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Si vous croyez vraiment à la liberté d’expression, cela signifie que vous croyez à la protection des opinions que vous méprisez. Autrement, vous ne croyez pas à la liberté d’expression[1].
Noam Chomsky
Largement considérée comme la liberté la plus fondamentale qui soit en régime démocratique[2], la liberté d’expression se décline en plusieurs facettes et pénètre presque tous les domaines de la discipline juridique. Du droit de ne pas s’exprimer à la liberté de la presse, en passant par l’accès à l’information, l’expression politique, la protection des formes « socialement indésirables » d’expression (pornographie juvénile, propos racistes, sexistes, homophobes, haineux, mensongers, diffamatoires, etc.) ou la possibilité que la liberté d’expression soit instrumentalisée pour servir les fins de groupes d’intérêts particuliers, les problématiques liées à cette liberté fondamentale transcendent les nombreuses sphères d’activité des sociétés qui composent la communauté internationale. Ultime rempart contre les différentes formes de tyrannie ou idéologies susceptibles d’être imposées au sein de ces mêmes sociétés, l’évaluation qualitative du niveau de protection dont jouit la liberté d’expression, d’une part, et des limites raisonnables qui peuvent lui être imposées, d’autre part, doit, encore et encore, être remise sur le métier.
Dans un contexte où l’information n’a jamais été aussi facilement diffusable et accessible, notamment grâce à l’émergence des nombreux outils de partage en ligne du Web 2.0 (réseaux et médias sociaux, sites de partage de documents électroniques, forums de commentaires et discussions, etc.), de nouveaux enjeux se dessinent en matière de liberté d’expression et, incidemment, de nouvelles menaces pèsent contre elle[3]. Les récents — et tragiques — événements qui ont suivi la diffusion en ligne d’extraits du film de fiction L’innocence des musulmans, dans lequel le réalisateur met en scène une caricature grossière du prophète Mahomet et des origines de la religion musulmane, ont remis à l’avant-scène l’épineuse problématique des limites qu’il conviendrait d’imposer à la liberté d’expression dans le cadre des sociétés libres et démocratiques. Exception faite du cas particulier des actes de violence physique, il est en effet toujours permis de se demander s’il demeure possible d’aller trop loin en exprimant un message, une idée ou une critique.
L’idée du présent numéro thématique des Cahiers de droit, fruit d’une collaboration entre la direction de la revue et le Groupe d’étude en droits et libertés de la Faculté de droit de l’Université Laval (GEDEL), est directement née du désir de mettre en évidence ces nouveaux enjeux et menaces qui concernent la liberté d’expression, d’une part, et de vérifier comment le droit peut contribuer au renforcement de cette liberté fondamentale devant les nouvelles réalités qui marquent la vie démocratique, d’autre part.
Les textes qui le composent ont été sélectionnés à la suite d’un appel de manuscrits lancé à l’été 2011 et qui a permis de réunir un groupe d’auteurs, d’ici et d’ailleurs, à qui nous avons le plaisir d’offrir une tribune de choix pour la diffusion de leurs idées. Les analyses proposées touchent un éventail très varié d’enjeux liés à la portée de la liberté d’expression au sein de plusieurs régimes juridiques nationaux et internationaux, dont les régimes québécois, canadien, français et européen des droits de la personne. Les enjeux traités vont de l’analyse critique des balises établies pour appréhender les litiges concernant la liberté d’expression en droit canadien (Stéphane Bernatchez) de même qu’en droit européen et français (Jean Morange), à la caractérisation d’enjeux liés à certaines formes particulières d’expression — dont l’expression politique en contexte électoral sous l’égide de la Convention européenne des droits de l’homme (Xavier Bioy), les manifestations publiques en droit canadien (Gabriel Babineau), les délits d’opinion (Thomas Hochmann) et les différentes formes d’expression auxquelles les travailleurs sont susceptibles d’avoir recours en milieu de travail syndiqué au Canada (Pierre Verge) — en passant par l’analyse de situations où des revendications fondées sur la liberté d’expression doivent être conciliées avec les droits d’autrui, que ces derniers soient fondés sur d’autres libertés fondamentales comme la liberté d’association (le cas du droit de grève étudiant en droit canadien par Christian Brunelle, Louis-Philippe Lampron et Myriam Roussel) ou la liberté de religion (l’analyse des cas de « diffamation religieuse » en droit européen par Ruth Dijoux) ou sur d’autres normes comme les règles qui régissent la propriété intellectuelle (l’étude du lien rattachant la liberté d’expression et la protection des marques de commerce de Teresa Scassa).
La lecture des articles de ce numéro spécial ainsi que des propositions et des critiques qui y sont formulées permet d’espérer que les tribunaux, ultimes responsables de l’interprétation de ces lois à valeur supralégislative au sein desquelles niche la liberté d’expression, prendront la juste mesure de ces nouveaux enjeux sans pour autant négliger la portée large et généreuse qu’il convient d’accorder à cette liberté fondamentale. La vigueur de la démocratie et la légitimité des régimes qui la chérissent en dépendent.
Parties annexes
Notes
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[1]
« If you’re in favor of freedom of speech, that means you’re in favor of freedom of speech precisely for views you despise, otherwise, you’re not in favor of freedom speech » (notre traduction) : Mark Achbar (dir.), Manufacturing Consent. Noam Chomsky and the Media, Montréal, Black Rose Books, 1994, p. 184.
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[2 ]
La Cour suprême du Canada décrit en effet la liberté d’expression comme « un des piliers des démocraties modernes » : Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214, par. 17.
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[3 ]
Le constat a d’ailleurs été fait en haut lieu : Crookes c. Newton, 2011 CSC 47, [2011] 3 R.C.S 269.