François-Xavier Licari a certainement fait preuve d’une double audace en se lançant dans la rédaction d’un court ouvrage consacré au droit talmudique. Audace d’abord quant à la nouveauté de l’entreprise : le droit talmudique, composante du droit juif avec le droit biblique, notamment, est en effet délaissé par les juristes francophones qui s’intéressent au droit comparé et aux grands systèmes de droit contemporains. Contrairement aux droits de tradition romano-germanique ou de common law, au droit russe, au droit indien, au droit musulman, au droit de l’Afrique, etc., on constate que le droit talmudique n’est que très rarement ou jamais abordé par les comparatistes. Certains s’en étonneront. La morale occidentale ne repose-t-elle pas sur une tradition « judéo-chrétienne » et le droit n’entretient-il pas, n’en déplaise aux positivistes, un lien étroit avec cette même morale ? D’autres justifient cette absence en raison du « faible domaine d’influence » du droit talmudique et, en particulier, du petit nombre de ses justiciables. Un ouvrage de nature juridique portant sur le droit talmudique, en langue française, était donc non seulement opportun mais aussi nécessaire. Audace, enfin, quant à l’ampleur de la tâche : il s’agissait en effet pour l’auteur de se confronter, outre aux 72 volumes du Talmud ou, à tout le moins à leur esprit, à une littérature des plus abondantes pour en tirer un ouvrage synthétique dont l’objet consiste davantage à présenter les sources sociohistoriques directes et indirectes de ce droit, son autorité, ses méthodes d’interprétation et sa place au sein des droits des nations. Comme le souligne l’auteur lui-même, l’ouvrage constitue un essai et non un manuel de droit talmudique. Il décrit le contenu typologique du droit talmudique et non son contenu normatif. L’intérêt de cet écrit en est encore plus grand. François-Xavier Licari a donc divisé son ouvrage en six chapitres qui portent respectivement sur l’objet du droit talmudique (chap. 1), l’ordre juridico-religieux couvert par le droit talmudique (chap. 2), les sources de ce droit (chap. 3), son autorité (chap. 4), ses méthodes d’interprétation (chap. 5) et sa place parmi le droit des nations (chap. 6). Cette présentation revêt un caractère des plus pertinents. En effet, la tendance et la logique pour un ouvrage de nature juridique qui concerne une famille du droit semblent commander que l’on commence par présenter les sources et donc l’histoire du droit en question. Cependant, la particularité du droit talmudique, qui fait partie à la fois de la famille des droits religieux tout en contribuant à former un système juridique qui dépasse à certains égards la sphère religieuse, sans pour autant rompre les liens, conduit l’auteur à s’interroger préalablement sur la nature de ce droit, sa juridicité, sur sa place dans un système juridico-religieux, avant même d’en envisager les sources. Ces questions complexes sont abordées par l’auteur avec clarté et démontrent une érudition impressionnante quant à la culture et à la littérature juives, et notamment « halakhiques » et rabbiniques. Le résultat donne un essai fécond. Les analyses de l’auteur sont quasi systématiquement illustrées d’exemples trouvés dans les multiples sources talmudiques. En effet, pour décrire et expliquer le pluralisme du droit talmudique, lequel s’est construit et s’élabore encore aux termes de débat infinies – s’inscrivant ainsi dans un processus dialectique constituant vraisemblablement l’essence même du Talmud –, l’auteur n’hésite pas à citer des précédents pertinents puisés parmi les innombrables controverses dont regorge le Talmud. En soi, et nous insistons sur ce point, cet exercice nécessite une grande connaissance des textes. Ainsi, à titre d’exemple, l’auteur rappelle un épisode du débat opposant les deux écoles de pensée les plus connues et qui se défient fréquemment dans …
François-Xavier Licari, Le droit talmudique, Paris, Dalloz, 2015, 193 p., ISBN 978-2-247-15173-8[Notice]
…plus d’informations
Alexandre Stylios
Université Laval