Résumés
Résumé
La présomption de respect des valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés est un principe d’interprétation qui a pour objet d’assurer une cohérence interne au sein des normes juridiques. Le présent article tente d’élucider les tiraillements de la Cour suprême du Canada à l’égard de ce principe. Dans la première partie, les auteurs retracent l’évolution de la présomption de respect des valeurs de la Charte afin d’en circonscrire la portée. Les débats internes de la Cour suprême seront mis en relief, et il sera démontré que celle-ci avait conçu initialement un rôle généreux pour le principe en question, mais qu’elle en a limité la portée subséquemment. Dans la deuxième partie, les auteurs relèvent les irrégularités qui caractérisent l’application de la présomption de respect des valeurs de la Charte. Ils concluent, dans la troisième partie, en proposant une réflexion à l’égard de la pertinence de cette présomption, dont l’efficacité actuelle aura été remise en question.
Abstract
The presumption of compliance with Charter values is a statutory interpretation principle that aims at maintaining internal coherence within legal norms. This article attempts to clarify the struggles of the Supreme Court of Canada in elaborating and drawing on this principle. In section one, the authors trace the evolution of the presumption of compliance with Charter values, in order to identify its scope. The section highlights debates about the presumption in Supreme Court jurisprudence and demonstrates that the Court had initially designed a generous role for the principle, but subsequently limited its scope. In section two, the authors identify irregularities in the application of the presumption of compliance with Charter values. They conclude, in section three, by discussing the relevancy of the presumption in light of its inconsistent use.
Resumen
La presunción de conformidad con los valores de la Carta es un principio de interpretación que tiene como objetivo garantizar que se mantenga la coherencia interna entre las normas jurídicas. Este artículo busca dilucidar las discrepancias de la Corte Suprema de Canadá con respecto a este principio. En la primera parte, los autores han trazado la evolución de la presunción del cumplimiento con los valores de la Carta para determinar su alcance. Se han resaltado los debates internos de la Corte Suprema, y se ha demostrado que la Corte había destinado inicialmente un generoso rol para el principio en cuestión, el cual posteriormente ha limitado. En la segunda parte, los autores han identificado las irregularidades que caracterizan la aplicación de la presunción de la observación de los valores de la Carta. En la tercera parte, los autores concluyen proponiendo una reflexión vinculada con la relevancia de presunción, cuya eficacia actual ha sido cuestionada.
Corps de l’article
Si jadis le droit de l’interprétation législative était composé d’un ensemble de règles disparates, aujourd’hui il n’existe qu’un seul principe ou solution : « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur[1] », pour reprendre la formule célèbre du professeur Elmer Driedger. Il est clair que ce qui est maintenant appelé le « principe moderne de Driedger » constitue le concept dominant en droit de l’interprétation législative : de 1984 à 2006, la Cour suprême du Canada a elle-même cité 59 fois le fameux passage[2].
Il convient toutefois de nuancer ce principe qui, en réalité, ne représente qu’un point de départ dans l’entreprise complexe que constitue l’interprétation législative[3]. Le principe moderne de Driedger doit aussi cohabiter avec d’autres règles d’interprétation. Par exemple, le bilinguisme législatif officiel au Canada[4] a rendu nécessaire l’élaboration de règles d’interprétation propres à la législation bilingue[5]. Les dispositions législatives qui confèrent des droits linguistiques[6] ou des droits de la personne[7] ou encore celles qui se rapportent aux peuples autochtones du Canada[8] sont d’autres exemples de dispositions soumises à des règles d’interprétation spécifiques. Aussi, comme l’exprimait la juge en chef McLachlin au nom de la majorité de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Sharpe, l’application du principe moderne de Driedger « est complétée par la présomption que le législateur a voulu adopter des dispositions conformes à la Charte[9] ». Le constitutionnalisme et la primauté du droit, principe constitutionnel[10], exigent l’existence d’une cohérence verticale au sein des normes juridiques. Le principe de présomption de constitutionnalité, entre autres, assure la préservation d’une telle cohérence[11].
Plus précisément, la présomption de constitutionnalité comme principe d’interprétation veut qu’une « loi contestée doi[ve], autant que possible, être interprétée de manière qu’elle soit conforme à la Constitution[12] ». Avec l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés[13] dans la Constitution en 1982, la question de savoir si la présomption de constitutionnalité des lois s’étendait à celle-ci s’est posée[14]. Comme nous le verrons, la jurisprudence démontre qu’une présomption de conformité des lois avec les valeurs de la Charte (« présomption de respect des valeurs de la Charte ») constitue effectivement un principe d’interprétation, mais que la Cour suprême adopte souvent une approche très timide à son égard[15]. Contrairement au reste de la Constitution, la Charte est dotée d’un système de limitation interne prévu par son article premier. Or, l’existence de ce régime interne de limitation crée une certaine complexité dans l’application de la présomption de constitutionnalité dans le contexte de la Charte et explique en partie la timidité de la Cour suprême.
Concrètement, il est difficile de prévoir quand les tribunaux jugeront opportun de recourir aux valeurs de la Charte comme règle d’interprétation. La jurisprudence qui a suivi l’adoption de la Charte indiquait que l’existence de deux ou plusieurs interprétations possibles commandait aux cours d’adopter l’interprétation conforme à la Charte et à ses valeurs[16]. Cette formulation a été précisée et limitée dans l’affaire Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, où la Cour suprême jugeait important d’insister sur le point suivant :
dans la mesure où notre Cour a reconnu un principe d’interprétation fondé sur le respect des “valeurs de la Charte”, ce principe […] s’applique uniquement […] en cas d’ambiguïté véritable, c’est-à-dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre[17].
Le succès de cette entreprise est discutable. En effet, cette tentative de clarification semble s’être soldée par un échec dans la mesure où l’application de la présomption de respect des valeurs de la Charte dans la jurisprudence se révèle irrégulière et incohérente.
Dans le présent article, nous voulons élucider cette problématique et les questions qui en découlent. Son originalité réside dans le fait qu’il constitue la première analyse de la jurisprudence relative à la présomption de respect des valeurs de la Charte. Notre objectif est de mettre en lumière le contenu et la portée de ce principe d’interprétation pour ensuite jeter les bases d’une réflexion au sujet de sa pertinence et de son efficacité. Nous proposons une clarification du critère à satisfaire afin d’avoir recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte et nous invitons les tribunaux à définir ce qui est entendu par « valeurs de la Charte » au-delà des quelques indices timides actuellement dispersés dans la jurisprudence.
Nous consacrons la première partie de notre article à l’exploration de la présomption de respect des valeurs de la Charte. Nous retraçons son évolution dans la jurisprudence de la Cour suprême afin de circonscrire sa portée. Les débats internes de la Cour suprême à son sujet seront mis en exergue, et il sera démontré que la Cour suprême avait initialement conçu un rôle généreux pour le principe en question, mais qu’elle en a limité la portée subséquemment.
Dans la deuxième partie, nous relevons les irrégularités qui caractérisent l’application de la présomption de respect des valeurs de la Charte. Pour ce faire, nous analyserons la jurisprudence de la Cour suprême et des cours d’appel provinciales depuis l’affaire Bell ExpressVu qui, rappelons-le, devait permettre de clarifier la portée et l’application du même principe.
Nous concluons notre article, dans la troisième partie, en amorçant une réflexion à l’égard de la pertinence de la présomption de respect des valeurs de la Charte, dont l’efficacité actuelle aura été remise en question. Convient-il, par exemple, de permettre un recours plus généreux aux valeurs de la Charte dans les circonstances où il existe une relation symbiotique entre la loi interprétée et la Charte elle-même ?
1 Le principe d’interprétation fondé sur le respect des valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés et son évolution
Précisons d’emblée que le concept « valeurs de la Charte » et les normes qu’il incarne sont utilisés par les tribunaux dans quatre contextes différents. Dans chaque cas, le souci demeure la préservation d’une certaine cohérence, verticale ou horizontale, au sein des normes juridiques. D’abord, il est bien établi depuis l’affaire SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd.[18] que les tribunaux sont chargés de faire évoluer la common law de manière qu’elle soit compatible avec les valeurs de la Charte. Ensuite, comme nous l’avons souligné précédemment, la Cour suprême a reconnu une présomption de respect des valeurs de la Charte, mais elle a précisé que ce principe s’applique uniquement « en cas d’ambiguïté véritable, c’est-à-dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre[19] ». Le concept des valeurs de la Charte fait aussi partie du vocabulaire du droit administratif, où les tribunaux veillent à ce que les pouvoirs discrétionnaires des décideurs administratifs soient exercés en compatibilité avec les valeurs de la Charte[20]. Finalement, pour assurer, cette fois, une cohérence horizontale, les valeurs de la Charte servent aussi de guide à l’interprétation des garanties formulées dans la Charte elle-même[21]. À noter qu’il est impossible de traiter des quatre types d’utilisation des valeurs de la Charte comme norme juridique au sein d’un seul article. Étant donné le relatif vide doctrinal sur la question, nous nous concentrerons ici sur l’utilisation des valeurs de la Charte dans le contexte de l’interprétation législative.
1.1 La genèse optimiste de la présomption de respect des valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés
Dans l’affaire Manitoba (PG) c. Metropolitan Stores Ltd.[22], le juge Beetz a invoqué la possibilité de recourir aux valeurs de la Charte comme principe d’interprétation, mais s’est alors abstenu d’exprimer une opinion sur l’existence d’une règle d’interprétation à cet effet. Ce n’est qu’une année plus tard, en 1988, dans l’affaire Hills c. Canada (PG)[23], que la Cour suprême énonce pour la première fois la règle voulant qu’une interprétation conforme aux valeurs de la Charte doive être préférée à une interprétation qui serait contraire à celles-ci. Dans l’affaire Slaight Communications Inc. c. Davidson, la Cour suprême réitère que les tribunaux ne devraient pas « interpréter une disposition législative, susceptible de plus d’une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante[24] ». En 1992, dans l’affaire R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, le juge Gonthier, au nom d’une cour unanime, rappelle que, « dans le cas où il y a deux interprétations possibles d’une disposition législative, l’une incorporant les valeurs de la Charte et l’autre non, il convient d’adopter la première[25] ». La Cour suprême a d’ailleurs mentionné ce principe comme unique motif afin de rejeter oralement le pourvoi dans l’affaire R. c. Rube[26].
Toutefois, toujours en 1992, dans l’affaire R. c. Zundel, une majorité de la Cour suprême propose une formulation différente de la règle voulant que, « lorsqu’une disposition législative, selon une interprétation raisonnable de son historique et une simple lecture de son texte, est soumise à deux interprétations également convaincantes, la Cour devrait adopter l’interprétation qui concorde avec la Charte et les valeurs qui y figurent[27] ». Ce faisant, la Cour suprême impose un critère plus contraignant à satisfaire avant d’avoir recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte en exigeant « deux interprétations également convaincantes » plutôt que « deux interprétations possibles ». Elle circonscrit donc les situations où la présomption s’applique[28]. Bien qu’elle soit subtile, la distinction est lourde de conséquences.
Ainsi, la Cour suprême avait conçu initialement un rôle généreux pour la présomption de respect des valeurs de la Charte, mais cette genèse présentait déjà les signes d’une confusion quant à la portée de celle-ci. Bien que la formulation originale ait le mérite d’offrir un principe de droit efficace, la Cour suprême en a limité la portée, subséquemment, comme en témoigne la section qui suit.
1.2 La Cour suprême du Canada divisée sur la question de la portée de la présomption de respect des valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés
La portée de la présomption de respect des valeurs de la Charte a été revisitée par la Cour suprême dès ses débuts. Dans l’affaire Symes c. Canada[29], l’appelante s’appuyait sur les affaires Hills et Slaight Communications pour soutenir que les valeurs de la Charte devraient être utilisées en vue de guider l’interprétation de la Loi de l’impôt sur le revenu[30]. La question dans cette affaire était de savoir si les frais de garde d’enfants étaient déductibles à titre de dépense d’entreprise dans le calcul du bénéfice sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu[31]. Au nom d’une majorité de juges à la Cour suprême, le juge Iacobucci a limité la portée de la présomption de respect des valeurs de la Charte comme outil d’interprétation en soulignant l’exigence d’une ambiguïté dans la loi comme élément déclenchant le recours à celle-ci. Selon lui, les tribunaux ne devraient avoir recours au principe que pour résoudre une ambiguïté :
Dans les arrêts Hills et Slaight Communications, notre Cour devait examiner des dispositions législatives ambiguës. Dans chaque cas, on a examiné les valeurs de la Charte pour résoudre l’ambiguïté. Toutefois, chaque arrêt reconnaît que consulter la Charte en l’absence d’une telle ambiguïté la prive d’un objet plus important, la détermination de la constitutionnalité d’une loi. Si les dispositions législatives devaient être rendues compatibles avec la Charte même en l’absence d’ambiguïté, alors il ne serait jamais possible d’appliquer, plutôt que de simplement consulter, les valeurs de la Charte. En outre, le gouvernement ne pourrait jamais justifier une atteinte à la Charte comme une limite raisonnable en vertu de l’article premier puisque le processus d’interprétation empêcherait initialement de conclure à l’existence d’une atteinte à la Charte[32].
Si le juge Iacobucci a voulu circonscrire l’application de la présomption de respect des valeurs de la Charte, c’est parce qu’il craignait qu’une formulation trop généreuse du principe n’ait pour effet d’empêcher la contestation de la constitutionnalité des lois et donc de priver l’application de la Charte et, surtout, de son article premier.
Dissidente, la juge L’Heureux-Dubé a plutôt proposé que « le respect des valeurs de la Charte d[evait] jouer un rôle de premier plan dans l’interprétation des lois[33] ». Elle aurait eu recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte afin d’interpréter la Loi de l’impôt sur le revenu :
Enfin, comme je l’ai déjà mentionné, en plus de m’en remettre au texte de loi qui fait l’objet du présent examen, on ne doit pas oublier que les valeurs de la Charte doivent guider cette interprétation […]. Puisque, selon moi, ou la Loi permet de déduire les frais de garde d’enfants à titre de dépense d’entreprise ou elle est ambiguë à ce sujet, il faut, contrairement à l’opinion de mon collègue, décoder cette ambiguïté à travers le prisme des valeurs de la Charte, plus particulièrement ses art. 15 et 28. Ces articles reconnaissent l’importance de l’égalité entre les sexes, et la Loi doit être interprétée d’une façon qui ne va pas à l’encontre de ces principes, mais qui, plutôt, les mette en valeur. À cet égard, tout en s’assurant que les lois respectent les impératifs de la Charte, il importe de voir si une situation ou une loi entraîne des répercussions différentes pour les femmes et les hommes. Refuser les frais de garde à titre de dépense d’entreprise a clairement un[e] incidence différente sur les femmes, et nous ne pouvons tout simplement pas parler d’égalité et, du même souffle, maintenir une interprétation qui favorise les hommes d’affaires et qui continue de nier les besoins professionnels des femmes d’affaires qui ont charge d’enfants. À mon avis, l’examen des valeurs de la Charte aux fins de l’interprétation de la Loi renforce la conclusion que Mme Symes devrait pouvoir déduire ses frais de garde d’enfants à titre de dépense d’entreprise[34].
L’existence d’une divergence au sein de la Cour suprême s’accentue dans l’affaire Willick c. Willick[35], où le juge Sopinka, au nom d’une majorité de quatre contre trois[36], fait connaître ses réserves à l’égard du recours aux valeurs de la Charte comme outil d’interprétation :
Quoi qu’il en soit, j’ai d’importantes réserves quant à l’utilisation de la Charte comme outil d’interprétation dans le cas où les autres règles d’interprétation font clairement ressortir l’intention du législateur. Une telle utilisation de la Charte conduit à atténuer l’intention manifeste du législateur en la restreignant aux valeurs qui sont consacrées dans la Charte, sans recours à l’article premier. Si cette démarche était légitime, le recours à l’article premier serait inutile. L’intention du législateur serait déformée par une interprétation anodine. Le résultat serait d’empêcher le législateur d’exercer pleinement ses pouvoirs comme le lui permet l’article premier[37].
S’exprimant ainsi, le juge Sopinka entérine les propos du juge Iacobucci dans l’affaire Symes. Puisqu’une présomption générale de conformité avec la Charte permettrait aux parties de contourner la contestation de la constitutionnalité des lois et au gouvernement de défendre les violations de ces lois sous le régime prévu par l’article premier de la Charte, le juge Sopinka est d’avis que la présomption de respect des valeurs de la Charte devrait constituer un principe d’interprétation subsidiaire aux règles normales d’interprétation[38].
Toujours dissidente, mais cette fois accompagnée des juges Gonthier et McLachlin, la juge L’Heureux-Dubé affirme que, dans la mesure où il « a été fermement établi par [la] Cour que les interprétations législatives conformes aux valeurs consacrées dans la Charte doivent être préférées aux interprétations qui seraient incompatibles avec ces valeurs[39] », il est important « d’interpréter les dispositions de la loi de telle sorte qu’elles ne contribuent pas à cette inégalité de manière contraire aux valeurs d’égalité matérielle consacrées dans [la] Charte[40] ». Elle reconnaît la pertinence de limiter l’application de la présomption de respect des valeurs de la Charte aux cas où il existe une ambiguïté dans la loi — comme l’a proposé le juge Iacobucci dans l’affaire Symes —, mais elle précise que cela ne devrait pas influer sur le résultat de l’affaire puisque la loi est ambiguë[41]. On constate à quel point la détermination du caractère ambigu d’une loi est un exercice difficile, voire aléatoire.
L’affaire Willick témoigne clairement de la division au sein de la Cour suprême à l’égard du rôle que devrait jouer la présomption de respect des valeurs de la Charte. La juge L’Heureux-Dubé répond très fermement aux motifs du juge Sopinka :
En toute déférence, pour les motifs qui précèdent, je ne saurais accepter que les dispositions de la Loi sur le divorce en cause dans ce pourvoi soient interprétées sans égard à leur contexte social et sans considération des réalités sociales incontestables dans lesquelles s’insère la Loi. Par conséquent, je préfère ne pas me confiner aux règles « ordinaires » d’interprétation des lois pour déterminer l’interprétation qu’il convient de donner à la loi ici en cause et l’application qu’il convient d’en faire. Le fait que les règles « ordinaires » d’interprétation des lois aient conduit à une conclusion identique à celle de mon collègue en l’espèce est un résultat plus fortuit que probant quant à la valeur réelle de ces règles, et assurément moins fiable. En termes simples, les règles « ordinaires » d’interprétation des lois que favorise mon collègue ne tiennent pas suffisamment compte de la mesure dans laquelle une interprétation donnée est conforme aux valeurs véhiculées par la Charte. Bien que les règles « ordinaires » d’interprétation des lois aient subi l’épreuve du temps et soient incontestablement dignes de respect, nous ne pouvons permettre qu’elles nous engagent, sans discussion, dans une voie qui risque de s’écarter de la Charte ou d’en miner l’importance[42].
Pour la juge L’Heureux-Dubé, le recours aux valeurs de la Charte ainsi que l’analyse du contexte et des réalités sociales dans lesquels les lois s’insèrent vont main dans la main.
La Cour suprême est toutefois revenue assez rapidement sur sa volonté de limiter le rôle interprétatif de la présomption de respect des valeurs de la Charte. D’abord, quatre ans plus tard, dans l’affaire R. c. Lucas[43], la Cour suprême a dû déterminer la constitutionnalité des dispositions du Code criminel[44] prescrivant des sanctions contre quiconque publie délibérément des mensonges diffamatoires tout en sachant qu’ils sont faux. Au nom de la majorité, le juge Cory invoque alors la présomption de respect des valeurs de la Charte afin de conclure à l’interprétation correcte des dispositions en question. Étonnamment, la majorité de la Cour suprême passe sous silence sa plus récente jurisprudence sur la présomption de respect des valeurs de la Charte. Elle cite plutôt un jugement qui précède les affaires Symes et Willick à l’appui de l’application plus large de la présomption de respect des valeurs de la Charte : « De même, dans Nova Scotia Pharmaceutical, […] il a été statué que, lorsqu’il y a deux interprétations possibles d’une disposition, il y a lieu d’adopter celle qui incorpore les valeurs de la Charte. Il s’ensuit que le ministère public doit établir que l’accusé avait l’intention de diffamer[45] ».
La Cour suprême ressuscite donc une formulation de la présomption de respect des valeurs de la Charte qui exige « deux interprétations possibles » d’une disposition législative plutôt que « deux interprétations également convaincantes ». Le même phénomène se produit dans l’affaire R. c. G. (B.)[46], où le juge Bastarache, au nom de la majorité, retient le recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte comme « l’argument décisif[47] » de l’affaire en question. D’ailleurs, dans l’affaire Law Society of British Columbia c. Mangat, la Cour suprême fait valoir une incertitude quant à la bonne formulation de la présomption en expliquant que « le principe d’interprétation selon lequel il convient d’interpréter la loi de façon à confirmer la constitutionnalité des dispositions législatives pertinentes […] s’applique uniquement lorsque la cour peut raisonnablement adopter les deux interprétations opposées » et que cette présomption n’avait pas d’effets en l’espèce « [m]ême si on accepte qu’il n’est pas nécessaire que les interprétations opposées soient également raisonnables pour que la présomption de constitutionnalité s’applique[48] ».
Ensuite, dans l’affaire Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) ; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville)[49], non seulement la Cour reste à nouveau silencieuse sur sa jurisprudence limitant la portée de la présomption de respect des valeurs de la Charte (affaires Symes et Willick), mais elle décide même, de manière unanime sous la plume de la juge L’Heureux-Dubé, d’élargir la portée de celle-ci dans le contexte de la législation en matière de droits de la personne[50]. D’abord, la juge L’Heureux-Dubé souligne que le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne[51] du Québec précise « que l’objectif poursuivi par [celle-ci] est la protection du droit à la dignité et à l’égalité de tout être humain et, comme suite logique, la suppression de la discrimination[52] ». Selon la Cour suprême, les lois en matière de droits de la personne, y compris la Charte québécoise, s’interprètent à la lumière des valeurs de la Charte lorsque celles-ci sont susceptibles de plus d’une interprétation :
[L]a législation en matière de droits de la personne est assujettie à une obligation de conformité aux normes constitutionnelles, dont celles énoncées dans la Charte canadienne. Même si les dispositions de la Charte [des droits et libertés de la personne du Québec] ne doivent pas nécessairement être le reflet exact de la Charte canadienne, elles s’interprètent néanmoins à la lumière de celle-ci […] Ainsi, lorsqu’une disposition législative est susceptible de plus d’une interprétation, elle doit être interprétée d’une façon qui se concilie avec les dispositions de la Charte canadienne[53].
En 2001, dans l’affaire Sharpe, la majorité de la Cour suprême revient sur ses propres conclusions quant à la portée de la présomption de respect des valeurs de la Charte. En effet, alors que dans l’affaire Willick, le juge Sopinka, au nom de la majorité, préférait que les tribunaux aient recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte subsidiairement aux principes d’interprétation ordinaires, la majorité dans l’affaire Sharpe, sous la plume de la juge en chef McLachlin[54], jugeait que la présomption venait plutôt « compléter » les règles d’interprétation ordinaires, incarnées par le principe moderne de Driedger[55]. Ainsi, la Cour suprême réitère alors que, « [l]orsqu’une disposition législative peut être jugée inconstitutionnelle selon une interprétation et constitutionnelle selon une autre, cette dernière doit être retenue[56] ».
En 2002, l’affaire R. c. Guignard[57] soulevait la question de la conformité d’une réglementation municipale sur l’affichage avec l’alinéa 2 b) de la Charte. Au nom d’une cour unanime, le juge LeBel allait encore plus loin que dans l’affaire Sharpe et suggérait que les cours interprètent les lois de sorte qu’elles soient conformes aux garanties constitutionnelles avant de procéder à un examen constitutionnel :
Devant notre Cour, les parties ont uniquement débattu de la question constitutionnelle. Devant la Cour municipale, M. Guignard avait proposé une alternative à ce débat en suggérant une interprétation restrictive du règlement municipal. En principe, les tribunaux doivent s’assurer que les dispositions contestées d’une loi ou d’un règlement peuvent être interprétées de façon conforme aux garanties constitutionnelles avant de procéder à un examen constitutionnel. Ils doivent en effet se garder de passer prématurément à la mise en oeuvre des dispositions de la Charte en vérifiant, au préalable, si les principes pertinents ne permettraient pas de trouver une autre solution adéquate. Ainsi, dans un débat judiciaire mettant en cause la validité constitutionnelle d’un règlement municipal, les tribunaux examineront d’abord sa conformité avec la législation qui l’habilite […] Ensuite, ils vérifieront si ces pouvoirs municipaux ont été exercés de façon conforme aux principes généraux gouvernant la réglementation municipale. En dernière analyse, ils doivent se pencher sur le sens de la disposition réglementaire contestée et décider si elle peut être interprétée de façon à respecter la garantie constitutionnelle en jeu[58].
Puisqu’il était impossible de résoudre la question par la voie interprétative, la Cour suprême ne pouvait éviter le débat constitutionnel et a donc procédé à l’analyse constitutionnelle[59]. Cette approche est diamétralement opposée à celle qui est prescrite par la jurisprudence limitante (affaires Symes et Willick), selon laquelle les tribunaux devraient éviter de contourner l’analyse constitutionnelle par le recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte et préférer d’autres règles d’interprétation.
Le fait que le juge Sopinka n’a pas pris part au jugement dans l’affaire Lucas[60] et qu’il ne siégeait plus à la Cour suprême dans les affaires R. c. G. (B.), Boisbriand, Sharpe et Guignard explique peut-être ce silence de la part du plus haut tribunal du pays. Quoi qu’il en soit, une dizaine d’années après sa formulation originale, il était déjà permis de remettre en question l’intégrité de la présomption de respect des valeurs de la Charte en tant que principe d’interprétation. Son application par la Cour suprême parait irrégulière et incohérente. D’un côté, la Cour suprême tente d’en faire un principe d’interprétation qui est subsidiaire aux règles normales d’interprétation et dont le recours se limite uniquement aux cas où il existe une ambiguïté dans la loi (affaires Symes et Willick). Cette ambiguïté est parfois définie comme l’existence de plusieurs interprétations possibles (affaire Hills, Slaight Communications, Nova Scotia Pharmaceutical Society, Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., Canada (PG) c. Mossop, R. c. Mills, Lucas, R. c. G. (B.), Boisbriand) ou comme l’existence de plusieurs interprétations également convaincantes (affaire Zundel[61]). D’un autre côté, la Cour suprême propose de conférer un rôle privilégié à la présomption de respect des valeurs de la Charte dans l’interprétation de la législation portant sur les droits de la personne (affaire Boisbriand), de compléter l’application des règles d’interprétation ordinaires par le recours à celle-ci (affaire Sharpe), et même d’y recourir avant d’entamer l’analyse constitutionnelle (affaire Guignard).
2 Une tentative de clarification de la présomption de respect des valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés par la Cour suprême du Canada
L’affaire Bell ExpressVu soulevait la question de savoir si la Loi sur la radiocommunication[62] interdisait le décodage des signaux encodés émanant de radiodiffuseurs américains. Unanime sous la plume du juge Iacobucci, la Cour suprême a saisi l’occasion de clarifier l’état du droit entourant la présomption de respect des valeurs de la Charte. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la Cour suprême précise dans cette affaire que le « principe d’interprétation fondé sur le respect des “valeurs de la Charte” […] s’applique uniquement […] en cas d’ambiguïté véritable, c’est-à-dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre[63] ». La Cour suprême entérine donc la formulation limitative de la présomption de respect des valeurs de la Charte qui exige « deux interprétations également convaincantes[64] » d’une disposition législative plutôt que « deux interprétations possibles ». Elle fournit différentes raisons justifiant une telle limitation du principe de la présomption de respect des valeurs de la Charte. D’abord, la Cour suprême explique qu’« appliquer une présomption générale de conformité à la Charte pourrait parfois contrecarrer le respect de l’intention véritable du législateur[65] ». Elle rappelle du même coup les motifs qui avaient justifié les limites énoncées dans les affaires Symes et Willick, c’est-à-dire le risque de contourner la contestation de la constitutionnalité des lois par les parties et de retirer au gouvernement la possibilité de défendre la constitutionnalité de ces lois à l’aide de l’article premier de la Charte[66].
Ensuite, la Cour suprême élabore une nouvelle raison justifiant la limitation de la présomption de respect des valeurs de la Charte. Selon le plus haut tribunal du pays, consulter la Charte en l’absence d’une ambiguïté aurait pour effet de nuire au dialogue et au respect qui doit régner entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire[67]. Afin d’éviter de perturber l’équilibre dialogique entre les pouvoirs composant l’État, « lorsqu’une loi n’est pas ambiguë, les tribunaux doivent donner effet à l’intention clairement exprimée par le législateur et éviter d’utiliser la Charte pour arriver à un résultat différent[68] ». Cet énoncé diverge substantiellement des conclusions de l’affaire Sharpe, qui proposait de rendre le principe d’interprétation fondé sur le respect des valeurs de la Charte complémentaire, plutôt que subsidiaire, par rapport au principe moderne de Driedger, et de l’affaire Guignard, qui suggérait d’avoir recours au principe d’interprétation fondé sur les valeurs de la Charte avant de procéder à un examen constitutionnel. Ainsi, dans l’affaire Bell ExpressVu, la Cour suprême entérine l’état du droit dégagé par les affaires Symes et Willick, tout en réaffirmant sa timidité à l’égard du principe de la présomption de respect des valeurs de la Charte.
Plusieurs enjeux demeurent. Comment reconnaître une ambiguïté véritable ? L’efficacité du principe dépend de la rigueur et la consistance avec laquelle il sera appliqué ; celui-ci ne doit pas simplement être invoqué de façon arbitraire. Pour ce qui est de l’application de la présomption de respect des valeurs de la Charte dans le contexte de la législation sur les droits de la personne, comme la Cour suprême l’a énoncé dans l’affaire Boisbriand, il semblerait que l’affaire Bell ExpressVu n’ait pas mis fin à cette utilisation.
2.1 La jurisprudence de la Cour suprême du Canada après l’affaire Bell ExpressVu
Un survol de la jurisprudence qui a suivi l’affaire Bell ExpressVu témoigne de l’application irrégulière par la Cour suprême de la présomption de respect des valeurs de la Charte et de l’incertitude qui persiste quant à celle-ci.
Dans plusieurs cas, la Cour suprême souligne les limites et les clarifications énoncées dans l’affaire Bell ExpressVu afin de justifier son refus de recourir aux valeurs de la Charte. C’est le cas dans l’affaire Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), où la Cour suprême devait interpréter le terme « invention[69] » afin de décider de la brevetabilité des formes de vie supérieures dans le contexte de la Loi sur les brevets[70]. C’est aussi le cas dans l’affaire Medovarski, où la Cour suprême devait juger si le fait de retirer certains droits d’appel lors de la déportation d’une personne pour grande criminalité constituait une violation de l’article 7 de la Charte[71], et dans l’affaire R. c. Rodgers, où la Cour suprême devait se prononcer sur la constitutionnalité d’un article du Code criminel permettant à un juge d’une cour provinciale d’autoriser le prélèvement d’échantillons d’ADN sur des catégories de personnes déclarées coupables et condamnées à une peine d’emprisonnement[72].
Cela étant, il arrive que la Cour suprême fasse encore une utilisation plus nuancée de la présomption de respect des valeurs de la Charte. Par exemple, dans l’affaire Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re)[73], portant sur la constitutionnalité des dispositions de la Loi antiterroriste[74], la Cour suprême définit la présomption de respect des valeurs de la Charte en passant sous silence les jugements restrictifs et cite plutôt les jugements originaux :
Cette approche [le principe moderne de Driedger] est fondée sur la présomption que le texte législatif édicté respecte les normes constitutionnelles, y compris les droits et libertés consacrés par la Charte […] Cette présomption reconnaît le rôle crucial des valeurs constitutionnelles dans le processus législatif et, de façon plus générale, dans la culture politique et juridique canadienne. Par conséquent, lorsqu’une disposition peut être interprétée de deux manières également plausibles, il y a lieu d’adopter l’interprétation qui est conforme aux valeurs de la Charte : voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1078 ; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 660 ; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, par. 66 ; Sharpe […] par. 33[75].
Ici, bien que la Cour suprême maintienne l’exigence de deux interprétations « également plausibles[76] » de la loi pour l’application de la présomption de respect des valeurs de la Charte, elle souligne l’importance de l’analyse contextuelle dans l’interprétation législative. Elle reconnaît que les valeurs de la Charte font parfois partie du contexte propre à l’adoption d’une loi. Ces propos rappellent ceux de la juge L’Heureux-Dubé, dissidente à l’époque, dans les affaires Symes et Willick…
Le recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte dans le contexte de la législation en matière de droits de la personne continue, lui aussi, de différer de l’énoncé dans l’affaire Bell ExpressVu. Dans l’affaire Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc.[77], la Cour suprême devait décider si l’emploi d’une personne incarcérée était protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. Au nom de la majorité de la Cour suprême, la juge Deschamps a rappelé ceci :
[L]es droits protégés par la Charte québécoise doivent être interprétés de façon large et libérale, pour permettre la réalisation de son objectif. Celui-ci a été formulé comme suit par la Cour dans [l’affaire Boisbriand au] par. 34 : « Nous trouvons dans ce préambule une indication que l’objectif poursuivi par la Charte est la protection du droit à la dignité et à l’égalité de tout être humain et, comme suite logique, la suppression de la discrimination. » Par ailleurs, les exceptions doivent être interprétées de façon restrictive (par. 28-32). De plus, bien que la Charte québécoise adoptée en 1976 s’applique à des situations qui peuvent différer de celles qui relèvent de la Charte canadienne des droits et libertés, toutes deux visent la protection de valeurs analogues comme le confirme la jurisprudence qui les a interprétées. L’interprétation retenue doit en outre se concilier avec les termes des Chartes[78].
Similairement, dans l’affaire Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal[79], la Cour suprême devait se prononcer sur l’étendue des pouvoirs de réparation que peut exercer le Tribunal des droits de la personne du Québec en vertu de la Charte québécoise. Au nom d’une cour unanime, le juge LeBel souligne alors que « [l]a nature du régime constitutionnel canadien doit être prise en considération lorsqu’il s’agit d’établir la hiérarchie des normes gouvernant l’action des législatures et celle des corps publics » et que « [l]’application de la Charte québécoise, instrument de nature quasi constitutionnelle dans les matières relevant de la compétence législative du Québec, se situe dans ce cadre juridique et repose toujours sur les principes fondamentaux d’organisation des pouvoirs publics qui s’en inspirent[80] ».
Une dérogation du critère énoncé dans l’affaire Bell ExpressVu pourrait être fondé sur le fait que les valeurs de la Charte font toujours partie du contexte législatif dans le domaine des droits de la personne, conciliant ainsi le principe d’interprétation fondé sur le respect des valeurs de la Charte avec le principe moderne de Driedger. Or, la Cour suprême n’utilise pas la présomption de respect des valeurs de la Charte de manière constante dans son interprétation de la législation sur les droits de la personne non plus. Elle a notamment refusé de recourir aux valeurs de la Charte comme guide en vue de l’interprétation de la Loi sur les langues officielles[81] du Nouveau-Brunswick dans l’affaire Charlebois c. Saint John (Ville)[82]. La question était de savoir si la municipalité de Saint John au Nouveau-Brunswick était tenue d’employer, dans le contexte d’une action civile, la langue officielle choisie par la partie demanderesse pour les plaidoiries orales et écrites ainsi que pour les actes de procédure qui en découlent. La Cour suprême était appelée à interpréter le sens du terme « institution » et, conséquemment, la portée de l’article 22 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Celui-ci prévoit ce qui suit : « Dans une affaire civile dont est saisi un tribunal et à laquelle est partie Sa Majesté du chef du Nouveau-Brunswick ou une institution, Sa Majesté ou l’institution utilise, pour les plaidoiries orales et écrites et pour les actes de procédure qui en découlent, la langue officielle choisie par la partie civile[83]. »
Dans cette affaire, la Cour d’appel avait jugé qu’il existait deux interprétations plausibles du terme « institution », ce qui ne satisfaisait pas à l’exigence des « deux interprétations également convaincantes » entérinée dans l’affaire Bell ExpressVu[84], mais qui aurait pu justifier le recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte dans le contexte de la législation sur les droits de la personne (affaires Boisbriand, Maksteel et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal)[85]. En effet, la Cour suprême a reconnu que « la langue est profondément ancrée dans la condition humaine » et que « [l]es droits linguistiques, cela n’a rien d’étonnant, constituent un genre bien connu de droits de la personne et devraient être abordés en conséquence[86] ». Pour sa part, la Cour d’appel de l’Ontario avait adopté une approche compatible avec ces arrêts dans l’affaire Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) :
L’interprétation à donner à la [Loi sur les services en français, L.R.O. 1990, c F.32] est au coeur même du présent appel.
La [Loi sur les services en français] est un exemple d’utilisation, par la législature provinciale de l’Ontario, du par. 16(3) [de la Charte canadienne des droits et libertés], pour enrichir les droits linguistiques garantis par la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte pour faire progresser l’égalité de statut ou d’emploi du français. L’aspiration exprimée par le par. 16(3) – faire progresser le français vers une égalité effective avec l’anglais en Ontario – est d’une grande importance pour interpréter la [Loi sur les services en français][87].
La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick est une loi quasi constitutionnelle[88] qui met en oeuvre certaines des obligations constitutionnelles de cette province[89]. Elle constituait une réponse du législateur néo-brunswickois à l’arrêt unanime de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans l’affaire Charlebois c. Moncton, selon lequel les « municipalités » du Nouveau-Brunswick sont des « institutions » assujetties aux articles 16 à 20 de la Charte[90]. Puisque les droits linguistiques constituent des droits de la personne et qu’ils doivent être abordés en conséquence, la Cour suprême aurait pu, dans l’affaire Charlebois c. Saint John (Ville), procéder comme elle l’avait fait dans l’affaire Boisbriand et accorder une plus grande valeur au préambule de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick dans l’interprétation de celle-ci[91]. En effet, ce préambule faisait explicitement référence à la relation symbiotique entre ladite loi et la Charte :
ATTENDU QUE la Constitution canadienne [article 16 (2) de la Charte] dispose que le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans toutes les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick ;
Qu’elle [la Constitution canadienne – articles 17 (2), 18 (2) et 19 (2) de la Charte] confère au public, au Nouveau-Brunswick, le droit à l’usage du français et de l’anglais à la Législature et devant les tribunaux au Nouveau-Brunswick ainsi que l’accès aux lois de la province dans les langues officielles ;
Qu’elle [la Constitution canadienne – article 20 (2) de la Charte] prévoit, en outre, que le public a droit à l’emploi de l’une ou l’autre des langues officielles pour communiquer avec tout bureau des institutions de la Législature ou du gouvernement du Nouveau-Brunswick ou pour en recevoir les services ;
Qu’elle [la Constitution canadienne – article 16.1 de la Charte] reconnaît également que la communauté linguistique française et que la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux dont notamment le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion ;
Qu’elle [la Constitution canadienne – article 16 (3) de la Charte] confirme, en matière de langues officielles, le pouvoir de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de favoriser la progression vers l’égalité du statut, des droits et des privilèges qui y sont énoncés ;
Il convient donc que le Nouveau-Brunswick adopte une Loi sur les langues officielles qui respecte les droits conférés par la Charte canadienne des droits et libertés et qui permet à la Législature et au gouvernement de réaliser leurs obligations au sens de la Charte[92].
Si la nature de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, le contexte de son adoption et l’ambiguïté perçue par la Cour d’appel et une minorité de la Cour suprême n’ont pas su commander le recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte, il est tout à fait légitime de se demander dans quelles circonstances il sera approprié de le faire.
La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick n’est pas la seule à mentionner la Charte dans son préambule[93]. Par exemple, la Loi antiterroriste, dont il était question dans l’affaire Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re)[94], mentionne « les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et les valeurs qui la sous-tendent[95] ». Or, la règle énoncée par la Cour suprême dans l’affaire Bell ExpressVu et appliquée dans l’affaire Charlebois c. Saint John (Ville) semble interdire le recours aux valeurs de la Charte dans l’interprétation de ces lois, sauf en présence de « deux interprétations également convaincantes », et ce, malgré une mention explicite de celles-ci dans le préambule d’une loi. Quelles conjonctures factuelles commandent le recours aux valeurs de la Charte comme principe d’interprétation ?
Après l’affaire R. c. Mabior[96], en 2012, il était permis de croire que le recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte dans le contexte du droit pénal différait substantiellement du critère énoncé dans l’affaire Bell ExpressVu. Dans cette dernière, la Cour suprême reconnait non seulement que « [l]es tribunaux doivent interpréter les lois en harmonie avec les normes constitutionnalisées par la Charte », mais aussi que « [l]es valeurs consacrées par la Charte ont toujours leur place dans l’interprétation d’une disposition contestée du Code criminel[97] ». Une telle exception aurait pu être fondée sur le fait que les valeurs de la Charte font toujours partie du contexte législatif en droit pénal, conciliant une fois encore le principe d’interprétation fondé sur le respect des valeurs de la Charte avec le principe moderne de Driedger. Toutefois, la Cour suprême a récemment renoué avec le critère énoncé dans l’affaire Bell ExpressVu, lorsqu’elle s’est prononcée dans l’affaire R. c. Clarke[98], qui portait sur l’interprétation de l’effet rétrospectif d’une loi concernant la détermination de la peine. Dans cette dernière affaire, la Cour suprême s’appuie sur les affaires Bell ExpressVu et Rodgers et conclut que l’absence d’ambiguïté faisait « obstacle au recours aux valeurs de la Charte pour interpréter la disposition, ces valeurs ne jouant un rôle qu’en cas d’ambiguïté véritable[99] ». La Cour suprême ajoute que « [c]e n’est qu’en droit administratif que l’ambiguïté ne constitue pas l’élément déclencheur pour l’application des valeurs de la Charte[100] » et précise la portée de l’affaire Mabior :
[Dans l’affaire] R. c. Mabior […], notre Cour a reconnu l’exigence d’une ambiguïté législative pour que puissent s’appliquer les valeurs de la Charte ; la Juge en chef y affirme que ces valeurs « ont toujours leur place » dans l’interprétation d’une disposition « contestée » du Code criminel (par. 44). Selon deux arrêts invoqués à l’appui par la Juge en chef — R. c. Sharpe […] et Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel, […] lorsqu’une disposition peut être interprétée de deux manières également plausibles, il convient de recourir aux valeurs de la Charte pour déterminer laquelle des deux respecte la Constitution[101].
Ce faisant, la Cour suprême retourne à une formulation qui a pour effet de circonscrire les circonstances dans lesquelles il est permis d’invoquer les valeurs de la Charte en droit pénal.
2.2 Une confusion certaine au sein des cours d’appel
Étant donné la confusion qui règne à l’égard de la présomption de respect des valeurs de la Charte, il n’est pas étonnant que l’on remarque aussi une certaine confusion du côté des cours d’appel[102]. Celles-ci appliquent la plupart du temps la règle énoncée dans l’affaire Bell ExpressVu[103]. C’est le cas, par exemple, dans l’affaire Lund c. Boissoin[104], où la Cour d’appel de l’Alberta devait interpréter les dispositions de l’Alberta Human Rights Act[105], qui encadre le discours haineux. S’agissant d’un cas où la législation à interpréter portait sur les droits de la personne, la Cour d’appel aurait pu recourir aux exceptions à la règle énoncée par l’affaire Bell ExpressVu (affaires Boisbriand, Maksteel et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal). Elle a repris plutôt les propos de la juge Charron dans l’affaire R. c. Rodger (qui s’appuie sur les affaires Bell ExpressVu, Symes, Willick et Charlebois c. Saint John (Ville)) et a conclu qu’il n’y avait pas lieu de recourir aux valeurs de la Charte étant donné qu’il n’existait pas plus d’une interprétation plausible de la loi[106]. Pourtant, à peine quelques mois plus tôt, dans l’affaire R. c. Serdyuk, la Cour d’appel de l’Alberta s’était exprimée ainsi :
The case at bar is not a Charter case. This is a case of statutory construction. Charter values can shed light both upon statutory construction and upon adjudication […]. Here the Charter could be regarded as confirmatory of a result already achieved by ordinary canons of statutory construction. However, so saying is not to suggest how to read or apply the Charter in a situation like this. That certainly can wait for another day[107].
Une formation unanime de cinq juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique reconnaissait dans l’affaire Conseil Scolaire Francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia que les lois devaient être interprétées en conformité avec les valeurs de la Charte : « While the substantive litigation in this case is about language rights found in s. 23 of the Charter, this interlocutory application only raises questions of statutory interpretation. I acknowledge that laws must be interpreted in light of Charter values […], but the question here is whether the 1731 Act has been repealed, directly or impliedly[108]. »
Dans l’affaire Gyorffy c. Drury, la question était de savoir si une disposition réglementaire[109] empêchait la partie appelante de corroborer le témoignage d’un médecin. Une majorité de la Cour divisionnaire remarque d’abord que « it is an accepted principle of statutory interpretation that, in the face of two competing interpretations of a statute, the interpretation which is consistent with the Charter values should be adopted[110] ». Elle conclut ensuite ainsi :
In any event, the central point is that when there are two possible interpretations of a statute, the interpretation consistent with Charter values should be preferred. In this case, that is the interpretation that s. 4.3 (5) does not preclude a plaintiff from corroborating the physician’s evidence in relation to a change of function[111].
Ce faisant, la Cour divisionnaire applique le critère plus souple exigeant « deux interprétations possibles » au lieu du critère plus strict, prescrit dans l’affaire Bell ExpressVu, qui requiert « deux interprétations également convaincantes ».
De son côté, dans l’affaire R. c. Jacob, la Cour d’appel du Manitoba mentionne explicitement l’incertitude qui entoure l’application de la présomption de respect des valeurs de la Charte :
The Charter has introduced certain complexities into the analysis of whether there were reasonable and probable grounds to make the breathalyzer demand where that demand is based, at least in part, on the result of an [approved screening device] test that may not comply with the statutory requirements. […] While the accused in this case has not made an application under the Charter to have the results of the test excluded, it is not clear that Charter values cannot or should not inform the interpretation and application of ss. 254 (2) and (3) of the [Criminal] Code[112].
Notre conclusion est basée sur l’argument selon lequel l’état du droit entourant la présomption de respect des valeurs de la Charte doit être clarifié et que le critère énoncé dans l’affaire Bell ExpressVu doit être reformulé de sorte à intégrer le rôle essentiel joué par les valeurs de la Charte dans le contexte législatif de certaines lois.
Conclusion : donner un sens à la présomption de respect des valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés
En droit canadien, le principe de présomption de conformité avec le droit international veut que les tribunaux interprètent les dispositions ambiguës d’une loi de manière qu’elles n’entraînent pas de dérogations, par le Canada, à ses obligations internationales[113]. La Cour suprême reconnaît que le droit international doit être pris en considération lorsqu’il fait partie du contexte d’adoption d’une loi canadienne, surtout lorsque celle-ci met en oeuvre des obligations internationales[114]. Notamment, la Cour suprême a eu recours au droit international pour guider son interprétation dans les domaines du droit municipal[115], des droits fondamentaux[116], du droit pénal[117] et du droit de l’immigration[118]. Or, comme le droit international sert de guide dans l’interprétation législative, il est pertinent de s’interroger sur le rôle joué par les valeurs de la Charte dans l’interprétation des lois, d’autant plus que, aux yeux de certains, ces valeurs « découlent d’un large consensus social et devraient être considérées comme des principes des “plus hautes valeurs morales”[119] ».
De toute évidence, il est difficile de formuler une démarche applicable pour le principe de présomption de respect des valeurs de la Charte. D’un côté, il importe de demeurer soucieux de l’équilibre dialogique entre les pouvoirs qui composent l’État canadien, ce qui pourrait justifier un usage timide des valeurs de la Charte dans l’interprétation des lois. En revanche, les tribunaux sont parfois appelés à analyser un contexte qui ne peut être séparé de la Charte, notamment dans le domaine du droit de la personne, mais aussi du droit pénal. Il en résulte un désordre dans la jurisprudence qui mérite d’être clarifié.
La première étape serait de définir plus clairement ce que l’on entend par « valeurs de la Charte ». La liberté, la dignité humaine, l’égalité, l’autonomie individuelle et la promotion de la démocratie en font assurément partie[120]. Le caractère sacré de la vie[121] et la présomption d’innocence[122] sont aussi des valeurs de la Charte. Trois des sept juges qui se sont prononcés dans l’affaire Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique sont d’avis que « [f]ont partie de ces valeurs [de la Charte] le statut du français en tant que langue officielle au Canada, la protection des droits des minorités de langue officielle et l’engagement constitutionnel à protéger et à promouvoir tant le français que l’anglais[123] ». Or, chaque disposition de la Charte est-elle source de valeur distincte ? Qu’en est-il du préambule de la Charte ? Existe-t-il des valeurs de la Charte — le droit à la vie privé par exemple[124] — qui n’ont pas de racines explicites dans le libellé du texte constitutionnel ?[125] Une énumération des valeurs de la Charte et de leurs définitions se fait encore attendre. D’ailleurs, cette entreprise sémantique pourrait, en soi, faire l’objet d’un article de revue juridique.
Notre analyse de la jurisprudence se rapportant à la présomption de respect des valeurs de la Charte a permis de mettre en lumière le rôle joué par celles-ci : elles constituent une toile de fond du contexte législatif. Comme l’a souligné la professeure Ruth Sullivan, « [t]he courts have developed no principled way to distinguish plain from ambiguous texts for the good reason that it is impossible to do so[126] ». Ainsi, exiger la mise en évidence d’une ambiguïté comme condition au recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte rend son application difficile à comprendre et ardue à prédire. En exigeant « deux interprétations également convaincantes » plutôt que « deux interprétations possibles », le critère énoncé dans l’affaire Bell ExpressVu a pour résultat d’évacuer les valeurs de la Charte de l’interprétation législative dans des situations où celles-ci font clairement partie du contexte législatif. Dans certains cas, la règle issue de l’affaire Bell ExpressVu fait violence au principe moderne de Driedger, qui exige que l’on tienne compte du contexte législatif dans l’interprétation des lois[127]. C’est ce qui semble s’être produit dans l’affaire Charlebois c. Saint John (Ville). C’est aussi ce qui risque de survenir lorsque les tribunaux devront interpréter : des lois dont le préambule se réfère explicitement à la Charte ou aux valeurs qui la sous-tendent ; des lois quasi constitutionnelles ; des lois mettant en oeuvre les obligations constitutionnelles du gouvernement ; des lois conférant des droits de la personne ; des droits linguistiques ; des droits démocratiques ; des droits à un traitement égal. Ou encore lorsqu’ils devront interpréter la portée de certaines sections du Code criminel.
Cela étant dit, la jurisprudence démontre aussi que la Cour suprême est parfois plus disposée à recourir aux valeurs de la Charte dans le domaine des droits de la personne, où celles-ci sont intimement liées au contexte législatif des lois en question (affaires Boisbriand, Maksteel et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal). Dans ces circonstances, le recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte est compatible avec le principe moderne de Driedger[128].
Il est possible d’ordonner la jurisprudence étudiée en reformulant le critère de la présomption de respect des valeurs de la Charte pour qu’un plus grand accent soit mis sur la pertinence de ladite présomption dans la détermination du contexte législatif. Ainsi, afin d’interpréter une loi dont le contexte est intimement lié à la Charte et à ses valeurs, les tribunaux pourraient recourir à la formulation initiale de la présomption de respect des valeurs de la Charte selon laquelle celles-ci constituent un guide à l’interprétation lorsqu’il existe « deux interprétations possibles » de la loi en question. Une mention explicite de la Charte ou de ses valeurs dans une loi, par exemple dans son préambule, pourrait servir à créer une présomption réfutable voulant que les valeurs de la Charte doivent servir de guide à l’interprétation. Une telle présomption encouragerait le dialogue entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Cette approche permettrait notamment à la Cour suprême d’annoncer plus clairement ce qui semble déjà se produire, c’est-à-dire un recours plus généreux aux valeurs de la Charte dans le contexte des droits de la personne.
Toutefois, pour ne pas évacuer les réserves formulées par la Cour suprême dans les affaires Symes et Willick et réitérées dans l’affaire Bell ExpressVu (c’est-à-dire le souci de préserver un équilibre dialogique entre les pouvoirs qui composent l’État canadien et le soin d’éviter de contourner l’application de l’article premier de la Charte), les tribunaux pourraient continuer à appliquer le critère de la présomption de respect des valeurs de la Charte — comme il a été formulé dans l’affaire Bell ExpressVu — dans les autres circonstances où le contexte ayant mené à l’adoption de la loi interprétée n’est pas lié aux valeurs de la Charte.
Ainsi, il y aurait un critère à deux niveaux qui exigerait la présence de « deux interprétations possibles » dans les circonstances où il existe une relation symbiotique entre la loi interprétée et la Charte elle-même, et la présence de « deux interprétations également convaincantes » dans les autres circonstances. Une telle reformulation aurait le triple mérite de réinvestir le principe de la substance qu’il a perdu avec le temps et d’offrir une règle d’interprétation claire et efficace, tout en demeurant réceptive aux réserves formulées par la Cour suprême. Surtout, elle aurait l’avantage de prendre au sérieux les valeurs qui constituent le fondement normatif de l’ordre juridique canadien.
Parties annexes
Remerciements
Nous désirons remercier les organisateurs de ce symposium, soit les professeurs Peter Oliver et le professeur Graham Mayeda, de la Section de common law de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Nous voulons également remercier les conférenciers qui ont participé à ce symposium, de même que tous ceux qui se sont déplacés pour assister aux conférences. Finalement, nous tenons aussi à remercier Jennifer Klinck, avocate, pour ses précieux commentaires.
Notes biographiques
Mark C. Power
Avocat et associé, bureau d’avocats Juristes Power ; professeur à temps partiel, programme de common law en français, Section de common law, Faculté de droit, Université d’Ottawa.
Darius Bossé
Membre du Barreau du Haut-Canada (2014) ; diplômé du programme de common law en français, Section de common law, Faculté de droit, Université d’Ottawa (2013) ; titulaire d’un baccalauréat en sciences sociales (spécialisation en science politique), Université de Moncton (2010).
Notes
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[1]
Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, p. 87, cité dans l’affaire Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, 578.
-
[2]
Stéphane Beaulac et Pierre-André Côté, « Driedger’s “Modern Principle” at the Supreme Court of Canada : Interpretation, Justification, Legitimization », (2006) 40 R.J.T. 131, 135-137.
-
[3]
Id., 171. D’ailleurs, les auteurs soulignent à la page 132 que la Cour suprême a elle-même décrit le principe moderne de Driedger comme un « point de départ » en vue de l’interprétation d’un texte de loi dans les affaires suivantes : R. c. Blais, 2003 CSC 44, [2003] 2 R.C.S. 236, par. 16 ; R. c. Clay, 2003 CSC 75, [2003] 3 R.C.S. 735, par. 55 ; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, par. 114.
-
[4]
Les versions française et anglaise des lois du Nouveau-Brunswick, du Québec, de l’Ontario, du Manitoba, du Nunavut, des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du Canada ont également force de loi. Voir : Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)], art. 18 (1) et (2) ; Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), art. 133 ; Loi sur les services en français, L.R.O. 1990, c. F.32, art. 3 (2) et 4 (1) ; Loi de 2006 sur la législation, L.O. 2006, c. 21, ann. F, art. 65 ; Loi de 1870 sur le Manitoba, L.C. 1870, c. 3 [reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 8] ; Loi sur les langues officielles, L.Nun. 2008, c. 10, art. 5 ; Loi sur les langues officielles, L.R.T.N.-O. 1988, c. O-1, art. 7 (1) ; Loi sur les langues, L.R.Y. 2002, c. 133, art. 4.
-
[5]
Voir : R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217 ; Michel Bastarache, Le droit de l’interprétation bilingue, Montréal, LexisNexis, 2009.
-
[6]
Voir : R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 173 D.L.R. (4th) 193, par. 24 et 25 ; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham, LexisNexis, 2008, p. 504 et 505.
-
[7]
Voir : Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, 157 et 158, 137 D.L.R. (3rd) 219 ; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, 27 Admin. L.R. 172 ; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, 339 ; Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103, 1154-1156, 95 D.L.R. (4th) 439 ; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, 176 D.L.R. (4th) 1 ; R. Sullivan, préc., note 6, p. 340, 341 et 497-507.
-
[8]
Voir : Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, 36, 144 D.L.R. (3rd) 193 ; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, 70 D.L.R. (4th) 385 ; R. Sullivan, préc., note 6, p. 509-525.
-
[9]
R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, par. 33 (ci-après « affaire Sharpe »).
-
[10]
Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 70-78, 161 D.L.R. (4th) 385 ; Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 4, art. 52 (1).
-
[11]
Pierre-André Côté, avec la collab. de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 425-440. Voir aussi R. Sullivan, préc., note 6, p. 458 et 459.
-
[12]
Manitoba (PG) c. Metropolitan Stores Ltd. (ci-après « affaire Metropolitan Stores »), [1987] 1 R.C.S. 110, 125, 38 D.L.R. (4th) 321. Voir aussi : P.-A. Côté, préc., note 11, p. 433 et 434 ; R. Sullivan, préc., note 6, p. 458-465. Il convient toutefois de remettre en question le fondement de cette présomption à la lumière des allégations de violation, par le ministère de la Justice, de ses obligations de veiller à la conformité de la législation proposée par le gouvernement du Canada prévu dans l’article 3 de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, dans l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, c. J-2, et dans l’article 3 (2) et (3) de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. 1985, c. S-22. Voir : Schmidt c. Canada (Attorney General), [2013] F.C.J. No. 289 ; Jennifer Bond, « Failure to Report : The Manifestly Unconstitutional Nature of the Human Smugglers Act », 51 Osgoode Hall L.J. [à paraître].
-
[13]
Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 4.
-
[14]
Manitoba (PG) c. Metropolitan Stores, préc., note 12.
-
[15]
Voir par exemple : Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670, 119 D.L.R. (4th) 405 (ci-après « affaire Willick ») ; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, 110 D.L.R. (4th) 470 (ci-après « affaire Symes ») ; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559 (ci-après « affaire Bell ExpressVu ») ; Charlebois c. Saint John (Ville), 2005 CSC 74, [2005] 3 R.C.S. 563 ; R. c. Rodgers, 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554 (ci-après « affaire Rodgers ») ; Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42, [2013] 2 R.C.S. 774 (l’un des auteurs de cet article était l’un des procureurs dans cette affaire).
-
[16]
Voir par exemple : Hills c. Canada (PG), [1988] 1 R.C.S. 513 (ci-après « affaire Hills ») ; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, 59 D.L.R. (4th) 416 (ci-après « affaire Slaight Communications ») ; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, 114 N.S.R. (2nd) 91 (ci-après « Nova Scotia Pharmaceutical Society »).
-
[17]
Bell ExpressVu, préc., note 15, par. 62.
-
[18]
Voir l’affaire SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, 603, 33 D.L.R. (4th) 174 (ci-après « affaire Dolphin Delivery »). La Cour suprême précise et confirme ces propos dans R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, 675 et 676, 68 C.C.C. (3rd) 289, Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 91-97, 24 O.R. (3rd) 865. Cette approche a été confirmée par la Cour suprême dans l’affaire S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., 2002 CSC 8, [2002] 1 R.C.S. 156, par. 18-22, et plus récemment dans l’affaire Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640, par. 44-46.
-
[19]
Bell ExpressVu préc., note 15, par. 62.
-
[20]
Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256, par. 152. Cette règle s’étend à l’exercice discrétionnaire d’un ministre : Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47, [2013] 3 R.C.S. 157, par. 48. Toutefois, la Cour suprême précise dans l’affaire Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, par. 24 et 52-58, que les tribunaux doivent être respectueux à l’égard des décideurs administratifs dans leur application des valeurs de la Charte.
-
[21]
Voir l’affaire Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, 365 et 366, 66 A.R. 202 : « Notre Charte constitutionnelle doit s’interpréter comme un système où “chaque élément contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble au sens de chacun des éléments” […]. Les tribunaux doivent interpréter chaque article de la Charte en fonction des autres articles. » Cette approche a été confirmée par la Cour suprême dans l’affaire Health Services and Support c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 80 : « Il faut interpréter la Charte […] d’une manière qui préserve ses valeurs sous-jacentes et sa cohérence interne ». On l’a aussi vu récemment dans l’affaire Ontario (PG) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, par. 96 : « interpréter en fonction des valeurs de la Charte les garanties formulées dans celle-ci de manière générale est conforme à la jurisprudence constitutionnelle des 25 dernières années ». Voir aussi Mark S. Harding et Rainer Knopff, « Constitutionalizing Everything : The Role of “Charter Values” », (2013) 18 Rev. Con. Stud. 141.
-
[22]
Metropolitan Stores Ltd., préc., note 12, 125.
-
[23]
Hills, préc., note 16, 558.
-
[24]
Slaight Communications, préc., note 16, 1078 (l’italique est de nous).
-
[25]
Nova Scotia Pharmaceutical Society, préc., note 16, 660. Voir aussi l’affaire Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065, 1071 et 1072, 96 D.L.R. (4th) 376.
-
[26]
R. c. Rube, [1992] 3 R.C.S. 159, 74 B.C.L.R. (2nd) 1.
-
[27]
R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, 771, 95 D.L.R. (4th) 202 (l’italique est de nous) (ci-après « affaire Zundel »).
-
[28]
Le critère utilisé dans l’affaire Zundel semblait initialement constituer une dérogation accidentelle à la formulation plus généreuse exigeant « deux interprétations possibles » plutôt que « deux interprétations également convaincantes ». En effet, dans l’affaire Canada (PG) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, 581 et 582, 100 D.L.R. (4th) 658 (l’italique est de nous), qui portait sur les droits de la personne, le juge Lamer a repris la formulation initiale :
Si sa constitutionnalité n’est pas contestée en vertu de la Charte, lorsque l’intention du législateur est évidente, les cours de justice et les tribunaux administratifs n’ont d’autres pouvoirs que d’appliquer la loi. Si la signification ou la portée du texte de loi est ambiguë, les cours de justice devraient alors, au moyen des règles d’interprétation habituelles, tenter de cerner l’objet de la loi et, s’il existe plus d’une interprétation qui soit compatible avec cet objet, il faut opter pour celle qui est le plus conforme à la Charte. »
sa dissidence, à la page 612, la juge L’Heureux-Dubé précisait ceci : « Dans l’interprétation d’une loi, il faut tenir compte des valeurs fondées sur la Charte. »
-
[29]
Symes, préc., note 15.
-
[30]
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.).
-
[31]
Symes, préc., note 15, 705.
-
[32]
Id., 752.
-
[33]
Id., 794.
-
[34]
Id., 819 (l’italique est de nous).
-
[35]
Willick, préc., note 15. Cette affaire portait sur l’interprétation de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.), et sur la portée du pouvoir des tribunaux de modifier une pension alimentaire conclue entre des parties dans une convention de séparation et incorporée dans un jugement conditionnel de divorce.
-
[36]
Les juges La Forest, Cory et Iacobucci sont d’accord avec le juge Sopinka.
-
[37]
Willick, préc., note 15, 679 et 680.
-
[38]
Id.
-
[39]
Id., 705.
-
[40]
Id., 706.
-
[41]
Id.
-
[42]
Id., 707 (l’italique est de nous).
-
[43]
R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, 157 D.L.R. (4th) 423 (ci-après « affaire Lucas »).
-
[44]
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.
-
[45]
Lucas, préc., note 43, 470 (l’italique est de nous). Voir aussi l’affaire R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S 668, 711, 180 D.L.R. (4th) :
Notre Cour a adopté une attitude de respect envers le législateur dans l’arrêt Slaight Communications, […] où elle a conclu que, si une mesure législative [se] prête à deux interprétations, le tribunal doit choisir celle qui en maintient le caractère constitutionnel. Par conséquent, les tribunaux doivent présumer que le législateur avait l’intention d’adopter une mesure législative constitutionnelle et ils doivent s’efforcer, autant que possible, de mettre à exécution cette intention.
-
[46]
R. c. G. (B.), [1999] 2 R.C.S. 475, 174 D.L.R. (4th) 301.
-
[47]
Id., 497. Il est surprenant que les affaires Symes et Willick soient passées sous silence par la majorité et la dissidence. Il est encore plus étonnant de constater que les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin, qui ont signé la dissidence en faveur d’un rôle plus musclé pour la présomption de respect des valeurs de la Charte dans l’affaire Willick, s’opposent à son application dans l’affaire R. c. G. (B.), et cela, malgré la présence d’une ambiguïté au sein de la disposition à interpréter (Id., 516) : « par conséquent, même si cette disposition était ambiguë, je conclurais que la présomption de validité énoncée dans l’arrêt Slaight […] ne s’applique pas. »
-
[48]
Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113, par. 66 (l’italique est de nous).
-
[49]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) ; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27, [2000] 1 R.C.S. 665 (ci-après « affaire Boisbriand »).
-
[50]
Id. Cette affaire regroupait trois instances portant sur l’interprétation de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, R.L.R.Q., c. C-12.
-
[51]
Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 50, préambule :
CONSIDÉRANT que tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques, destinés à assurer sa protection et son épanouissement ;
Considérant que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi ;
Considérant que le respect de la dignité de l’être humain, l’égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la liberté et de la paix.
-
[52]
Boisbriand, préc., note 49, par. 34.
-
[53]
Id., par. 42 (l’italique est de nous). D’ailleurs, deux ans après les affaires Symes et Willick, dans l’affaire Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, 877, 140 D.L.R. (4th) 193, qui portait également sur les droits de la personne, le juge Lamer rappelait « l’obligation générale d’interpréter les lois à la lumière des valeurs exprimées dans la Charte » en cas d’ambiguïté.
-
[54]
La juge en chef était accompagnée des juges Iacobucci, Major, Binnie, Arbour et LeBel.
-
[55]
Sharpe, préc., note 9, par. 33 (l’italique est de nous). De plus, « [c]ette démarche [le principe moderne de Driedger] est complétée par la présomption que le législateur a voulu adopter des dispositions conformes à la Charte ».
-
[56]
Id., par. 33. Dissidents, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache ne s’opposent pas, au paragraphe 191, au recours au principe d’interprétation fondé sur le respect des valeurs de la Charte : « Notre Cour devrait prêter une attention toute particulière au rôle légitime que le gouvernement joue en légiférant à l’égard de nos valeurs sociales. À l’instar de toutes les décisions législatives, ces décisions et jugements de valeur doivent cependant être appréciés à la lumière des valeurs de la Charte. »
-
[57]
R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472, par. 1 (ci-après « affaire Guignard »).
-
[58]
Id., par. 13 (l’italique est de nous).
-
[59]
Id., par. 14.
-
[60]
Le juge Sopinka est décédé le 24 novembre 1997 à l’âge de 64 ans. Or, bien que l’affaire Lucas ait été entendue par la Cour suprême le 15 octobre 1997, le juge Sopinka n’a pas pris part au jugement qui a été rendu le 2 avril 1998.
-
[61]
Voir aussi les commentaires des juges Cory et Iacobucci, dissidents, au sujet de la présomption de constitutionalité dans l’affaire Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989, 1042, 176 D.L.R. (4th) 513 : « si la mesure législative contestée comporte deux objets tout aussi probables l’un que l’autre et que l’un de ces objets est valide et non inextricablement lié à l’objet invalide, l’objet valide est alors présumé s’appliquer » (l’italique est de nous).
-
[62]
Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, c. R-2.
-
[63]
Bell ExpressVu, préc., note 15, par. 62 (l’italique est de nous).
-
[64]
Nous sommes d’avis que « tout aussi plausibles l’une que l’autre » et « deux interprétations également convaincantes » sont deux formulations équivalentes du critère à satisfaire afin d’avoir recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte. Afin d’alléger notre propos, nous emploierons la formule « deux interprétations également convaincantes ».
-
[65]
Bell ExpressVu, préc., note 15, par. 64.
-
[66]
Id.
-
[67]
Id., par. 65 et 66. Voir : Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 129-142, 156 D.L.R. (4th) 385 ; Peter W. Hogg et Allison A. Bushell, « The Charter Dialogue Between Courts and Legislatures (Or Perhaps The Charter of Rights Isn’t Such a Bad Thing After All) », (1997) 35 Osgoode Hall L.J. 75 ; Peter W. Hogg, Allison A. Bushell Thornton et Wade K. Wright, « Charter Dialogue Revisited – Or “Much Ado About Metaphors” », (2007) 45 Osgoode Hall L.J. 1.
-
[68]
Bell ExpressVu, préc., note 15, par. 66.
-
[69]
Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, [2002] 4 R.C.S. 45, par. 178 :
Je juge simpliste cette réponse générale aux préoccupations concernant les conséquences sur l’être humain de la délivrance de brevets pour des formes de vie supérieures. La Charte n’est d’aucun secours pour ce qui est de répondre à la question de savoir si la définition du mot « invention », à l’art. 2, peut être interprétée comme s’appliquant à des composantes du corps humain. Si jamais notre Cour décide que les formes de vie supérieures sont visées par l’art. 2, cela devra nécessairement comprendre l’être humain. Rien dans la définition même du mot « invention » ne justifie de conclure qu’un chimpanzé est une « composition de matières » et que l’être humain ne l’est pas. Comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Bell ExpressVu […] le respect des « valeurs de la Charte » ne peut servir de principe d’interprétation qu’en cas d’ambiguïté véritable, c’est-à-dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes mais, par ailleurs, tout aussi plausibles l’une que l’autre. Donner à un texte législatif une interprétation conforme à la Charte, en l’absence d’ambiguïté véritable, revient à priver le gouvernement de la possibilité de justifier une disposition qui semble incompatible avec l’article premier de la Charte.
-
[70]
Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4.
-
[71]
Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) ; Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, par. 48 :
Les valeurs de la Charte sous-tendent l’interprétation d’une loi uniquement lorsque « deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté veritable » […] Les deux interprétations ne s’harmonisent pas chacune également avec l’intention qu’avait le législateur en adoptant la [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés]. Il n’est donc pas nécessaire de tenir compte des valeurs de la Charte en l’espèce.
-
[72]
Rodgers, préc., note 15, par. 18 :
Il est également bien établi qu’une disposition législative ne peut être interprétée au regard des valeurs de la Charte que si elle comporte une ambiguïté véritable. En d’autres termes, lorsque la disposition législative se prête à deux interprétations différentes, mais également plausibles et compatibles avec l’objet apparent de la loi, il convient de préférer l’interprétation qui s’harmonise avec les principes de la Charte. Toutefois, lorsque la disposition n’est pas ambiguë, le tribunal doit donner effet à l’intention manifeste du législateur et s’abstenir de recourir à la Charte pour arriver à un résultat différent. »
Voir aussi Pharmascience inc. c. Binet, 2006 CSC 48, [2006] 2 R.C.S. 513, par. 29 ; R. c. Gomboc, 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211, par. 86-88 ; Ontario (PG) c. Fraser, préc., note 21, par. 252 et 253 (j. Rothstein).
-
[73]
Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248.
-
[74]
Loi antiterroriste, L.C. 2001, c. 41.
-
[75]
Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), préc., note 73, par. 35 (l’italique est de nous). Voir aussi l’affaire R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 20 :
Le principe moderne d’interprétation des lois veut que les termes d’une loi soient interprétés […] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » […]. Cette méthode repose sur la présomption que le texte législatif édicté respecte les normes constitutionnelles, y compris les droits et libertés consacrés par la Charte […] « Les tribunaux interprètent depuis des siècles les textes législatifs de manière à ce qu’ils respectent les valeurs de la common law, non pas parce que leur respect était essentiel à la validité des textes législatifs, mais parce que ces valeurs étaient elles-mêmes jugées importantes. Ce raisonnement s’applique encore plus valablement aux valeurs consacrées dans la Constitution » […] Par conséquent, lorsqu’une loi se prête à deux interprétations d’égale valeur, la Cour doit retenir l’interprétation qui s’accorde avec les valeurs de la Charte : R. c. Zundel, […] ; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re).
-
[76]
Nous sommes d’avis que « également plausible » et « également convaincantes » sont deux formulations équivalentes du critère à satisfaire afin d’avoir recours à la présomption de respect des valeurs de la Charte. Voir supra, note 64.
-
[77]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc., 2003 CSC 68, [2003] 3 R.C.S. 228 (ci-après « affaire Maksteel »).
-
[78]
Id., par. 10 (l’italique est de nous).
-
[79]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789.
-
[80]
Id., par. 17.
-
[81]
Loi sur les langues officielles, L.R.N.-B. 2002, c. O-0.5.
-
[82]
Charlebois c. Saint John (Ville), préc., note 15, par. 1 : l’un des auteurs de cet article était l’un des procureurs dans cette affaire.
-
[83]
Loi sur les langues officielles, préc., note 81, art. 22.
-
[84]
Charlebois c. La Ville de Saint-Jean, 2004 NBCA 49, 275 N.B.R. (2nd) 203, par. 27 et 51-58.
-
[85]
D’ailleurs, un autre fondement juridique semble appuyer la conclusion voulant que les valeurs de la Charte doivent être consultées dans l’interprétation des lois sur les langues officielles. D’abord, comme nous l’avons souligné précédemment, la Cour suprême a dit dans l’affaire Health Services and Support c. Colombie-Britannique, préc., note 21, par. 80, qu’il faut « interpréter la Charte […] d’une manière qui préserve ses valeurs sous-jacentes et sa cohérence interne ». En d’autres termes, les valeurs de la Charte servent à l’interpréter (voir aussi l’affaire Ontario (PG) c. Fraser, préc., note 21, par. 96). Ensuite, dans l’affaire R. c. Beaulac, préc., note 6, la Cour suprême cite avec approbation la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (PG) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), 386 et 387, 123 N.R. 83, selon laquelle « la Loi sur les langues officielles de 1988 n’est pas une loi ordinaire (l’italique est de nous) :
[Cette loi] reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l’expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16 (1) et 16 (3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d’interprétation de cette Charte telles qu’elles ont été définies par la Cour suprême du Canada.
Puisqu’il n’existe aucune raison de créer une distinction entre la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick et la Loi sur les langues officielles fédérale, il est permis de croire que les tribunaux devraient recourir aux valeurs de la Charte pour interpréter celles-ci.
-
[86]
R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, 268, 48 D.L.R. (4th) 1. Voir aussi : Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, 578 ; Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, 744, 19 D.L.R. (4th) 1 ; R. c. Beaulac, préc., note 6 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, (1976) 999 R.T.N.U. 171, art 27 ; Mala Tabory, « Language Rights as Human Rights », (1980) 10 Israel Y.B. on Human Rights 167 ; Leslie Green, « Are Language Rights Fundamental ? », (1987) 25 Osgoode Hall L.J. 639 ; Leslie Green et Denise Rhéaume, « Second Class Rights ? Principle and Compromise in the Charter », (1990) 13 Dal. L.J. 564.
-
[87]
Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), 56 O.R. (3rd) 577, 208 D.L.R. (4th) 577, par. 128 et 129 (l’italique est de nous).
-
[88]
La législation se rapportant aux droits de la personne a un statut quasi constitutionnel et reçoit une interprétation large, libérale et fondée sur son objet. Voir supra, note 7.
-
[89]
Charlebois c. Saint John (Ville), préc., note 15, par 8 et 30. Voir aussi : R. c. Viola, préc., note 85, 386 ; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773, par. 23.
-
[90]
Charlebois c. Moncton (Ville), 2001 NBCA 117, 242 N.B.R. (2nd) 259. Voir aussi Michel Doucet et Mark Power, « Charlebois c. Saint John (Ville) : phare d’une régression en matière de droits linguistiques ? », (2006) 8 R.C.L.F. 383.
-
[91]
Boisbriand, préc., note 49, par. 33. Dans les affaires Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, 547, 52 O.R. (2nd) 799 et B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66, [2002] 3 R.C.S. 403, par. 43, la Cour suprême se sert du préambule du Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, c. H.19, comme guide d’interprétation.
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[92]
Loi sur les langues officielles, préc., note 81, préambule (l’italique est de nous). Au sujet du rôle des préambules dans l’interprétation législative, voir : Québec (PG) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557, par. 101 ; R. Sullivan, préc., note 6, p. 270 et 271 ; P.-A. Côté, préc., note 11, p. 72-75.
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[93]
Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c. 31 (4e suppl.), préambule ; Loi sur le multiculturalisme canadien, L.R.C. 1985, c. 24 (4e suppl.), préambule ; Loi sur les mesures d’urgence, L.R.C. 1985, c. 22 (4e suppl.), préambule ; Loi sur la Fondation canadienne des relations raciales, L.C. 1991, c. 8, préambule ; Loi sur le précontrôle, L.C. 1999, c. 20, préambule ; Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, L.C. 2000, c. 26, préambule ; Loi sur l’Accord définitif nisga’a, L.C. 2000, c. 7, préambule ; Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, préambule ; Loi sur le mariage civil, L.C. 2005, c. 33, préambule ; Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, c. 46, préambule ; Loi de 2001 sur les personnes handicapées de l’Ontario, L.O. 2001, c. 32, préambule.
-
[94]
Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), préc., note 73.
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[95]
Loi antiterroriste, préc., note 74, préambule.
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[96]
R. c. Mabior, 2012 CSC 47, [2012] 2 R.C.S. 584 (ci-après « affaire Mabior »). Voir aussi : R. c. Landry, [1991] 1 R.C.S. 99, 112 (j. McLachlin, diss.) ; R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111, 1158, 73 D.L.R. (4th) 596, (j. Wilson, diss.) ; R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19, par. 72.
-
[97]
Mabior, préc., note 96, par. 44 (l’italique est de nous).
-
[98]
R. c. Clarke, 2014 CSC 28, par. 1 et 2.
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[99]
Id., par. 12.
-
[100]
Id., par. 16.
-
[101]
Id., par. 15 (l’italique est de nous). Voir aussi l’affaire R. c. Summers, 2014 CSC 26, par. 35.
-
[102]
Plus de 400 décisions des cours d’appel canadiennes, y compris celles de la Cour suprême, ont été analysées aux fins du présent article. Bien que la plupart des jugements rendus par les cours d’appel provinciales et par la Cour d’appel fédérale reprennent le critère énoncé dans l’affaire Bell ExpressVu, cette section met en relief certains cas de confusion qui persistent.
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[103]
Voir par exemple : A.A. c. B.B., 2007 ONCA 2, 278 D.L.R. (4th) 519, par. 25 et 26 ; Québec (PG) c. Paulin, 2007 QCCA 1716, [2008] R.J.Q. 16, par. 35 ; Islamic Republic of Iran c. Hashemi, 2012 QCCA 1449, par. 40 ; Friends of the Canadian Wheat Board c. Canada (PG), 2012 CAF 183, par. 75.
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[104]
Lund c. Boissoin, 2012 ABCA 300.
-
[105]
Alberta Human Rights Act, R.S.A. 2000, c. A-25.5.
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[106]
Lund c. Boissoin, préc., note 104, par. 56 et 57.
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[107]
R. c. Serdyuk, 2012 ABCA 205, par. 48.
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[108]
Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. British Columbia, 2012 BCCA 282, par. 39 (l’italique est de nous) (l’un des auteurs de cet article était l’un des procureurs dans cette affaire).
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[109]
Court Proceedings for Automobile Accidents that Occur on or After November 1, 1996, règl. de l’Ont. 461/96, art. 4.3 (5).
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[110]
Gyorffy c. Drury, 2013 ONSC 1929, par. 39.
-
[111]
Id., par. 46 (l’italique est de nous).
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[112]
R. c. Jacob, 2012 MBCA 19, par. 66 (l’italique est de nous). Dans l’affaire R. c. Summers, 2013 ONCA 147, par. 116, bien que la Cour d’appel de l’Ontario applique le critère tel qu’il a été énoncé dans l’affaire Bell ExpressVu, elle soulève un doute quant à celui-ci : « In the absence of ambiguity, other rules of statutory interpretation, such as those pertaining to the strict construction of penal statutes and the “Charter values” presumption are inapplicable […] If I am in error, and if these principles were applied here, it would strengthen and support my interpretation » (l’italique est de nous).
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[113]
Arrow River & Tributaries Slide & Boom Co Ltd. c. Pigeon Timber Co. Ltd., [1932] R.C.S. 495, 509 ; Daniels c. White and the Queen, [1968] R.C.S. 517, 541 (j. Pigeon) ; Schreiber c. Canada (PG), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269, par. 50 et 51. Voir P.-A. Côté, préc., note 11, p. 427-433. Voir aussi : R. Sullivan, préc., note 6, p. 537-559 ; Gibran Van Ert, Using International Law in Canadian Courts, 2e éd., Toronto, Irwin Law, 2008, p. 130-181.
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[114]
National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, 1371 ; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 861, 174 D.L.R. (4th) 193.
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[115]
114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), 2001 CSC 40, [2001] 2 R.C.S. 241, par. 30 et 31.
-
[116]
Gosselin c. Québec (PG), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429, par. 93.
-
[117]
Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 82.
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[118]
Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, par. 85.
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[119]
Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86, [2002] 4 R.C.S. 710, par. 140 (j. Gonthier et Bastarache, diss.).
-
[120]
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 136, 26 D.L.R. (4th) 200 ; Health Services and Support c. Colombie-Britannique, préc., note 21, par. 81 ; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 88 ; Mabior, préc., note 96, par. 22 et 45. Voir aussi : R. c. Hutchinson, préc., note 96, par. 72 ; Grant c. Torstar Corp., préc., note 18, par. 135 ; Nouvelle-Écosse (PG) c. Walsh, 2002 CSC 83, [2002] 4 R.C.S. 325, par. 63 ; May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809, par. 72 ; Hills, préc., note 16, 558.
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[121]
Rodriguez c. Colombie-Britannique (PG), [1993] 3 R.C.S. 519, 584, 107 D.L.R. (4th) 342. Voir aussi l’affaire Carter c. Canada (Attorney General), 2012 BCCA 502, par. 47 et 48.
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[122]
R. c. Oakes, préc., note 120, 108, 119, 120, 134 et 135.
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[123]
Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, préc., note 15, par. 109.
-
[124]
Mabior, préc., note 96, par. 22 et 45 ; M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, 184 (j. L’Heureux-Dubé, diss.) ; R. c. Thompson, préc., note 96, 1158, (j. Wilson, diss.).
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[125]
Dans l’affaire Chamberlain c. Surrey School District No. 36, préc., note 119, par. 143, les juges Gonthier et Bastarache, dissidents, étaient d’avis que le respect et la tolérance constituaient des valeurs de la Charte.
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[126]
R. Sullivan, préc., note 6, p. 457. D’ailleurs, c’est ce que soulignait la juge Claire L’Heureux-Dubé, « Re-examining the Doctrine of Judicial Notice in the Family Law Context », (1995) 26 R.D. Ottawa 551, 562 :
It is worth noting that the by now well-established practice in Canada of interpreting statutes in a manner that is consistent with Charter values also would appear to demonstrate a greater readiness to acknowledge the relevance of policy considerations, and therefore of social authority, to statutory interpretation. Though a majority of the Supreme Court has refused to contemplate consistency with Charter values in cases where the legislation was clear and unambiguous, one would think that such total lack of ambiguity will be infrequent in cases that are of sufficient public importance to actually make their way up to the Supreme Court.
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[127]
P.-A. Côté, préc., note 11, p. 437 :
À notre avis, on ne devrait pas voir dans cet extrait une nouvelle manifestation de la « règle du sens clair des textes » (Plain Meaning Rule) selon laquelle seule l’ambiguïté de la loi justifierait de prendre en compte des « valeurs de la Charte » dans l’interprétation d’une loi. Ces valeurs font en effet partie du contexte d’énonciation de toute loi, en ce sens qu’on peut présumer que le rédacteur les a eues à l’esprit et en a tenu compte dans la rédaction. La « méthode contextuelle moderne » préconisée par la Cour suprême nous apparaît inconciliable avec l’idée que la prise en compte des « valeurs de la Charte » ne puisse se justifier qu’en présence d’une obscurité sémantique.
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[128]
Voir cependant l’affaire Pharmascience inc. c. Binet, préc., note 72, par. 29, où le juge LeBel de la Cour suprême semble suggérer que les valeurs de la Charte ne font pas partie du contexte propre à l’adoption d’une loi (l’italique est de nous) :
À mon avis, l’analyse grammaticale du texte législatif, complétée par l’évaluation des aspects contextuels pertinents, comme l’objet de la loi et de la disposition en discussion, confirme l’intention du législateur d’assujettir les tiers au pouvoir d’enquête du syndic prévu à l’art. 122 [du Code des professions, R.L.R.Q., c. C-26]. Cette analyse contextuelle permet de résoudre toute ambiguïté émanant de l’art. 122 sans qu’il soit nécessaire de recourir ici aux principes ou aux valeurs consacrées par la Charte. En effet, selon la jurisprudence constante de notre Cour, il est bien établi que les tribunaux ne doivent se tourner vers les valeurs inscrites dans la Charte pour interpréter le sens d’une disposition législative que si une ambiguïté persiste au terme de l’application de la méthode contextuelle […] En l’espèce, la Cour d’appel n’a pas respecté cette méthode d’interprétation, lorsqu’elle a recouru aux valeurs consacrées par la Charte, sans chercher à dégager le sens du texte en cause en le replaçant dans son contexte.
À cet égard, la professeure R. Sullivan, préc., note 6, p. 465, met en garde le lecteur contre une telle approche : « In Pharmascience, LeBel J. was certainly right to object to an interpretation of Quebec’s Professional Code that relied exclusively or primarily on Charter values while ignoring other aspects of context. The solution, however, is not to banish charter values from the context but rather to insist on the words-in-total-context approach prescribed by Driedger’s modern principle. »