La Journée d’étude sur la méthodologie et l’épistémologie juridiques, qui s’est tenue à la Faculté de droit de l’Université Laval le 12 novembre 2010, est à l’origine de plusieurs des textes du présent numéro double des Cahiers de droit. Le lecteur y trouvera également des articles d’auteurs ayant répondu à l’appel de textes subséquent. Le tout constitue une somme qui, par son ampleur et par la richesse de ses questionnements, s’avère inédite et particulièrement stimulante. Les thèmes suggérés aux participants de cette journée d’étude visaient, sans que la chose soit énoncée aussi directement, à remettre en question la doctrine juridique actuelle. La littérature juridique est souvent accusée par les sciences sociales de ne pas être une véritable science, particulièrement en raison de son manque de méthode. En droit, la méthode, voire la prétention scientifique, se résume fréquemment à exiger de la rigueur et de la cohérence. Les interrogations liées aux approches théoriques utilisées ou à l’objectivité du savoir sont, notamment, peu problématisées. Les reproches classiques adressés à la recherche en droit sont connus : monodisciplinarité, description normative sans ancrage factuel, absence de conceptualisation… Bref, la recherche en droit est vue par d’autres disciplines comme une curiosité qui sert essentiellement des fins professionnelles. Certains disent que les chercheurs en droit sont, au mieux, d’excellents journalistes, capables d’attester la validité de leurs sources et de proposer une narration cohérente de la jurisprudence. La littérature juridique dite de « développements récents », où l’essentiel consiste à offrir la photographie la plus actuelle possible d’un domaine du droit n’est certes pas à proscrire. Elle a une indéniable utilité, une place de choix dans la compréhension du droit et dans la transmission du savoir juridique. Cette doctrine ne doit toutefois pas être la seule à atterrir sur les pupitres des juristes ; écrire pour être plaidé devant les tribunaux et cité par les juges ne constitue pas l’unique finalité de la recherche en droit. Au Québec, cette doctrine plus classique comporte des traits générationnels, ayant été au départ construite par les premiers universitaires des facultés de droit. Un changement de garde opéré depuis une quinzaine d’années a peut-être aussi contribué à faire émerger un nouveau paradigme. Alors que la recherche en droit tend à se transformer, il y a lieu de se demander, entre la rigueur souvent reconnue aux juristes et le reproche de leur manque de méthode, comment se définissent et se singularisent les écrits juridiques actuels. Dans la transmission des connaissances, les juristes travaillent-ils en vase clos et peuvent-ils, par ailleurs, observer le droit à partir d’un point de vue qui lui serait extérieur ? Dans quelles conditions l’interdisciplinarité et la recherche empirique sont-elles possibles en droit ? Ces questions, tout comme de nombreuses autres, font rarement l’objet de débats, et c’est ce qui rend si précieux ce numéro des Cahiers de droit. Les textes de ce numéro démontrent la richesse d’une explication qui ne pose pas la loi, la jurisprudence et la doctrine comme les seuls éléments de la compréhension d’un phénomène juridique. Le droit, étudié en lui-même, a une portée explicative réduite, voire limitée, car l’analyse se prive des points de vue concurrents qui entourent la production et l’application des normes. Désenclaver le droit, le sortir de son isolement disciplinaire devient dès lors un enjeu central pour la recherche et l’enseignement. L’interdisciplinarité croise plusieurs des textes de ce numéro. Le thème prend d’abord le contre-pied d’un postulat bien implanté dans la culture juridique, lequel pose les juristes comme des spécialistes tous azimuts du social. Ceux-ci peuvent ainsi se demander si telle mesure législative correspond à la réalité du groupe …
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Georges Azzaria
Vice-doyen aux études supérieures et à la recherche, Faculté de droit, Université Laval.