Conférence annuelle Claire-L’Heureux-Dubé

La Cour européenne des droits de l’homme : le chemin parcouru, les défis de demain[Notice]

  • Françoise Tulkens

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  • Françoise Tulkens
    Vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme

Les arrêts et décisions mentionnés dans le texte sont consultables sur le site Web de la Cour européenne des droits de l’homme, dans la base de données Hudoc : www.echr.coe.int/echr/fr/hudoc.

L’auteure s’exprime à titre personnel, sans engager la Cour.

Je voudrais tout d’abord vous dire combien je suis heureuse d’être ici et je vous remercie très sincèrement de cette belle invitation à la Conférence annuelle Claire-L’Heureux-Dubé. Depuis des années, les liens académiques, scientifiques, amicaux que j’ai eu le privilège de nouer au Québec sont pour moi des plus précieux. Si le terme n’était pas devenu aussi suspect, j’aimerais dire que j’ai pu tisser ici un véritable réseau. Je sais aussi, ma chère Claire, que nous partageons des valeurs — peut-être des utopies — communes, la protection et le développement des droits et libertés, des droits fondamentaux. La tâche est d’autant plus difficile aujourd’hui que « les vents sont contraires ». Mais je pense cependant que ces moments de crise sont précisément ceux où il faut retourner à l’essentiel et penser l’avenir. Lorsqu’il s’agit de droits et spécialement des droits de l’homme, la vraie question est celle de savoir comment prendre ces droits « au sérieux », pour reprendre le beau titre de Dworkin. Les droits de l’homme, les droits de la Convention européenne des droits de l’homme, ne sont ni une idéologie ni un système de pensée. Pour être porteurs de sens dans la vie des personnes et des sociétés, ils doivent être traduits en action. La reconnaissance des droits est donc inséparable des mécanismes destinés à assurer leur mise en oeuvre. C’était l’intuition fondamentale de ceux qui ont pensé et voulu la Convention européenne des droits de l’homme, l’oeuvre maîtresse du Conseil de l’Europe. Depuis la création de celui-ci en 1949, comme première tentative après la Seconde Guerre mondiale d’unifier l’Europe, les droits de l’homme ont été considérés, avec la démocratie et l’État de droit, comme les fondements essentiels et inaliénables de la construction européenne. La déclaration adoptée au Congrès du Mouvement européen à La Haye en 1948 est visionnaire : « Aucun […] État ne peut adhérer à l’Union européenne s’il ne souscrit pas aux principes fondamentaux d’une charte des droits de l’homme et ne se déclare pas disposé à garantir leur application. » Depuis le début, ces deux dimensions vont de pair : affirmer les droits de l’homme et en assurer la mise en oeuvre judiciaire. La Convention européenne des droits de l’homme a été ouverte à la signature des États membres du Conseil de l’Europe à Rome le 4 novembre 1950. Entrée en vigueur en 1953, elle a aujourd’hui été ratifiée par 47 États européens (800 millions d’Européens), la « maison commune Europe », comme le disait Gorbatchev, qui s’étend de Vladivostok à Coïmbra et qu’il importe d’arrimer fermement aux « principes de pluralisme, de tolérance et d’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ». L’importance du rôle de la Convention dans la construction de l’Europe a été mise en lumière ces dernières années, depuis la chute du mur de Berlin, par le fait que l’adhésion à la Convention est devenue une obligation politique pour les États qui veulent être membres du Conseil de l’Europe. Si la création en 1950 d’un mécanisme supranational de protection des droits de l’homme visait notamment à s’affranchir de l’héritage de la Seconde Guerre mondiale, aujourd’hui encore, la Cour développe une jurisprudence importante de justice transitionnelle afin de solder les séquelles des régimes communistes en Europe centrale et orientale ainsi que, plus récemment, de la guerre en ex-Yougoslavie. Le préambule de la Convention est éminemment significatif. Il trace les contours d’un ordre public européen. D’un côté, les droits et libertés sont le fondement de la justice et de la paix dans le monde et leur maintien repose sur « un régime politique véritablement démocratique ». Cependant, aujourd’hui, …

Parties annexes