Volume 45, numéro 4, 2004
Sommaire (14 articles)
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L’indemnisation des victimes d’une infection nosocomiale au Québec : les leçons du droit français
Lara Khoury
p. 619–657
RésuméFR :
Les infections nosocomiales sont un des plus graves problèmes auxquels fait face la médecine moderne et revêtent une ampleur qui leur a valu de faire récemment l’objet d’une attention médiatique et sociale accrue au Québec. Bien qu’il soit habituellement aisé de relier l’apparition de l’infection à l’acte ou au milieu médical, il est souvent impossible de déterminer la cause de cette infection. Cette incertitude empêche par la suite de déterminer si une faute est à l’origine de la contraction de l’infection. La victime d’une infection nosocomiale fait donc face à la lourde tâche de prouver la cause probable de son préjudice et de démontrer si celle-ci peut être reliée à une faute du médecin, du personnel hospitalier ou de l’hôpital. L’augmentation du nombre de victimes d’une infection contractée en milieu hospitalier met donc au défi la structure, les éléments constitutifs, et même le champ d’application des règles traditionnelles de la responsabilité civile élaborées pour satisfaire aux cas classiques de responsabilité. Dans le texte qui suit, l’auteure s’intéresse au contentieux de l’infection nosocomiale au Québec et en France et étudie de quelle façon la jurisprudence de ces ressorts répond aux difficultés soulevées par la question de l’indemnisation des victimes d’une infection nosocomiale.
EN :
Nosocomial infections are one of the most serious problems facing modern medicine and have become widespread enough to receive increasing media and social attention in Québec. While it is often easy to relate the appearance of the infection to a medical act or environment, it is often impossible to determine the cause of the infection. This uncertainty becomes an obstacle in determining whether or not some fault is at the origin of the contracted infection. The victim of a nosocomial infection thus faces the onerous burden of proving the probable cause of the injury and then demonstrating if such cause can be related to a fault committed by a physician, hospitable staff or the hospital. The increase in the number of victims of an infection contracted in a hospital environment thus questions the structure, the components, and even the scope of the traditional rules of civil liability instituted to satisfy classic cases of liability. In the following paper, the author focuses interest on litigation issuing from nosocomial infections in Québec and France and studies how the courts have ruled on the difficulties raised by the issue of compensating nosocomial infected victims.
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Testing the Waters : Aboriginal Title Claims to Water Spaces and Submerged Lands – An Overview
Paula Quig
p. 659–692
RésuméEN :
This article provides an overview of some of the intriguing issues raised by Aboriginal title claims to water spaces and submerged lands. While the Supreme Court of Canada articulated a test for proof of Aboriginal title in the 1997 Delgamuukw decision, they did not squarely address questions relating to the viability of such claims outside of the “dry land” context. Recently, a number of Aboriginal groups from across Canada have filed claims seeking declarations of Aboriginal title in areas such as the foreshore, the sea, the seabed, and the Great Lakes and their connecting waterways. Similar claims might also surface in Quebec in the near future, in areas such as the St. Lawrence Seaway. The author guides the reader through international developments in this area, highlights some key legal and evidentiary issues which will require serious reflection in the near future, and provides some final thoughts with respect to the fundamental role which the goal of reconciliation and the principle of consultation will undoubtedly play in Aboriginal title cases to water spaces and submerged lands.
FR :
L’auteure dans le présent article aborde les questions liées au titre autochtone sur les eaux et sur les terres submergées. Bien que la Cour suprême du Canada ait élaboré le test relatif à l’existence d’un titre autochtone sur le territoire dans l’affaire Delgamuukw en 1997, la question relative à l’application de ce test sur les eaux et les terres submergées demeure entière. Plusieurs groupes autochtones au Canada ont récemment déposé des actions et revendiquent un titre autochtone sur l’estran, la mer, le fond marin ainsi que dans les Grands Lacs et leurs voies navigables. Des revendications similaires pourraient également faire surface au Québec dans un proche avenir, notamment au sujet du fleuve Saint-Laurent. L’auteure examine donc les récents développements à l’échelle internationale et soulève des questions de droit et de preuve qui nécessiteront une réflexion approfondie dans un proche avenir. Enfin, elle conclut sur le rôle fondamental que seront sûrement appelés à jouer les principes de réconciliation et de consultation dans les revendications du titre autochtone sur les eaux et sur les terres submergées.
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La Loi sur les Indiens et la résidence familiale : l’émergence d’un pouvoir normatif?
Denis Blanchette et Michel Morin
p. 693–727
RésuméFR :
Depuis plusieurs années au Québec, la résidence familiale est protégée par des règles particulières qui s’appliquent après la dissolution du mariage. Or, plusieurs d’entre elles ne trouvent toujours pas application lorsqu’un immeuble est situé dans une réserve indienne. Devant l’apparence d’un vide juridique, plusieurs solutions ont été proposées, dont celle de l’exercice du pouvoir normatif autochtone. Avec l’émergence de l’autonomie gouvernementale comme toile de fond, le présent texte cherche à examiner le pouvoir réglementaire des conseils de bande aux termes de la Loi sur les Indiens. Il soutient que les Autochtones ont effectivement le pouvoir d’adopter des règlements administratifs pour protéger la résidence familiale sur les terres de réserve, et ce, sans qu’il soit nécessaire d’apporter des changements au cadre législatif actuel. Il démontre que cette position est soutenue tant par le contexte historique et actuel de la Loi sur les Indiens que par les règles d’interprétation des lois.
EN :
For many years, in Quebec, the family residence has been protected by specific rules that apply upon dissolution of marriage. But many of them are inapplicable to an immovable located on an Indian reserve. To fill what is apparently a legal vacuum, many solutions have been proposed, including an Aboriginal rule-making power. With the emergence of Aboriginal Self-Governments in the background, this paper looks at the regulatory power of band councils under the Indian Act. It maintains that Aboriginal Peoples can actually adopt administrative by-laws to protect family residence on reserve lands without modifying the current legislative framework. It demonstrates this by relying on the historical and contemporary context of the Indian Act as well as on rules governing the construction of statutes.
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L’immixtion de tiers amicaux dans le mécanisme juridictionnel
Séverine Menétrey
p. 729–766
RésuméFR :
Alors que la réforme du Code de procédure civile a permis à l’intervenant d’intérêt public de faire son entrée « officielle » dans les prétoires québécois, l’article qui suit a pour objet d’illustrer les divers mécanismes permettant à des tiers dépourvus d’intérêt au sens juridique du terme de s’immiscer dans le processus juridictionnel. L’auteure propose de dépasser la signification restreinte de l’expression amicus curiae afin de savoir si le procureur général, l’expert et l’intervenant d’intérêt public peuvent être, eux aussi, qualifiés d’« amis de la cour ». Tous ont vocation à éclairer le juge, l’amicus curiae par définition, le procureur général par fonction, l’expert par mission et l’intervenant d’intérêt public par conviction. Cependant, tous ne correspondent pas à un mécanisme amical d’intervention. C’est notamment le cas de l’expert. En revanche, l’intervenant d’intérêt public est un véritable intervenant amical dont le rôle ne demande qu’à être davantage utilisé devant les tribunaux québécois.
EN :
While the reforming of the Code of Civil Procedure has allowed a party acting in the public interest to make an “official” act of presence before the courts of Québec, this paper seeks to illustrate the various stratagems that an individual devoid of interest, within the legal sense of the word, may employ to work his or her way into legal proceedings. This exposé intends on going beyond the restrictive meaning of the term amicus curiae in order to fathom whether the attorney general, an expert and a party for the public interest may also be qualified as a “friend of the court.” They all have as their objective to enlighten the judge : the amicus curiae by definition, the attorney general by office, the expert by objective and the party for public interest by conviction. Nonetheless, they cannot all be equated to a friendly means for intervening before the court. This is especially the case of the expert. Yet in contrast, the party for public interest is truly a friendly intervening party whose role should only be increasingly used before the courts of Québec.
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Échanger est-il péché ? Analyse de la norme de tolérance de la société canadienne contemporaine à la lumière de l’arrêt R. c. Labaye
Tristan Desjardins
p. 767–790
RésuméFR :
Dans le présent article, l’auteur analyse la norme de tolérance de la société canadienne contemporaine, balise interprétative permettant d’apprécier le caractère criminellement répréhensible de conduites pouvant potentiellement corrompre les mœurs, à l’aide des décisions clés circonscrivant son application. Dans cette foulée, l’auteur s’attache particulièrement à étudier l’arrêt Labaye, et incidemment l’arrêt Kouri, deux décisions découlant de trames factuelles distinctes, quoique similaires, où la Cour d’appel du Québec a dû déterminer, par le truchement de la norme de tolérance, si les actes d’échangisme reprochés étaient criminellement indécents. L’analyse s’opère en deux étapes : la première, consacrée à l’évolution de la norme de tolérance et à son contexte d’application particulier en matière d’indécence, esquisse les grands traits de cette notion aux contours fort singuliers. La seconde, illustrant la complexité inhérente à sa mise en application, met en relief, dans une perspective essentiellement critique, l’application de cette norme ayant été effectuée à l’occasion de l’arrêt Labaye. L’auteur conclut que les motifs des opinions majoritaires distinctes rendues par les juges Rochon et Rayle dans ce dernier arrêt s’inspirent de considérations essentiellement subjectives et arbitraires. En ce sens, il précise qu’une application objectivement rigoureuse de la norme aurait dû permettre à l’appelant Labaye d’être acquitté.
EN :
In the following article, the author analyzes the Canadian community standard of tolerance, an interpretative beacon that assesses the criminal character of behaviours that potentially offend morals, by using key decisions circumscribing its application. As such, the author examines Labaye and, to a lesser degree, Kouri, two decisions arising from distinct though similar factual settings where the Quebec Court of Appeal had to determine, with the help of the community standard, if the reproached acts of swinging in these particular cases were criminally indecent. The analysis takes place in two steps : the first one, which focuses on the community standard evolution and its context of specific application to indecency issues, portrays the essential features of this unique concept. The second one, which illustrates the complexity inherent in its implementation, highlights and criticizes the use of this criterion as applied to Labaye. The author concludes that the distinct majority opinions rendered by judges Rochon and Rayle in the aforementioned decision were essentially inspired on a basis of subjective and arbitrary considerations. Therefore, he specifies that an objectively rigorous application of the community standard should have discharged Labaye.
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La révision judiciaire des décisions en vertu du chapitre 11 de l’ALENA (Canada c. SD Myers)
Denis Lemieux et Sabine Mekki
p. 791–820
RésuméFR :
Faisant suite à une sentence arbitrale rendue en vertu du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), relatif aux investissements, le gouvernement du Canada a formulé une demande en révision judiciaire auprès de la Cour fédérale. Le 13 janvier 2004, celle-ci a entériné la sentence arbitrale et a rejeté par la même occasion, la demande du Canada.
Certaines faiblesses dans cette décision peuvent être constatées quant à l’interprétation des articles 1102 et 1110 de l’ALENA et quant à l’évaluation de la sentence arbitrale en fonction de l’ordre public du Canada, alors que le différend relève du droit international. Cette décision ne semble également pas prendre en considération les objectifs des parties à l’ALENA et les exemptions prévues au sein de ce dernier en matière de protection de l’environnement. Dans la mesure où ces distorsions paraissent être causées principalement par l’intrusion du droit national dans un différend se référant au droit international, des solutions de rechange au mécanisme de révision judiciaire sont proposées en vue de pallier les lacunes décelées à l’occasion de l’affaire opposant le gouvernement du Canada à SD Myers.
EN :
As a follow-up to an arbitral award handed down under the North American Free Trade Agreement (NAFTA), Chapter 11, pertaining to investments, the government of Canada petitioned for judicial review in Federal Court. On January 13, 2004, the Court ratified the arbitral award and on the same occasion, quashed the petition from Canada.
Some weaknesses in this decision may be observed as regards the interpretation of NAFTA sections 1102 and 1110, and as regards the evaluation of the arbitral award based on Canadian public policy, yet the dispute is a matter of international law. This decision also does not seem to take into account the objectives of the NAFTA parties and exemptions provided under the treaty with regard to environmental protection. Insofar as these distortions seem to be caused mainly by an intrusion of national law in a dispute involving international law, replacement solutions to the procedure of judicial review are set forth to compensate for the deficiencies seen in the case opposing the government of Canada to SD Myers.
Chronique bibliographique
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GUY LEMIRE, PIERRE NOREAU et CLAUDINE LANGLOIS, Le pénal en action. Le point de vue des acteurs, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 162 p., ISBN 2-7637-8084-9.
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HUGUES PARENT, Traité de droit criminel, 2e t., Montréal, Éditions Thémis, 2004, 587 p., ISBN 2-89400-192-4.
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VIDA AMIRMOKRI, L’Islam et les droits de l’homme : l’islamisme, le droit international et le modernisme islamique, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 184 p., ISBN 2-7637-8176-4.
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NICHOLAS KASIRER (dir.), Le droit civil, avant tout un style ?, Montréal, Les Éditions Thémis, 2003, 228 p., ISBN 2-894000-180-0.