Du fait du progrès technique, les frontières autrefois claires entre l’humain et le non-humain, entre l’être humain et l’animal, sont aujourd’hui partiellement brouillées, ce qui renvoie à la fascination que l’être humain a longtemps ressenti devant la transformation progressive du vivant. La condition animale, véritable « entre-deux » de différence de l’être humain et similarité par rapport à celui-ci, représente l’expédient d’une remise en question de la relation entre vie, sciences de la vie et technique, ce qu’examine l’ouvrage collectif dirigé par Marie-Hélène Parizeau et Georges Chapouthier. Tous les deux de formation à la fois philosophique et biologique – la première est professeure titulaire à la Faculté de philosophie de l’Université Laval à Québec, le second est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris –, les auteurs publient ici les premiers résultats d’une conférence tenue par Georges Chapouthier à la Faculté de philosophie de l’Université Laval en 2004 et les questions majeures qui avaient alors émergé, pour ensuite donner la parole « à un certain nombre de spécialistes qui, chacun dans son domaine, a été sollicité sur la question de l’enjeu de l’artificiel sur l’animalité dans notre modernité occidentale » (p. 5). Le questionnement clé de l’ouvrage se résume ainsi (p. 1) : « Quelle relation notre modernité occidentale entretient-elle avec l’animal ? L’homme moderne est-il définitivement maître des artifices et possesseur de la nature, donc de l’animal ? La technique est-elle ce moyen par lequel nous “ artificialisons ” notre environnement et nous instrumentalisons, voire fabriquons l’animal ? » ; « D’ailleurs, que veut dire un animal “ humanisé ” ou inversement un être humain “ animalisé ” ? Faut-il maintenir, et alors définir, une “ essence ” de l’animal ou encore une “ nature humaine ” comme le défend Jürgen Habermas ? Ou au contraire, faut-il être réceptif à toutes ces transformations du vivant que la technique rend possibles ? » (p. 3). S’ouvre ainsi le débat quant au rapport liant trois sujets traditionnels, fort complexes, d’attention et d’étude bioéthique, juridique, philosophique, épistémologique : l’être humain, l’animal et la technique. Développé en trois parties, soit « Le statut moral de l’animal : perspectives de la modernité et arrière-plans religieux » (p. 21-76), « Le paradoxe du retour de la nature sur l’artificialité : l’enjeu de la technique » (p. 79-119) et « Dans la continuité entre nature et artifice : quelle place privilégier pour l’être humain ? » (p. 199-241), l’ouvrage, récusant toute prétention d’exhaustivité, opte pour une approche intelligente et pragmatique quant à son sujet. Par l’encadrement et la définition (loin d’être univoque !) de l’animal, l’ouvrage rejoint une considération générale, puis un questionnement plus spécifique, voire thématique et disciplinaire, à propos du lien être humain-artifice. Dans sa première partie, l’ouvrage trace les enjeux épistémologiques, moraux et religieux du statut de l’animal. Dans son texte « L’animal comme membre de la communauté morale : l’utilitarisme de Peter Singer » (p. 21-44), Jean-Yves Goffi examine les théories morales modernes – de la déontologie kantienne jusqu’à l’utilitarisme contemporain de Peter Singer en passant par l’éthique utilitariste de Bentham et Mill – pour poser une question fondamentale (p. 21) : les animaux peuvent-ils faire partie de la communauté morale ou juridique ? Tout en montrant les limites de la théorie de Singer (p. 41-44), Goffi souligne que le retour à une dichotomie personnes / non-personnes ne tiendrait pas compte de la catégorie de la vulnérabilité et de toutes ses représentations, ce qui poserait des problèmes moraux et éthiques en fait de protection à la fois des animaux (sujets vulnérables par constitution, à cause de …
Marie-Hélène Parizeau et Georges Chapouthier (dir.), L’être humain, l’animal et la technique, coll. « Bioéthique critique », Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007, 258 p., ISBN 13 : 978-2-7637-8655-1.[Notice]
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Silvia Visciano
Université de Foggia (Italie)
Université Paris I Panthéon-Sorbonne