquant en droit camerounais est le droit OHADA qui, en uniformisant le droit des affaires applicable indistinctement aux rapports internes et internationaux, a supprimé en grande partie les conflits de lois[135]. On place généralement les règles de conflit à coloration matérielle ou substantielle dans une catégorie autonome, ce qui correspond à un panachage de la méthode conflictuelle et de celle des règles matérielles ou substantielles. Celles-ci sont dotées d’un élément répartiteur et d’un élément substantiel[136]. Cependant, elles constituent, à notre avis, une pénétration de la méthode substantielle dans un domaine jusque-là réservé à la méthode conflictuelle. Il est traditionnellement admis que les règles matérielles relèvent du commerce international, et que la méthode de conflit de lois n’y joue plus qu’un rôle résiduel[137]. Ce domaine se trouve désormais étendu du fait des règles à finalité matérielle qui marquent le « déclin du conflictualisme ». Ce déclin est davantage accentué par l’essor de la méthode de la reconnaissance, qui a pris naissance dans la théorie anglo-américaine des droits acquis (vested rights). Étant une méthode unilatérale, elle est dominée par des considérations de justice matérielle : la cohérence et l’intégrité du rapport privé.
Ce déclin n’est pas nouveau, Yvon Loussouarn l’ayant déjà mentionné depuis plusieurs décennies[138], même s’il se contentait de relater les assauts des doctrinaires contre le procédé conflictuel. En effet, plusieurs auteurs, notamment Franceskakis, dépouillaient dès les années 60 la règle de conflit de sa suprématie, dans la réglementation des rapports privés internationaux[139]. De même, le renouveau de la tendance unilatéraliste que Gothot[140] avait entrevu était une prédiction qui se trouve pleinement réalisée aujourd’hui. Le déclin de la méthode conflictuelle a surgi de tous les côtés.
D’une part, les règles de conflit à finalité matérielle ne sont pas de véritables règles de conflit de lois. Ce qui entretient ou justifie le conflit des lois, c’est le doute sur la loi applicable. À partir du moment où l’on se pose la question de savoir quelle loi il faudrait appliquer à la situation juridique en cause, là commence véritablement la science du conflit des lois[141]. Or, dans le cas des règles à coloration matérielle, le doute, s’il existe, ne consiste en réalité qu’en une méconnaissance du contenu des lois étrangères. Autrement dit, si le juge pouvait avoir connaissance du contenu des lois en présence avant le litige soit posé, il la choisirait directement et l’appliquerait sans avoir besoin d’utiliser une règle de conflit. Les règles de conflit à finalité matérielle sont donc de fausses règles de conflit. L’élément répartiteur qu’elles contiennent se justifie en grande partie par l’ignorance des lois étrangères, ce qui ne constitue pas véritablement l’esprit de la méthode conflictuelle telle qu’elle a été imaginée par Savigny[142]. Un auteur a classé ces transformations de la méthode conflictuelle dans le mouvement de matérialisation des systèmes étatiques de droit international privé[143]. Même si certains auteurs pensent qu’à vrai dire, le phénomène de déstabilisation de la règle de conflit traditionnelle a contribué non à l’abattre mais à la régénérer[144], cette régénération a conduit plutôt à en réduire le domaine.
D’autre part, la place importante accordée à l’individu par l’entremise des droits fondamentaux qui lui sont reconnus favorise la consécration de l’autonomie des rapports juridiques privés déjà existants et fait concurrence à la proximité. Cela conduit à l’élaboration des règles substantielles destinées à régir les rapports juridiques internationaux.
2.2.2 La réduction du domaine de la méthode conflictuelle
La méthode conflictuelle est celle qui a toujours été au coeur du droit international privé, malgré l’élaboration de méthodes concurrentes[145]. Cependant, elle est aujourd’hui concurrencée dans le domaine même qui était le sien[146].
Dans un premier temps, le domaine de l’état, de la capacité des personnes, la filiation[147] et le mariage[148] sont les matières dans lesquelles les règles de conflit traditionnelles se sont vues remplacer par des règles porteuses des valeurs de l’ordre juridique qui les établit, notamment par l’idée de faveur, par référence à l’intérêt de l’enfant, ou pour la validité ou l’invalidation d’un mariage. Dans un second temps, dans les mêmes matières, la méthode conflictuelle a été supplantée par la méthode de la reconnaissance[149]. Car l’État du for n’a pas à recourir à sa règle de conflit pour apprécier la validité de la situation créée à l’étranger, il doit juste se contenter de la recevoir. C’est une méthode très internationaliste et tolérante parce qu’elle donne la priorité au point de vue de l’ordre juridique d’origine de la situation, dans le but de préserver la permanence de l’État des personnes.
Il faudrait cependant reconnaître que la règle de conflit traditionnelle reste largement utilisée dans les États[150], et l’on ne saurait soutenir la thèse de la disparition du paradigme de la règle de conflit[151], mais plutôt celle d’une crise du droit international privé fondée sur une localisation purement formelle des rapports privés. La voie de sortie de cette crise est l’élaboration de règles substantielles destinées à régir les relations privées internationales. La méthode de la reconnaissance en constitue déjà un début, quoiqu’elle ait encore du mal à se départir de la recherche d’une certaine proximité entre la situation et l’État qui lui a donné naissance[152]. Le principe de proximité, fondement de la méthode conflictuelle, semble encore résister aux multiples assauts qu’il connaît et se trouve même là où l’on pensait l’avoir écarté.
À côté des règles de conflit, les États pourraient procéder à une réglementation spécifique des rapports privés internationaux concernant les matières dans lesquelles ils voudraient que leurs politiques législatives l’emportent. Certains pays[153] ont déjà commencé à élaborer de telles règles, et il est souhaitable que cette méthode de réglementation des relations privées internationales, applicable à l’heure actuelle en matière de commerce international, se développe au Cameroun, ce qui aurait l’avantage d’en faciliter l’usage par le juge camerounais qui a manifesté antérieurement sa préférence pour cette méthode[154].
Conclusion
Comme nous venons de le voir, le législateur camerounais a privilégié la méthode conflictuelle classique sans tenir compte du déclin de celle-ci en Europe. Premièrement, sous l’influence des critiques américaines, elle a connu des infléchissements par le moyen des règles de conflit orientées qui ont largement été utilisées dans plusieurs législations dans le monde. Deuxièmement, la renaissance de la théorie des droits acquis sous la forme de la méthode de la reconnaissance est davantage venue accentuer son déclin. La citoyenneté européenne affaiblit le critère de la nationalité au profit de celui de la résidence habituelle, ou du domicile. Elle favorise l’essor de la méthode de la reconnaissance. Même si ce contexte international n’est pas encore totalement identique dans le cas du Cameroun, il n’est pas exclu que ce pays y parvienne sous peu. Dans le contexte de l’OHADA, un auteur avait déjà soutenu, dans le but de faciliter l’exécution des sentences arbitrales rendues sous l’égide de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, la suppression de la formule exécutoire nationale au profit d’une formule exécutoire OHADA[155]. Une thèse a également été soumise dans le même ordre d’idées en vue de défendre la suppression de l’exequatur pour la circulation des décisions judiciaires ayant appliqué le droit OHADA[156]. Même si cela reste encore limité au droit des affaires, la mondialisation et la communautarisation des sources du droit international privé ne sauraient laisser indemne le droit international privé camerounais. Il y a donc un effort de réflexion et d’adaptation à faire quant au choix des méthodes les plus appropriées pour en arriver à la résolution des litiges privés internationaux.
Parties annexes
Notes
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[1]
Hector Lambrechts, « Les bases philosophiques du droit international privé », Revue néo-scolastique, vol. 2, no 7, 1895, p. 311, à la page 313. Il est toutefois admis aujourd’hui que le droit international privé n’est plus seulement centré sur le conflit des lois : le conflit des juridictions, la nationalité et la condition des étrangers en font également partie. Voir également Paul Lagarde, « Le principe de proximité en droit international privé contemporain », (1986) 196 Rec. des cours 9, 24 et suiv.
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[2]
Le droit international privé constate la diversité des systèmes et tente de les coordonner. Voir, en ce sens, Henry Batiffol et Paul Lagarde, Traité de droit international privé, 8e éd., t. 1, Paris, L.G.D.J., 1993, nos 245 et 252.
-
[3]
Charles Antoine Brocher, Cours de droit international privé suivant les principes consacrés par le droit positif français, t. 1, Paris, Thorin, 1882, p. 25.
-
[4]
Une méthode implique une succession de démarches pour parvenir à un résultat.
-
[5]
À titre indicatif : Phocion Francescakis, « Quelques précisions sur les “lois d’application immédiate” et leurs rapports avec les conflits de lois », (1966) 55 R.C.D.I.P. 1 ; Pierre Gothot, « Le renouveau de la tendance unilatéraliste en droit international privé », (1971) 60 R.C.D.I.P. 1 ; Pierre Mayer, « Les lois de police étrangères », (1981) 108 J.D.I. 277.
-
[6]
Paul Lagarde, « La méthode de la reconnaissance est-elle l’avenir du droit international privé ? », (2014) 371 Rec. des cours 9.
-
[7]
Un paradigme est l’ensemble des idées et des attitudes généralement considérées par la communauté des scientifiques à une époque donnée comme le fondement théorique de son travail. Voir Thomas S. Khun, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983.
-
[8]
C’est ce qui justifie la floraison des cours donnés durant les années 30 à l’Académie de droit international de La Haye. Roberto Ago, « Règles générales des conflits de lois », (1936) 58 Rec. des cours 243 ; Jacques Maury, « Règles générales des conflits de lois », (1936) 57 Rec. des cours 325 ; Hans Lewald, « Règles générales des conflits de lois. Contribution à la technique du droit international privé », (1939) 69 Rec. des cours 1.
-
[9]
Phocion Francescakis, « Compte rendu de la 4e édition du traité de Batiffol », (1967) Rec. des cours 425 ; Henry Batiffol, « Le pluralisme des méthodes en droit international privé », (1973) 139 Rec. des cours 75.
-
[10]
L’uniformisation du droit OHADA n’a pas réussi à l’écarter ; voir : Gérard Ngoumsta Anou, Droit OHADA et conflits de lois, Paris, L.G.D.J., 2013 ; Bernard Audit, « Le droit international privé à la fin du xxe siècle : progrès ou recul », (1998) 50 R.I.D.C. 421.
-
[11]
Sur les méthodes d’exportation du modèle français en Afrique, voir Michel Grimaldi, « L’exportation du code civil », Pouvoirs, no 107, 2003, p. 91.
-
[12]
Sont ici visées : les neuf lois ivoiriennes (Lois no 64-373 à 64-381 du 7 octobre 1964) relatives au droit des personnes et de la famille ; la Loi no 15/72 du 29 juillet 1972 portant adoption de la Première Partie du Code Civil du Gabon ; la Loi no 1976-60 du 12 juin 1976 portant Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal.
-
[13]
Plusieurs moutures se sont déjà succédé : la première, intitulée « Projet de loi portant code des personnes et de la famille », voit le jour en 2004 ; vient en 2008 la deuxième mouture. En 2010 apparaît la troisième mouture, intitulée « Projet de loi portant code des personnes, de protection de la famille et de l’enfant » ; enfin, la mouture de 2012 envisage l’élaboration d’un code civil camerounais complet.
-
[14]
Sur cette fâcheuse tendance, voir : Justine Diffo Tchunkam, « Le juge camerounais et l’application de la lex fori », (2011) 8 R.A.S.J. 9 et suiv. ; Paul Marcellin Fansi, « La méthode de résolution des conflits de lois dans la jurisprudence camerounaise de droit international privé », (2013) 96 Juridis 98 ; Rajan Daswani née Anita Darajanani, Trib. gr. inst. Mfoundi, citée dans François Anoukaha (dir.), Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, Dschang, Lerda, 2008, p. 598 ; Papadopoulos Nikitas c. Dame Papadopoulos née Assalé Hélyette, Cour suprême du Cameroun oriental, citée dans Fr. Anoukaha, préc., note 14, p. 590.
-
[15]
Sammy Chumfong c. Dame Renalls Ina Maud, Cour suprême du Cameroun, 2 novembre 1978, affaire dans laquelle le juge camerounais a donné compétence en matière de régime matrimonial à la loi du lieu de célébration du mariage.
-
[16]
On assiste à un essor de l’unilatéralisme, notamment dans l’article 310 du Code civil français. Voir également Yvon Loussouarn, « Cours général de droit international privé », (1973) 139 Rec. des cours 267, 275-283.
-
[17]
Les mutations qui touchent ce caractère sont, à notre avis, les plus importantes.
-
[18]
Ce phénomène était déjà présent dans les conventions de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants, notamment celle qui a été conclue en 1956 (Convention sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants, 24 octobre 1956, (1964) 510 R.T.N.U. 161). Il connaît aussi un essor particulier dans la convention de La Haye de 1971, relative aux accidents de la route (Convention sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, 4 mai 1971, (1975) 965 R.T.N.U. 411) ; voir également Jean-Pierre Laborde, La pluralité du point de rattachement dans l’application de la règle de conflit, thèse de doctorat, Bordeaux, Faculté de droit, des sciences sociales et politiques, Université Bordeaux 1, 1981.
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[19]
Cette structuration est implantée dans plusieurs pays, notamment en France, au Québec, en Suisse et plus généralement dans les conventions de la Haye.
-
[20]
Au xixe siècle déjà, certains auteurs avaient révélé ses insuffisances. Voir notamment H. Lambrechts, préc., note 1, à la page 10. Lire également : Gerhard Kegel, « The Crisis of Conflicts of Laws », (1964) 112 Rec. des cours 91 ; Pierre Bourel, Pascal de Vareilles-Sommières et Yvon Loussouarn, Droit international privé, 8e éd., Paris, Dalloz, 2004, qui affirment que « [l]a théorie des conflits de lois serait presque toujours faussée dans son application, car elle recèle des vices auxquels il est impossible de remédier, tels que la qualification lege fori, la déformation de la loi étrangère à raison du panachage de la procédure et du fond, la méconnaissance fréquente de cette même loi étrangère tenant à la difficulté d’assimiler le contexte sociologique qui lui sert de support et l’interprétation qu’en donne la jurisprudence étrangère ». À cela d’autres auteurs ont ajouté sa complexité, son insuffisance d’internationalisme, son excessive mondialisation : pour un résumé de ces critiques, voir Y. Loussouarn, préc., note 16, 269-386.
-
[21]
Une conception restrictive est adoptée en Europe.
-
[22]
Projet de code civil camerounais, 2012, art. 263 et 269.
-
[23]
Id., art. 397, al. 1.
-
[24]
Id., art. 467, al. 1.
-
[25]
Id., art. 1174, al. 1.
-
[26]
Cette solution qui a été consacrée par la jurisprudence française (Civ. 1re, 21 mars 2000, D. 2000.540, note Boulanger), mais abandonnée par le Règlement européen du 4 mai 2012 relatif aux successions, donne compétence à la loi de la résidence habituelle du de cujus avec possibilité pour celui-ci d’opter pour la compétence de sa loi nationale.
-
[27]
Projet de code civil camerounais, préc., note 22, art. 1174, al. 3.
-
[28]
Brigitte Djuidje Chatue, « Les régimes matrimoniaux en droit international privé camerounais », dans Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Dschang, vol. 5, 2001, p. 179 ; Brigitte Djuidje Chatue, Les conflits de lois dans l’avant-projet de code camerounais des personnes et de la famille. Vers une réforme conséquente ?, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 113 et suiv.
-
[29]
Raoul Benattar, « Problèmes relatifs au droit international privé de la famille dans les pays de droit personnel », (1967) 121 Rec. des cours 1, 5.
-
[30]
Thérèse Malongue Atangana, La protection de la personne de l’enfant : étude du droit positif camerounais à la lumière de la Convention internationale sur les droits de l’enfant, thèse de doctorat, Lyon, Faculté de droit, Université Jean Moulin Lyon III, 2001, p. 229.
-
[31]
Projet de code civil camerounais, préc., note 22, art. 541 et 542.
-
[32]
Loi no 75-3 du 3 janv. 1975 portant diverses améliorations et simplifications en matière de pensions ou allocation des conjoints survivants, des mères de famille et des personnes âgées, J.O. 4 janv. 1975, p. 198.
-
[33]
Il peut être plus commode d’appliquer la loi du juge saisi concernant la procédure du partage, ou la lex rei sitae dans le cas de l’indivision successorale, la loi nationale étant dans ce cas inappropriée ; Projet de code civil camerounais, préc., note 22, art. 1175, al. 1.
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[34]
Cette évolution est déjà indiquée dans H. Lewald, préc., note 8, 5 et suiv. ; Petros G. Vallindas, « La structure de la règle de conflit », (1960) 101 Rec. des cours 327 ; Jacques Foyer, « Problèmes de conflits de lois en matière de filiation », (1985) 193 Rec. des cours 9.
-
[35]
Hélène Gaudemet-Tallon, « La désunion du couple en droit international privé », (1991) 226 Rec. des cours 9, 100. Voir également l’article 8 du Règlement (UE) 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, [2010] J.O., L 343/10, art. 8.
-
[36]
Projet de code civil camerounais, préc., note 22, art. 280.
-
[37]
Id., art. 282 et 283.
-
[38]
Id., art. 394, 1174, al. 2 et 1228, qui rattachent, quant à leur forme, le mariage au lieu de célébration, les donations et le testament au lieu où il a été rédigé.
-
[39]
L’article 217 du Code pénal camerounais frappe d’une pénalité le ministre du culte qui célèbre un mariage religieux avant le mariage civil. La sécularisation du mariage au Cameroun est un principe d’ordre public qui, sur le plan du droit international privé, donne un caractère impératif à la loi du lieu de célébration, sauf pour les étrangers qui doivent recourir à la forme consulaire ou diplomatique.
-
[40]
Papadopoulos Nikitas c. Dame Papadopoulos née Assalé Hélyette, préc., note 14 ; dans une affaire de testament, le juge avait appliqué la règle locus regit actum : Consorts Mansour c. Consorts Rayess, Cour suprême du Cameroun oriental, citée dans Fr. Anoukaha (dir.), préc., note 14, p. 623.
-
[41]
Projet de code civil camerounais, préc., note 22, art. 1425, al. 2, qui en plus de la loi du lieu de conclusion, a également admis la loi nationale ou la loi qui régit le contrat au fond.
-
[42]
C’est le cas des fiançailles (id., art. 389).
-
[43]
C’est le cas lorsque les différents éléments de la responsabilité se trouvent éparpillés dans plusieurs pays (id., art. 1520).
-
[44]
Cela se fera en cas d’impossibilité à localiser le dommage, notamment lorsqu’il est moral ou lorsqu’il y a pluralité des lieux du dommage (id., art. 1521).
-
[45]
Id., art. 273, al. 1 et 2 du projet du code.
-
[46]
G. Kegel, préc., note 20, 95 et suiv. ; Bernard Audit, « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit (sur la “crise” du conflit de lois) », (1984) 186 Rec. des cours 219.
-
[47]
Thérèse Malongue Atangana, « Le domaine de la loi applicable au statut personnel dans l’avant-projet de code camerounais des personnes et de la famille », (2009) 6 R.A.S.J. 75.
-
[48]
Abd-El-Kader Boye, « Le statut personnel dans le droit international privé des pays africains du Sud du Sahara. Conceptions et solutions des conflits de lois. Le poids de la tradition négro-africaine personnaliste », (1993) 238 Rec. des cours 247.
-
[49]
On compte environ 200 costumes.
-
[50]
Maurice Paul Jean Bourjol, Théorie générale des coutumes juridiques africaines, thèse de doctorat, Toulouse, Université de Toulouse, 1953, p. 46.
-
[51]
Cela justifie l’extension du domaine du statut personnel aux régimes matrimoniaux et aux successions.
-
[52]
Eduard Maurits Meijers, « L’histoire des principes fondamentaux du droit international privé à partir du Moyen Âge. Spécialement dans l’Europe occidentale », (1934) 49 Rec. des cours 543, 552.
-
[53]
Jean-Louis Bergel, « La relativité du droit ? », R.R.J. 1986.13.
-
[54]
C.A. Brocher, préc., note 3.
-
[55]
Voir, par exemple, l’article 1523 relatif au domaine de la lex loci delicti et toutes les exceptions qui y sont prévues.
-
[56]
P.M. Fansi, préc., note 14, 102.
-
[57]
Friedrich Carl Von Savigny, Traité de droit romain, Paris, Firmin Didot frères, 1840, p. 185.
-
[58]
Jean Gabriel Castel, « Les approches des systèmes de droit international privé et les conventions internationales », dans Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français (AHJUCAF), Internalisation du droit, internalisation de la justice, 2010, p. 66, [En ligne], [www.ahjucaf.org/IMG/pdf/Internationalisation_du_droit.pdf] (4 août 2016).
-
[59]
B. Audit, préc., note 46, 273.
-
[60]
Id. Tout cela fait du droit international privé un droit de rattachement ; P. Lagarde, préc., note 1, 26.
-
[61]
Brigitte Djuidje Chatue et S. Teche Ndeno, « Les conflits de nationalité au Cameroun : une impasse ? Réflexions à la lumière de l’avant-projet de code camerounais des personnes et de la famille », (2015) 103 Juridis 89. Même si des solutions ont été proposées au problème du statut personnel d’un multinational.
-
[62]
David F. Cavers, « A Critique of choice of law Problem », (1933) 47 Harv. L. Rev. 173. Cependant, on peut émettre des réserves par rapport aux solutions que Cavers préconise pour remédier à la rigidité de la règle de conflit traditionnelle.
-
[63]
Le juge y est considéré comme un serviteur de la loi. C’est ainsi que l’introduction des clauses d’exception (qui octroie de plus grands pouvoirs au juge dans le choix de la loi applicable) dans le Code de droit international privé belge de 2004, avait suscité de la part des auteurs de vives critiques. Lire à cet effet : Michel Verwilghen, « Vers un code belge de droit international privé. Présentation de l’avant-projet de loi portant Code de droit international privé », (1998-1999) T.C.F.D.I.P. 123, 158 et 159 ; G. Stuer et C. Tubeuf, « La codification en droit international privé », (2003) Rev. dr. ULB 143, 150 et 151.
-
[64]
Voir, notamment : Yvon Loussouarn, « La règle de conflit est-elle une règle neutre ? », (1980-1981) T.C.F.D.I.P. 43 ; B. Audit, préc., note 46.
-
[65]
À cet effet, un éminent auteur de droit international privé portugais a écrit que la justice du droit international privé est une justice purement formelle, son vrai but étant d’assurer la continuité des situations juridiques interindividuelles à rattachement multiples : F. Correia, Cours de droit international privé, Université de Coimbra, 1973, p. 38 ; sur la justice conflictuelle et la justice matérielle, lire également Edoardo Vitta, « Cours général de droit international privé », (1979) 162 Rec. des cours 9, 38.
-
[66]
Cela a été le cas en Allemagne, en Italie, en Espagne et dans plusieurs autres pays de droit musulman.
-
[67]
Sur ces questions, voir le compte rendu fait par Paul Lagarde, dans Benoît Dutoit et Christine Sattiva Spring, La nationalité de la femme mariée, t. 1, Genève, Droz, 1990, p. 594 ; H. Gaudemet-Tallon, préc., note 35, 9.
-
[68]
Civ. 24 janv. 1878, (1879) 6 J.D.I. 285.
-
[69]
Léna Gannage, « L’ordre public à l’épreuve du relativisme des valeurs », (2006-2008) T.C.F.D.I.P. 205 ; Bernard Audit, Droit international privé, 6e éd, Paris, Economica, 2010, no 317.
-
[70]
Paris, 30 juin 1964, (1965) 54 R.C.D.I.P. 353.
-
[71]
Paul Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit international privé, Paris, L.G.D.J., 1959.
-
[72]
Civ. 8 mars 1938, Dame Fontaine c. Époux Pulteney, G.A.J.F.D.I.P., no 17 ; Trib. gr. inst. Paris, 23 avr. 1970, (1980) 69 R.C.D.I.P., note Lagarde ; Trib. gr. inst. Paris, 23 nov. 1993, dans Jacques Foyer, « De la loi applicable à la contestation d’une reconnaissance d’un enfant naturel », (1995) 84 R.C.D.I.P. 703.
-
[73]
Pour un exposé de ces théories en français, voir : Louis Forget, Les conflits de lois en matière d’accidents de la circulation routière, Paris, Dalloz, 1973, p. 31 et suiv. ; Pierre Bourel, Les conflits de lois en matière d’obligations extracontractuelles, Paris, L.G.D.J., 1961, p. 29 et suiv.
-
[74]
H. Batiffol et P. Lagarde, préc., note 2, t. 2, no 559 ; Yvon Loussouarn, « La Convention de La Haye sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits », (1974) 101 J.D.I. 32 ; Y. Loussouarn, préc., note 16, 349 et suiv. ; B. Audit, préc., note 10, 424 et suiv. ; Civ. 1, 1er juin 1976, (1977) 104 J.D.I. 91.
-
[75]
C’est le cas en Suisse et en Belgique, par exemple. Sur la question, voir Patrick Wautelet, « Le Code de droit international privé ou l’avènement d’un droit international privé “flexible” », (2006) Rev. dr. Ulg 347.
-
[76]
P. Lagarde, préc., note 1, 25-237.
-
[77]
Id., 29.
-
[78]
Id., 61-65.
-
[79]
D.F. Cavers, préc., note 62, 173 ; J.H.C. Morris, « The Proper Law of the Tort », (1951) 64 Harv. L. Rev. 881.
-
[80]
Convention sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, préc., note 18.
-
[81]
Convention sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages, 14 mars 1978, (2001) 1901 R.T.N.U. 131.
-
[82]
Frédéric Leclerc, La protection de la partie faible dans les contrats internationaux (étude de conflits de lois), Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 60 et 61 ; Convention sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants, préc., note 18.
-
[83]
Pour ne citer que quelques exemples : Loi d’introduction au code civil allemand, art. 14, 25 et 26 ; Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé suisse ; Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 1158-1199 ; Code civil de la République d’Ouzbékistan, 1996, art. 1158-1199 ; Code civil de la Fédération de Russie ; le Code des personnes et de la famille burkinabé, art. 998-1047 ; Code de droit international privé tunisien.
-
[84]
Marie-Christine Meyzeaud-Garaud, Droit international privé, 4e éd., Rosny-sous-Bois, Bréal, 2014, p. 54.
-
[85]
Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, 19 juin 1980, (1997) 1605 R.T.N.U. 59.
-
[86]
Les correctifs apportés au rattachement exclusif sont généralement motivés par des principes de faveurs. C’est, par exemple, le cas dans la Convention de Rome en matière de contrat de travail. À côté du rattachement impératif du lieu d’exécution du travail, une possibilité de dérogation par autonomie de la volonté en faveur de la personne protégée a été instituée.
-
[87]
Pour une étude significative à ce sujet, voir Paolo Picone, « Les méthodes de coordination entre ordres juridiques en droit international privé », (1999) 276 Rec. des cours 9, 43 et suiv.
-
[88]
Tito Ballarino et Gian Paolo Romano, « Le principe de proximité chez Paul Lagarde », dans Le droit international privé : esprit et méthodes. Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Paris, Dalloz, 2005, p. 37, à la page 42.
-
[89]
Cette critique a été présentée par Y. Loussouarn, préc., note 16, 283 et suiv.
-
[90]
J. Maury, préc., note 8, 325 ; Phocion Francescakis, « Une lecture demeurée fondamentale : les “Règles générales des conflits de lois” de Jacques Maury », (1982) 71 R.C.D.I.P. 3.
-
[91]
C.A. Tunis, 12 janv. 1998, arrêt no 31-32, (1999) 5 R.J.L. 293.
-
[92]
B. Audit, préc., note 10, 431 ; Ridha Boukhari, « La qualification en droit international privé », (2010) 51 C. de D. 159, plus précisément la page 184.
-
[93]
Chaïm Perelman, « Les notions à contenu variable en droit, essai de synthèse », dans Chaïm Perelman et Raymond Vander Elst (dir.), Les notions à contenu variable en droit, Bruxelles, Bruylant, 1984, p. 363. Voir également C.A. Tunis, 25 déc. 1982, (1984) Revue tunisienne de droit 816, note K. Mezoui. Dans cette affaire, une rupture contractuelle avait été qualifiée de faute délictuelle, dans le but de permettre l’application de la lex loci delicti, qui était en l’espèce la loi tunisienne. De la même manière, qualifier de « contrat » la situation née d’un transport bénévole a constitué un moyen de résoudre le conflit né d’un accident survenu à l’étranger entre français : Trib. gr. inst. Chambéry, 14 déc. 1965, (1967) 56 R.C.D.I.P. 110.
-
[94]
Convention sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages, préc., note 81, art. 9-11 ; Civ. 1re, 28 mai 1963, (1964) 53 R.C.D.I.P. 513, note Y. Loussouarn.
-
[95]
Paul Lagarde, « Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain », (1986) 196 Rec. des cours 9, 57.
-
[96]
Cette solution a été consacrée pour la première fois en France : Civ. 24 janv. 1878, préc., note 68 ; le projet de code civil camerounais, préc., note 22, art. 20, admet également le renvoi au premier et second degrés.
-
[97]
P. Picone, préc., note 87, 96-100.
-
[98]
Jacques Foyer, « Requiem pour le renvoi ? », (1980-1981) T.C.F.D.I.P. 105.
-
[99]
Paul Lagarde, propos tenus durant le colloque à propos de l’intervention de J. Foyer, préc., note 98, 131.
-
[100]
Natalie Joubert, La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en droit international privé, Paris, Litec, 2007, p. 141.
-
[101]
Andreas Bucher, La dimension sociale du droit international privé : cours général, Leiden, Brill, 2009, p. 228.
-
[102]
Projet de code civil camerounais, préc., note 22, art. 26, al. 2 ; cette distinction consacrée par la Cour de cassation française a été critiquée par des auteurs, notamment : H. Gaudemet-Tallon, préc., note 35, 271 ; Rémy Libchaber, « L’exception d’ordre public en droit international privé », dans Thierry Revet (dir.), L’ordre public à la fin du xxe siècle, Paris, Dalloz, 1996, p. 65, aux pages 72 et suiv.
-
[103]
B. Djuidje Chatue, préc., note 28, 138.
-
[104]
P. Lagarde, préc., note 95, 26.
-
[105]
Adolf F. Schintzer, « L’égalité de la loi étrangère et de la loi interne dans les rapports internationaux », (1969) 22 Revue héllénique de droit international 33, 42.
-
[106]
P.G. Vallindas, préc., note 34, 353. Dans le même sens, l’Institut de droit international a recommandé en 1989 aux États, lorsque leurs intérêts essentiels ne s’y opposent pas, d’adopter des règles de conflit fondées sur des rattachements qui pourraient conduire égalitairement à l’application de la lex fori et la loi étrangère.
-
[107]
Peggy Carlier, L’utilisation de la lex fori dans la résolution des conflits de lois, Lille, Université du droit et de la santé Lille II, 2008, p. 40 et suiv.
-
[108]
Jean-Michel Jaquet, « La fonction supranationale de la règle de conflit des lois », (2001) 292 Rec. des cours 147, 244 et suiv.
-
[109]
Id.
-
[110]
Pierre Bourel, Yvon Loussouarn et Pascal de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 9e éd., Paris, Dalloz, 2007, p. 185 ; lire également Nadine Watté et Candice Barbé, « Le nouveau droit international privé belge. Étude critique des fondements des règles de conflit de lois », (2006) 133 J.D.I. 851, 909.
-
[111]
Yvon Loussouarn, « L’évolution de la règle de conflit de lois », dans Comité français de droit international privé, Journée commémorative du cinquantenaire : problèmes actuels de la méthode en droit international privé, Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1988, p. 92.
-
[112]
Pierre Gannagé, « L’égalité de traitement entre la loi du for et la loi étrangère dans les codifications nationales de droit international privé », (1989) 63 A.I.D.I. 223 ; Th. M. de Boer, « Facultative Choice of Law : The Procedural Status of Choice-of-law Rules and Foreign Law », (1996) 257 Rec. des cours 296 et 297 : « Application of lex fori ensures that justice is done “our way”, and that is essentially what any result – selective choice of law method tries to achieve ».
-
[113]
David Deroussin et Paul Roubier, Théorie générale du droit : histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales, 2e éd., Paris, Dalloz, 2005.
-
[114]
Hélène Gaudemet-Tallon, « L’utilisation de règles de conflit à caractère substantiel dans les conventions internationales (l’exemple des Conventions de La Haye) », dans L’internationalisation du droit. Mélanges en l’honneur de Yvon Loussouarn, Paris, Dalloz, 1994, p. 181, à la page 187.
-
[115]
L’instauration du marché unique européen a conduit à orienter la teneur des règles de conflit appliquées dans divers domaines relevant de l’activité économique.
-
[116]
Jean-Pierre Laborde et Sandrine Sana-Chaillé de Néré, Droit international privé, 18e éd., Paris, Dalloz, 2014.
-
[117]
A. Boye, préc., note 48, 247-419, avait déjà relevé l’influence de la tradition négro-africaine personnaliste sur les solutions des conflits de lois.
-
[118]
Sous l’égide de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, (1955) 213 R.T.N.U. 221. Voir Horatia Muir Watt, « Concurrence ou confluence ? Droit international privé et droits fondamentaux dans la gouvernance globale », (2013) 27 R.I.D.E. 59.
-
[119]
Charalambos Pamboukis, « La renaissance-métamorphose de la méthode de reconnaissance », (2008) R.C.D.I.P. 513.
-
[120]
Cette « privatisation » semble ne pas être nouvelle, le droit international privé évoluant de façon cyclique, et la publicisation et la privatisation des conflits de lois se succédant. Voir Horatia Muir Watt, « Droit public et droit privé dans les rapports internationaux (Vers la publicisation des conflits de lois ?) », (1997) 41 Ar. philo. dr. 207, 209, 210 et 213.
-
[121]
Nous nous appuierons ici sur une conception large de la méthode de reconnaissance en nous focalisant sur sa fonction et nous ferons abstraction des débats qui ont porté sur l’unité ou la diversité des méthodes ou encore de celui qui concerne la cristallisation de la situation dans l’État d’origine : pour une meilleure compréhension de ces questions et des solutions possibles, voir Paul Lagarde (dir.), La reconnaissance des situations en droit international privé, Paris, Pedone, 2013.
-
[122]
Pierre Mayer, « Les méthodes de la reconnaissance en droit international privé », dans Le droit international privé : esprit et méthodes. Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, préc., note 88, p. 547, à la page 561.
-
[123]
Étienne Pataut, « Le renouveau de la théorie des droits acquis », (2006-2008) T.C.F.D.I.P. 71.
-
[124]
Antoine Pillet, « La théorie générale des droits acquis », (1925) 8 Rec. des cours 485, 492.
-
[125]
Étienne-Adolf Bartin, Principes de droit international privé selon la loi et la jurisprudence française, t. 1, Paris, Montchrestien, 1930, p. 195 ; Horatia Muir Watt, « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des droits acquis », (1986) 75 R.C.D.I.P. 425.
-
[126]
À cet effet, lire É. Pataut, préc., note 123, 72.
-
[127]
C. Pamboukis, préc., note 119, 519.
-
[128]
Code civil néerlandais, livre 10.
-
[129]
Id., art. 9 (notre traduction).
-
[130]
Selon C. Pamboukis, préc., note 119, 518, « il n’appartient pas à la règle de conflit du for d’affirmer quand un rapport juridique étranger déjà existant est bien existant. La règle juridique n’a pas, congénitalement, une fonction de confirmation de l’existence d’un rapport juridique mais seulement de désignation de la loi applicable ».
-
[131]
P. Lagarde, préc., note 121, p. 22 et 23.
-
[132]
Lire, à cet effet, Francis Wodie, Les institutions régionales en Afrique occidentale et centrale, Paris, L.G.D.J., 1970, préface ; l’article 2 du Traité révisé de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, [En ligne], [www.cemac.int/sites/default/files/documents/ files/traite_revise_cemac.pdf] (5 août 2016), est aussi révélateur : « La mission essentielle de la Communauté est de promouvoir la paix et le développement harmonieux des États membres dans le cadre de l’institution de deux unions : une union économique et une union monétaire ».
-
[133]
La finalité de l’OHADA, selon le préambule du Traité révisé au Québec en 2008, est l’unification du droit pour faire de l’Afrique un pôle de développement.
-
[134]
Arrêt Bulkley (Civ. 28 fév. 1860, D.P. 1860.1.57), la Cour de cassation française a décidé ce qui suit : « La réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de laisser se produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ».
-
[135]
Philippe Fouchard, « Rapport de synthèse », dans Philippe Fouchard (dir.), L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 241 ; plus généralement sur la question, voir Gérard Ngoumtsa Anou, Droit OHADA et conflits de lois, thèse de doctorat, Université Jean Moulin Lyon III et Yaoundé II, 2009, qui soutient que, malgré l’unification du droit OHADA, la méthode conflictuelle continue de subsister.
-
[136]
B. Audit, préc., note 10, 427 ; Paolo Michele Patocchi, Règles de rattachement localisatrices et règles de rattachement à caractère substantiel : de quelques aspects récents de la diversification de la méthode conflictuelle en Europe, thèse de doctorat, Genève, Faculté de droit, Université de Genève, 1985, no 522.
-
[137]
Éric Loquin, « Règles matérielles du commerce international et droit économique », (2010) 24 R.I.D.E. 81.
-
[138]
Y. Loussouarn, préc., note 16, 279.
-
[139]
Ph. Franceskakis, préc., note 5.
-
[140]
P. Gothot, préc., note 5.
-
[141]
Propos de T.M.C. Asser, repris par H. Lambrechts, préc., note 1, à la page 314.
-
[142]
Pour plus ample information sur la méthode conflictualiste, voir H. Lewald, préc., note 8.
-
[143]
Julio D. Gonzalez Campos, « Diversification, spécialisation, flexibilisation et matérialisation des règles de droit international privé », (2000) 287 Rec. des cours 9.
-
[144]
B. Audit, préc., note 46, 367 ; G. Kegel, préc., note 20, 263.
-
[145]
H. Batiffol, préc., note 9, 79 ; Jean Derrupe et Jean-Pierre Laborde, Droit international privé, 16e éd., Paris, Dalloz, 2008, p. 71.
-
[146]
Hormis les matières relatives au commerce international, toutes les autres matières sont dominées par la méthode conflictuelle.
-
[147]
C. civ., art. 311-14, 331-16 et 311-17, qui ont pour objet de favoriser la légitimation des enfants naturels, ou leur reconnaissance.
-
[148]
En droit français, l’article 311-16 C. civ. dispose que « [l]e mariage emporte légitimation lorsque, au jour où l’union a été célébrée, cette conséquence est admise, soit par la loi régissant les effets du mariage, soit par la loi personnelle de l’un des époux, soit par la loi personnelle de l’enfant ».
-
[149]
P. Mayer, préc., note 122, 571.
-
[150]
Rui Manuel Moura Ramos, « Droit international privé vers la fin du vingtième siècle : avancement ou recul ? Rapport national », (1998) 73-74 Documentaçâo e Direito Comparado 85, 99, remarque qu’au Portugal la préférence pour la justice conflictuelle est de mise.
-
[151]
C’est ce qu’a soutenu Hans Ulrich Jessurun d’Oliveira, De ruïne van een paradigma : de konfliktregel, Deventer, Kluwer, 1976.
-
[152]
La majorité des législations subordonnent la reconnaissance des situations au rattachement de celles-ci à l’État d’origine par la nationalité, le domicile ou la résidence habituelle.
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[153]
C’est le cas du Portugal où la législation sur les contrats de crédit à consommation prévoit en son article 20 qu’elles s’appliquent indépendamment de la loi régissant ce contrat chaque fois que le consommateur a sa résidence au Portugal et ce, dès que la conclusion du contrat a été précédé d’une offre dont la publicité a été faite au Sénégal et que le consommateur y a émis sa déclaration de volonté. Il s’agit du décret-loi no 359/91, du 21 septembre 1991. Il est vrai que ce mode de réglementation y est encore considéré comme minoritaire par rapport au procédé traditionnel.
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[154]
P.M. Fansi, préc., note 14, 103.
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[155]
Jean-Marie Tchakoua, « L’exécution des sentences arbitrales dans l’espace OHADA : regard d’une construction inachevée à partir du cadre camerounais », (2009) 6 R.A.S.J. 1.
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[156]
Véronique Carole Ngono Nkoa, La circulation des titres exécutoires dans l’espace OHADA, thèse de doctorat, Université de Ngaoundéré, 2015.