Volume 52, numéro 2, juin 2011
Sommaire (9 articles)
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Les instruments d’une recomposition du droit du travail : de l’entreprise-réseau au pluralisme juridique
Pierre Verge
p. 135–166
RésuméFR :
Le droit du travail classique s’était édifié à partir de la réalité de l’entreprise physique de production et de son salariat. La tendance contemporaine à l’extériorisation de la production modifie de plus en plus le contexte du travail. Elle met à l’avant-plan l’entreprise-réseau, en particulier celle qui est d’envergure transnationale et sa chaîne de production, sociétale ou contractuelle, de même que, au dernier niveau, le travailleur dit indépendant. Le droit du travail contemporain suit-il cette évolution ? Il a vocation de protéger aussi bien le travailleur autonome que le salarié, quel que soit le type d’entreprise bénéficiaire de son travail personnel. Les droits fondamentaux de la personne sont en cause. Il revient à la législation du travail d’établir pour ces catégories de travailleurs des régimes de travail appropriés, directement ou en fournissant un cadre de négociation collective approprié. Forte de son caractère impératif, elle n’a cependant qu’une portée nationale. Elle coexiste désormais avec une pléthore d’instruments de « droit mou », plutôt incitatifs, mais à la mesure de l’entreprise-réseau, même si cette dernière est de dimension transnationale. Le droit du travail devient encore plus hybride. Une synthèse doctrinale met en relation ces différents courants d’envergure universelle ; le point de chute est le droit canadien du travail, en l’occurrence celui qui s’applique au Québec.
EN :
Classical labour law stems from the reality of the self-producing firm and its salaried personnel. The contemporary tendency to externalize production alters the context of work. In the forefront is the network firm, in particular that of transnational scope and its line of activity, through corporate or contractual arrangements, and in its periphery the so — called independent worker. Is contemporary labour law in synch with this evolution ? It is incumbent upon it to protect the autonomous as well as the salaried worker, whatever the type of firm that derives benefits from his/her personal work. Fundamental human rights are involved. It has to provide these categories of workers with adequate work regimes, directly and through appropriate support to collective bargaining activity. Its mandatory character is only capable of a national reach. It now coexists with a plethora of « soft law » instruments. They mostly exhort but are able to reflect the scale of the network firm be it transnational. The hybrid nature of labour law is getting even more accentuated. A doctrinal synthesis relates these various universal currents ; Canadian labour law, namely that applicable to Quebec, is involved.
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L’interprétation de la portée de la Loi sur l’assurance automobile : un éternel recommencement
Daniel Gardner
p. 167–196
RésuméFR :
La Loi sur l’assurance automobile représente l’exemple parfait de la loi remédiatrice qui doit recevoir une interprétation large et libérale pour assurer l’accomplissement de son objet. Depuis les débuts du régime d’indemnisation sans égard à la responsabilité, en 1978, la Cour d’appel du Québec a constamment appliqué cette règle d’interprétation afin de garantir une compensation équitable au plus grand nombre de victimes. Une décision rendue à la fin de 2010 s’écarte toutefois de cette ligne de jurisprudence et constitue une menace pour la pérennité du régime. L’analyse de l’arrêt Rossy c. Ville de Westmount sera l’occasion de revenir sur la jurisprudence antérieure et d’aborder d’autres hypothèses litigieuses, notamment le cas du suicide commis à l’aide d’une automobile et celui du surf sur véhicule (car-surfing), où les tribunaux inférieurs peinent à dégager des solutions respectueuses des droits des victimes et des objectifs poursuivis par le législateur.
EN :
The Automobile Insurance Act is the archetype of remedial legislation that must require broad and liberal interpretation in order to attain its objectives. Since the outset of the no-fault insurance program in 1978, the Québec Court of Appeal has continuously applied this rule of interpretation in order to provide equitable compensation to the greatest number of victims. Yet a decision handed down in the closing days of the year 2010 has broken ranks with case-law continuity and now constitutes a threat to the permanence of the regime. An analysis of the Rossy v. Ville de Westmount case will provide an opportunity to review prior decisions and come to terms with other contentious hypotheses, namely cases of suicide involving the use of an automobile and that of car-surfing, in which trial courts have had difficulty in finding solutions respecting the rights of victims and the objectives pursued by the legislator.
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La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme 30 ans plus tard : toujours entre centralisation et décentralisation
Guillaume Rousseau
p. 197–244
RésuméFR :
La question à savoir si la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme est une loi de centralisation ou de décentralisation divise la doctrine. À l’heure où l’Union des municipalités du Québec profite de la première grande révision de cette loi pour réclamer une disposition proclamant que c’est une loi de décentralisation, l’étude qui suit entend répondre à cette question. Pour ce faire, l’auteur expose d’abord les raisons d’être de la décentralisation (démocratie, libéralisme et diversité identitaire) et définit certains concepts (centralisation, décentralisation et semi-décentralisation). Il se penche ensuite sur le contenu de cette loi et sur les réponses apportées par la doctrine. À la lumière des raisons d’être de la décentralisation et d’évolutions dans la doctrine française et la jurisprudence québécoise, l’auteur suggère qu’une qualification de cette loi jamais envisagée par la doctrine, soit celle de « semi-décentralisation », conviendrait davantage. En conclusion, il expose des modifications législatives qui pourraient faire évoluer cette loi sur l’axe centralisation-décentralisation.
EN :
Doctrine is divided as to whether the Act respecting Land use planning and development is one of centralization or decentralization in its effects. At this time when the Union des municipalités du Québec is taking advantage of the first major revision of this legislation to call for a provision stating that the Act is one of decentralization, this paper seeks to provide an answer to the issue. To do so, the author enumerates the reasons for decentralization, namely democracy, liberalism and diverse identities, then defines three concepts : centralization, decentralization and semi-decentralization. He then turns his probing to the substance of the statute and the answers provided by doctrine. In light of the reasons backing decentralization and the varied evolutions of French doctrine and Québec precedents, this analysis proposes that a legal qualification of the Act never brought to the fore by doctrine, namely that of semi-decentralization, is better suited. To conclude, legislative amendments conducive to inciting changes in the Act along lines of centralization-decentralization are suggested.
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Vers la répression de la propagande haineuse basée sur le sexe ? Quelques arguments pour une redéfinition de la notion de « groupe identifiable » prévue dans le Code criminel
Amissi Melchiade Manirabona
p. 245–271
RésuméFR :
Les articles 318 et 319 du Code criminel sont destinés à protéger les groupes identifiables de personnes contre la propagande haineuse. Toutefois, l’article 318 (4) limite cette protection aux seuls groupes identifiables par la couleur, la race, la religion, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle. Le sexe est exclu des motifs de différenciation énumérés dans ce paragraphe. Après un bref examen de l’historique législatif de ces dispositions, de même que de l’évolution récente du droit canadien et international, l’auteur note que l’exclusion du sexe comme motif de différenciation est pour le moment dépassée. Il en vient alors à la conclusion que l’article 318 (4) du Code criminel mériterait d’être extensivement reformulé en vue d’accorder une protection efficace aux victimes des discours haineux basés sur le sexe.
EN :
Sections 318 and 319 of the Criminal Code are designed to protect identifiable groups of persons from hate propaganda. However, section 318 (4) only affords that protection to categories of persons distinguished by colour, race, religion, ethnic origin and sexual orientation. Gender is excluded from the listed grounds of differentiation in this paragraph. After a brief examination of the legislative history of those provisions as well as the current state of Canadian and international law, the author notes that the exclusion of gender from the criteria of differentiation is now outdated. He then concludes that there is a pressing need to broadly reformulate section 318 (4) of the Criminal Code in order to provide effective protection to victims of hate speeches grounded on gender.
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Quand principe de précaution ne rime pas avec moratoire : vers la consolidation d’une norme de biosécurité aux allures commerciales ?
Sylvestre-José-Tidiane Manga
p. 273–314
RésuméFR :
Le Sommet de la Terre de Rio en 1992 a été l’occasion pour les États de poser les fondements des exigences du développement durable. Les modes d’exploitation des ressources naturelles et génétiques devaient désormais être revisités sous la consigne de la précaution, laquelle s’exprime en termes de contrainte environnementale. Malheureusement, cette contrainte, pilier des politiques du développement durable, n’a cessé de s’effriter depuis, malgré les modestes succès remportés par le multilatéralisme dans le contexte du Programme mondial de la biodiversité. Dans ce dernier, le secteur de la biosécurité est celui qui devait renforcer la contrainte en matière environnementale. Cependant, la procédure d’autorisation préalable en connaissance de cause, principal levier de la prévention du risque biotechnologique dans la mise en oeuvre du Protocole de Cartagena sur la biosécurité, peine à induire un effet contraignant dans le commerce international des organismes génétiquement modifiés (OGM). C’est le droit applicable de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui étouffe la portée internationale des quelques tentatives de consolidation des exigences contraignantes en matière de précaution. En effet, les succès enregistrés par l’Union européenne (UE), notamment à cause de son opinion publique favorable à la grande contrainte en matière de précaution, n’ont en réalité qu’une portée régionale. L’Organe de résolution des différends (ORD) de l’OMC a tourné en dérision les meilleurs arguments de l’UE en faveur d’une interprétation du principe de précaution synonyme du moratoire et d’une interdiction d’importer, notamment dans les affaires dites des viandes de boeuf aux hormones de croissance et des OGM. Toutefois, même si, sur la scène internationale, les tendances de l’interprétation du principe de précaution sont plutôt favorables à la libéralisation du commerce, il n’en demeure pas moins que l’UE recèle le potentiel de dynamiser la contrainte environnementale dans le contexte des exigences du développement durable. L’activité judiciaire et réglementaire au sein de l’UE semble fortement appuyer un tel constat. Celle-ci pourrait donc influer sur l’harmonisation espérée des méthodes d’évaluation, de gestion et de suivi des risques biotechnologiques au niveau international. D’ici là, il sera certainement possible de continuer à observer, sur la scène internationale, les tendances d’un principe de précaution aux allures commerciales, loin du moratoire mais en quête perpétuelle de contrainte dans ses interactions avec les règles du libéralisme.
EN :
The 1992 Rio Earth Summit provided an opportunity for the international community to lay the foundations for the requirements of sustainable development. Former non-sustainable ways of exploiting natural and genetic resources now had to be revisited using the precautionary principle. Precaution was expressed in terms of environmental constraints, but this key component in sustainable development policies has since, unfortunately, been eroded despite a small number of victories gained through multilateralism under the world biodiversity program. Within the biodiversity program, the bio-safety sector was expected to lead to constraints in the environmental field. However, the Advance Informed Agreement (AIA), the main procedure used to combat bio-technological risks following the implementation of the Cartagena Protocol, has not been successful in introducing constraints in the international trade of GMOs. The law applicable to the World Trade Organization (WTO) has prevented any international attempt to consolidate precautionary constraints. For instance, EU achievements in implementing the precautionary principle in bio-safety have only had a regional effect, and mostly because public opinion backs strong constraints. The WTO Disputes Settlement Body (DSB) has defeated the EU’s strongest arguments for constraints, in the form of a moratorium and prohibition on imports, in particular in the so-called “hormone” and “GMO” cases. However, even though, at the international level, the precautionary principle tends to be interpreted in a way that supports free trade, the EU still has the potential to initiate a move towards stronger environmental constraints as a component in the requirements of sustainable development. Judicial and regulatory actions within the EU appear to support this observation, and the EU could have a strong influence over the expected harmonization of mechanisms to assess, manage and monitor biotechnology risks worldwide. In the meantime, we will also observe the international emergence of a commercially-based precautionary principle, a long way from a moratorium but continually seeking constraints in its interactions with free trade.
Note
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Renouveau doctrinal en droit de la prescription
Frédéric Levesque
p. 315–335
RésuméFR :
Deux ouvrages sur le droit de la prescription ont été publiés respectivement en 2009 et en 2011. C’est là le signe d’un renouveau doctrinal en droit de la prescription. Dans la première partie de son article, l’auteur présente avec une vision critique les deux ouvrages en question. Dans la seconde partie, il a sélectionné trois sujets d’actualité en matière de prescription : 1) la différence entre les délais de prescription, les délais de déchéance et les délais préfix ; 2) l’impossibilité d’agir ; et 3) la portée des règles du Code civil du Québec à l’égard des autres lois. Il présente l’opinion des deux auteures sur ces sujets et il alimente le renouveau doctrinal en cours en matière de droit de la prescription.
EN :
Two books on the law of prescription were published in 2009 and 2011. This suggests a doctrinal renewal on the matter. In the first part, the author critically presents both works. In the second part, he selects three subjects of current interest pertaining to the issue of prescription : the difference between prescription, forfeiture and prefix delays, the impossibility to act and the scope of the Civil code’s rules in comparison with other laws. He exposes the opinion of the two authors on the subject matter and then dwells upon this doctrinal renewal.
Chronique bibliographique
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Paul Martel, La société par actions au Québec, vol. 1 « Les aspects juridiques », édition pour étudiants, Montréal, Wilson & Lafleur/Martel ltée, 2011, 1 882 p., ISBN 978-2-923355-39-9.
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Marie-Claire Foblets, Michèle Graziadei et Jacques Vanderlinden (dir.), Convictions philosophiques et religieuses et droits positifs. Textes présentés au Colloque international de Moncton (24-27 août 2008), Bruxelles, Bruylant, 2010, 658 p., ISBN 978-2-8027-2895-5.