Contrairement à ce qui se passe dans le monde universitaire anglo-saxon, et malgré l’influence des travaux des French Feminists dans le monde universitaire occidental, les analyses et les théories féministes ont eu peu ou pas d’influence sur les écrits juridiques ou sur les programmes des facultés de droit françaises. On pourrait proposer différentes explications à cette situation : la barrière de la langue, celle des disciplines – le mouvement des French Feminists ne serait pas connu dans les facultés de droit françaises −, la formation des doctorantes et des doctorants ainsi que des futurs membres du corps professoral en France qui sont peu encouragés à entreprendre des études à l’étranger. Le mouvement féministe français a peut-être décidé que le droit ne pouvait être un outil de changement social et ne l’a pas considéré dans ses stratégies. Cette ignorance volontaire ou non par les juristes des réflexions féministes riches et variées aurait certainement pu alimenter la critique du droit français et le mouvement féministe français. Des chercheurs et des chercheuses de l’Hexagone ont obtenu un financement important de l’Agence nationale de la recherche (ANR), pour mener des recherches juridiques à partir d’un cadre conceptuel féministe, ou plutôt fondées sur le genre. Le présent ouvrage regroupe les communications prononcées lors d’un colloque tenu en septembre 2012 sous l’égide du programme Recherches et études sur le genre et les inégalités dans les normes en Europe (REGINE). Tous les textes réunis ont pour objet de déconstruire l’objectivité du droit et de dénoncer ses effets discriminatoires sur les femmes. D’où le titre, Ce que le genre fait au droit. Par « genre », on entend ici « une large diversité d’études sur les femmes, d’études féministes, ainsi que des théories sur le genre et les sexualités ». Dans tous les textes, les sources citées sont variées, puisées dans les sciences tant sociales que juridiques, aussi bien dans le monde anglo-saxon que français. Cependant, nous avons noté le peu de mentions aux écrits féministes canadiens ou québécois. Dans la partie introductive, le cadre conceptuel féministe est présenté. On tente ici de contrer tous les arguments selon lesquels les critiques féministes ne sont pas scientifiques, car elles relèveraient davantage de l’idéologie et du militantisme. Comme le soulignent les auteures, cet exercice justificatif n’était pas nécessaire dans la mesure où les seuls titres et l’expérience des spécialistes de la recherche rassemblés au sein de l’équipe de REGINE étaient suffisants pour légitimer la démarche, mais aussi compte tenu de la reconnaissance des études féministes ailleurs dans le monde occidental. Les textes abordent la polysémie de la notion de genre, la critique de la neutralité du droit et le danger de l’essentialisme qui guette le féminisme. Un lectorat averti ne trouvera pas ici de nouvelles analyses. À des fins pédagogiques, pour illustrer la partialité du savoir, on utilise l’exemple de l’expression « suffrage universel », qui n’est devenu réellement universel en France qu’en 1944 lorsque les femmes ont acquis le droit de vote, en 1945 pour les militaires et en 1946 pour la population française d’outre-mer. Pourtant, comme le démontrent des extraits d’ouvrages récents reproduits, de nombreux auteurs continuent à employer l’expression « suffrage universel », lorsqu’il est question de la période avant 1944. Il faudra vérifier si les auteurs ainsi interpelés corrigeront leur erreur dans des éditions futures. La première partie de l’ouvrage est consacrée aux enjeux. Le premier texte aborde la question de la laïcité et des effets discriminatoires des normes juridiques, à première vue neutres, encadrant les pratiques religieuses. À partir d’une lecture « genrée », Olivia Bui-Xuan conclut à une différence de traitement envers les …
Stéphanie Hennette-Vauchez, Mathias Möschel et Diane Roman (dir.), Ce que le genre fait au droit, Paris, Dalloz, 2013, 269 p., ISBN 978-2-247-13475-5.[Notice]
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Louise Langevin
Université Laval