Résumés
Résumé
L’auteure traite de la situation du majeur privé temporairement de sa raison par une cause naturelle, mais qui n’est pas sous tutelle ou curatelle, qui cause un préjudice à autrui : est-il possible de spéculer sur sa responsabilité personnelle ? En droit civil québécois, la victime est dépourvue de toute compensation. Entre deux « victimes » potentielles — celle qui subit un préjudice et celle qui est atteinte d’un trouble mental —, laquelle faut-il favoriser ? N’y aurait-il pas lieu d’imposer à l’inapte une obligation de réparer, en d’autres termes, une responsabilité dite patrimoniale ? Dans la première partie de son article, l’auteure prend acte de la politique législative française qui favorise une responsabilité civile de l’inapte sur la base d’une faute objective. Par ailleurs, elle aborde la reconnaissance exceptionnelle d’une obligation de réparer dans les systèmes de droit allemand, belge et suisse, sur la base de l’équité. Dans la seconde partie, l’auteure analyse d’abord le droit positif québécois où une conception subjective (dépassée ?) de la faute perdure. La faculté de discernement est impérative au soutien de la responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel. Ensuite, l’auteure s’interroge à savoir si un fait ou un acte illicite peut entraîner, à lui seul, une responsabilité civile extracontractuelle personnelle lorsque le juge conclut à son existence. La mise en avant d’une responsabilité personnelle de l’inapte sous-tend une objectivation de la faute civile en droit québécois et la reconnaissance d’une portée normative et des effets sanctionnateurs conférés au fait illicite.
Abstract
The author reviews the situation of persons of full age who are temporarily deprived of reason through natural cases, but are not under tutorship or curatorship, and who cause harm to a third party : what is their personal liability ? Under Québec civil law, the victim is ineligible for any compensation. Which of the two potential “victims”—the person suffering material damage, or the person suffering from a mental disorder—should receive priority ? Should an obligation to provide reparation be imposed on the legally incapable—in other words, should they be financially liable ? In the first part of this article, the author reviews French legislative policy, which promotes the civil liability of incapable persons on the basis of objective fault, and also looks at the obligation to provide reparation recognized on an exceptional basis in the German, Belgian and Swiss legal systems, on the basis of equity. In the second part, the author analyzes the positive law in Québec, in which a subjective (and possibly outmoded) conception of fault prevails. The faculty of discernment is necessary to establish extra-contractual liability for personal actions. Next, the author asks whether an illicit action alone creates a personal extra-contractual civil liability when its existence is recognized by a judge. The promotion of the personal liability of legally incapable persons underpins a move towards an objective-based form of civil liability in Québec law and recognition for the normative impact and sanction-generating effects of illicit actions.
Corps de l’article
Je crois que c’est La Bruyère qui a dit que, après le discernement, les choses les plus rares étaient les diamants et les perles. Alors, nous avons préféré éviter le mot « discernement ».
Jean Pineau, Journal des débats, Sous-commission des institutions, 1re sess., 34e légis., no 12, 19 septembre 1991.
Si un individu privé de raison, c’est-à-dire un inapte[1], n’est pas coupable de sa faute, en est-il pour autant responsable civilement ? Le législateur québécois répond par la négative et impute une responsabilité civile aux seuls individus doués de raison, sur la base de l’alinéa deuxième de l’article 1457 du Code civil du Québec[2]. Cette solution nous apparaît pour le moins choquante[3].
Bien que le poncif « responsable mais non coupable » puisse illustrer une dérive possible du droit de la responsabilité, il ne sacrifie pas « sur l’autel de la réparation[4] » le rôle normatif de la responsabilité civile, dans une telle situation. Le fait de trouver des individus inaptes responsables civilement se distinguerait de la responsabilité pénale.
La responsabilité criminelle fait référence à l’état mental de l’accusé au moment où il a commis son délit. Une telle responsabilité n’est pas engagée si une personne est atteinte de troubles mentaux qui la rendent incapable à juger de la nature, de la portée et des conséquences de son acte criminel. En ce sens, la disposition contenue au paragraphe premier de l’article 16 du Code criminel prévoit ceci : « La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais[5]. »
Sans mettre pour autant l’article 16 du Code criminel au banc des accusés, nous pouvons tenter une dissociation du droit pénal et du droit civil en cette matière[6]. Outre certaines différences procédurales[7], les finalités de ces deux domaines divergent : l’ordre pénal sanctionne, réprime et dissuade l’adoption d’un comportement jugé attentatoire au bien-être de la société. Pour sa part, l’ordre civil a essentiellement pour objet de réparer, de compenser ou encore d’indemniser autrui pour une conduite qui lui a causé préjudice[8]. Si le maintien en détention dans un centre hospitalier tend à réaliser la protection sociale au pénal, pourquoi ne pas favoriser le rétablissement de l’équilibre patrimonial rompu par l’octroi de dommages-intérêts compensatoires au civil ?
En matière civile, rappelons-nous l’affaire L’Heureux c. Lapalme[9], où la Cour supérieure s’est prononcée sur la faculté de discernement, en tant que considération de fait à prouver selon la prépondérance des probabilités, requise en matière de responsabilité civile personnelle. En l’espèce, un individu, atteint d’un délire paranoïde et sans justification, qui assène un coup de poing à un tiers et cause de sérieuses blessures au visage de celui-ci n’est pas responsable selon le tribunal. Il a pourtant agressé physiquement la victime et lui a infligé des lésions corporelles qui ont entraîné des séquelles. Celle-ci ne peut obtenir une quelconque compensation de la part de l’auteur du fait dommageable. Dans une telle situation, la faculté de discernement exigée fait défaut ; un individu non doué de raison qui a adopté une conduite objectivement fautive, donc illicite[10], ne peut être tenu à réparation en droit civil québécois.
C’est de l’irresponsabilité civile personnelle d’une personne physique[11] majeure[12] privée de raison qu’il est question dans notre article.
Certes, un fait dommageable illicite commis par un inapte entraîne une responsabilité civile du tuteur, du curateur ou de celui qui assume la garde d’un majeur non doué de raison, en vertu de l’article 1461 C.c.Q., seulement s’il y a commission d’une faute intentionnelle ou lourde dans l’exercice de la garde. L’idée de réparation et de justice sociale irrigue en effet la responsabilité civile du fait des autres[13]. Voyons les Commentaires du ministre de la Justice :
Une telle règle se justifie par le souci d’assurer une certaine protection aux personnes que l’État veut encourager à prendre charge d’autrui et qui le font, dans la plupart des cas, bénévolement ; déjà prévue en certains cas par la Loi sur le curateur public[14], elle se devait d’être généralisée et applicable à toute personne qui assume une telle garde[15].
Cette responsabilité pour le fait d’autrui pallie les difficultés pratiques tenant aux poursuites judiciaires, dont le risque d’insolvabilité et l’exécution du jugement, et soustrait à une injustice la victime dépourvue de compensation.
Il reste cependant des hypothèses non couvertes par la loi, notamment celle du majeur privé de raison, mais qui n’est pas sous tutelle ou curatelle[16]. Dans une situation où un tel majeur est solvable et qu’il est privé temporairement de sa raison par une cause naturelle, est-il possible de spéculer sur sa responsabilité personnelle ? Voilà le noeud gordien à trancher dans la présente analyse. En effet, dans une telle situation spécifique, la victime est dépourvue de toute compensation. Entre deux « victimes » potentielles — celle qui subit un préjudice et celle qui est atteinte d’un trouble mental —, laquelle faut-il favoriser ?
N’y aurait-il pas lieu d’imposer à l’inapte une obligation de réparer, en d’autres termes, une responsabilité dite patrimoniale ? Au Québec, si la promotion des intérêts sociaux est surtout passée par l’adoption de régimes d’indemnisation étatiques sans égard à la faute[17], plutôt que par l’activisme des tribunaux au soutien de la responsabilité objective à l’intérieur des cadres de la responsabilité de droit commun, il faut sonder (voire réformer ?) les dispositions du Code civil du Québec pour voir s’il existe des mécanismes propres à imposer une obligation de réparer aux inaptes. Des considérations de politique générale se greffent au débat et favorisent un parti pris dont la justification ne peut reposer sur un socle purement juridique. Cette proposition peut recevoir, en effet, une justification morale — il n’est pas si innocent ? — mais également une justification pragmatique — a-t-il la possibilité de s’assurer[18] ?
Par ailleurs, le problème présente un tiraillement inévitable, en matière de responsabilité civile, dans l’atteinte de ses divers objectifs. Le prisme économique à travers lequel un lecteur peut examiner la responsabilité pour faute met en évidence des fondements qui s’abreuvent d’une logique préventive — insistant sur le coût intégral du comportement adopté par l’agent —, ainsi que d’une logique indemnitaire — en vue de la réparation de tout le dommage, rien que le dommage — à l’endroit de la victime.
Dans une perspective économiste[19], la finalité poursuivie par la responsabilité civile se dissocie en quelque sorte du dessein curatif énoncé comme impératif dans la doctrine juridique, dont les affirmations sont de nature empirique[20]. Les économistes en soulèvent les incohérences : si la réparation demeure l’objectif essentiel de la responsabilité civile, pourquoi rechercher et identifier les personnes dont les actes ont un lien avec le dommage pour les faire payer ? Dans un sens analogue, pourquoi admettre qu’une injonction soit prononcée contre l’individu qui s’apprête à accomplir un acte constitutif de faute ? Pour respecter la visée strictement indemnitaire postulée dans la dogmatique juridique, comme objectif primordial poursuivi, il faudrait traiter tout accident comme un problème d’assurance sociale, à l’instar de la position néo-zélandaise[21]. Cependant, le risque serait de glisser vers une responsabilité en fonction de la solvabilité de celui qui indemnise, ce qui obéirait ainsi à une logique du deep pocket. Un écueil relatif à l’augmentation significative, voire incontrôlée, des coûts liés aux accidents et à leur prévention pourrait s’ensuivre[22].
Sur la base d’une faute, l’analyse économique du droit examine la structure du régime de la responsabilité et s’interroge sur ses effets à l’endroit des citoyens et sur les manières dont elle est censée contribuer à la conciliation des rapports sociaux. Selon Ejan Mackaay, l’analyse économique « part du principe que les institutions modulent le coût des différentes lignes de conduite que les individus peuvent emprunter dans leurs interactions et examine comment ils adaptent leur comportement en conséquence[23] ». Si le droit civil québécois continue de faire appel à la faute, c’est qu’il y a un intérêt à faire payer les personnes pour qui cet élément peut être prouvé (c’est le cas également pour le lien de causalité). Le fardeau financier conditionnel qui repose sur une personne ou un groupe de personnes les incite à examiner dans quelle mesure elles peuvent éviter ou réduire ce fardeau. Les règles de la responsabilité civile ont pour objet d’orienter cette finalité poursuivie vers la recherche de moyens pour amoindrir le préjudice[24]. En ce sens, elles créent une pression préventive chez les individus qui peuvent influencer l’étendue du dommage, mais ne préjugent aucunement la direction précise que doivent prendre les moyens pour y parvenir.
En regard de telles considérations, la réduction du fardeau des accidents, inhérente à la dissuasion des comportements, coexiste auprès de l’indemnisation, comme double fonction de la responsabilité civile extracontractuelle pour faute[25].
Une relecture du Code civil du Québec, répondant à nos conclusions normatives qui consistent à privilégier entre deux « victimes » l’individu qui subit un préjudice et à imposer à l’inapte une obligation de réparer, est opportune[26].
Dans une perspective comparatiste, prenons acte de la politique législative française qui favorise une responsabilité civile de l’inapte sur la base d’une faute objective. Relevons également la reconnaissance exceptionnelle d’une obligation de réparer dans les droits allemand, belge et suisse, sur la base de l’équité. L’approche didactique proposée ici permet de s’interroger sur l’opportunité de transposer ces modèles juridiques étrangers qui retiennent, par une intervention législative spécifique, la possibilité de tenir la personne non douée de raison responsable de ses propres actes — sinon d’inspirer le droit québécois dans le sens d’une objectivation de la faute civile (partie 1).
Dans le système juridique et l’inconscient québécois, une conception subjective (dépassée ?) de la faute perdure. Il s’agit de la violation d’une norme comportementale par une personne douée de raison (art. 1457, al. 2 C.c.Q.). La faculté de discernement est impérative au soutien de la responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel. Or, n’y a-t-il pas lieu de penser à la critique et à l’éviction de cet élément moral d’imputabilité comme élément constitutif de la faute civile ? Il convient de chercher un fondement et de s’interroger à savoir si un fait ou un acte illicite (art. 1457, al. 1 C.c.Q.) peut entraîner, à lui seul, une responsabilité civile extracontractuelle personnelle lorsque le juge conclut à son existence. La mise en avant d’une responsabilité personnelle de l’inapte sous-tend une objectivation de la faute civile en droit québécois et la reconnaissance d’une portée normative et des effets sanctionnateurs conférés au fait illicite (partie 2).
1 Pour une responsabilité civile personnelle des inaptes juridiques dans les systèmes civilistes français, allemand, belge et suisse
En droit français, à la suite des frères Mazeaud et d’André Tunc, une école plus moderne a privilégié, sous un infléchissement législatif, mais non sans un vaste courant dissident, une objectivation de la faute civile et une responsabilité civile de l’inapte (1.1). Par ailleurs, les droits civils allemand, belge et suisse proposent, sur la base de l’équité, d’imposer une obligation de réparer à la personne privée de raison si sa victime ne peut obtenir compensation autrement (1.2).
1.1 La politique législative française : la responsabilité civile de l’inapte
La position du droit civil français est l’écho d’une réforme législative suivie de quelques interventions jurisprudentielles, lesquelles ont eu pour conséquence d’engager la responsabilité civile du fait personnel[27] des aliénés qui étaient auparavant déclarés irresponsables, en raison de la moralité et de la confusion originaire des responsabilités civile et pénale[28]. Le besoin impérieux de réparation des victimes, qui sous-tend un dessein indemnitaire, doit primer la stigmatisation. Du point de vue purement civil, on ne peut laisser démunie et sans indemnité la victime d’un acte pourtant objectivement anormal, simplement parce qu’elle a eu la malchance que ce geste soit le fait d’un inapte. Prenons pour exemple une femme, qui, dans un état de démence, jette du vitriol au visage d’une autre qu’elle défigure à jamais, ou encore un individu qui verse de l’insecticide dans un tonneau de vin causant la mort de certaines personnes et une intoxication grave à d’autres[29] : de telles injustices nécessitent une compensation.
De plus, avec le développement assurantiel, il appartient aux « irresponsables » ou à leur entourage de contracter des assurances propres à couvrir des actes dommageables, qui semblent d’autant plus probables en raison de leur situation. Le risque engendré par cet état ne doit-il pas être supporté par eux plutôt que par leurs victimes[30] ? À la suite de l’admission de divers palliatifs par les tribunaux qui encadrent strictement, tempèrent, sinon ruinent la portée du principe de l’irresponsabilité, un revirement opéré en deux temps règne dans le système civil français.
Dans le cas spécifique des aliénés, le législateur français est intervenu par la Loi du 3 janvier 1968 relative aux incapables majeurs[31] qui a intégré un texte nouveau dans le Code civil. L’article 414-3 du Code civil français, dans sa rédaction issue de cette loi, édicte ce qui suit : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation[32]. » Une telle disposition permet de condamner à réparation l’auteur d’un dommage qui ne jouit pas de ses facultés mentales, pourvu qu’il ait commis un acte illicite. Elle ne se prononce pas, en revanche, sur le fondement de la responsabilité des personnes atteintes d’un trouble mental.
En raison de la sobriété et du caractère peu prolixe de la formulation de l’article 414-3 du Code civil, des hésitations et des interprétations doctrinales divergentes — littérale et restrictive — ont eu cours sur sa portée[33]. Certains se sont demandé à savoir si, au-delà de la solution précise, la disposition consacrait une définition objective de la faute, de nature généralisée, pour s’appliquer à tous les cas de responsabilité civile personnelle. Christian Larroumet s’interrogeait comme suit : « S’agit-il d’une responsabilité pour faute fondée sur l’article 1382 du Code civil, ou d’une responsabilité autonome par rapport au droit commun ? La question présentait un grand intérêt dans la mesure où elle pouvait rejaillir sur la définition même de la faute et notamment sur ses éléments constitutifs[34]. »
D’autres personnes envisagent la disposition contenue dans l’article 414-3 du Code civil comme une obligation de réparation autonome, expurgée de l’existence d’une faute et, donc, dépourvue de tout impact quant à la question de l’imputabilité. D’autres encore la considèrent comme un principe consacrant l’abandon de l’exigence d’une imputabilité morale en matière de troubles mentaux. La jurisprudence a tranché et la Cour de cassation a retenu cette dernière interprétation[35]. Selon le tribunal, l’article 489-2 du Code civil (maintenant l’article 414-3) n’institue pas une responsabilité nouvelle et n’oblige à réparation que la personne dont le comportement est fautif. Il rejette une portée autonome de l’article 489-2 par rapport au droit commun de la responsabilité civile pour faute et au principe général de l’organisation sociale exprimé à l’article 1382 du Code civil.
Par une application jurisprudentielle extensive, la commission d’une faute, dépourvue de son élément subjectif, engendre une responsabilité civile pour le fait personnel des individus[36] atteints d’un trouble mental temporaire ou définitif, qu’ils soient soumis ou non à un régime particulier de protection. Cette amplification du cadre de la réparation n’empêche pas la victime de s’adresser, le cas échéant, au gardien de l’aliéné ou à un établissement spécialisé qui présente des garanties de solvabilité plus intéressantes. En tout état de cause, il y a lieu de soulever l’hypothèse de remettre la charge des réparations à un fonds d’indemnisation appuyé sur la solidarité sociale.
L’opportunité des solutions est controversée. Le développement d’une institution selon sa logique propre ne procure pas forcément et en toutes circonstances les solutions qui sont socialement et humainement les meilleures, d’autant plus que son utilité d’un point de vue pratique est faible. Le malaise suscité par les condamnations de responsables privés de raison peut-il être dissipé par un possible recours à l’assurance obligatoire ou à la création d’un fonds de garantie qui procurerait une indemnisation illimitée ? De telles injustices éventuelles qui peuvent naître de l’admission d’un principe de la responsabilité des inaptes peuvent-elles être palliées ? À l’instar de Geneviève Viney, il suffirait d’admettre ceci :
[T]ous les incapables soumis à un régime de protection légale doivent être obligatoirement assurés tant pour les dommages qu’ils provoquent que pour ceux qu’ils subissent et [il faudrait] compléter cette assurance obligatoire par l’intervention d’un fonds de garantie prenant en charge les dommages provoqués par une perte subite de connaissance ou par le fait d’un aliéné ne faisant l’objet d’aucune mesure de protection légale[37].
Néanmoins, en l’absence d’une telle garantie — et si nous considérons que la présence d’établissements spécialisés n’est pas une certitude absolue[38] — il faut opérer un choix entre deux « victimes », soit, d’une part, la victime et ses souffrances et, d’autre part, l’aliéné et les sentiments de commisération qu’il suscite. Il faut opter pour un changement de camp de la sensibilité sociale ; Noël Dejean de la Bâtie ne s’interroge-t-il pas ainsi : « Devrait-on sacrifier [la victime], en perpétuant une immunité particulière, pour la raison que les conséquences de la responsabilité seraient ici “d’une exceptionnelle dureté” ?[39] »
Une telle prise de position en faveur d’une « déculpabilisation » de la faute, dont la physionomie du modèle d’appréciation est in abstracto, s’appuie sur une question de postulat et de politique juridique. C’est ainsi considérée que peut être comprise la teinte objective qui colore les dispositions du droit positif français en matière de responsabilité civile. Le poids des idées conjuguées au sein de la responsabilité civile tend essentiellement à une finalité de réparation, détachée de toute association à une punition[40]. François Chabas affirme ce qui suit :
[Si] notre faveur va à la conception objective de la faute, c’est parce qu’il nous paraît plus normal que celui qui a créé un trouble social par un comportement défectueux […] en supporte les conséquences pécuniaires. La responsabilité n’est pas une sanction ; elle est avant tout recherche de celui qui doit réparer, ou, mieux, supporter le poids du dommage. Il est juste que celui qui n’a pas agi dans la norme ne soit pas, en cas de dommage, préféré à une victime qui n’a pas transgressé l’ordre social[41].
Quelle est l’incidence de ce revirement législatif sur la définition de la faute civile et sur le fondement de la responsabilité civile respectivement ? La loi de 1968 se situe sans conteste au sein d’un large courant d’objectivation qui traverse la responsabilité civile ; elle donne gain de cause aux tenants de la notion de « faute objective ».
La faculté de discernement — comme élément subjectif ou moral — n’est plus aujourd’hui, en droit français, indispensable à la détermination de la faute civile, sous réserve d’une faute qualifiée[42]. Cette dernière constitue un tempérament au principe. Elle se traduit par une faute intentionnelle ou inexcusable qui témoigne d’une intention ou, du moins, d’une conscience particulière de la faute commise, laquelle semble difficile à concevoir pour des personnes qui ne sont pas dotées d’une telle faculté.
Par ailleurs, une opinion doctrinale (dissidente) nécessite mention. Elle favorise un déplacement de l’imputabilité à l’extérieur de la notion de faute et réfute l’idée de la considérer comme un élément constitutif de la faute. L’imputabilité devient une condition distincte de la responsabilité civile pour soi, au même titre que la faute ou encore le lien de causalité. Intervenant à la dernière phase du processus qui conduit à la sanction, elle met une sanction au compte de l’agent ; c’est un « jugement de réalité relatif à la personne du responsable [et non un jugement porté sur la valeur de l’acte][43] ». Il s’ensuit que la « définition de la faute serait alors, en toute hypothèse, indépendante du point de savoir s’il est opportun ou non d’exiger l’imputabilité pour engager la responsabilité d’une personne[44] ». Geneviève Viney et Patrice Jourdain écrivent ce qui suit :
Or tout serait plus simple si l’on acceptait de situer l’imputabilité morale à l’extérieur de la faute pour en faire une condition de la responsabilité susceptible d’être exigée ou évincée en fonction de la nature de la responsabilité et des sanctions prononcées (civiles ou pénales) et selon les nécessités sociales, lesquels incluent naturellement des considérations de justice et d’équité. À cet égard, il ne fait guère de doute que si la disparition de cette condition d’imputabilité peut se justifier pour la responsabilité des auteurs de dommages, on a montré qu’elle est à la fois injuste et inutile lorsque est en cause la responsabilité des victimes[45].
Ces auteurs affirment ici l’essence objective de la faute, par la disparition totale de l’imputabilité analysée habituellement comme la composante subjective de la faute. Selon cette position doctrinale, la faute s’apprécie en toutes circonstances de manière in abstracto, au sens — restreint — cependant où il est fait abstraction des seules circonstances internes d’ordre psychologique et intellectuel[46].
Cette prétention doctrinale porte à la réflexion… d’autant plus qu’elle correspond à celle qui a été dégagée par Jean Pineau et Monique Ouellette[47] en droit privé québécois. Or, sur ce point, les régimes civilistes français et québécois concordent : l’imputabilité n’est pas considérée, de façon générale, comme une condition indépendante qui gravite dans la sphère de la responsabilité civile personnelle ; elle se situe plutôt au sein du noyau fécond de la faute civile. En matière de responsabilité civile extracontractuelle pour soi, le triptyque traditionnel demeure dans l’établissement d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.
L’avant-projet de réforme du droit français des obligations réitère l’abandon d’une imputabilité morale dans la détermination de la faute civile et lui accorde une portée globale — qui déborde le strict cadre de la responsabilité pour le fait personnel — par son insertion dans le chapitre premier relatif aux dispositions préliminaires. L’article 1340-1 se lit ainsi : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était privé de discernement n’en est pas moins obligé à réparation[48]. » Cette formulation, qui calque pour l’essentiel l’article 414-3 du Code civil[49], agace le raisonnement. Selon Christophe Radé, le nouvel article 1340-1 n’introduit pas de cas particulier de responsabilité pour les personnes privées de discernement, mais il écarte toute faculté d’exonération par la preuve de la non-imputabilité du dommage à la personne[50]. L’auteur fait mention d’un évincement de l’imputabilité subjective, strictement morale.
Or, il n’est nullement énoncé que la personne privée de discernement est fautive et obligée à réparation. D’ailleurs, dans les commentaires sur l’article 1340-1, Geneviève Viney précise ceci : « Cette solution permet d’éviter de dire que la personne privée de discernement peut commettre une faute[51]. » Une telle omission est certes volontaire ; est-ce alors à dire que l’individu non doué de raison n’est tenu à réparation qu’en vertu d’un régime de responsabilité objective, notamment comme gardien d’une chose ? Les spéculations sont permises. Une précision sémantique sur la commission d’une faute par un aliéné aurait le mérite d’appuyer le sens essentiellement objectif de la faute civile.
Il importe également de signaler l’article 1351-1 de l’avant-projet[52] qui peut sembler contradictoire a priori, notamment lorsqu’il est lu conjointement avec l’article 1340-1. Une telle disposition prévoit en effet que la faculté de discernement constitue une condition pour établir la faute d’une victime et diminuer en conséquence son indemnisation. Dans une approche conciliatrice, il est possible de justifier la distinction selon la finalité divergente poursuivie[53]. Par la recherche d’une faute de l’auteur du dommage, le dessein d’indemniser une victime domine et rend la faute indifférente à toute imputabilité subjective ; à l’inverse, par la recherche d’une faute de la victime, il s’agit de la priver de réparation, de lui infliger une peine privée. Cela fait en sorte que le législateur exige une faculté de discernement pour refuser ou diminuer le droit à compensation de la victime[54].
Par ailleurs, la reconnaissance à titre exceptionnel d’une obligation de réparation civile de l’aliéné à l’endroit de la victime a cours dans certains systèmes de tradition civiliste. Il y a lieu de relever et d’exposer une telle responsabilité dite patrimoniale, sur la base de l’équité, dans les droits allemand, belge et suisse.
1.2 Une lecture en équité dans les droits allemand, belge et suisse : l’obligation civile de réparer de l’inapte
Les droits allemand, belge et suisse tendent à imposer une obligation de compenser, fondée sur l’équité, même si l’auteur n’est pas doué de raison au moment de l’acte dommageable. Repose alors sur les tribunaux le soin de trancher chacun des cas présentés devant eux suivant le poids accordé aux différentes considérations de politique juridique, en fonction notamment des circonstances et de la situation des parties.
Il convient d’examiner les dispositions législatives pertinentes issues des traditions civilistes allemande, belge et suisse, qui se rattachent au cas de l’aliéné. Celles-ci correspondent à la sanction législative d’une règle d’équité, détachée de toute considération de responsabilité. D’ailleurs, la loi fait référence plus particulièrement à une obligation de réparer.
En droit allemand, l’article 829 du Code civil[55] permet, sur la base de l’équité, d’imposer une obligation de réparer à une personne privée de raison si sa victime ne peut obtenir compensation autrement. Cette disposition édicte ce qui suit :
Celui qui, dans l’un des cas visés aux §§ 823 à §§ 826, se trouve n’être pas responsable en vertu des dispositions des §§ 827 et 828 du dommage qu’il a causé est cependant tenu de réparer ce dommage s’il est impossible d’obtenir l’indemnisation d’un tiers chargé de sa surveillance et dans la mesure où l’équité exige une telle réparation, eu égard aux circonstances et en particulier à la situation des intéressés, et pour autant qu’il ne soit pas privé par là des moyens dont il a besoin pour son entretien conformément à sa position sociale aussi bien que pour l’exécution de l’obligation légale d’entretien qui lui incombe[56].
En droit belge, l’article 1386bis du Code civil autorise le juge à astreindre l’interdit, s’il l’estime convenable et dans la mesure qu’il détermine, à une obligation de réparer. Il prévoit ceci :
Lorsqu’une personne se trouvant en état de démence, ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale la rendant incapable du contrôle de ses actions, cause un dommage à autrui, le juge peut la condamner à tout ou partie de la réparation à laquelle elle serait astreinte si elle avait le contrôle de ses actes.
Le juge statue selon l’équité, tenant compte des circonstances et de la situation des parties[57].
À l’appui d’une interprétation téléologique de cette législation d’équité qui concerne la responsabilité des aliénés, Roger O. Dalcq précise l’effet double qui est poursuivi en ces termes :
D’une part pour remédier à l’irresponsabilité des déments sanctionnée par la jurisprudence, ceux-ci pourront être tenus de réparer tout ou partie du dommage qu’ils ont causé ; d’autre part, pour corriger la rigueur de la jurisprudence qui rend les anormaux complètement responsables s’ils ne sont pas entièrement privés de raison, on permet au juge de réduire le montant de la réparation qui sera due par l’anormal ou le débile mental[58].
Certes, une telle législation n’a pas pour effet de modifier les principes communément admis en droit civil belge, au sujet de la responsabilité des individus privés de raison. Il s’agit essentiellement de favoriser un remède et de permettre au juge d’ordonner notamment une réparation du dommage en tout ou en partie dans les cas où la jurisprudence refuserait de condamner l’auteur du dommage[59].
En ce sens, Roger Pirson favorise l’expression « responsabilité patrimoniale » qui nous semble porteuse. Il écrit ce qui suit :
À l’irresponsabilité des déments, logique si l’on s’en tient au principe de la faute, le législateur a substitué une responsabilité patrimoniale, celle de l’auteur de l’acte dommageable qui, dans la société et dans ses biens, jouit de la protection des lois. Cette responsabilité patrimoniale garantit la victime en cas d’injustice objective. La loi est basée sur le principe de l’équité[60].
Le juge est appelé à comparer la conduite de l’aliéné à celle d’une personne normale. Dans la mesure où il qualifie d’illicite la conduite d’un individu normal dans des circonstances similaires, il peut appliquer l’article 1386bis du Code civil. Une fois le principe de la réparation admis, le juge statue en équité en tenant compte des circonstances et de la situation des parties. Il possède un pouvoir souverain d’appréciation aussi bien quant au principe de l’obligation de réparer que quant au montant de la réparation. Dans son appréciation des circonstances de l’acte dommageable, il peut considérer la situation de fortune de l’auteur de l’acte et de la victime, les soins qu’exige son état, ainsi que le degré plus ou moins grand de conscience des actes commis par l’aliéné[61].
En droit civil suisse, l’article 54 du Code des obligations[62] prévoit que la personne incapable de discernement peut être tenue à la réparation totale ou partielle du dommage causé[63]. Il s’agit à la fois d’une exception et d’une précision au principe de la responsabilité civile pour le fait illicite[64] qui cause un dommage à autrui[65]. Cette disposition renvoie à un cas de « responsabilité objective simple[66] », car la personne qui n’est pas douée de raison est appelée à répondre du préjudice qu’elle cause à autrui, même s’il n’est pas possible de lui imputer sa faute objective.
L’article 54 du Code des obligations se décline ainsi :
Si l’équité l’exige, le juge peut condamner une personne même incapable de discernement à la réparation totale ou partielle du dommage qu’elle a causé.
Celui qui a été frappé d’une incapacité passagère de discernement est tenu de réparer le dommage qu’il a causé dans cet état, s’il ne prouve qu’il y a été mis sans sa faute[67].
En principe, une personne inapte ne peut être imputable ; elle n’est donc pas responsable de ses actes objectivement fautifs. L’article 54 du Code des obligations prévoit cependant qu’à certaines conditions une telle personne peut être tenue à réparation[68]. Selon Franz Werro, cette disposition distingue deux hypothèses :
[La] première régit les personnes incapables de discernement pour cause durable ou celles incapables de discernement pour cause passagère qui ont pu apporter la preuve que leur incapacité n’était pas due à leur faute ; la seconde régit les personnes incapables de discernement pour cause passagère qui n’ont pas pu prouver que leur incapacité n’était pas due à leur faute[69].
En vertu de l’alinéa premier de l’article 54 du Code des obligations, le juge peut condamner une personne inapte à réparer le préjudice si l’équité l’exige, notamment lorsque la libération de l’auteur apparaît choquante. Pour décider si l’application de la règle se justifie, le juge doit exercer son pouvoir d’appréciation et considérer les particularités du cas d’espèce — dont la situation économique des parties — ainsi que les circonstances au moment de l’acte dommageable et du jugement[70].
Quant à l’alinéa second de l’article 54 du Code des obligations, il porte sur le cas d’une altération passagère fautive de la capacité de discernement. L’auteur se fait reprocher de s’être mis en état d’incapacité. La particularité de cette règle réside, selon Franz Werro, « dans le fait que l’aspect objectif de la faute est présumé[71] ».
En somme, les systèmes juridiques traités sont imprégnés, de façon générale, par la finalité indemnitaire de la responsabilité civile. Il est intéressant de sonder à présent le droit québécois de la responsabilité civile pour jauger si le dessein de réparer irrigue les dispositions du Code civil du Québec au regard de la responsabilité civile personnelle des inaptes juridiques.
2 Vers une responsabilité civile personnelle des inaptes juridiques au Québec ?
Le droit civil québécois est ancré dans un modèle subjectif, lequel se traduit à la fois par l’exigence d’une faculté de discernement et par la recherche d’un écart de conduite par rapport au modèle de la personne prudente et diligente, soit les deux grandes composantes de la faute au sens traditionnel du terme depuis 1867. Il consacrait, de façon générale, le principe de la capacité aquilienne, c’est-à-dire l’aptitude à répondre du préjudice causé personnellement à autrui.
Le Code civil du Québec reprend ce postulat et mentionne de façon expresse la faculté de discernement ; il en fait l’une des conditions sine qua non de la responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel — de la faute civile plus particulièrement. Le Code civil du Québec édicte à l’alinéa deuxième de l’article 1457 le principe traditionnel de la capacité mentale de discerner le bien du mal pour être responsable civilement et tenu à la réparation du préjudice causé personnellement à autrui[72]. Cette faculté de discernement, ou encore imputabilité, est l’élément qui distingue la faute du fait illicite : ce dernier correspond à la violation d’une règle de bonne conduite, sans la dimension de l’imputabilité constitutive de la faute[73].
Dans l’état actuel du droit positif québécois, un exposé de la notion d’aptitude en matière de responsabilité civile extracontractuelle ainsi que la recherche et l’identification des individus potentiellement inaptes s’imposent (2.1). Dans une perspective d’évolution du droit vers un nouveau modèle, il convient de revoir les règles applicables à la personne privée de raison qui cause un préjudice à autrui et de proposer la reconnaissance d’une portée normative au fait illicite, détaché de tout caractère imputable, comme un fait générateur d’une responsabilité civile pour le fait personnel de l’inapte (2.2).
2.1 De lege lata : l’aptitude en droit civil québécois, condition de la responsabilité civile pour le fait personnel
Au sujet de l’aptitude, marque du subjectivisme et de l’individualisme qui irriguent le droit de la responsabilité personnelle, Louis Baudouin précise ce qui suit en 1953 :
[Le] Code civil du Québec ne fait que suivre la tradition normale de l’ancien droit et la ligne générale qui voit dans la responsabilité délictuelle la manifestation d’une volonté libre et consciente. Il place ainsi délibérément l’imputabilité dans le cadre de la volonté et ferme la porte à l’admission d’une responsabilité du seul fait du dommage causé[74].
Chaque personne répond de ce qu’elle a voulu librement faire ; la responsabilité suppose la conscience du bien et du mal, c’est-à-dire la possibilité de faire le bien et d’éviter le mal. La faute doit se rattacher à un agent doué de discernement et de raisonnement. C’est la consécration juridique de l’idée de libre arbitre.
Le fait fautif doit émaner d’une volonté libre et consciente ; celui qui a commis le fait doit être apte à comprendre l’acte accompli. Il doit avoir la liberté et les moyens d’éviter ce fait. La faculté de discernement n’est donc pas une simple exigence de forme ou de bon sens, mais un élément essentiel de l’imputabilité. Il s’agit d’une considération de fait dont le fardeau de la preuve repose sur la personne qui invoque cet élément.
L’aptitude se traduit par une connaissance des gestes faits, déclinée en trois volets. C’est la faculté de se rendre compte de la nature, de la portée et des conséquences possibles des actes. Selon le Dictionnaire de droit privé, il s’agit d’une « [d]isposition physique ou mentale d’une personne lui permettant d’exercer son jugement, de prendre une décision ou d’exprimer sa volonté[75] ».
En ce sens, il faut prendre garde d’assimiler de façon automatique l’aptitude à la capacité juridique[76] considérée dans un sens étroit et technique en tant qu’habileté conférée par la loi à accomplir un acte juridique[77]. De façon analogue, il faut dissocier l’incapacité de contracter, qui relève de la qualité d’une personne[78], de l’inaptitude à consentir, qui produit un défaut ou un vice de consentement[79]. Par ailleurs, il importe peu que l’individu dépourvu d’une faculté de discernement ait préalablement bénéficié d’un régime de protection[80].
S’il n’est possible d’imputer une faute qu’à une personne dotée de la personnalité juridique, il n’est pas nécessaire toutefois de vérifier si elle avait ou non une intention de causer un préjudice. La faculté de discernement — élément inhérent à la faute civile — se différencie de l’intention — élément additionnel à la faute —, qui tend à se traduire par une faute intentionnelle. Il s’agit, dans l’analyse de la faute intentionnelle, de sonder la conscience de l’agent responsable et de procéder de la sorte à une recherche subjective (in concreto) sur sa conduite[81].
L’alinéa deuxième de l’article 1457 C.c.Q. renvoie de façon explicite à l’aptitude. Il se formule comme suit : « [Une personne] est, lorsqu’elle est douée de raison ET qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par CETTE faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel[82] ». La conjonction « et » située entre l’aptitude et le manquement au devoir de bonne conduite, lue en corrélation avec « cette » faute, semble exprimer que la faculté de discernement est « inhérente à la faute[83] ». Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers abondent en ce sens : « il est donc légitime de prétendre, comme le fait la doctrine majoritaire, que la capacité de discernement n’est pas véritablement une condition distincte de la responsabilité civile extracontractuelle, mais bien une condition d’existence de la faute elle-même[84] ». Suivant un tel argument de texte, la faute correspond au manquement à un devoir de bonne conduite par un individu et à sa capacité de discernement. En d’autres termes, la faute est la violation d’un devoir de civilité qui résulte d’un comportement imputable à un individu.
Un examen de l’historique législatif menant à la rédaction actuelle de l’alinéa deuxième de l’article 1457 C.c.Q. conforte cette prétention. À l’origine, l’article 1053 du Code civil du Bas Canada édictait ceci : « Toute personne capable de discerner le bien du mal est responsable du dommage causé par sa faute à autrui, soit par son fait, soit par imprudence, négligence ou inhabileté[85]. » Par la suite, l’article 94 de l’Office de révision du Code civil proposait ce qui suit : « Toute personne, douée de discernement, est tenue de se comporter à l’égard d’autrui avec la prudence et la diligence d’une personne raisonnable[86]. » Le vocabulaire diffère d’une disposition à l’autre : alors que l’article 1053 renvoyait au bien et au mal pour faire reposer la responsabilité sur un individu, l’Office de révision du Code civil, à l’article 94, la faisait dépendre de la capacité de discernement. Ce dernier critère apparaît plus précis et évince toute notion floue issue de la morale (Qu’est-ce que le bien ? Qu’est-ce que le mal ?), difficile à vérifier, car il n’est pas possible alors de faire appel à un procédé scientifique[87].
Néanmoins, les dispositions contenues dans l’article 1515 de la Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations de 1987[88] et dans l’article 1453 du projet de loi no 125 de 1991[89] ne se réfèrent pas à la capacité de discernement. Littéralement interprétées, elles semblent imputer une responsabilité à une personne incapable de discerner le bien du mal ou encore à celle qui ne peut comprendre la portée de ses actes. À cette époque, la députée de la circonscription d’Hochelaga-Maisonneuve et porte-parole de l’opposition officielle en matière de justice, Louise Harel, posait la remarque pleinement justifiée et par essence interrogative suivante :
Le seul élément d’importance qui soit absent de l’article 1453, c’est une référence claire à la capacité de discernement de la personne dont on cherche à savoir si elle a été fautive. On sait que l’avant-projet de loi portant réforme au Code civil déposé en décembre 1987 proposait de tenir en certains cas les mineurs et les majeurs non doués de raison responsables de leur comportement dommageable. Cette proposition ayant été rejetée dans le projet final par l’article 1458 qui déclare que « le mineur et le majeur non doués de raison ne sont pas responsables du préjudice qu’ils causent à autrui par un comportement qui, autrement, aurait été fautif », on se demande pourquoi la capacité de discernement, comme condition fondamentale de responsabilité, n’est pas réaffirmée dans le cadre du principe général lui-même[90].
Il est opportun de se questionner sur la disparition de la notion de discernement par rapport aux articles 1053 du Code civil du Bas Canada et 94 de l’Office de révision du Code civil : simple oubli ou omission volontaire ?
Deux points de vue militent pour confirmer la première hypothèse. D’abord, la référence au terme « faute » à l’alinéa second des articles 1515 de l’avant-projet et 1453 du projet de loi no 125 peut permettre de résoudre la difficulté, si la faculté de discernement est incorporée à la notion de faute[91]. Ensuite, par une observation de l’évolution législative, la formule de l’article 1457 C.c.Q. converge vers les propositions de l’Office de révision du Code civil et réitère la nécessité d’être doué de raison pour conclure à l’existence d’une faute civile. Le ministre de la Justice d’alors, Gil Rémillard, requérait expressément un amendement de l’article 1453 du projet de loi no 125 par le remplacement, dans la première ligne du deuxième alinéa, des mots « lorsque par sa faute elle manque à ce devoir » par les termes « lorsque, douée de raison, elle manque à ce devoir ». Il écrivait ce qui suit :
M. le Président, comme commentaire, premièrement, cette modification réintroduit dans l’article général ce qui y était implicite, vu l’article 1458, le fait que la personne doit être douée de raison. L’expression proposée est préférée à celle de « incapable de discernement » ou « ayant du discernement », « ayant l’esprit de discernement » ou encore « ayant la capacité de discerner le bien du mal ». Tout cela est inclus dans la raison, c’est-à-dire : « la faculté de penser, en tant qu’elle permet à l’homme de bien juger et d’appliquer ce jugement à l’action ». C’est une référence au dictionnaire Robert. Deuxièmement, M. le Président, cette modification vise à indiquer clairement que la faute réside dans le manquement au devoir qu’explicite le premier alinéa[92].
Certes, la seule présence d’une faute n’est toutefois pas suffisante pour entraîner invariablement un cas de responsabilité civile extracontractuelle : il faut que cette faute ait causé un préjudice à autrui. La trinité juridique fondamentale « faute — lien de causalité — préjudice » demeure et ces conditions sont requises en matière de responsabilité civile. La responsabilité est la source de l’obligation — lien juridique entre les parties débitrice et créancière — de réparer le préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.
L’absence de volonté ou de raison ou encore d’une faculté de discernement constitue un facteur d’exonération de responsabilité civile. Plus particulièrement, il convient de rechercher et d’identifier les individus majeurs potentiellement inaptes que le droit positif québécois qualifie d’irresponsables.
En droit québécois, ne peut être tenue civilement à réparation la personne dont les facultés ont été annihilées par des substances narcotiques ou éthyliques — sans que leur ingestion résulte d’un acte antérieur volontaire ou négligent — ou encore par une pathologie. Elle n’est pas doli capax, car elle est alors dépourvue de toute capacité de discernement, de libre arbitre ou encore de conscience[93]. Pierre-Basile Mignault justifiait la raison de cette irresponsabilité en ces termes :
[Il] y a des personnes (les insensés et les enfants en bas âge) qui ne sont pas capables ni de dol, ni d’imprudence, et qui, par conséquent, ne sont point responsables du dommage qu’elles causent. La faute suppose, en effet, la liberté et le moyen de l’éviter ; or, les insensés et les enfants en bas âge n’ont ni cette liberté ni ce moyen[94].
Il n’est donc pas convenable d’imputer une faute à ces personnes, bien qu’elles puissent commettre un fait illicite.
Une présomption d’aptitude prévaut : il faut démontrer l’inaptitude de l’agent, qui demeure une question de fait. Le recours à des témoignages de psychologues et de psychiatres, ainsi qu’à des rapports d’expertise est opportun en ce sens. La privation de raison chez un individu procède de causes variées, qu’elles résultent d’un handicap mental, d’un choc ou d’un traumatisme psychologique ou bien de l’usage abusif de stupéfiants ou d’alcool. L’individu doit être totalement privé de raison au moment où l’acte illicite et dommageable a été accompli. Il ne peut agir dans un intervalle de lucidité.
Il est possible de reconnaître deux types d’aliénation, soit naturelle et provoquée. Dans le cas d’une aliénation naturelle, la personne privée de raison est dans l’impossibilité de juger des actes commis et de mesurer leur portée et leur impact. En cas d’inconscience momentanée[95], il faut apporter une preuve de la certitude de l’état d’inconscience, du fait que cet état n’est pas attribuable à la faute de l’individu et de ses caractères subit et imprévisible, dont une crise cardiaque foudroyante ou une inconscience, pour conclure à une irresponsabilité civile personnelle.
Dans le cas d’une aliénation provoquée, l’altération des facultés intellectuelles peut avoir pour source une faute, volontaire ou négligente, de l’auteur du dommage. Elle se manifeste notamment par un état d’ivresse qui résulte d’une consommation abusive d’alcool ou par des actes de morphinomanie. Elle peut entraîner la responsabilité civile de l’agent en raison de la faute commise, soit celle de s’être mis volontairement dans un tel état ou encore de ne pas avoir pris les précautions afin de ne pas sombrer dans un état temporaire d’inconscience[96].
2.2 De lege ferenda : le fait illicite en droit québécois, fondement de la responsabilité civile pour le fait personnel d’un inapte ?
En matière de responsabilité civile personnelle, un même fait illicite qui génère un préjudice à autrui est retenu ou non contre son auteur selon qu’il est commis par un individu normal (considéré comme fautif) ou par un individu privé de raison (jugé non fautif). Dans ce dernier cas, lorsque le fait émane d’une personne sans discernement, il n’entraîne aucune obligation de réparer le préjudice causé[97]. En d’autres termes, s’il n’est pas possible de considérer comme fautif un fait dommageable et illicite, c’est parce que l’acte est accompli par un être non doué de raison et que cette faculté de discernement est inhérente à la faute.
Au Québec, si le législateur propose d’objectiver la faute civile extracontractuelle — conserver l’illicéité — et d’évacuer l’imputabilité en tant que composante, devra-t-il reconnaître explicitement que les inaptes seront tenus responsables lorsqu’ils causeront un dommage ? Sera-t-il plausible d’inférer, d’une lecture conjuguée de l’article 1462 avec l’alinéa premier de l’article 1457 C.c.Q., la possibilité que les inaptes puissent être tenus de compenser une victime, puisque le seul comportement qui contrevient à la loi, aux usages ou aux circonstances constitue un fondement approprié à la responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel ?
Il convient de reconnaître une portée normative au fait illicite, détaché de tout caractère imputable, comme un fait générateur d’une responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel des aliénés — et non seulement comme une condition entraînant une responsabilité pour autrui.
Une lecture conjuguée des alinéas premier et deuxième de l’article 1457 C.c.Q. s’impose. Le premier renvoie au manquement au « devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à [une personne], de manière à ne pas causer de préjudice à autrui[98] ». Il s’agit de la dérogation au devoir de civilité, laquelle transgression se réfère, à notre avis, au concept d’illicéité. Pour sa part, le deuxième alinéa circonscrit la faute, qui y est exprimée de façon expresse. La portée des deux alinéas n’est toutefois pas équivalente : l’alinéa premier possède une portée incontestablement plus générale que l’alinéa deuxième, ce dernier n’étant que la règle générale au second degré.
Cependant, comme le formule Maurice Tancelin, « le choix de la présentation formelle des différentes règles est susceptible de maintenir des débats artificiels[99] ». Une scission en trois articles plutôt qu’une déclinaison tripartite de l’article 1457 C.c.Q. en alinéas distincts aurait eu l’avantage de clarifier la portée de chacun. L’auteur poursuit comme suit :
Ce faisant, on aurait conféré incontestablement à ce qui est devenu l’article 1457, premier alinéa une autonomie plus marquée par rapport aux deux suivants. En ne le faisant pas, on a savamment laissé la possibilité pour les traditionalistes de lire dans l’article 1457, premier alinéa un énoncé général de principe annonçant les règles des deux alinéas suivants […] Car une lecture de l’article 1457, premier alinéa comme une annonce ou une introduction à l’article 1457, deuxième alinéa, le tout réédictant purement et simplement l’article 1053 C.c.B.-C. est impossible en vertu des nouvelles règles d’interprétation : elle serait ouvertement contra legem par rapport à la Loi d’interprétation[100].
La jurisprudence québécoise témoigne de cette confusion entre les alinéas de l’article 1457 C.c.Q. dans la compréhension des concepts d’illicéité et de faute. Plusieurs jugements des tribunaux inférieurs manient de façon indistincte ces concepts ; trop fréquemment, les alinéas premier et deuxième de l’article 1457 C.c.Q. sont mentionnés, sinon cités de concert, sans accorder une autonomie conceptuelle à aucun d’eux[101]. Or, n’est-ce pas occulter, derrière une connaissance insatisfaisante des concepts, leurs particularités ?
Il est opportun d’analyser également l’alinéa troisième de l’article 1457 C.c.Q., dans la perspective d’une reconnaissance sur le plan sémantique de l’illicéité, distinguée de la faute. Celui-ci précise, sous la forme d’une annonce introductive aux articles subséquents, la possibilité d’une responsabilité civile extracontractuelle présumée pour le fait ou la faute d’autrui[102] et pour le fait des biens[103]. Il se réfère expressément au « fait » d’une personne ou d’un bien, sans autre qualification. Est-ce opportun d’y adjoindre l’adjectif « illicite » ? Une réponse positive s’impose, à notre avis. En effet, seul le fait qui contrevient aux règles de conduite selon les circonstances, les usages ou la loi peut être générateur de responsabilité, s’il cause un préjudice à autrui.
La ratio de la décision phare Laverdure c. Bélanger[104], rendue sous l’empire du Code civil du Bas Canada et codifiée par le législateur québécois à l’article 1459 C.c.Q. à l’égard des titulaires de l’autorité parentale, précise que la faute de l’enfant mais également, à certaines conditions, son seul fait sont suffisants au soutien d’une responsabilité pour le fait d’autrui. Le père doit ainsi répondre du simple fait illicite de son enfant mineur, même si ce fait ne constitue pas une faute imputable à l’enfant. A pari, le raisonnement s’applique dans le cas du gardien d’un inapte, puisque ce dernier est incapable de faute[105]. Dans l’affaire Laverdure, le juge Dugas analyse la responsabilité civile du père, titulaire de l’autorité parentale et gardien, pour la faute — sinon le fait illicite — commise par son fils, en ces termes :
Je crois que la responsabilité de 1054 C.C., alinéa 2, rejoint le père, même si l’acte du fils n’est pas imputable à celui-ci, la responsabilité du père étant une responsabilité sans faute du fils, jouant dès qu’il y a fait illicite et dommages.
Quant à la responsabilité du gardien d’un insensé, il faut bien qu’elle soit une responsabilité sans faute de ce dernier.
[…]
Comme l’insensé est incapable de faute, il faut bien conclure que le quatrième alinéa de 1054 C.C. impose responsabilité du gardien en raison du simple fait illicite de l’insensé, indépendamment de l’idée de faute.
[…]
Je crois qu’il faut lire ensemble et dans l’ordre les quatre alinéas qui suivent. Ce qu’il y a de commun aux quatre, c’est qu’ils parlent du dommage causé, du fait illicite et non de la faute[106].
Le fait illicite revêt donc une portée normative, détaché de la faute, et constitue une condition de la responsabilité du fait d’autrui. Il convient toutefois d’apporter ici une nuance, puisque la faute demeure l’une des bases de la responsabilité pour l’autre. Deux situations illustrent cette prétention. D’une part, une victime peut obtenir une condamnation solidaire et intenter un recours à l’encontre du véritable auteur du préjudice s’il possède une faculté de discernement : il est alors fautif. Ce n’est pas parce qu’un parent est tenu responsable du préjudice causé par son enfant mineur que ce dernier est pour autant exonéré, sous réserve de sa propre imputabilité. D’autre part, la personne qui a dû payer pour autrui conserve un recours récursoire à l’encontre du véritable auteur du préjudice. En pratique cependant, cette action demeure peu fréquente, devant le phénomène assurantiel, les chances relativement minces de solvabilité du débiteur ou l’obstacle du lien de famille.
Outre l’article 1457 C.c.Q. décliné dans ses divers alinéas, une autre disposition législative mérite une attention particulière au regard de l’illicéité. Il s’agit de l’article 1462 C.c.Q.
Celui-ci exprime le principe général qui chapeaute les différents cas de responsabilité civile pour le fait d’autrui. Voilà une manifestation concrète du concept d’illicéité en droit de la responsabilité civile extracontractuelle, formulée ainsi : « On ne peut être responsable du préjudice causé à autrui par le fait d’une personne non douée de raison que dans le cas où le comportement de celle-ci aurait été autrement considéré comme fautif[107]. »
Le recours aux Commentaires du ministre de la Justice[108] et au Journal des débats de l’Assemblée nationale[109] s’avère d’une utilité indiscutable dans la compréhension de l’article 1462 C.c.Q., devant la rareté de décisions jurisprudentielles qui le mentionnent. En effet, nous n’avons trouvé que deux jugements qui recourent à cette disposition, et ils n’utilisent que la paraphrase[110] ou la simple citation[111], sans étude à l’appui. Il nous apparaît donc délicat, sinon périlleux, d’en extraire un enseignement quelconque.
L’article 1462 C.c.Q., qui fait référence à la conduite d’un individu non doué de raison « autrement considéré comme fautif », vise un comportement objectivement fautif. Ce n’est pas tout fait dommageable et causal par rapport à un préjudice qui est requis, mais un fait dommageable et illicite.
En d’autres termes, il s’agit d’un comportement illicite, en vertu de l’alinéa premier de l’article 1457 C.c.Q. Le fait illicite ne peut ici être qualifié de faute, car il émane d’une personne qui, au moment où elle a commis l’acte entraînant le préjudice, était privée de sa raison, de manière temporaire ou permanente. Il y a dès lors équivalence, quant au non-respect d’un devoir de bonne conduite, entre le comportement « illicite » d’une personne non douée de raison et le comportement « fautif » d’une personne apte. La seule distinction réside dans la faculté de discernement. Facettes d’un même manquement à un devoir de bonne conduite, la faute est imputable[112], alors que l’illicéité ne peut être que causale.
Une analyse de l’article 1457 C.c.Q. articulée au regard de ses alinéas permet de conclure que l’illicéité se manifeste à l’alinéa premier. Il s’agit de la transgression du devoir de bonne conduite, laquelle se distingue de la faute exprimée précisément à l’alinéa deuxième de l’article 1457 C.c.Q. Les concepts d’illicéité et de faute se dissocient quant à la faculté de discernement requise, soit la capacité inhérente à la condition de faute. La terminologie de l’article 1462 C.c.Q., qui renvoie au comportement objectivement fautif, c’est-à-dire le comportement illicite d’une personne non douée de raison, renforce cette prétention.
En droit positif québécois, il existe des indices d’une objectivation de la faute civile extracontractuelle. Dans une telle perspective, Maurice Tancelin signale ce qui suit : « Or, la faute tend à s’objectiver dans le droit contemporain, 1462 C.c.Q. Cette tendance est de nature à faire sortir de l’ombre le “fait non fautif” ou “fait illicite”, tenu à l’écart par les adeptes du “principe” de la faute, qui tiennent la faute pour le fondement de la responsabilité civile[113]. »
Pour reconnaître une portée normative autonome au concept d’illicéité, non plus comme une condition de la responsabilité présumée des gardiens pour le fait illicite du majeur non doué de raison, mais comme un fondement d’une responsabilité pour le fait illicite personnel, il semble que seule la fonction compensatoire puisse demeurer valable. Ce serait alors le patrimoine de la personne qui est responsable du déséquilibre et qui doit réparation et non la personne qui en est redevable[114].
Plutôt que de considérer l’illicéité uniquement comme une condition d’application de la responsabilité civile extracontractuelle pour le fait d’autrui, pourquoi ne pas l’ériger tel un élément constitutif de la responsabilité civile pour le fait personnel et accorder un effet normatif et sanctionnateur à l’alinéa premier de l’article 1457 C.c.Q., détaché de ses alinéas subséquents ?
En d’autres termes, peu importe les acteurs en présence ou, plus particulièrement, leur aptitude, il s’agit de la même responsabilité civile engendrée, soit celle qui découle du manquement à un devoir de bonne conduite de la part de l’agent responsable. Bien entendu, cela n’empêcherait pas qu’un recours soit exercé en vue d’obtenir une réparation complémentaire auprès d’une personne à charge — en présence d’une faute lourde — ou encore d’un assureur.
S’il est admis que le concept d’illicéité, dans le sens d’une faute objective, est le fait d’agir contrairement à l’alinéa premier de l’article 1457 C.c.Q., il serait permis de considérer un fait commis par les aliénés comme un fait illicite prévu dans cette disposition. Le libellé de l’article 1462 C.c.Q. confirme une telle prétention. C’est un jugement de l’acte plutôt qu’un jugement de la personne qui prime[115]. L’acte illicite est une défaillance, un comportement non conforme à la norme relationnelle de bonne conduite ; il est de nature normative et de caractère causal.
Est-ce affirmer que des aliénés puissent être responsables ? Il serait possible, à notre avis, d’apporter une réponse positive. Le patrimoine de la personne serait responsable du déséquilibre engendré et devrait le réparer. Par une telle formule qui tend à dé-moraliser la faute civile, il semble plausible d’attribuer une responsabilité à une personne qui n’est pas en mesure de comprendre la portée de ses actes, mais redevable sur un plan pécuniaire.
Ainsi conçue en droit de la responsabilité civile extracontractuelle, l’illicéité se rapprocherait, de façon incidente, des régimes d’indemnisation à caractère social — sans toutefois se confondre avec eux. Elle s’accorderait avec la finalité curative du système articulé autour de la commission d’un acte criminel. Lorsqu’une victime subit un acte criminel, la capacité mentale de l’auteur de l’infraction importe peu. En vertu de l’article 14 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (LIVAC)[116] : « Une personne légalement incapable de former un dessein criminel est censée, pour l’application de la présente loi, avoir la capacité de former un tel dessein[117]. » Cette disposition législative révèle un souci du législateur d’élargir la notion de crime sans qu’il soit nécessaire de rechercher ou d’identifier un coupable, ni de démontrer que le geste provient d’une personne légalement capable de former un dessein criminel[118]. Une telle préoccupation s’insère dans le dessein plus large de la loi, en vue de réparer les injustices sociales qui peuvent dériver d’une application des règles ordinaires de la responsabilité civile classique. L’aliénation mentale de l’agresseur, par défaut d’âge ou insanité, n’influe d’aucune façon sur les droits d’une victime innocente[119].
Cette assise renforce notre prétention de reconnaître une opportunité à l’illicéité dans le système québécois de la responsabilité civile extracontractuelle. Elle s’ajoute à une politique juridique qui consiste à privilégier, entre deux « innocents », la victime qui souffre d’un préjudice à l’auteur qui ne peut apprécier les effets dommageables de ses actes.
Le lecteur pourra objecter qu’il s’agit d’un voeu pieux dont la réalisation demeure tributaire d’un jeu de concepts, voire d’une distorsion du raisonnement juridique. Bien qu’une telle responsabilité ne soit pas reconnue de lege lata en droit positif québécois, il est possible de concevoir une utilité à l’illicéité, qui possède une portée normative. Elle est déjà sanctionnée dans l’ordre juridique québécois par la faculté de prononcer une injonction cherchant à faire cesser un acte illicite. Par exemple, si un aliéné menace de blesser quelqu’un, le juge peut prononcer une injonction à son endroit lui enjoignant de proscrire tout geste illicite en ce sens. D’ailleurs, l’alinéa premier de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[120] prévoit qu’une atteinte illicite au droit à l’intégrité physique confère à une victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice qui en résulte. Une victime pourrait donc demander la cessation de l’acte illicite sans obtenir de dommages-intérêts.
Conclusion
Au Québec, un majeur solvable, privé temporairement de sa raison par une cause naturelle, ne peut être tenu responsable civilement. Cette solution nous est apparue pour le moins choquante, le législateur québécois n’ayant pas prévu qu’une victime puisse obtenir réparation dans cette situation spécifique[121]. Nous avons tenté de spéculer sur la responsabilité civile d’un tel majeur inapte lorsqu’il cause un préjudice à autrui. Plus particulièrement, il s’agit de lui imposer une obligation de réparer, en d’autres termes, une responsabilité patrimoniale.
Sur la base d’une objectivation de la faute civile et d’une portée normative au fait illicite, il a été opportun de reconnaître un fondement nouveau à la responsabilité personnelle de l’inapte. Bien que le fait illicite existe à l’état latent, le droit civil québécois le connaît déjà, à l’alinéa premier de l’article 1457 C.c.Q. — et, de façon incidente, à l’article 1462 C.c.Q. Il s’agit de conférer des effets sanctionnateurs à l’illicéité au regard de l’inapte. Bien plus, il est possible de s’inspirer de la politique législative française qui prévoit une responsabilité civile de l’inapte en présence d’une faute objective de celui-ci.
Au surplus, à défaut d’ériger le fait illicite comme fondement d’une responsabilité civile de l’inapte pour son fait personnel, le législateur pourrait privilégier une lecture en équité. À cet égard, les droits allemand, belge et suisse fournissent une solution intéressante. Ce n’est pas tant imputer une responsabilité personnelle à l’inapte que lui imposer une obligation de réparer si sa victime ne peut obtenir compensation autrement, à la lueur des circonstances et de la situation particulière des parties.
Les divers systèmes de droit analysés manipulent de différentes façons le problème pratique lié à la situation juridique des inaptes sur le plan civil. Si les enseignements que nous pouvons en tirer sont riches, ils démontrent sans ambages que la porte peut être ouverte sur la base d’une faute objective des inaptes (en France) et qu’elle ne peut être fermée, suivant l’équité (en Allemagne, en Belgique, en Suisse). Le droit civil québécois ne peut ni ne doit, à notre avis, laisser la porte fermée plus longtemps. À la relecture du Code civil du Québec proposée pourrait s’harmoniser une initiative législative, par une clarification de la terminologie rattachée au concept de faute comme fait générateur de responsabilité, qui puisse permettre d’écarter l’exigence traditionnelle de la faculté de discernement et, du même coup, permettre à la victime d’obtenir une indemnisation de la part d’un inapte.
Enfin, sur le plan terminologique, le vocable « responsabilité[122] » (respondere) doit se détacher impérativement de la « responsabilisation ». Si un aliéné peut être tenu responsable (au sens de « tenu à réparation », « répondre de »), il n’est certes pas possible de le responsabiliser. Le responsable est celui qui répond. Mais de quoi ? Dans ce cas-ci, l’inapte devrait répondre du dommage causé à une victime. En d’autres termes, le fait illicite commis par un inapte devrait correspondre au fait générateur d’une obligation légale de réparer.
En droit civil québécois, il faut tendre vers une compensation plus large des victimes, impératif que commande une vision socialisante de la faute, dissociée de toute moralité. Certaines situations peuvent nécessiter que la victime soit indemnisée pour le préjudice causé par un individu qui, sous l’impact d’un choc émotif grave, perd le contrôle de ses actes et commet un geste dont les conséquences fâcheuses sont (ir)réparables[123]…
Parties annexes
Remerciements
L’auteure tient à remercier chaleureusement Adrian Popovici, professeur émérite de l’Université de Montréal et Wainwright Senior Fellow de l’Université McGill, ainsi que Sébastien Grammond, doyen de la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa, pour leurs réflexions riches, leurs recommandations pertinentes et leur grande générosité dans les relectures du présent texte.
Note biographique
Mariève Lacroix
Professeure, Faculté de droit, section de droit civil, Université d’Ottawa ; avocate, LL.B. (Université de Montréal), LL.M. (Université de Montréal), Master 2 (Paris 1 – Panthéon-Sorbonne), LL.D. (Université Laval). Le présent texte est inspiré, pour partie, mais a été substantiellement bonifié au regard du droit comparé, de la thèse doctorale de l’auteure : Mariève Lacroix, L’illicéité. Essai théorique et comparatif en matière de responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel, thèse de doctorat, Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2011.
Notes
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[1]
Bien que le discours juridique à travers les époques ait employé diverses expressions, nous favorisons les termes « inapte » et « aliéné » pour assurer une uniformité terminologique tout au long du texte et pour proscrire toute connotation préjorative en rapport avec la situation de tels individus.
-
[2]
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 (ci-après « C.c.Q. »).
-
[3]
Le présent texte n’a pas pour objet de traiter de l’autorisation de soins et de la garde en établissement. À titre indicatif, voir : Emmanuelle Bernheim, Garde en établissement et autorisation de soins : quel droit pour quelle société ?, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011 ; Emmanuelle Bernheim, Les décisions d’hospitalisation et de soins psychiatriques sans le consentement des patients dans des contextes clinique et judiciaire : une étude du pluralisme normatif appliqué, thèse de doctorat, Montréal et Cachan, Faculté des études supérieures, Université de Montréal et École normale supérieure de Cachan, 2011. De plus, nous ne comptons pas discuter ci-dessous de la responsabilité civile des psychiatres en raison des exactions de leurs patients. Ce cas a été soulevé notamment dans Marc Thibodeau, « Au Québec, les psychiatres peuvent être poursuivis en cour civile », La Presse, 13 janvier 2013.
-
[4]
Suzanne Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, Paris, L.G.D.J., 1995, p. 3.
-
[5]
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 16 (1) (ci-après « C.cr. »). Voir également les paragraphes deuxième et troisième de l’article 16 C.cr. qui traitent respectivement de la présomption d’aptitude et de la charge de preuve des troubles mentaux :
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16 […] (2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1) ; cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.
-
(3)La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver.
Pour une illustration jurisprudentielle, portant sur la défense d’aliénation mentale, voir l’affaire Schwartz c. R., [1977] 1 R.C.S. 673. En doctrine, sur une analyse critique des fondements gouvernant la notion d’imputabilité en droit pénal, l’établissement d’un nouveau paradigme et l’analyse des formes secondaires de responsabilité chez les animaux, les aliénés et les enfants, voir Hugues Parent, « L’imputabilité pénale. Mort d’un mythe, naissance d’une réalité », (2001) 35 R.J.T. 191.
-
-
[6]
Rappelons que le verdict ou le plaidoyer pénal n’a pas une autorité de droit dans une instance civile. Suivant l’article 2848 C.c.Q., il y a une présomption absolue de la chose jugée lorsqu’une triple identité existe au regard des parties, de l’objet et de la cause. Or, tel n’est pas le cas entre les instances pénale et civile qui ne mettent pas en présence les mêmes parties et comportent un objet propre et une cause distincte. À l’appui, voir notamment l’affaire Laverdure c. Bélanger, [1975] C.S. 612. Une certaine admissibilité dans les faits du jugement pénal dans une instance civile peut néanmoins être relevée : voir notamment l’affaire Ali c. Compagnie d’assurance Guardian du Canada, [1999] R.R.A. 427 (C.A.).
-
[7]
Grossièrement, il est possible de penser au fardeau de la preuve qui diverge s’il est question d’une affaire en matière pénale où est exigée une preuve hors de tout doute raisonnable (à 99 %). En revanche, dans un litige en matière civile, il s’agit d’apporter une preuve selon la balance des probabilités, c’est-à-dire de 51 %.
-
[8]
À titre indicatif, sur les notions de « faute civile » et de « faute pénale », voir : Antoine Pirovano, Faute civile et faute pénale, Paris, L.G.D.J., 1966 ; Jacques Verhaegen, « Faute pénale et faute civile », dans Archives de philosophie du droit, t. 28, « Philosophie pénale », Paris, Sirey, 1983, p. 17 ; Marc Puech, « Scolies sur la faute pénale », Droits 1987.77 ; Patrice Jourdain, « Faute civile et faute pénale », R.C.A. 2003.74. Voir également François Chabas, Responsabilité civile et responsabilité pénale, Paris, Montchrestien, 1975.
-
[9]
L’Heureux c. Lapalme, [2002] R.R.A. 1205 (C.S.).
-
[10]
Sur le concept d’illicéité, voir infra, section 2.2.
-
[11]
Bien que le droit civil, contrairement au droit pénal, n’opère pas de distinction entre les personnes physiques et les personnes morales quant à l’imputabilité de la faute, nous arrêtons notre examen sur des personnes physiques dépourvues d’une faculté de discernement. Dans le cas de la personne morale, bien qu’elle n’ait pas une volonté propre et qu’elle soit donc non douée de discernement propre, sa volonté est tributaire de celle des personnes qui la composent. Elle est cependant dotée d’une personnalité juridique distincte qui lui permet d’exercer ses droits civils et qui lui impose certaines obligations (art. 298, al. 1 C.c.Q.). Dès lors, en cas de manquement à ses obligations, une compagnie peut être tenue responsable, indépendamment des personnes qui la constituent ou la dirigent. Par une conjugaison des articles 300, al. 2 et 1376 C.c.Q., une personne morale peut être trouvée responsable du préjudice causé par ses dirigeants et ses représentants qui agissent dans l’exercice de leurs fonctions ou par toute personne dont elle est responsable en vertu de la loi. Bien plus, par une application des articles 1463 et 1464 C.c.Q., il est possible de tenir responsable, à titre de commettant, une personne morale des fautes commises par ses agents, ses employés ou ses préposés. Voir notamment Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, nos 1-115−1-121, p. 91-98.
-
[12]
Nous ne traiterons pas des enfants en bas âge, les infantes, en rapport avec la détermination d’un âge minimal objectif relatif à l’aptitude.
-
[13]
Demeure le principe général de l’article 1462 C.c.Q., selon lequel les personnes qui exercent un pouvoir général de contrôle ou de surveillance sur l’inapte peuvent être tenues responsables du fait illicite commis, soit le comportement de l’individu privé de discernement qui aurait été jugé fautif s’il avait eu cette aptitude.
-
[14]
Loi sur le curateur public, L.R.Q., c. C-81.
-
[15]
Québec, Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, t. 1, Québec, Les Publications du Québec, 1993, p. 891, art. 1461 C.c.Q. Cette responsabilité civile pour autrui puise sa source dans une charge tutélaire, curative ou de conseil (art. 256 et suiv. C.c.Q.). Sur une justification de l’imposition d’une faute lourde (art. 1474 C.c.Q.) ou intentionnelle dans l’exercice de la garde d’un tuteur ou d’un curateur pour être tenu responsable, voir : Claude Masse, « La responsabilité civile », dans Barreau du Québec et Chambre des notaires, La réforme du Code civil, t. 2, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1993, p. 235, no 61, à la page 285 ; J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, préc., note 11, no 1-737, p. 697 et 698.
-
[16]
Il faut se demander si cette lacune doit être interprétée comme une volonté législative de faire supporter par la victime le préjudice subi. À notre avis, une réponse négative devrait s’imposer.
-
[17]
Voir notamment : Loi sur l’assurance automobile, L.R.Q., c. A-25 ; Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001 ; Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, L.R.Q., c. I-6 (ci-après « LIVAC »).
-
[18]
Dans une perspective assurantielle, l’assurance de responsabilité peut régler le problème relatif à la compensation et au choix difficile à opérer entre un « innocent » et un « assuré », sous réserve que la police couvre ce genre de comportement. En d’autres termes, le patrimoine de l’auteur du fait dommageable devient en quelque sorte l’assureur de la victime… et si l’auteur est assuré, alors le problème ne se pose plus. Toutefois, le présent texte ne traitera pas du phénomène assurantiel en rapport avec le problème exposé.
Par ailleurs, l’acte de l’auteur du fait dommageable peut être considéré comme un acte criminel au sens de la LIVAC. Voir infra, section 2.2.
-
[19]
Ejan Mackaay, « Le juriste a-t-il le droit d’ignorer l’économiste ? », R.R.J. 1987.419. Sur une perspective historique et un énoncé de la méthode propre à l’économie du droit, voir Ejan Mackaay et Stéphane Rousseau, « Introduction à l’analyse économique du droit », dans Guy Lefebvre et Stéphane Rousseau (dir.), Introduction au droit des affaires, Montréal, Éditions Thémis, 2006, p. 29.
-
[20]
J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, préc., note 11, nos 1-11 et suiv., p. 6 et suiv. Sur un échec de la fonction réparatrice et un succès mitigé de la fonction préventive de la responsabilité civile, voir Don Dewees, David Duff et Michael Trebilcock, Exploring the Domain of Accident Law. Taking the Facts Seriously, New York, Oxford University Press, 1996, p. 412 et 413 :
-
1. The tort system performs so poorly in compensating most victims of personal injury that we should abandon tort as a means of pursuing this compensation objective, turning instead to other instruments.
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2. The tort system performs unevenly in deterring the causes of personal injuries, so its scope should be restricted to situations where its effect seems likely to justify its high cost.
-
-
[21]
Dans une perspective de sécurité sociale, la situation créée depuis 1974 par l’Accident Compensation Commission (ACC) en Nouvelle-Zélande favorise une indemnisation, devant un seul assureur public, des victimes d’accidents pour le préjudice corporel subi et assure leur rééducation et la prévention des accidents. Il s’agit en quelque sorte d’une nationalisation de l’assurance accident. Sur la genèse de la situation en Nouvelle-Zélande et ses considérations, voir André Tunc, La responsabilité civile, 2e éd., Paris, Economica, 1989, nos 94-99, p. 79-83.
-
[22]
Sur une discussion de l’expérience néo-zélandaise, voir Ejan Mackaay et Stéphane Rousseau, Analyse économique du droit, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2008, no 1162, 1163, 1066 et 1067, p. 327-329 et les ouvrages y cités. Dans le même sens, voir Ejan Mackaay, « La responsabilité civile extracontractuelle – Une analyse économique », dans Pierre-Claude Lafond (dir.), Mélanges Claude Masse : en quête de justice et d’équité, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 319, aux pages 325-327 et les ouvrages y cités. Au Québec, un développement semblable et à plus petite échelle a été observé en matière d’assurance automobile étatique obligatoire.
-
[23]
E. Mackaay et S. Rousseau, préc., note 22, no 1165, p. 329. Dans le même sens, voir E. Mackaay, préc., note 22, aux pages 325-327.
-
[24]
Les moyens pour parvenir à la réduction du fardeau des accidents consistent notamment à faire preuve de prudence dans un cas d’espèce, à limiter le niveau général de l’activité génératrice de dommage ou à procéder à une recherche scientifique qui puisse donner lieu à des produits ou à des façons de faire limitant la présence de dommages. Voir E. Mackaay et S. Rousseau, préc., note 22, no 1171, p. 330. Dans le même sens, voir E. Mackaay, préc., note 22, à la page 329.
-
[25]
E. Mackaay et S. Rousseau, préc., note 22, no 1173, p. 331. Dans le même sens, voir E. Mackaay, préc., note 22, à la page 329.
-
[26]
Il serait souhaitable que la relecture proposée du Code civil s’accompagne d’une initiative législative, par une clarification de la terminologie rattachée au concept de faute, qui puisse permettre d’écarter l’exigence traditionnelle de la faculté de discernement et, du même coup, permettre à la victime d’obtenir une indemnisation de la part d’un inapte. Sur des réticences exprimées, voir infra, note 88.
-
[27]
Il en va également de la responsabilité civile du fait d’autrui.
-
[28]
Le principe de l’unité des fautes civile et pénale d’imprudence avait été proclamé par la Chambre civile de la Cour de cassation du 18 décembre 1912 ; voir : Civ. 18 déc. 1912, S. 1914.1.249, note Morel, D. 1915.1.17.
-
[29]
Ces illustrations ont été puisées dans Boris Starck, Henri Roland et Laurent Boyer, Obligations. Responsabilité délictuelle, 5e éd., Paris, Litec, 1996, no 398, p. 192. De tels cas sont issus de la jurisprudence française : aucune réparation n’a été accordée à ce titre.
-
[30]
Alain Bénabent, Droit civil. Les obligations, 11e éd., Paris, Montchrestien, 2007, no 545, p. 385.
-
[31]
Créé par la Loi no 68-5 du 3 janv. 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs, J.O. 4 janv. 1968, p. 114. art. 1.
-
[32]
L’article 414-3 C. civ. remplace l’article 489-2, abrogé par la Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, J.O. 7 mars 2007, p. 4325, art. 7.
-
[33]
Des études concernent essentiellement l’ancien article 489-2, abrogé le 1er janvier 2009. Voir notamment : René Savatier, « Le risque, pour l’homme, de perdre l’esprit et ses conséquences en droit civil », D. 1968.chr.19 ; Ch. Blaevoet, « La responsabilité des inconscients », Gaz. Pal. 1968.I.doctr.113 ; Geneviève Viney, « Réflexions sur l’article 489-2 du Code civil. À partir d’un système de réparation des dommages causés sous l’empire d’un trouble mental, une nouvelle étape de l’évolution du droit de la responsabilité civile », R.T.D.civ. 1970.251 ; Jean-Jacques Burst, « La réforme du droit des incapables majeurs et ses conséquences sur le droit de la responsabilité civile extracontractuelle », J.C.P. 1970.I.2307 ; Nooman M.K. Gomaa, « La réparation du préjudice causé par les malades mentaux », R.T.D.civ. 1971.29 ; Philippe Le Tourneau, « La responsabilité civile des personnes atteintes d’un trouble mental », J.C.P. 1971.I.2401 ; Jean Gaudart, « De la responsabilité délictuelle des majeurs incapables », Gaz. Pal. 1973.I.doctr.209 ; Jean-François Barbieri, « Inconscience et responsabilité dans la jurisprudence civile : l’incidence de l’article 489-2 du Code civil après une décennie », J.C.P. 1982.I.3057 ; Geneviève Viney, « La réparation des dommages causés sous l’empire d’un état d’inconscience : un transfert nécessaire de la responsabilité vers l’assurance », J.C.P. 1985.I.3189 ; Hervé Rigot-Müller, « Droit et folie : une irresponsable responsabilité du dément en droit civil », dans Archives de philosophie du droit, t. 36, « Droit et science », Paris, Sirey, 1991, p. 265. Voir également Aimé Daniel Jeannin, À propos de l’application de la Loi no 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs, thèse de doctorat, Lyon, Université Claude-Bernard, 1974. Sur une opinion critique de l’article 489-2, voir Alain Sériaux, Droit des obligations, 2e éd., Paris, Presses universitaires de France, 1998, no 106, p. 373 et 374.
-
[34]
Christian Larroumet (dir.), Droit civil, t. 5, « Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle », par Mireille Bacache-Gibeili, Paris, Economica, 2007, no 112, p. 125.
-
[35]
Civ. 2e, 4 mai 1977, D. 1978.393, note Raymond Legeais, R.T.D.civ. 1977.772, obs. Georges Durry ; Civ. 2e, 24 juin 1987, Bull. civ. II, no 137, Gaz. Pal. 1988.I.somm.41, obs. François Chabas.
-
[36]
Cela vaut également pour tous les types de responsabilité civile.
-
[37]
Geneviève Viney et Patrice Jourdain, Traité de droit civil. Les conditions de la responsabilité, 3e éd. sous la dir. de Jacques Ghestin, Paris, L.G.D.J., 2006, no 593-1, p. 614. Voir également G. Viney, « La réparation des dommages causés sous l’empire d’un état d’inconscience : un transfert nécessaire de responsabilité vers l’assurance », préc., note 33.
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[38]
Cette affirmation doit être nuancée, en particulier depuis que les établissements qui prennent en charge des personnes handicapées sont responsables de plein droit des dommages causés par leurs pensionnaires.
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[39]
J.C.P. 1984.II.20255, note Noël Dejean de la Bâtie. Sur l’esprit même et la logique de la responsabilité civile, l’auteur poursuit ainsi :
-
Il faut oser remonter au plus élémentaire et rappeler que le droit tend à faire régner une certaine harmonie entre les hommes. Or quand un fait incorrect (ou que l’on peut présumer tel) se manifeste dans la sphère d’activité ou d’autorité d’une personne et cause un dommage à une autre personne, ce processus réalise un trouble dans les rapports humains. La démarche spécifique de la responsabilité civile (dégagée de toute considération adventice liée à l’assurance) est alors de tenter de résorber ce trouble, en transférant la charge sur celui auquel l’origine du mal peut être rattachée. Cela étant, le fait que ce dernier soit un sujet dépourvu de raison ne retire pas à la production du dommage son caractère de trouble social. Et le fait de transférer le fardeau de la tête de la victime sur celle de cet « auteur » tend à résorber le trouble exactement selon le schéma général de la responsabilité civile et conformément à la logique ordinaire de celle-ci. Il n’y a donc rien là qui ne soit banalement orthodoxe.
-
-
[40]
Le lecteur pourra consulter néanmoins l’ouvrage suivant : S. Carval, préc., note 4. Sur une discussion concernant la possibilité d’introduire des dommages-intérêts punitifs en droit français, voir Mariève Lacroix, « Pour une reconnaissance encadrée des dommages-intérêts punitifs en droit privé français contemporain, à l’instar du modèle juridique québécois », (2007) 85 R. du B. can. 569.
-
[41]
François Chabas, D. 1984.525, 530.
-
[42]
Sur une réitération du principe, voir Patrice Jourdain, « Conscience et faute civile », dans Responsabilité et Antiquité, t. 1, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 227, à la page 239 : « Le constat tient à ce que, du point de vue de la faute génératrice de la responsabilité civile, la conscience n’a plus de rôle à jouer dans notre droit qu’en cas de faute aggravée, intentionnelle ou non : la conscience y demeure exigée pour l’imputabilité de ces fautes ; et l’on a vu son incidence – variable mais toujours réelle – pour leur qualification. »
-
[43]
Patrice Jourdain, « Droit à réparation. Responsabilité fondée sur la faute. Imputabilité », J.-Cl.Resp. et ass., fasc. 121-1, no 6. Sur une étude exhaustive, voir Patrice Jourdain, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, thèse de doctorat, Paris, Université Paris 2, 1982 (l’italique est de nous).
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[44]
G. Viney et P. Jourdain, préc., note 37, no 444-1, p. 372.
-
[45]
Id., no 593-1, p. 614. Sur la nécessité ou non de l’élément d’imputabilité morale au sein de la faute civile, les auteurs écrivent ceci (no 588, p. 601) :
-
[Il]
faut pour cela admettre que l’imputabilité morale n’est pas une composante de la faute, mais une condition subjective de la responsabilité extérieure au fait générateur. On peut alors comprendre que l’article 489-2 du Code civil ait simplement eu pour effet d’évincer l’imputabilité des conditions de la responsabilité civile à l’égard de certaines personnes. Ainsi la loi n’aurait pas touché à la définition de la faute civile, mais aurait simplement répondu à une nécessité à la fois sociologique et historique qui imposait la réparation des dommages causés sous l’empire d’un trouble mental en supprimant une condition de la responsabilité civile autrefois requise. »
-
[46]
Patrice Jourdain, J.C.P. 1984.II.20256.
-
[47]
Jean Pineau et Monique Ouellette, Théorie de la responsabilité civile, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 1980, p. 54.
-
[48]
Pierre Catala, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Paris, La Documentation française, 2006, p. 171, art. 1340-1. Certains auteurs favorisent cependant l’abandon de la responsabilité de l’auteur d’un dommage privé de discernement. En ce sens, voir Christophe Radé, « Brefs propos sur une réforme en demi-teinte », R.D.C. 2007.77.
-
[49]
Nous observons une seule différence quant en remplacement des termes « sous l’empire d’un trouble mental », à l’article 414-3 du Code civil, par l’expression « privé de discernement », à l’article 1340-1 de l’avant-projet.
-
[50]
C. Radé, préc., note 48.
-
[51]
P. Catala, préc., note 48, p. 171, art. 1340-1. Aux commentaires qui suivent l’article 1340-1, Geneviève Viney précise ceci (p. 171). :
-
Le groupe a choisi d’intégrer cette disposition après le texte général d’annonce des différents cas de responsabilité plutôt que de modifier la définition de la faute donnée à l’article 1352. Cette solution permet d’éviter de dire que la personne privée de discernement peut commettre une faute. Par ailleurs, elle donne à la responsabilité de l’aliéné (et éventuellement de l’infans) une portée générale valant pour tous les faits générateurs de responsabilité extracontractuelle et même pour la responsabilité contractuelle.
-
-
[52]
L’article 1351-1 (id., p. 175) de l’avant-projet se lit comme suit : « Les exonérations prévues aux deux articles précédents ne sont pas applicables aux personnes privées de discernement. »
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[53]
Aux commentaires qui suivent l’article 1340-1, Geneviève Viney précise ceci (id., p. 171) : « On remarquera que l’article 1351-1 écarte l’exonération pour faute de la victime lorsque celle-ci est privée de discernement. Les membres du groupe estiment en effet que l’exonération pour faute de la victime est une peine privée qui ne doit, par conséquent, s’appliquer qu’aux personnes conscientes des conséquences de leurs actes. »
-
[54]
Philippe Malinvaud, Droit des obligations, 10e éd., Paris, Litec, 2007, no 560, p. 412. Cette dissociation entre le sort de l’auteur et de la victime apparaît heureuse pour C. Radé, préc., note 48 :
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L'article 1350-1 interdit désormais d’opposer à la victime privée de discernement deux causes d’exonération générales, la recherche volontaire du dommage de l’article 1350 et la propre faute de la victime de l’article 1351, ne laissant finalement subsister que l’exonération par la preuve de la force majeure. Cette dissociation est heureuse car elle protège efficacement les déments et enfants en bas âge des conséquences personnelles de leurs actes et interdit de les “sanctionner” en tant que victimes […] simplement sur le principe même de la responsabilité des auteurs privés de discernement.
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-
[55]
Bürgerliches Gesetzbuch (ci-après « BGB »).
-
[56]
La traduction française provient de Gwendoline Lardeux et autres, Code civil allemand. Bürgeliches Gesetzbuch BGB. Traduction en français du texte en vigueur au 31 octobre 2009, Paris, Dalloz, 2010, p. 305 (l’italique est de nous). Le texte en langue allemande de l’article 829 B.G.B. se lit comme suit :
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Wer in einem der in den §§ 823 bis 826 bezeichneten Fälle für einen von ihm verursachten Schaden auf Grund der §§ 827, 828 nicht verantwortlich ist, hat gleichwohl, sofern der Ersatz des Schadens nicht von einem aufsichtspflichtigen Dritten erlangt werden kann, den Schaden insoweit zu ersetzen, als die Billigkeit nach den Umständen, insbesondere nach den Verhältnissen der Beteiligten, eine Schadloshaltung erfordert und ihm nicht die Mittel entzogen werden, deren er zum angemessenen Unterhalt sowie zur Erfüllung seiner gesetzlichen Unterhaltspflichten bedarf.
À titre indicatif, sur la technique législative du Code civil allemand, voir Valérie Lasserre-Kiesow, La technique législative. Étude sur les Codes civils français et allemand, Paris, L.G.D.J., 2002.
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-
[57]
Inséré par la Loi du 16 avril 1935 sur la réparation de dommages causés par les déments et les anormaux, art. 1 (l’italique est de nous). En doctrine, voir notamment Henri de Page, Traité élémentaire de droit civil belge, 4e éd., t. 2, « Les personnes », vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 1989, no 1609, p. 1438 :
-
Que la loi du 16 avril 1935 ne modifie pas le droit commun de la capacité aquilienne, qui sublève de toute responsabilité celui qui a agi sans avoir la conscience de ses actes, mais le confirme. En effet, dans le système nouveau, le dément n’est pas déclaré responsable. Il reste irresponsable […] Et c’est parce qu’il le reste en droit que la loi, se fondant sur l’équité, permet au juge d’atténuer les conséquences de cette situation, et l’autorise à faire peser sur l’interdit, dans la mesure que le tribunal détermine, une obligation de réparer (et non une responsabilité). La mission fondamentale de l’équité est d’atténuer les rigueurs du droit strict […] C’est ce qui explique que, dans le fond, la loi du 16 avril 1935 n’a pas rendu les déments responsables. Elle a confirmé le principe antérieur de l’irresponsabilité, tout en y apportant, en raison de sa trop grande rigueur, un correctif d’équité.
Voir également Henri de Page, Traité élémentaire de droit civil belge. Principes, doctrine, jurisprudence, 3e éd., t. 2, « Les incapables. Les obligations », Bruxelles, Bruylant, 1964.
-
-
[58]
Roger O. Dalcq, Les Novelles Droit civil, 2e éd., t. 5, « Traité de la responsabilité civile », vol. 1, « Les causes de responsabilité », Bruxelles, Larcier, 1967, no 2324, p. 737.
-
[59]
Id.
-
[60]
Roger Pirson, Droit belge de la responsabilité civile. Complément au Traité pratique de la responsabilité civile de Henri Lalou, 6e éd., Paris, Dalloz, 1964, p. 11 et 12.
-
[61]
R.O. Dalcq, préc., note 58, no 2330, p. 739 ; R. Pirson, préc., note 60, p. 12.
-
[62]
Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse, Code des obligations (ci-après « C.O. »).
-
[63]
À titre indicatif, voir Franz Werro, La capacité de discernement et la faute dans le droit suisse de la responsabilité. Étude critique et comparative, 2e éd., Fribourg, Éditions universitaires Fribourg, 1986.
-
[64]
Le droit suisse reconnaît le concept d’illicéité comme quatrième colonne à l’édifice de la responsabilité civile. Pour des études approfondies sur l’illicéité, voir notamment : Alfred Martin, L’abus du droit et l’acte illicite, Basel, Helbing & Lichtenhahn, 1906 ; Albert Richard, Remarques sur les mots « d’une manière illicite » de l’article 41 C.O., Genève, Albert Kunding, 1938 ; Jean Darbellay, Théorie générale de l’illicéité. En droit civil et en droit pénal, Fribourg, Éditions universitaires Fribourg, 1955 ; Jacques-André Nicod, Le concept d’illicéité civile à la lumière des doctrines françaises et suisses, Lausanne, Université de Lausanne, 1988.
-
[65]
Art. 41 C.O.
-
[66]
Franz Werro, avec la collab. de Josiane Haas, Annick Achtari et Sébastien Chaulmontet, La responsabilité civile, 2e éd., Berne, Stämpfli, 2011, no 280, p. 84.
-
[67]
Art. 54 C.O. (l’italique est de nous).
-
[68]
F. Werro, préc., note 66, no 278, p. 84.
-
[69]
Id. L’auteur poursuit ainsi (no 282, p. 85) : « La personne frappée d’une incapacité passagère n’est cependant soumise à l’alinéa 1 de l’art. 54 C.O. que si elle peut prouver que son incapacité n’était pas due à sa faute […] Dans le cas contraire, c’est l’alinéa 2 qui s’applique » (caractères gras dans le texte original).
-
[70]
Id., no 287, p. 86.
-
[71]
Id., no 290, p. 87 (caractères gras dans le texte original). L’auteur poursuit ainsi (no 291, p. 87) : « L’application de l’art. 54 al. 2 C.O. suppose encore l’existence d’une seconde faute. En effet, l’incapable de discernement ne peut être obligé de réparer un préjudice que si, une fois qu’il s’est mis fautivement en état d’incapacité, il a commis un acte fautif à l’origine du préjudice. Il revient à la victime de prouver cette seconde faute » (caractères gras dans le texte original).
-
[72]
J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, préc., note 11, nos 1-98, 1-99 et 1-103, p. 81, 82 et 85.
-
[73]
M. Lacroix, préc., note *.
-
[74]
Louis Baudouin, Le droit civil de la Province de Québec. Modèle vivant de Droit comparé, Montréal, Wilson & Lafleur, 1953, p. 757.
-
[75]
France Allard et autres, Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues. Les obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, s.v. « Aptitude », p. 20.
-
[76]
Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 9e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2011, s.v. « Aptitude », p. 77 :
-
Vocation juridique ; qualité correspondant, chez la personne à laquelle elle est reconnue, à une potentialité de droit ; parfois synonyme de capacité juridique, l’aptitude est une notion plus générale (la capacité de jouissance et la capacité d’exercice sont des espèces d’aptitude) qui sert aussi à définir la personnalité juridique ; elle correspond parfois – mais pas nécessairement – à une capacité de fait réelle ou supposée.
-
-
[77]
Sur la théorie générale des incapacités qui s’étend aux actes juridiques, dont le domaine du contrat, et se décline suivant une incapacité d’exercice (légale ou naturelle) et une incapacité de jouissance, voir notamment : Jean Pineau, Danielle Burman et Serge Gaudet, Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2001, nos 108-128, p. 228-271 ; Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, nos 321-351, p. 423-435 ; Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, nos 933-1047, p. 475-536.
-
[78]
Art. 1385 C.c.Q.
-
[79]
Art. 1398 C.c.Q.
-
[80]
Sur les régimes de protection du majeur, édictés par le Code civil du Québec, que ce soit la curatelle, la tutelle, ou le conseiller, voir les articles 256-297 C.c.Q.
-
[81]
Au sujet de cette distinction entre « conscience et imputabilité de la faute » et « conscience et gravité de la faute », et plus particulièrement sur ce dernier aspect, voir notamment P. Jourdain, préc., note 42, aux pages 234 et suiv. L’auteur dissocie la conscience du dommage pour la faute intentionnelle ou dolosive de la conscience des risques du dommage pour la faute lourde ou inexcusable. Voir également Odette Jobin-Laberge, « La faute intentionnelle : approche objective et subjective », dans S.F.P.B.Q., vol. 147, Développements récents en droit des assurances (2001), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 139.
-
[82]
Art. 1457, al. 2 C.c.Q. (l’italique et les majuscules sont de nous).
-
[83]
Adrian Popovici, « De l’impact de la Charte des droits et libertés de la personne sur le droit de la responsabilité civile : un mariage raté ? », dans Conférences commémoratives Meredith, La pertinence renouvelée du droit des obligations : retour aux sources : Back to Basics. The Continued Relevance of the Law of Obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 49, à la page 65, note 45 : « Le texte n’est pas limpide mais la conjonction ET entre la “capacité” et le manquement au devoir précédant le démonstratif de CETTE faute nous semble exprimer qu’au Québec la capacité de discernement est inhérente à la faute. » Néanmoins, il semble que la « capacité de discerner le bien du mal », édictée à l’article 1053 du Code civil du Bas Canada (ci-après « C.c.B.C. »), constitue une condition additionnelle à la responsabilité civile personnelle et distincte de l’élément de faute.
-
[84]
J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, préc., note 11, nos 1-99 et 1-103, p. 82 et 85. Dans le même sens, voir Vincent Karim, Les obligations. Volume 1 (art. 1371 à 1496 C.c.Q.), 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p. 833 ; Maurice Tancelin, Des obligations en droit mixte du Québec, 7e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, no 636, p. 458. Contra : J. Pineau et M. Ouellette, préc., note 47, p. 54.
-
[85]
Art. 1053 C.c.B.C. Pour des commentaires de cette disposition législative, voir notamment Charles C. de Lorimier, La bibliothèque du Code civil de la Province de Québec (ci-devant Bas-Canada), vol. 8, Montréal, Eusèbe Senecal & Fils, 1883 ; Édouard Lefebvre de Bellefeuille, Le Code civil annoté étant le Code civil du Bas-Canada (en force depuis le premier août 1866), Montréal, Beauchemin & Fils, 1889 ; William Prescott Sharp, Civil Code of Lower Canada, vol. 1, Montréal, A. Périard, 1889 ; Jean Joseph Beauchamp, Le Code civil de la Province de Québec annoté, t. 1, Montréal, C. Théorêt, 1904 ; François Langelier, Cours de droit civil de la province de Québec, t. 3, Montréal, Wilson & Lafleur, 1907 ; Joseph Fortunat Saint-Cyr, Supplément au Code civil annoté, Montréal, Wilson & Lafleur, 1931.
-
[86]
Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 347 et 348, art. 94. Dans le même sens, voir Office de révision du Code civil, Rapport sur les obligations, Montréal, 1975, p. 140 et 146, où il est question des obligations découlant du comportement à l’égard d’autrui en ces termes : « 92. Toute personne, douée de discernement, est tenue de se comporter à l’égard d’autrui avec la prudence et la diligence d’une personne raisonnable » ; « 94. Celui qui, privé de discernement, cause un dommage à autrui peut être tenu à réparation selon les circonstances, lorsque, notamment, il est impossible à la victime d’obtenir réparation de la personne tenue à sa surveillance. » Le Comité distingue ici entre l’« obligation de diligence » à laquelle est tenue toute personne douée de discernement et l’« obligation de réparation » à laquelle est astreinte toute personne, qu’elle soit douée ou non de raison. Entre deux « innocents », soit la victime qui souffre d’un préjudice et l’auteur qui ne peut apprécier les conséquences dommageables de ses actes, le Comité a voulu favoriser la victime.
-
[87]
Daniel Jacoby, « Doit-on légiférer par généralités ou doit-on tout dire ? », (1982) 13 R.D.U.S. 255, 259.
-
[88]
Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations, 1re sess., 33e légis. (Qc), art. 1515, al. 1 et 2 :
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1515 [al. 1] Toute personne a le devoir général de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle et d’honorer les obligations qu’elle a contractées, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. [al. 2] Elle est, lorsque par sa faute elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à autrui et tenue de réparer ce préjudice.
De façon générale, sur le cadre législatif de ce projet de réforme, voir : Maurice Tancelin, « Les bases philosophiques de l’avant-projet de réforme de 1987 en matière de droit des obligations », (1988) 19 R.D.U.S. 1 ; numéro spécial sur la réforme du droit des obligations dans (1989) 30 C. de D. 555. Par ailleurs, il convient de mentionner les articles 1519 et 1520 de l’avant-projet de réforme de 1987, qui imposaient une responsabilité au mineur et au majeur non doués de raison, lorsque leur situation patrimoniale le leur permettait, afin d’éviter que la victime soit laissée sans indemnisation. Néanmoins, à l’étape des consultations sur l’avant-projet, ces dispositions ont été critiquées par différents acteurs de la communauté juridique québécoise, car elles étaient jugées contraires à un principe fondamental du droit civil québécois. À l’appui, voir Richard Nadeau, « Le point de vue du Barreau du Québec », (1989) 30 C. de D. 647, 652. Les réticences exprimées à cette époque étaient viscérales et ont été jugées suffisamment sérieuses pour amener le législateur québécois à faire marche arrière. Or, quelque 25 ans plus tard, il est permis de se questionner à nouveau sur l’introduction d’une responsabilité civile à la charge de l’inapte, à la lueur des enseignements de droits étrangers notamment.
-
-
[89]
Projet de loi no 125, 1re sess., 34e légis. (Qc) (sanctionné le 18 décembre 1990), art. 1453, al. 1 et 2 : « 1453 [al. 1] Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. [al. 2] Elle est, lorsque par sa faute elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à autrui et tenue de réparer ce préjudice. » Sur des commentaires législatifs, voir : Gil Rémillard, « Présentation du projet de Code civil du Québec », (1991) 22 R.G.D. 5, 27 et suiv. ; Québec, Ministère de la Justice, La réforme du Code civil. Quelques éléments du projet de loi 125 présenté à l’Assemblée nationale le 18 décembre 1990, 1991, p. 16 et suiv. ; Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec sur le Code civil du Québec (projet de loi 125). Livre V – Des obligations, théorie générale des obligations, Montréal, Le Barreau, 1991, p. 18 et 19.
-
[90]
Louise Harel, Réforme du Code civil du Québec. Étude détaillée du projet de loi 125 : Remarques préliminaires, Québec, 1991, p. 24. Dans le même sens, voir Commission des institutions, Projet de loi 125. Code civil du Québec : quelques observations sur le Livre des obligations, Québec, Ministère de la justice, 1991, p. 4 (Document déposé par Louise Harel) et p. 9 (Document déposé par le ministre).
-
[91]
Jean-Louis Baudouin, « La responsabilité civile délictuelle », (1989) 30 C. de D. 599, 602. Voir également C. Masse, préc., note 15, no 29, à la page 257, notes 58 et 59.
-
[92]
Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, Sous-commission des institutions, 1re sess., 34e légis., no 12, 19 septembre 1991, « Étude détaillée du projet de loi 125 – Code civil du Québec », p. 512 (Gil Rémillard). Par ailleurs, à l’intérieur de ce débat législatif, Jean Pineau, professeur invité, apportait une précision sémantique et préférait l’emploi de la locution « douée de raison » plutôt que « douée de discernement ». Par un élégant renvoi littéraire, il précisait ceci : « Je crois que c’est La Bruyère qui a dit que, après le discernement, les choses les plus rares étaient les diamants et les perles. Alors, nous avons préféré éviter le mot “discernement”. »
-
[93]
Hyman Carl Goldenberg, The Law of Delicts. Under the Civil Code of Quebec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1935, p. 19 ; Pierre Beullac, La responsabilité civile dans le droit de la province de Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1948, p. 18 ; Witold Rodys, Cours élémentaire de droit civil français et canadien, Montréal, Wilson & Lafleur, 1956, p. 120, 124 et 125 ; André Nadeau et Richard Nadeau, Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle, Montréal, Wilson & Lafleur, 1971, no 68, p. 53 ; Claude Masse, Cours de responsabilité civile délictuelle, 2e éd., Montréal, Groupe de recherche en jurimétrie, Faculté de droit, Université de Montréal, 1976, p. 49-62 ; Louis Perret, Précis de responsabilité civile, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1979, p. 29-31 ; J. Pineau et M. Ouellette, préc., note 47, p. 54-57 ; John E.C. Brierley et Roderick A. Macdonald (dir.), Quebec Civil Law. An Introduction to Quebec Private Law, Toronto, Emond Montgomery Publications, 1993, nos 488 et 489, p. 449 et 450 ; Henri Kélada, Précis de droit québécois, 7e éd., Montréal, Société québécoise d’information juridique, 2004, p. 470 et 471 ; J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, préc., note 11, no 1-112, p. 90 et 91 ; M. Tancelin, préc., note 84, nos 636-640, p. 458-462 ; V. Karim, préc., note 84, p. 826-834.
-
[94]
Pierre-Basile Mignault, Le droit civil canadien, t. 5, Montréal, C. Théoret Éditeur, 1901, p. 333. Voir également Pierre Basile Mignault, « La responsabilité délictuelle en la province de Québec », dans Le Barreau de Montréal, Le droit civil français. Livre-Souvenir des Journées du droit civil français (Montréal − 31 août - 2 septembre 1934), Montréal, Le Barreau de Montréal, 1936, p. 333, à la page 335.
-
[95]
À titre illustratif, voir notamment l’affaire Robertson (dame) c. Penniston, [1968] B.R. 826, où la perte de la maîtrise du véhicule résulte d’une inconscience subite et imprévisible équivalant à un cas fortuit. À l’appui, une preuve claire et convaincante de l’état d’inconscience par celui qui l’invoque est nécessaire. Sur un état dissociatif, voir l’affaire Leblanc c. Compagnie d’assurances La Royale du Canada, [2002] R.R.A. 295 (C.A.). Sur un délire paranoïde, voir l’affaire L’Heureux c. Lapalme, préc., note 9 ; [2002] R.R.A. 1205 (C.S.).
-
[96]
Ainsi, une personne sous l’influence d’un usage immodéré de médicaments sait ou doit savoir que cela peut avoir des effets néfastes. On doit présumer qu’elle en accepte les conséquences : voir l’affaire Dumulon c. Morin, [1991] R.R.A. 295 (C.S.). Par ailleurs, une personne, traitée pour schizophrénie paranoïde, commet une faute en diminuant ou en cessant sa médication. Une telle faute entraîne sa responsabilité civile parce qu’elle résulte de son geste volontaire l’amenant à prendre le risque de perdre temporairement le contrôle de sa raison : voir l’affaire Deslandes c. Morel, [1998] no AZ-98036278 (C.Q.).
-
[97]
Sous réserve d’une responsabilité du gardien, du tuteur ou du curateur pour le fait illicite d’un majeur, non doué de raison, en présence d’une faute lourde ou intentionnelle, voir l’article 1461 C.c.Q.
-
[98]
Art. 1457 C.c.Q.
-
[99]
Maurice Tancelin, « Les silences du Code civil du Québec », (1994) 39 R.D. McGill 747, 752.
-
[100]
Id., 752 et 753. Par extension, voir Nicholas Kasirer, « The infans as bon père de famille : “Objectively Wrongful Conduct” in the Civil Law Tradition », (1992) 40 Am. J. Comp. L. 343.
-
[101]
Voir notamment : Godbout c. Lachance, [1999] no AZ-99036306 (C.Q.) ; Kaba c. Paradis, Brayley et Associés, [2000] R.J.Q. 949 (C.Q.) ; 3090-6499 Québec inc. (Le Permanent Côte-Nord enr.) c. Conejo, J.E. 2001-539 (C.Q.) ; Gamache c. Dumont, [2001] R.R.A. 987 (C.S.) ; Re/Max Vision (1990) inc. c. Hamon, [2003] R.D.I. 198 (C.Q.) ; Ambroise c. Lambert, [2003] R.R.A. 225 (C.S.) ; Huot c. Martineau, [2005] J.L. 75 (C.S.) (requête pour permission d’en appeler rejetée, 2005 QCCA 1271) ; Perreault c. Société pour la prévention contre la cruauté envers les animaux (SPCA) de l’Ouest du Québec inc., 2006 QCCQ 6770 ; Gossmann c. Fairway Management, [2007] R.R.A. 176 (C.S.) ; J.A. c. Fortin, [2007] R.R.A. 950 (C.S.), conf. par 2009 QCCA 2352 ; Axxa Realties Inc. c. Demper Holding Inc. (2943964 Canada Inc.), 2007 QCCS 5291 (appel principal accueilli en partie et appel incident rejeté, 2010 QCCA 259) ; Cinar Corporation c. Weinberg, 2007 QCCS 5994, conf. par 2008 QCCA 838) ; K.D. c. R.M., 2008 QCCS 584 ; Ventilabec inc. c. Patrick Garneau & Associés inc., 2009 QCCS 2811 (requête en rejet d’appel rejetée, 2009 QCCA 1987 ; règlement hors cour partiel ; appel accueilli en partie, 2011 QCCA 1166).
-
[102]
Art. 1459-1464 C.c.Q.
-
[103]
Art. 1465-1469 C.c.Q.
-
[104]
Laverdure c. Bélanger, préc., note 6, conf. par J.E. 77-75 (C.A.) (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 1977-12-19).
-
[105]
Les présomptions de responsabilité civile des alinéas 2 et 4 de l’article 1054 du Code civil du Bas-Canada se confondent dans le présent litige, car le père est également le gardien légal de l’auteur du fait dommageable. L’article 1054, al. 1, 2 et 4 C.c.B.-C. édicte ce qui suit (l’italique est de nous) :
-
Elle est responsable non seulement du dommage qu’elle cause par sa propre faute, mais encore de celui causé par la faute de ceux dont elle a le contrôle, et par les choses qu’elle a sous sa garde ;
-
Le titulaire de l’autorité parentale est responsable du dommage causé par l’enfant sujet à cette autorité ;
-
[…]
-
Les personnes chargées de garder un majeur non doué de discernement sont également responsables pour le dommage causé par ce majeur .
Le mot « faute » est employé seul, sans mention aucune du « fait » illicite de la part d’un enfant ou d’un majeur non doué de discernement. Il faut s’interroger alors sur la portée de l’alinéa premier de l’article 1054 : est-ce une disposition autonome édictant une responsabilité à base de faute par opposition aux alinéas suivants qui prévoient une responsabilité présumée, indépendamment de toute idée de faute ? Ou est-ce une disposition introductive des alinéas subséquents, qui édicteraient par conséquent un régime de responsabilité pour autrui à base de faute présumée ? Sur cette difficulté d’interprétation, voir M. Tancelin, préc., note 84, no 660, p. 477.
-
-
[106]
Laverdure c. Bélanger, préc., note 6, 619 et 620 (le souligné est de nous).
-
[107]
Art. 1462 C.c.Q.
-
[108]
Québec, Ministère de la Justice, préc., note 15, p. 892 :
-
Cet article est de concordance avec l’article 1457. Comme une personne ne peut être responsable de sa faute que si elle est douée de raison, il a paru utile de préciser que le fait de la personne non douée de raison, pour que puisse être engagée la responsabilité d’une autre personne en regard du préjudice causé par ce fait, doit indiquer un comportement qui, objectivement, aurait constitué une faute, n’eût été l’absence de raison.
-
-
[109]
Québec, Assemblée nationale, préc., note 92, p. 516 (Gil Rémillard) :
Comme la condition d’être doué de raison serait désormais énoncée dans les conditions générales de la responsabilité, il ne paraissait plus nécessaire de reprendre ici l’exonération de responsabilité des mineurs et majeurs non doués de raison. Par contre, il paraissait utile de maintenir la précision que le fait de la personne non douée de raison, pour être source de la responsabilité d’une autre personne, devrait indiquer un comportement qui, objectivement, aurait constitué une faute n’eût été l’absence de raison.
-
[110]
Bouchard c. Bédard, [1999] no AZ-99036619, p. 2 (C.Q.) (j. Fournier) : « ce fait à l’origine du dommage doit répondre aux exigences de l’article 1462 du Code civil dans le sens que, n’eût été de la capacité de discernement de l’enfant, le fait en cause aurait constitué une faute, et ce, dans le cas d’une personne non douée de raison ».
-
[111]
Clinique de greffe de cheveux Bédard inc. c. Sabourin, J.E. 95-377, p. 18 (C.S.) (j. Tremblay).
-
[112]
Sur la notion d’« imputabilité » ou d’« imputable », voir les articles 2019, al. 2, 2027, al. 1, 2028, al. 2, 2155 et 2577, al. 1 C.c.Q.
-
[113]
M. Tancelin, préc., note 84, no 636, p. 458.
-
[114]
En d’autres termes, il serait plausible de favoriser l’expression « responsabilité patrimoniale », telle qu’elle a été discutée notamment dans les droits allemand, belge et suisse : voir supra, section 1.2.
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[115]
Sur la dichotomie entre la « vraie » responsabilité fondée sur le jugement de l’acte et la « pseudo » responsabilité basée sur le jugement de la personne, voir Adrien Charles Dana, « Mythe et réalité en matière de responsabilité civile délictuelle », dans H.A. Schwarz-Liebermann von Wahlendorf (dir.), Exigence sociale, jugement de valeur et responsabilité civile en droit français, allemand et anglais, Paris, L.G.D.J., 1983, p. 15, à la page 19 (qui contient l’annonce du plan).
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[116]
Cette loi constitue un régime d’exception qui se situe en marge du régime de responsabilité civile du droit commun, bien que ces deux régimes puissent jouer parfois un rôle complémentaire. Elle permet de pallier les insuffisances de la responsabilité du droit commun, notamment en cas d’insolvabilité de l’auteur du fait dommageable ou encore de la difficulté pour la victime de faire face à son agresseur dans le contexte d’un processus contradictoire. Si l’article 14 de la LIVAC constitue un aspect où le régime étatique offre un avantage à la victime en lui accordant un certain dédommagement, là où la victime aurait été privée de recours en vertu du droit commun, il n’en demeure pas moins très incomplet.
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[117]
Art. 14 LIVAC.
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[118]
Sur une affirmation du principe, voir : Sauveteurs et victimes d’actes criminels-10, [1991] C.A.S. 29 ; J.-A.J. c. Québec (Procureur général), [2005] T.A.Q. 789.
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[119]
Katherine Lippel (dir.), L’indemnisation des victimes d’actes criminels : une analyse jurisprudentielle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 16 et 17 ; J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, préc., note 11, no 1-1085, p. 910.
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[120]
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.
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[121]
En effet, une responsabilité civile personnelle est proscrite sur la base de l’article 1457, al. 2 C.c.Q. Quant aux dispositions relatives aux cas de responsabilité civile pour le fait d’autrui, elles ne portent nullement sur une telle situation. L’article 1461 C.c.Q. renvoie à la situation d’un majeur inapte pour une cause permanente et qui est généralement placé sous un régime de protection.
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[122]
Pierre-Marie Dupuy, « Responsabilité », dans Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 1341.
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[123]
Et si Isabelle Gaston poursuivait au civil Guy Turcotte, son ex-conjoint ? On se souvient qu’en juillet 2011, ce dernier a été déclaré non criminellement responsable de la mort de ses deux enfants survenue dans une maison louée à Piedmont, au Québec. Le 13 novembre 2013, la Cour d’appel a infirmé ce verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux et a ordonné la tenue d’un nouveau procès, sur les deux mêmes accusations de meurtre prémédité.