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La contractualisation de la famille est un phénomène fréquemment décrit et relativement ancien[1], tantôt approuvé, tantôt décrié. Bien que la référence au contrat soit abusive[2], elle exprime de manière imagée, même si ce n’est pas sans ambiguïté, la faveur du législateur contemporain pour la volonté individuelle dans la famille au détriment de son aspect institutionnel : le contrat plutôt que le statut[3].

Traditionnellement toutefois, le sort des enfants réputé totalement indisponible par nature échappait à cette tendance[4]. Le caractère d’ordre public de l’autorité parentale et de l’obligation d’entretien, toutes deux indissociables de la qualité de parent, semblait les mettre à l’abri de l’emprise de la volonté individuelle. Ainsi, l’article 376 du Code civil français[5] dispose toujours que « [a]ucune renonciation, aucune cession portant sur l’autorité parentale, ne peut avoir d’effet, si ce n’est en vertu d’un jugement[6] » de délégation et l’article 1388[7], même si son domaine est plus restreint, confirme ce caractère indisponible de l’autorité parentale.

Pourtant, depuis peu il est vrai, le vocabulaire relevant du champ lexical propre au droit des contrats s’est invité au sein des textes relatifs à l’autorité parentale. Il ne s’agit bien souvent que d’un habillage grossier tant l’institution visée n’entretient qu’un lien ténu avec la manifestation d’une volonté contractuelle[8]. Le législateur tente alors, fort maladroitement, de dissimuler ses intentions interventionnistes au sein des familles. En d’autres occasions, cependant, les termes employés reflètent fidèlement l’intention du législateur : atténuer le caractère impératif des règles régissant les rapports parents-enfant. Ainsi, s’il ne faut citer qu’un seul exemple, la précision clôturant l’article 371-1 du Code civil français est représentative : « Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent. »

Cette évolution du vocabulaire est flagrante dans les textes régissant le sort des enfants au cas de rupture parentale : le père et la mère sont invités à régler de manière conventionnelle les conséquences de leur rupture au regard de l’autorité parentale et de l’obligation d’entretien. Fréquemment mise en évidence, cette évolution législative n’en est pas moins empreinte d’ambiguïté, la décrire ne permettant pas toujours d’en discerner les motifs réels et les objectifs poursuivis (1). Observée depuis une dizaine d’années, cette tendance devrait d’ores et déjà avoir porté ses fruits. Pourtant, les résultats obtenus ne paraissent pas à la hauteur des objectifs affichés (2).

1 Les vertus espérées du contrat[9]

Ce sont principalement deux des vertus dont se pare le contrat que convoite le droit de la famille : l’égalitarisme contractuel et le règlement extrajudiciaire des conflits.

Le contrat repose sur un principe d’égalité ; transposé aux relations familiales, le mécanisme contractuel devrait garantir un traitement égalitaire des parents séparés et faire taire les critiques adressées au droit antérieur, accusé de privilégier l’un des parents au détriment de l’autre (1.1).

De manière tout autant essentielle, c’est l’apaisement des conflits familiaux qui est recherché par le recours au « contrat » : il offre aux parties la possibilité de résoudre ensemble, sans intervention extérieure, leur désaccord. Les solutions négociées ainsi dégagées sont censées être mieux respectées que celles qui sont imposées par la loi ou par l’autorité judiciaire et le contentieux familial devrait s’en trouver apaisé (1.2).

1.1 Le contrat, instrument de promotion de l’égalité au sein de la famille

1.1.1 Le droit antérieur

La qualité de parent et le statut qui en découle sont indépendants de la forme de couple choisie. En revanche, la séparation des parents oblige à organiser de manière différente l’exercice de l’autorité parentale et à prévoir des modalités spécifiques de contribution à l’entretien de l’enfant. Autrefois, l’un des parents était nécessairement privé de l’exercice de l’autorité parentale. Ainsi, bien que chacun d’eux conservât le droit d’autorité parentale — et donc la vocation à l’exercer —, il était jugé impossible que l’exercice de l’autorité parentale pût être le fait de deux parents qui ne s’entendaient plus ; l’exercice conjoint n’était concevable qu’au sein d’une famille unie. À défaut, un seul parent exerçait cette autorité et se voyait accorder la garde de l’enfant ; l’autre, privé de la présence de l’enfant et de la part effective de son autorité, disposait d’un simple droit de visite et d’hébergement et devait dès lors verser au parent hébergeant une pension alimentaire au titre de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.

Un choix entre les deux parents s’imposait ! C’est la loi qui s’est chargée de l’opérer : jusqu’en 1975 pour les couples mariés divorcés — l’époux auquel était imputée la responsabilité du divorce se voyant alors refuser l’exercice de l’autorité parentale[10] —, alors que dans la famille naturelle la mère s’était vu accorder une prééminence qu’elle n’a perdu totalement qu’en 2002. Ces principes ont bien vite été modulés par l’intervention du juge, garant de l’intérêt de l’enfant. En apparence plus équilibrée, cette solution devait cependant aboutir à confier majoritairement l’exercice de l’autorité parentale à la mère de l’enfant, situation que beaucoup ont jugée injuste et discriminatoire[11].

1.1.2 Un droit jugé discriminatoire

C’est en niant la difficulté que le droit français a choisi de répondre à cette accusation : refusant d’imposer un choix, il a opté pour une égalité de façade et affirmé que la rupture n’a aucune incidence sur l’exercice de l’autorité parentale[12]. Ainsi, en dépit de l’éclatement de la cellule familiale, l’exercice en commun est aujourd’hui le principe affiché ostensiblement en tête du paragraphe consacré à l’exercice de l’autorité parentale par les parents séparés alors même qu’il était acquis dès avant sa consécration par la loi du 4 mars 2002[13].

Ainsi, lorsque, avant la rupture, le père et la mère exercent en commun l’autorité parentale, il en sera de même après la séparation. Il ne saurait y avoir d’inégalité puisque aucun choix ne doit être opéré. Cependant, loin de la résoudre, cette affirmation s’est contentée de dissimuler la difficulté. Elle ressurgit de nos jours sur un autre terrain tout aussi conflictuel : les parents ayant acquis la quasi-certitude de conserver l’exercice de l’autorité parentale, c’est sur la question de la résidence de l’enfant qu’ils s’affrontent désormais !

1.1.3 Un égalitarisme poussé à l’extrême

L’enfant n’est pas un meuble. Il ne saurait être divisé en deux parts égales. L’attribution de la résidence de l’enfant est progressivement devenue le nouveau cheval de bataille des parents désunis. Aux mêmes maux, les mêmes remèdes ! Refusant une fois encore d’opérer un choix, le législateur a tout simplement supprimé l’obligation de fixer une résidence principale à l’enfant en autorisant — en privilégiant même — la résidence alternée qu’il avait autrefois proscrite[14]. La loi du 4 mars 2002 a en effet clairement manifesté sa préférence pour ce mode de résidence en offrant notamment la possibilité au juge de l’imposer en dépit d’un désaccord parental[15] ; elle n’a cependant pas osé l’imposer comme solution de principe, préférant renvoyer la responsabilité du choix de cette modalité d’hébergement aux parents par l’entremise des conventions de rupture. Celles-ci, désormais ouvertes aux couples mariés ou non mariés, permettent notamment aux parents d’aménager la résidence de l’enfant. Cet aménagement conventionnel est par ailleurs la solution privilégiée par la loi, le juge n’étant appelé à intervenir qu’à défaut d’accord entre les parents[16].

C’est donc aux parents que revient à l’heure actuelle principalement la responsabilité du choix du mode de résidence de l’enfant : la loi affirmant l’égalité de leurs droits et leur égale vocation à exercer l’autorité à l’égard de l’enfant, c’est à eux qu’incombe la responsabilité de mettre en oeuvre cette égalité au moyen d’un seul et unique instrument, soit la convention. Ce n’est qu’à défaut d’accord que le juge interviendra avec pour consigne, là encore, de respecter cette égalité par l’entremise de l’alternance. En favorisant le contrat, le législateur a voulu faire prévaloir la démocratie[17] familiale… C’est au sein du groupe familial que les solutions doivent être trouvées, l’ingérence du juge et de la loi devant être la moins prégnante possible. En refusant de choisir entre les parents, en ne consentant pas à reconnaître un trop grand pouvoir d’appréciation au juge, le législateur a souhaité montrer qu’il n’émettait aucun jugement de valeur et qu’il n’avait aucune préférence a priori entre le père et la mère. Dans cette perspective, le « contrat » était assurément l’outil qui manquait au droit de la famille. Il présenterait en outre l’avantage de limiter les conflits en substituant des solutions négociées à celles que l’autorité judiciaire impose.

1.2 Le contrat, instrument d’apaisement des conflits

1.2.1 Un droit antérieur générateur de contentieux

Le droit antérieur, par le recours systématique à l’arbitrage judiciaire qu’il imposait, conduisait dans la quasi-totalité des hypothèses à imposer à l’un des parents des modalités d’exercice de l’autorité parentale qu’il n’approuvait pas ou un montant de pension alimentaire auquel il ne souscrivait pas. Dès lors, loin de s’éteindre avec le jugement, le conflit perdurait : celui qui s’était vu refuser l’exercice de l’autorité parentale ou la résidence principale de l’enfant profitait de la première occasion qui lui était donnée de saisir à nouveau la justice, parfois sous de faux prétextes, formulant de fausses accusations à l’encontre de l’autre parent. En permanence saisi de demandes de modifications des décisions précédentes jugées injustes, le juge aux affaires familiales pouvait également être saisi afin d’arbitrer des conflits liés à l’exercice conjoint de l’autorité parentale, ce mode d’exercice de l’autorité parentale impliquant que les décisions prises recueillent l’accord des deux parents. Un tel accord se révèle pourtant bien souvent utopique lorsque les parents s’entredéchirent[18].

1.2.2 Une volonté d’apaisement affichée

L’apaisement des conflits était devenue au moment de la réforme de l’autorité parentale un objectif prioritaire. Le recours aux solutions négociées a été présenté comme le moyen de l’atteindre par le rapport de Mme Dekeuwer-Défossez[19] qui a précédé et inspiré la réforme de 2002. Il est en effet communément admis qu’une personne est plus encline à respecter ce qu’elle s’est elle-même imposé. Par ailleurs, les parents ayant eux-mêmes consenti à la convention ne pouvaient plus imputer à la loi ou au juge l’injustice ou l’inadaptation de la solution arrêtée. C’est d’ailleurs parce qu’elle est le fruit d’un choix qu’elle est présumée être juste et équitable — selon la célèbre formule de Fouillée : « qui dit contractuel dit juste » ! Le recours aux solutions négociées devait dès lors tarir la source des contentieux à venir…

Égalité parfaite de droits, apaisement des conflits et tarissement du contentieux, tels étaient donc les avantages escomptés du recours au contrat. En outre, même si cet objectif était moins clairement affiché, la « contractualisation » des ruptures devait limiter l’engorgement des juridictions familiales. Ces vertus, reconnues au contrat dans le monde marchand, ne sont pourtant pas aisément transposables en dehors d’une logique économique.

2 Les illusions perdues

En premier lieu, un constat : les récentes réformes, marquées par de forts accents de contractualisme, n’ont en rien permis de limiter les conflits familiaux ni l’ampleur du contentieux. L’apaisement souhaité n’est pas advenu (2.1). Loin d’être un simple espoir déçu, l’incidence de l’évolution décrite excède le cadre du conflit parental : à trop vouloir garantir l’égalité entre les parents, l’enfant lui-même en pâtit (2.2).

2.1 Les espoirs déçus : l’échec inter partes

2.1.1 Une égalité malmenée

L’égalité entre les parents longtemps revendiquée est aujourd’hui acquise, du moins l’est-elle en droit. Dans les faits, le père et la mère dotés de pouvoirs identiques, tous deux également libres de contracter, peuvent convenir d’une répartition égalitaire de la charge de l’enfant et ainsi bénéficier d’une présence de l’enfant auprès d’eux dans une égale proportion — ce qui leur accorde en outre un temps libre équivalent sans enfant ! Par le renvoi au contrat, la loi entend promouvoir la « coparentalité »[20], l’égalité dans les faits entre le père et la mère.

Pourtant, la liberté « contractuelle » n’est pas toujours au service de l’équité ; la liberté dont les parents disposent quant au contenu des conventions de rupture est sans borne, et ce qui devait être au service de l’égalité des parents peut tout autant la desservir ! Ainsi, rien n’interdit que, par convention, les parents choisissent volontairement un mode unilatéral d’exercice de l’autorité parentale au mépris des préférences manifestées par la loi[21]. Bien sûr, le juge est tenu d’homologuer la convention, mais il ne dispose à cette occasion que d’un pouvoir limité : l’accord des parents est présumé être la meilleure solution au conflit et il ne saurait intervenir que s’il estime que les termes de cet accord ne préservent pas suffisamment l’intérêt de l’enfant[22].

Certes, ces situations demeurent exceptionnelles, la grande majorité des couples optant pour un exercice conjoint avec un partage égalitaire de la résidence conformément à l’idéal affiché par la loi. Pourtant, la Cour de cassation a elle-même été contrainte de rappeler que la résidence alternée pouvait également renvoyer à un rythme différent[23]. Dès lors, comment encore affirmer que le recours au contrat garantit l’égalité des parents et la coparentalité ?

2.1.2 La persistance des conflits

En outre, l’abondance du contentieux familial n’a pas diminué depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002. L’intervention du juge aux affaires familiales demeure fréquente, qu’il s’agisse d’homologuer des conventions de rupture ou de les réviser ou encore de pallier l’absence d’accord. Il est une part incompressible de contentieux judiciaire : les besoins de l’enfant comme la situation des parents évoluent. Ainsi, même si, au jour de la rupture, leur accord est réel, il ne résiste pas nécessairement à l’épreuve du temps[24]. Une recomposition familiale, un changement dans la vie professionnelle, les aléas de la vie peuvent à tout moment venir changer la donne initiale[25]. Cependant, au-delà de cette explication rationnelle, il en est une autre, liée de manière intrinsèque au domaine dans lequel ces conventions interviennent : si l’accord donné au jour de la rupture — par exemple pour une résidence alternée sans pension alimentaire — est ultérieurement remis en cause, ce peut être également parce qu’il n’a jamais été le reflet de la volonté réelle du parent. Il n’est pas le fruit de négociations mais plutôt le résultat de l’envie du parent de rompre rapidement une relation qui n’a que trop duré ; le parent qui souhaite en finir au plus vite avec ces « formalités », avec ces négociations qui le contraignent à maintenir un lien avec celui qu’il quitte ou qui le quitte, se soumet et acquiesce aux desiderata de l’autre[26]. L’accord donné n’est alors qu’un leurre, un pis-aller qu’il est en outre aisé de remettre en cause ultérieurement.

La persistance du contentieux était donc prévisible, car inévitable. À cet égard, il serait aisé de croire que l’impact des réformes récentes a été neutre, un coup d’épée dans l’eau. Il n’en est rien puisqu’elles ont en outre conduit à la radicalisation des conflits.

2.1.3 La radicalisation des conflits

Le contrat place les deux parents à armes égales dans la négociation. Ils n’ont alors qu’une alternative : se soumettre ou combattre ! Les parents sont fortement incités à s’entendre, à faire preuve de sagesse. Le conflit est mal vu dans nos sociétés de faux-semblants[27] ! Le conflit parental a changé de nature : il s’est transformé en un affrontement direct dénué en outre de l’arbitrage du juge. Bien sûr, le recours au juge demeure possible comme solution de repli, mais celui-ci ne dispose que de peu de pouvoirs : l’article 373-2-11 du Code civil l’invite à prendre en considération, en premier lieu, en l’absence d’accord parental, la pratique que les parents ont jusqu’à présent suivie — ce qui aboutit à maintenir la solution obtenue lors d’un précédent accord — ou, en second lieu, les sentiments exprimés par l’enfant — qui devient dès lors l’arbitre involontaire du conflit[28] ! Du fait de la faiblesse des pouvoirs du juge, les parents sont renvoyés dos à dos, condamnés à s’entendre ou à recourir à d’autres moyens d’emporter la victoire… La première victime de cette radicalisation du conflit n’est autre que l’enfant.

2.2 L’effet nuisible du recours au contrat : l’échec au regard de l’enfant

À se préoccuper principalement du conflit parental, on en oublierait presque l’enfant ! Un tel oubli n’est évidemment pas délibéré, ni de la part du législateur ni de la part des parents. Cependant, chacun détient sa propre conception de ce qu’impose son intérêt. À cet égard, l’absence de référent, d’observateur extérieur, empêche une réelle conciliation des points de vue qui s’affrontent. Le premier à en subir les conséquences n’est autre que l’enfant lui-même.

2.2.1 L’enfant pris en otage !

Le changement de domicile de l’un des parents, qu’il soit imposé pour des raisons professionnelles ou délibéré, occasionne nécessairement des difficultés : cela impose fréquemment un réaménagement des modalités d’exercice de l’autorité parentale et donc l’obtention d’un nouvel accord avec l’autre parent. Le droit français prévoit que tout changement de résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités d’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent ; ce n’est qu’au cas de désaccord que le parent le plus diligent saisit le juge. Là encore, la faveur est donnée aux solutions consensuelles. Cependant, c’est lorsque ce consensus est impossible à trouver, notamment en raison de l’éloignement trop important du nouveau domicile, que les drames se produisent : de crainte que le juge ne refuse d’accorder au parent qui s’éloigne des modalités lui permettant d’entretenir des liens étroits avec l’enfant, il a recours à la « politique du fait accompli » et déménage avant même d’organiser la situation[29] parfois en amenant l’enfant avec lui… La question de l’enlèvement international d’enfant n’est à cet égard que « la partie émergée de l’iceberg ». Il ne s’agit pas par ailleurs d’un phénomène d’apparition récente — la Conférence de La Haye de droit international privé s’en est préoccupé dès 1980[30]. Cependant, il semble qu’il prenne aujourd’hui de l’ampleur, comme tendent à le montrer non seulement le nombre de cas dont est saisi le ministère de la Justice[31] mais aussi la multiplication des arrêts rendus sur cette question et l’intérêt que les instances communautaires y portent depuis peu[32]. L’apparente multiplication des cas d’enlèvements internationaux d’enfants peut bien entendu être rapprochée de la mobilité croissante des individus, mais elle paraît également liée, même si c’est de manière indirecte, à la radicalisation des conflits parentaux. Là encore, à défaut de pouvoir s’accorder sur des modalités d’exercice de l’autorité parentale compatibles avec le départ à l’étranger de l’un d’eux, les parents se croient acculés au coup de force et y cèdent trop souvent.

Comme précédemment, la réponse du législateur à ces difficultés fait état de son indécision : il hésite entre imposer le rétablissement de la situation conforme à la loi — le retour de l’enfant auprès de celui à qui l’enfant a été illégalement soustrait — et la prise en considération de la situation concrète et de l’intérêt de l’enfant. En effet, le maintien du statu quo est bien souvent préférable lorsque le juge est appelé à se prononcer[33]. Cette dernière option validée par la référence à l’intérêt de l’enfant donne cependant une prime à celui qui viole les dispositions relatives au droit de garde…

Dans ces circonstances internationales comme dans les conflits parentaux internes, la parole de l’enfant devient fondamentale[34] : il est alors tenu de se prononcer pour ou contre, d’exprimer un choix bien délicat entre son père et sa mère. En outre, l’importance que le droit reconnaît désormais à son audition et aux sentiments qu’il exprime soumettent les parents à la tentation d’instrumentaliser sa parole — les fausses allégations d’attouchements sexuels en sont la manifestation la plus évidente. C’est alors aux juges de démêler le vrai du faux dans la parole de l’enfant alors que leur formation ne les destine nullement à cette tâche.

2.2.2 Le malaise adolescent

Même si les ruptures familiales se multiplient et deviennent aujourd’hui « monnaie courante », les enfants n’en sortent pas toujours indemnes. Le Défenseur des enfants a choisi de consacrer son rapport annuel 2007 à la situation des adolescents[35] : le tableau dressé par le rapport est dramatique tant sur le plan médical que sur le plan psychologique. Les adolescents français souffrent mille maux : conduites à risque (alcoolisme, usage de stupéfiants, suicides), troubles psychologiques graves, et ainsi de suite. Sans en indiquer avec précision les causes, le rapport montre du doigt les défaillances des politiques publiques, notamment le manque de structures spécifiques de prise en charge des adolescents. L’existence d’un malaise adolescent est étayé par de nombreuses études : ainsi, de nombreux témoignages d’enfants soumis à la résidence alternée[36] mettent en évidence les difficultés qu’éprouvent ces enfants sans cesse ballottés d’une maison à une autre et instrumentalisés dans le conflit permanent de leurs parents.

2.2.3 Un appel à des solutions courageuses

Personne ne peut prétendre savoir avec certitude ce qu’implique l’intérêt de l’enfant. En revanche, chacun est apte à juger des résultats de la politique menée. Le recours aux solutions négociées, la faveur pour l’accord parental, se révèle un échec, et ce, en dépit des bonnes intentions dont étaient animés les promoteurs de la réforme. Des propositions claires, sans faux-semblants, doivent être formulées : peut-être conviendrait-il davantage d’imposer des solutions conformes à l’intérêt de l’enfant même si elles paraissent remettre en cause l’égalité parentale, plutôt que de « renvoyer la balle » aux parents qui, dans une situation de conflit sans arbitrage efficace, ne peuvent que s’affronter.

Ainsi, ne serait-il pas nécessaire d’abandonner le mythe de la survie du couple parental après rupture[37] ? En effet, en affirmant que celle-ci est sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale, le législateur a nié la réalité : un exercice en commun de l’autorité parentale impose une codécision difficile à obtenir lorsque les parents ne s’entendent plus. Le recours à la résidence alternée accentue cet état de fait : loin de promouvoir la codécision, ce mode de résidence épargne aux parents l’effort de la coopération[38]. Loin d’instaurer une co-parentalité, l’alternance transforme l’exercice conjoint en un exercice lui-même alternatif de l’autorité parentale. L’enfant, soumis tour à tour à l’autorité de son père puis de sa mère, est en réalité soumis à deux autorités unilatérales successives ; chaque fois que l’enfant change de résidence, il vit dans un monde différent, à un rythme différent, selon des règles différentes. Alternance que le législateur a indirectement consacrée à l’occasion du vote de la loi relative à la protection de l’enfance[39] : depuis lors, l’article 373-2-9 est doté d’un nouvel alinéa précisant que, lorsque les parents n’ont pas convenu d’une résidence alternée, celui qui n’a pas la résidence principale de l’enfant dispose d’un droit de visite et d’hébergement. Il est donc dans une situation quasi identique à celle d’un parent n’exerçant pas l’autorité parentale. C’est accepter l’idée selon laquelle l’exercice de l’autorité parentale n’est effectif qu’en présence de l’enfant à ses côtés. Ne faudrait-il pas dès lors avoir le courage d’affirmer que seul celui qui héberge l’enfant détient l’exercice de l’autorité parentale ? En contrepartie, peut-être serait-il nécessaire de renforcer les droits de l’autre parent, notamment le droit de surveillance. De même, ne serait-il pas nécessaire de relativiser le dogme de l’égalité parentale ? Il a conduit à la généralisation de la résidence alternée dont les conséquences à long terme pour les enfants qui y sont soumis méritent à tout le moins d’être étudiées. Il a en outre conduit à recourir de manière abusive au mécanisme contractuel. Or l’inégalité est consubstantielle aux relations humaines : voilà pourquoi donner au juge de véritables pouvoirs d’arbitrage est ici nécessaire. C’est à lui, par son appréciation désintéressée de la situation, de s’assurer de la réalité du consensus parental et de faire prévaloir l’intérêt de l’enfant sur ceux des parents.

« [L]e couple et la famille sont-ils [toujours] une affaire d’État ou un simple fait ? », s’interrogeait déjà le professeur Hauser en 1998[40]. Aujourd’hui la réponse semble acquise : l’État estime préférable de ne se mêler que de manière exceptionnelle de la rupture du couple.