Volume 48, numéro 3, 2007
Sommaire (12 articles)
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Une solidarité sans frontières ? Le droit canadien et l’action syndicale de solidarité transaméricaine
Pierre Verge
p. 331–349
RésuméFR :
Différents facteurs influent sur la propension des groupements syndicaux de première ligne à s’engager dans des actions de solidarité syndicale transnationale, notamment celle qui unit des salariés d’une même entreprise implantée dans plusieurs pays. Quel est l’impact d’un droit national — le droit canadien, en l’occurrence — sur une telle action ? Est ainsi principalement susceptible d’intervenir la loi qui régit l’activité courante de négociation collective des syndicats en cause. Essentiellement, elle leur confère à cette fin le monopole de représentation d’une collectivité locale de salariés au sein de l’entreprise ou de l’un des ses établissements et établit un droit périodique de grève, action notamment interdite durant la convention collective.
L’emprise du précédent aménagement juridique de la liberté syndicale du syndicat local n’empêche pas de légitimer, au regard de sa finalité juridique, son objectif de solidarité transnationale. De même, les retombées d’accords-cadres internationaux liant des entreprises transnationales et des instances syndicales ne contredisent pas la formule de négociation collective locale envisagée par la loi. Il en va toutefois autrement d’une action de coalition de solidarité transnationale. Le précédent droit de grève, temporellement limité, est, en effet, manifestement dysfonctionnel devant les exigences de la grève de solidarité. En revanche, la solidarité syndicale transnationale peut se manifester sans entraves particulières à travers différentes techniques de publicisation des vues syndicales, comme la distribution de tracts ou le piquetage. Elles participent effectivement de la liberté fondamentale d’expression dans la société.
Le précédent bilan conduit à se demander, à l’égard du phénomène grandissant de l’entreprise-réseau, notamment celle d’envergure transnationale, si les milieux syndicaux en viendront à trouver relativement désavantageux le présent aménagement légal de l’action syndicale locale, en particulier en ce qui a trait aux limites qu’il impose à la grève de solidarité, particulièrement celle d’envergure transnationale. Dans l’affirmative, trouveraient-ils appui à leur volonté de remise en cause de ce régime classique dans les ententes de coopération en matière de travail liant le Canada et d’autres pays américains ou, encore, dans le droit de l’Organisation internationale du travail (OIT) ?
EN :
Various factors affect the propensity of front line union groups to engage in actions of transnational union solidarity, particularly those that unite employees of a same undertaking stationed in different countries. What is the impact of a national law — in this case Canadian law — on this kind of action ? In this respect, the current law governing collective bargaining is likely to be the most relevant. This law confers a monopoly of representation of a group of employees within the undertaking or within one of its establishments to the Union enjoying majority support ; it also endows it with a temporary right to strike — a right that is notably absent during the collective agreement.
The preceeding juridical framework does not impede the legitimacy of an objective of transnational solidarity in the light of the local union’s legal status. As well, the effects of transnational labour agreements entered into by certain transnational undertakings and union groups are not in contradiction with the formula of local collective bargaining established by the current legislation. It is however a different situation with respect to coalition action of a transnational scope. The preceeding right to strike, temporarily limited, is in effect demonstrably dysfunctional in the face of the requirements of such solidarity strike actions. On the other hand, transnational union solidarity can be expressed without particular obstacles through different techniques of conveying union views, such as the distribution of tracks and picketing. These techniques are indeed effective manifestations of the fundamental freedom of expression prevailing in Canada.
In light of the growing phenomenon of transnational business networks, the previous assessment raises the question as to whether unions themselves will come to find the current legal regime of collective representation and negotiation relatively disadvantageous, taking into account the limits it imposes on solidarity strikes, more particularly so, on transnational solidarity strikes. In the affirmative, will they find support in their attempt to challenge relevant aspects of this classical regime in international agreements on labour cooperation binding Canada and other American countries, or in the norms and institutions of the ILO ?
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Defending Victims of Domestic Abuse who Kill : A Perspective from English Law
George Mousourakis
p. 351–371
RésuméEN :
The term “cumulative provocation” is used to describe cases involving a prolonged period of maltreatment of a person at the hands of another, which culminates in the killing of the abuser by her victim. Since the early 1990s there has been a plethora of academic commentary on the criminal law’s response to such cases. More recently, the debate has been re-opened following the publication of the English Law Commission’s proposals on the partial defences to murder. This article examines doctrinal issues that arise in relation to claims of extenuation stemming from the circumstances of cumulative provocation. It is argued that, given the scope and limitations of the provocation defence, one should view the circumstances of cumulative provocation as likely to bring about the conditions of different legal excuses. Identifying the relevant legal defence would require one to reflect on the nature of the excusing condition or conditions stemming from the circumstances of each particular case. Although the paper draws largely upon the doctrines of provocation and diminished responsibility as they operate in English law, it is hoped that the analysis offered has relevance to all systems where similar defences are recognized (or proposed to be introduced), and can make a useful contribution to the continuing moral debate that the partial excuses to murder generate.
FR :
La « provocation cumulative » désigne les instances de mauvais traitements, pendant une période prolongée, d’une personne par une autre et qui se terminent par le meurtre de l’auteur par la victime d’abus. Depuis le début des années 90, la doctrine a abondamment commenté la manière dont le droit pénal appréhende de telles situations. Dernièrement, le débat a refait surface dans la foulée de la publication des propositions de la Law Commission d’Angleterre sur les moyens de défense partiels à l’accusation de meurtre. Le présent article examine les enjeux que soulève l’appel à des circonstances de provocation cumulative pour diminuer la responsabilité criminelle. Compte tenu de la portée et des limites inhérentes à la défense de provocation, il convient d’envisager les circonstances de la provocation cumulative comme étant susceptibles de fonder le recours à d’autres moyens de défense. Circonscrire le moyen de défense juridique le plus approprié nécessiterait de se pencher sur la nature de la condition ou des conditions disculpatoires qui découlent de chaque cas déterminé. Bien que cet article se fonde en grande partie sur les doctrines de la provocation et de la responsabilité diminuée telles qu’elles sont appliquées en droit anglais, il est à espérer que l’analyse proposée aura sa pertinence pour tous les régimes de droit qui reconnaissent l’existence de tels moyens de défense (ou qui se proposent de les mettre en œuvre) et qu’elle pourra être d’un apport utile au débat moral suscité par les moyens de défense partiels à l’accusation de meurtre .
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Analyse de la trajectoire historique de la monnaie électronique
Marc Lacoursière
p. 373–448
RésuméFR :
Le développement de l’argent et des mécanismes de paiement est d’abord apparu par la création du troc, lequel a engendré la monnaie métallique, qui a donné naissance à la monnaie papier pour être graduellement remplacée par la monnaie électronique. À chacune de ces étapes, le degré d’acceptation de la monnaie est tributaire de la confiance qu’expriment les agents économiques. Cette confiance peut émaner du marché, mais elle se manifeste surtout lors d’une émission par une autorité publique. Bien que ce profil de développement apparaisse à chacune des étapes du développement de la monnaie, il est plus marqué dans l’évolution de la monnaie papier et de la monnaie électronique. L’étude qui suit présente une description des origines de la monnaie électronique et analyse le phénomène de l’évolution de cette monnaie en vue de comprendre et d’envisager la trajectoire que devrait prendre le paiement par Internet.
EN :
In its earliest economic form, money and the means for exchanging it took the oldest form of swapping : barter, which in time gave way to metal coins and then, much later, was replaced by ethereal electronic or “e-money”. During each evolutionary stage, the acceptance of money has rested upon the confidence of mediating economic agents. Such confidence may be market-based or backed by government, as when money is issued by a public authority. While this diachronic profile appears at each stage in the development of money, it becomes most obvious in the evolution of paper money and e-money. This paper sets forth a description of the origins of e-money and analyzes the phenomenon of this specific form of monetary evolution in order to better understand and anticipate the trail that e-payments will eventually blaze over the Internet.
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De la représentativité du pouvoir législatif à la recherche de l’intention du législateur : les fondements et les limites de la démocratie représentative
Stéphane Bernatchez
p. 449–476
RésuméFR :
La légitimité du pouvoir législatif a été construite sur la base du concept de représentation, alors que la démocratie représentative s’est imposée comme le modèle politico-juridique de la modernité. Pourtant, chez les penseurs modernes, le gouvernement représentatif n’était pas synonyme de démocratie. Ce n’est que par la suite que les deux modèles seront confondus. En effet, avec le triomphe de la Raison, la légitimité découle du consentement, le souverain devant dès lors être représenté. Cette conceptualisation du pouvoir législatif est remise en question par certaines transformations contemporaines qui fragilisent la légitimité de la démocratie représentative. D’une part, l’évolution des systèmes politique et électoral démontre les limites de la possibilité de représenter. D’autre part, le positivisme juridique dérivé de la démocratie représentative a orienté l’interprétation législative vers la recherche de l’intention du législateur. Cette thèse intentionnaliste se révèle néanmoins problématique lorsqu’elle est jugée du point de vue des théories contemporaines du langage.
EN :
The foundations of the legitimacy of legislative power arose from the concept of representation, while representative democracy came into being as a modern-day politico-legal model. Be that as it may, contemporary thinking holds that representative government is not synonymous with democracy. It has only been in the aftermath of this evolution that both models have become confounded. Indeed, from the Age of Enlightenment onward, legitimacy has been the offspring of consent, whereby the sovereign thereafter must be represented. Now, this conceptualization of legislative power has been questioned owing to various contemporary changes that weaken the legitimacy of a representative democracy. On the one hand, evolving political and electoral systems illustrate the limits of possible representation. Yet on the other, legal positivism derived from representative democracy has oriented legislative exegesis towards the search for the legislator’s intent. Such an exegetic quest has, however, proven to be somewhat problematical when viewed in the light of contemporary theories of language.
Note
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L’affaire Plamondon : un cas d’antisémitisme à Québec au début du xxe siècle
Sylvio Normand
p. 477–504
RésuméFR :
L’affaire Plamondon compte parmi les procès célèbres de l’histoire judiciaire québécoise. Cette affaire commence par une conférence à caractère antisémite prononcée à Québec, en 1910, par Jacques-Édouard Plamondon. Au cours des semaines qui suivent, la presse se divise et des Juifs sont victimes d’agressions. Deux Juifs, qui souhaitent éviter que les choses dégénèrent, intentent une poursuite en dommages-intérêts pour libelle diffamatoire. L’action est rejetée en première instance, mais accueillie en appel. Au regard du droit, ce procès suscite de l’intérêt en ce qu’il reflète les tensions qui divisent la société, révèle la confiance que la communauté juive met dans l’institution judiciaire et amène une reconnaissance, en certaines circonstances, de la diffamation collective. Ce procès est aussi une illustration des formes spécifiques que constituent le scandale, l’affaire et la cause suivant une approche sociologique.
EN :
The Plamondon case stands out among the famous trials in Québec judicial history. The case stemmed from anti-Semitic content in a lecture delivered in Québec by Jacques-Édouard Plamondon in 1910. During the weeks following the lecture, members of the press were at odds with one another and some Jews fell victim to agression. Two members of the Jewish community, seeking to avoid an increasingly embittered situation, took legal action on grounds of defamation. The suit was quashed in court of first instance, then reinstated on appeal. At law, this case raises interest since it sheds light on tensions that rend society, underscores the trust that the Jewish community invests in the courts and leads to a partial recognition in given circumstances of collective defamation. The proceedings also illustrate the specific forms of scandal, controversy and cause seen from a sociological viewpoint.
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La fiducie : réflexion sur la réception judiciaire d’un nouveau code.
Mario Naccarato
p. 505–524
RésuméFR :
Dans le Code civil du Québec de 1994, le législateur a innové en adoptant le concept original de patrimoine d’affectation pour encadrer la fiducie. Ce patrimoine n’est rattaché à personne. Ainsi, les biens qu’il comporte n’appartiennent à personne ! Contrairement à la fiducie du Code civil du Bas Canada, la nouvelle fiducie du Code civil du Québec permet une grande flexibilité dans sa création et son exécution. Aussi, elle permet a priori aux constituants d’en tirer une série de bénéfices, tout comme s’ils étaient propriétaires des biens composant le patrimoine fiduciaire. Voilà qui concorde mal avec le droit civil québécois, où le patrimoine constitue le gage commun des créanciers. En permettant la création d’un patrimoine où le constituant peut se réserver les fruits et le capital, le législateur québécois a créé un mécanisme qui se heurte au caractère personnaliste et traditionnel du patrimoine, unique à la personne. Autrement dit, nul ne peut détenir plus d’un patrimoine. La jurisprudence et, en particulier, la Cour suprême du Canada viennent le confirmer. Dans le présent article l’auteur s’emploie à démontrer que la jurisprudence limitant la portée des droits que peut se réserver le constituant d’une fiducie repose sur une série de concepts plus fondamentaux qu’il n’en appert à sa simple lecture.
EN :
In the Civil Code of Québec of 1994, the legislator innovated by adopting the original concept of a patrimony appropriated to a particular purpose for the governance of trusts. What issues therefrom is that the patrimony does not attach to any given person, hence the property contained therein does not vest in any one person. Contrary to the trust of the Civil Code of Lower Canada, this new trust in the Civil Code of Québec grants greater flexibility in its creation and execution. Moreover, it initially allows settlors to extract a series of benefits, as if they were the owners of the property constituting the trust patrimony. And here is the crux of the matter that does not sit squarely with Québec civil law, in which the patrimony constitutes the creditors’ common pledge. By allowing the creation of a patrimony in which the settlor may reserve for himself the right to receive fruits and capital from the trust, the Québec legislator has created a mechanism that collides with the traditional conception of the patrimony, unique to the person. In other words, no one may be the holder of more than one patrimony, the case law, particularly that of the Supreme Court of Canada, confirms such status. In this paper, the author seeks to demonstrate that cases limiting the scope of rights that the settlor of a trust may reserve for himself rest upon a series of far more fundamental concepts than first strikes the reader’s eye.
Chronique bibliographique
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DONALD FYSON, Magistrates, Police and People : Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, 1764-1837, Toronto, The Osgoode Society for Canadian Legal History / University of Toronto Press, 2006, 467 p., ISBN-13 978-0-8020-9223-6, ISBN-10 0-8020-9223-3.
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PIERO IANNUZZI, L’obligation de non-concurrence dans les sociétés de professionnels, vers une théorie de liberté de choix contractuelle, coll. « Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2006, 181 p., ISBN 2-89127-748-1.
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GUY RAYMOND, Droit de l’enfance et de l’adolescence, 5e éd., Paris, Litec, 2006, 452 p., ISBN 2-7110-0806-1.
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CYNTHIA CHASSIGNEUX, Vie privée et commerce électronique, Montréal, Thémis, 2004, 348 p., ISBN 2-89400-184-3.
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JEAN-PIERRE BÉLAND (dir.), L’homme biotech : humain ou posthumain ?, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, 314 p., ISBN 2-7637-8348-1.