Toutes les personnes qui participent à cet hommage au juge Louis LeBel le connaissent aussi personnellement. Plusieurs sont d’ailleurs de ses intimes. Mes propos dans les pages qui suivent ne seront donc guère surprenants, mais ils permettront peut-être de mieux connaître l’homme que j’ai découvert progressivement, le collègue avant-gardiste à ses heures, l’érudit, la personne profondément dévouée au service public. J’ai travaillé aux côtés du juge LeBel pendant 20 de mes 22 années de magistrature. Et c’est sans compter ce qu’il représentait comme figure alors que j’étais juge à la Cour supérieure du Québec ou encore comme avocate plaideuse. En fait, j’ai senti sa présence pendant la plus grande partie de ma carrière professionnelle. Ma présentation a deux volets : l’homme et le juriste. Louis LeBel est né dans une famille d’intellectuels. Son père, aussi avocat, ne se contentait pas de lire les livres en vente à Québec : il faisait venir des livres d’Europe. La mère de Louis LeBel était aussi érudite. Elle a, d’elle-même, élargi ses horizons en puisant dans une littérature variée, lisant même souvent des livres mis à l’index (les plus jeunes n’ont peut-être jamais entendu parler de cette liste de livres interdits par le clergé catholique de l’époque). À la maison, donc, la lecture prenait le dessus sur tout — même le ménage — et ponctuait le quotidien. Comme on le voit, le fruit n’est pas tombé loin de l’arbre. Louis LeBel fait des études chez les Jésuites. Le curriculum du cours classique sied bien à cet intellectuel : latin, grec ancien, philosophie sont des sujets dans lesquels il baigne. À la fin de la dernière année de son cours, en philo II, lorsqu’il s’interroge sur son avenir professionnel, il est confronté à un difficile choix. Presque toutes les options s’offrent à lui. La médecine, particulièrement la chirurgie, l’intéresse. Cependant, il se rend rapidement compte qu’il n’a aucun talent manuel. Il pense alors poursuivre des études en sciences sociales, puisque, à l’époque, l’Université Laval vient d’ouvrir une nouvelle faculté et que le père de Louis y enseigne les sciences économiques. Finalement, plutôt à la dernière minute, Louis LeBel décide de s’inscrire en droit, sûrement confiant qu’il pourra conjuguer son intérêt pour diverses sciences sociales avec la pratique du droit. C’est à l’Université Laval que Louis LeBel va à la rencontre du droit, mais c’est aussi dans cette institution qu’il fait une rencontre tout aussi importante pour le reste de sa vie : celle de la femme qui deviendra sa compagne de vie, Louise Poudrier. En effet, Louise étudie également à la Faculté de droit de l’Université Laval. Après la troisième année, elle est la seule femme encore inscrite au programme. La petite histoire veut que ce soit, notamment, au cours d’un spectacle étudiant, dans un sketch intitulé Les bérets blancs, dans lequel Louise jouait aux côtés de Brian Mulroney, que Louis a remarqué Louise. Louise fera aussi carrière en droit, comme professeure. Elle a publié de nombreux ouvrages, est devenue, comme plusieurs le savent, vice-doyenne de la Faculté de droit de l’Université Laval et a pris sa retraite en 2000. Un aspect plutôt méconnu de Louis LeBel est son côté avant-gardiste. Je ne citerai qu’un exemple révélateur, que je tiens de la juge France Thibault, son ancienne associée, maintenant juge à la Cour d’appel du Québec. Louis LeBel favorise très tôt l’intégration des femmes dans la profession juridique. À une époque où aucune norme ne régit le congé de maternité, il fait insérer dans le contrat de travail de toutes les femmes embauchées dans son cabinet une clause leur garantissant un salaire durant six …
Double regard sur Louis LeBel : l’homme et le juge[Notice]
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Juge retraitée, Cour suprême du Canada
Avocate, C.C., Ad. E.