Volume 49, numéro 4, décembre 2008
Sommaire (12 articles)
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Présentation : entre les vertus du contrat et les illusions perdues
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La contractualisation du mariage : réflexions sur les fonctions du Code civil du Québec dans la famille
Christine Morin
p. 527–549
RésuméFR :
Le Code civil du Québec prévoit qu’il est « permis de faire, par contrat de mariage, toutes sortes de stipulations, sous réserve des dispositions impératives de la loi et de l’ordre public » (art. 431 C.c.Q.). Cependant, le Code civil impose depuis 1989 le partage de la valeur du « patrimoine familial » aux conjoints mariés (et depuis 2002 aux conjoints unis civilement), et ce, au détriment de leur liberté contractuelle. Convient-il de s’en réjouir ?
La réponse à cette interrogation dépend de différents facteurs, dont celui des représentations sociales des fonctions du Code civil. En effet, tous les acteurs sociaux n’ont pas la même représentation du rôle du Code civil dans la famille. Pour certains, il doit d’abord être au service du bien général, alors que pour d’autres il doit prévenir les situations problématiques. Suivant la première représentation, le Code civil doit respecter la liberté et la volonté des conjoints en permettant la contractualisation de leurs rapports patrimoniaux. Suivant la seconde, il doit plutôt veiller à l’égalité économique des conjoints mariés ou unis civilement en empêchant la contractualisation de certains aspects de leur relation.
Afin de mieux comprendre les prétentions des tenants de l’une et l’autre de ces positions, l’auteure compare leurs représentations divergentes du rôle du Code civil dans les relations conjugales, du principe de l’égalité des conjoints et de la définition du mariage.
EN :
The Civil Code of Québec states that “any kind of stipulation may be made in a marriage contract, subject to the imperative provisions of law and public order” (art. 431 C.c.Q.). Since 1989 however, the Civil Code has imposed sharing the value of the assets composing the “family patrimony” amongst married spouses (and since 2002, amongst civil union spouses), and has done so to the detriment of spouses’ freedom to contract amongst themselves. Was this a positive legislative initiative ?
The answer depends upon various factors, including social representations of the functions of a Civil Code. All social actors do not share the same conception of the Civil Code’s role within the family. For some, the Code must first be in the service of the common good, while for others, it must constitute a safeguard against problematic situations. Pursuant to its first representation, the Code must abide by the spouses’ autonomy in allowing them freely to determine by contract various aspects of their patrimonial relationship. Yet according to the second, the Code must uphold the economic equality of married or civilly united spouses by barring the contractualisation of some aspects of their relationship.
To further understand the claims made by either of these two positions, the author compares their divergent expressions of the role played by the Civil Code with regard to conjugal relationships, of equality amongst spouses and of the definition of marriage.
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Les aménagements consensuels que les couples appliquent à leur rupture sont-ils d’essence contractuelle ?
Claire Neirinck et Maryline Bruggeman
p. 551–569
RésuméFR :
En droit français, il est fréquemment fait appel à des aménagements consensuels pour régler le principe et les conséquences des ruptures de couple. La doctrine qualifie de « contractuels » ces accords et de « contractualisation progressive du droit de la famille » cette tendance. Or la confrontation de ces accords avec les principes qui gouvernent le contrat conduit à douter de cette qualification. Pour ce qui est de la formation de ces accords, dans le cadre institutionnel du divorce comme dans celui réellement contractuel du pacte civil de solidarité (PACS), l’insanité et les vices du consentement ne sont pas pris en considération. En ce qui a trait à leur exécution, ils ne bénéficient ni de la force obligatoire des conventions ni de leur effet relatif lorsque, au-delà du couple, des enfants sont touchés. De même, leur inexécution ne peut être sanctionnée par de simples dommages-intérêts. La qualification habituellement retenue de contractualisation n’est pas seulement erronée. Elle se révèle en outre trompeuse en ce qu’elle cache ce qui se joue derrière cette évolution : le passage d’un gouvernement de la famille par la loi à un gouvernement de la famille par les hommes.
EN :
Under French law, there is frequent recourse to consensual agreements in order to resolve the consequences of failed unions. Doctrine characterizes such agreements as “contractual” and describes this trend as the “contractualization” of family law. Yet the incompatibility of these agreements with the principles governing contracts raises doubts regarding such an inference. When one observes the formation of agreements both within the institutional context of divorce and in the truly contractual context of the PACS (pacte civil de solidarité or civil union agreement), one notes that neither insanity nor defects of consent are taken into account. As for their performance, they benefit neither from the binding force nor from the relative effect of contracts when, beyond the estranged couple, the fate of their children is at stake. Furthermore, non-performance cannot be sanctioned by mere damages. The often used inference of “contractualization” is not only a misnomer, but is deceitful owing to the real nature of the evolution taking place : namely the transition from a family regime governed by law to a family regime governed by interested individuals.
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Le couple et la contractualisation de la rupture
Claire Neirinck
p. 571–588
RésuméFR :
La contractualisation de la rupture impose peu à peu l’arasement des différences entre les trois formes de vie en couple que consacre la loi. La composante institutionnelle du mariage est ébranlée. Déjà, en droit français, la protection assurée par l’entremise du juge est atténuée dans le divorce par consentement mutuel dans la mesure où ni une réelle volonté commune de divorcer ni un règlement juste et équilibré des conséquences de la rupture ne sont effectivement imposés. Néanmoins, le recours obligatoire au juge joue un rôle préventif et symbolique qui rappelle que le mariage est non seulement un contrat mais aussi une institution qui donne statut. Un projet récurrent de divorce par consentement mutuel par déclaration commune devant le notaire menace la spécificité du mariage. En effet, la rupture de l’union ne procéderait alors que de la simple déclaration des époux ; l’aménagement de ses conséquences pour les époux sans enfant serait exclusivement assuré sur un mode consensuel, à l’instar du pacte civil de solidarité (PACS). Cette extension du modèle contractuel n’est cependant pas justifiée par une meilleure protection de ceux qui n’ont que l’arme du contrat pour gérer leur rupture. Dans le PACS comme dans le concubinage, les difficultés liées au coup de force et au partage des richesses ne peuvent être ignorées. Les tribunaux en sont de plus en plus souvent saisis. Elles ne pourront être surmontées que par l’instauration de règles destinées à protéger le membre le plus fragile du couple, en particulier celui qui est délaissé sans ressources.
EN :
Contractual settlement of failed unions has gradually lessened the differences between the three types of conjugal relations sanctioned by law. The institutional component of marriage has been destabilized. In French law, the protection afforded by the magistrate is attenuated in divorce proceedings by mutual consent insofar as neither a true common resolve to divorce, nor a reasonable and balanced settlement of the consequences resulting from the failed union are ascertained. Nonetheless, the mandatory recourse to a judge plays a preventive and symbolic role that calls to mind that marriage is not merely a contract but also an institution that brings about a change in status. Hence, a recurrent project to implement divorce by mutual consent before a notary threatens the specificity of marriage. Indeed, the dissolution of the marital bond would then be effected by a simple statement made by the spouses ; the arrangement of resulting consequences amongst childless spouses would be exclusively based upon common agreement, somewhat similar to the PACS (pacte civil de solidarité or civil union agreement). The extension of the contractual model cannot be justified by enhanced protection of those whose only defence is a contract to oversee the dissolution of their union. In the French PACS as in concubine unions, difficulties resulting from one party overpowering the other or the inequitable sharing of wealth cannot be overlooked. These issues are increasingly taken to court. They will not be resolved until rules are implemented to protect the weaker party, specifically the one who is left destitute.
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Conventions de rupture et parenté
Maryline Bruggeman
p. 589–605
RésuméFR :
Loin d’être exclu comme pourrait le laisser croire le principe de l’indisponibilité de l’autorité parentale, le mécanisme contractuel est fréquemment utilisé pour le règlement des conflits parentaux. Ainsi, l’aménagement des conséquences de la rupture au regard des enfants peut aujourd’hui s’opérer au moyen d’une convention ; ce mode de règlement des conflits est par ailleurs privilégié par la loi. Le législateur espère ainsi faire bénéficier le contentieux familial de deux des vertus principales dont se pare le contrat, soit l’égalité des parties et l’apaisement des conflits.
Pourtant, le recours à ces mécanismes contractuels n’a toujours pas apporté d’amélioration sensible au contentieux familial. Bien au contraire ! L’égalité entre le père et la mère consacrée sur un plan législatif peine à se concrétiser en pratique, le recours aux conventions pouvant à l’inverse la desservir. En outre, les conflits entre les parents, loin de s’apaiser, perdurent, voire se radicalisent : s’ils ne se manifestent pas au moment de l’aménagement de la rupture, ils ressurgissent ultérieurement lorsqu’un aléa de la vie ou les nécessités de l’éducation de l’enfant impliquent de remettre en cause l’accord initial…
EN :
Far from being excluded as one may be led to believe by the imperative character of the legal provisions regarding parental authority, contracting is frequently used in the settlement of parental disputes. As such, resolving the issues concerning the children of a failed union may be handled by means of a binding agreement ; in fact, the law favours this means of conflict resolution. In this way, the legislator seeks to promote contractual values in the context of family disputes : equality amongst the parties and the consensual resolution of conflicts.
Yet, recourse to contractual undertakings has not always resulted in significant improvements. Much to the contrary, the equality of mother and father, enshrined by law, has great difficulty expressing itself in practical situations where agreements may in fact reinforce inequalities. Moreover, far from appeasing parental conflicts, they often perpetuate such conflicts, which sometimes become radicalized as a result. While differences may not be obvious at the time of conciliating a separation, in time the quirks of daily living and needs of children’s education spring to the fore and demand reopening the initial agreement.
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La valeur juridique des ententes issues de la médiation familiale : présentation des mésententes doctrinales et jurisprudentielles
Marie-Claire Belleau et Guillaume Talbot-Lachance
p. 607–653
RésuméFR :
La médiation familiale globale et interdisciplinaire pratiquée au Québec mène à la rédaction d’ententes portant sur tous les aspects de la rupture d’un couple. Ces accords prévoient le partage des responsabilités parentales (garde des enfants), celui des biens et des contributions financières (pension alimentaire), tout en favorisant le maintien d’une relation parentale fonctionnelle. Alors que le gouvernement encourage l’accès à la médiation dans le cas des conjoints ayant des enfants, la valeur juridique des ententes issues de la médiation familiale se révèle nébuleuse et soulève dans la doctrine et dans la jurisprudence de nombreuses controverses. D’abord, les auteurs présentent la médiation familiale telle qu’elle a été mise en oeuvre au Québec. Par la suite, ils démontrent, par une analyse de la jurisprudence et de la doctrine sur la valeur juridique des ententes issues de la médiation familiale, que le droit omet de s’adapter à ce mode de résolution des conflits. Il en résulte des incertitudes et des discordes sur la valeur juridique des ententes qui découlent de ce processus.
EN :
Interdisciplinary family mediation as carried on in Québec leads to the drafting of an agreement dealing with all facets of a couple’s separation. It covers the sharing of parental responsibilities (children custody), partaking in property and financial contributions (support), while favouring the continuity of a functional parental relationship. While the government promotes access to mediation in the case of spouses with children, the legal effects of agreements issuing from family mediation are uncertain and give rise to numerous doctrinal and jurisprudential controverses. The authors first begin by presenting family mediation as it was implemented in Québec. They then demonstrate on the basis of jurisprudential and doctrinal analyses of the legal value of agreements issuing from family mediation, that the law falls short of adapting itself to this means of conflict resolution. In the end, there results uncertainty and disagreement on the legal effects of agreements resulting from such proceedings.
Note
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L’affaire Bruker c. Marcovitz : variations sur un thème
Louise Langevin, Louis-Philippe Lampron, Christelle Landheer-Cieslak, Alain Prujiner et Patrick Taillon
p. 655–708
RésuméFR :
Signe de son temps, la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bruker c. Marcovitz met en scène le multiculturalisme canadien, le pluralisme juridique, l’inter-normativité, la neutralité de l’État, l’intérêt public, la liberté contractuelle, le droit comparé, les valeurs fondamentales, dont la liberté de religion et l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle brouille les frontières entre le droit privé et le droit public, entre la sphère privée et la sphère publique, de même qu’entre les normes juridiques et les normes religieuses. Elle façonne, déconstruit ou reconstruit la norme religieuse par le droit étatique. Dans le présent texte, cinq auteures et auteurs analysent les motifs de la Cour suprême à partir de perspectives différentes. Ils se penchent sur les forces et les faiblesses ainsi que sur les silences, sans oublier les dissonances, de l’opinion majoritaire et de l’opinion dissidente. D’abord, la question du droit international privé est examinée, puisque l’affaire met en jeu les relations entre deux ordres juridiques, soit l’ordre juridique canadien et québécois et l’ordre juridique juif ou hébraïque. Puis la décision est revisitée à partir d’un cadre théorique féministe. Ensuite, la résolution du conflit entre la liberté religieuse et l’égalité des sexes est traitée. Enfin, un auteur se penche sur la conception de la liberté mise en avant dans la décision examinée et une auteure analyse la distinction, les relations et les frontières entre les traditions juridiques étatiques et les traditions juridiques religieuses.
EN :
As a sign of our times, the decision handed down by the Supreme Court of Canada in the case of Bruker v. Marcovitz calls into play Canadian multiculturalism, legal pluralism, internormativity, State neutrality, public interest, freedom of contract, comparative law, fundamental rights including freedom of religion and gender equality. It crosses the boundaries separating public law and private law, the private and public domains, as well as legal and religious norms. It shapes, de-structures or restructures religious norms through the law of the State. In this paper, five authors analyze the Supreme Court’s decision on the basis of differing perspectives. They underline the strengths and weaknesses, the silences and conflicting views of the majority and dissident opinions. First of all, a private international law analysis is applied, since the case involves relations between two juridical systems, namely the Canadian and Québec system of law and the Jewish or Hebrew legal order. Then the decision is examined in the light of a feminist perspective. From there, the conflict between freedom of religion and gender equality is addressed. An author then delves into the conception of liberty as set forward in the decision under study and last of all, an author analyses the distinction, relations and boundaries separating State legal traditions from their religious counterparts.