Volume 45, numéro 2, 2004
Sommaire (7 articles)
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Les vérificateurs et la fiabilité de l’information financière : les messages de l’environnement institutionnel et juridique
Raymonde Crête, Jean Bédard et Stéphane Rousseau
p. 219–294
RésuméFR :
Les vérificateurs sont appelés à jouer un rôle crucial pour le bon fonctionnement des marchés financiers et la protection des intérêts des épargnants. Par le contrôle qu’ils exercent sur la fiabilité de l’information divulguée auprès des investisseurs, ces professionnels sont présumés pouvoir rendre compte de la qualité de l’information des entreprises avec indépendance, objectivité et intégrité. Depuis la récente débâcle de plusieurs grandes sociétés américaines, la confiance accordée à la fonction des vérificateurs a toutefois été fortement ébranlée.
L’objet du présent article est d’examiner l’environnement institutionnel et juridique dans lequel les vérificateurs évoluent actuellement au Canada pour faire ressortir les divers facteurs qui peuvent influer sur le comportement de ces professionnels, plus particulièrement au regard de leurs obligations d’indépendance, d’objectivité et d’intégrité. Cet examen met en évidence l’existence d’un grand nombre de variables d’ordre économique et juridique qui peuvent inciter les professionnels à se conformer ou non à ces obligations.
EN :
Auditors are called upon to play a crucial role in the proper operations of financial markets and the protection of investors’ interests. Owing to the control they exercise over the reliability of information disclosed to investors, it is assumed that these professionals are capable of reporting the quality of corporate information with independence, objectivity and integrity. Since the recent folding of several major American corporations, the confidence put in auditors’ duties has been badly shaken.
The purpose of this paper is to examine the institutional and legal environment in which auditors currently carry on their activities in Canada in order to underscore the various factors that may impact the behaviour of these professionals, especially with regard to the obligations of independence, objectivity and integrity. This analysis sheds light on the existence of a large number of economic and legal variables that may incite professions to comply or not comply with these obligations
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La légitimité constitutionnelle de la réception directe des normes du droit international des droits de la personne en droit interne canadien
France Houle
p. 295–326
RésuméFR :
Le problème de l’application du droit international des droits de la personne en droit interne suscite un regain d’intérêt depuis l’arrêt Baker. L’auteure soulève ici quatre questions autour desquelles elle articule ses analyses et propose des pistes de réflexion pour les juristes de droit administratif : 1) Dans quelle mesure les conditions d’application de la théorie dualiste d’incorporation du droit international en droit interne canadien sont-elles encore utiles en droit administratif contemporain ? 2) Qui, des institutions étatiques, peut avoir le dernier mot sur la question de savoir dans quelle mesure il est possible de présumer que des normes de droit international peuvent recevoir application en droit interne canadien ? 3) La discrétion de cette institution doit-elle être limitée par certains principes fondamentaux de droit canadien ? 4) Le respect des normes internationales portant sur les droits de la personne constitue-t-il un de ces principes qui devraient avoir, dans certains cas, un poids prépondérant, pour justifier les limitations relatives à l’exercice du pouvoir discrétionnaire par cette institution ? À la suite de ses analyses, l’auteure conclut notamment que cet arrêt est annonciateur de changements profonds dans l’organisation, le rôle et les pouvoirs de toutes les institutions publiques de l’État canadien à l’égard du droit international, dans la mesure où elles peuvent être progressivement appelées, à leur manière, à devenir des figures actives dans la construction d’un nouveau rapport entre le droit international et le droit interne
EN :
Since the Baker decision, the issue of enforcing human rights international law in internal law has stimulated new interest. In this paper the author raises four questions around which she structures her analyses and offers avenues of deliberation for jurists in administrative law. 1) To what extent are the conditions of enforcement for the theory of legislative incorporation of international law in Canadian internal law still useful in contemporary administrative law ? 2) Which State institution may have the last word on the issue of knowing to what extent it is possible to assume that the standards under international law may be enforced in Canadian internal law ? 3) Must the discretion of this institution be limited by certain fundamental principles of Canadian law ? 4) Does respect for international standards regarding human rights constitute one of these principles that should, in some cases, take precedence to justify the limitations pertaining to the exercising of discretionary power by this institution ? In light of her analyses, the author concludes, among other things, that this decision heralds sweeping changes in the organization, role and powers of all public institutions in the Canadian State with regard to international law insofar as they may be progressively called upon, each in its own way, to become active figures in the building of a new relationship between international law and internal law.
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Le besoin urgent d’un nouveau cadre conceptuel en matière de droits à l’égalité
Michelle Boivin
p. 327–349
RésuméFR :
Parmi tous les droits enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés, le droit à l’égalité est sans contredit le plus difficile à manier. Selon l’auteure, la difficulté est d’ordre conceptuel. Il n’y a aucun consensus, ni à la Cour suprême du Canada ni d’ailleurs dans la société canadienne à ce jour, sur ce à quoi ressemblerait une société véritablement égalitaire. Il s’ensuit que chacun et chacune y va de sa propre vision et que toute vision peut s’articuler ou non autour des critères d’analyse contextuelle proposés par l’arrêt Law. La jurisprudence récente de la Cour suprême en matière de droits à l’égalité, notamment les arrêts Gosselin et Walsh, témoigne avec éloquence de ce fractionnement des perspectives et des limites de la méthode propre au droit. Et encore, ces décisions n’abordaient même pas la question beaucoup plus difficile de l’« intersectionnalité » ou, autrement dit, des cas de discrimination fondée sur plusieurs motifs. Dans un autre ordre d’idées, la discipline du droit risque de devenir complètement marginalisée et dénuée d’importance pour la majorité des citoyennes et des citoyens dans la société de demain, en raison de son hermétisme, de ses revirements imprévisibles et de son manque de solutions adéquates aux problèmes socioéconomiques soulevés par les droits à l’égalité.
EN :
Of all the rights guaranteed by the Canadian Charter of Rights and Freedoms, equality rights are, beyond a doubt, by far the most difficult to handle. In our opinion, this difficulty is conceptual in nature. There is no consensus, neither at the Supreme Court of Canada, nor in Canadian society at large, as to what a truly egalitarian society would look like. As a result, everyone has their own vision and the contextual criteria proposed by Law are both wide and ambiguous enough to accommodate any and all opinions. The most recent case law of the Supreme Court of Canada in equality matters, most notably the decisions in Gosselin and Walsh, provide eloquent examples of this division of opinions and of the limits of legal methodology. Moreover, these cases do not even deal with the much more difficult question of “intersectionality” or, in other words, of cases involving discrimination based on multiple grounds. Seen from a larger perspective, law as a discipline is in danger of becoming completely marginalized and unimportant for a majority of citizens in tomorrow’s society, because of its abstruseness, its unpredictability and its lack of adequate remedies to alleviate the socioeconomic problems raised by equality rights.
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Les agents de sécurité privée doivent-ils respecter les droits conférés par la Charte canadienne des droits et libertés ?
Julie Desrosiers
p. 351–370
RésuméFR :
De plus en plus nombreux, les agents de sécurité privée accomplissent de nos jours des tâches variées dans un éventail d’endroits : patrouille de sécurité dans les centres commerciaux, contrôle des accès dans les complexes résidentiels, transport de détenus au palais de justice et ainsi de suite. Malgré l’étendue de leurs actions, les agents de sécurité privée travaillent dans un quasi-vide juridique. Non seulement la loi provinciale supposée régir leurs activités professionnelles est désuète, mais, de surcroît, la qualification juridique de leurs fonctions est marquée par l’ambiguïté. Car s’ils agissent pour le compte d’un employeur privé, il reste qu’en pratique les agents de sécurité participent au maintien de l’ordre social, noyau dur de l’action étatique publique. Les chevauchement entre les secteurs public et privé sont multiples et le travail effectué par les agents de sécurité pour un employeur privé est toujours susceptible de verser dans la sphère publique, au soutien d’une accusation criminelle. Dans ce contexte, faut-il astreindre les agents de sécurité privée au respect de la Charte canadienne des droits et libertés ? La jurisprudence a connu bien des tergiversations à cet égard. Au commencement, les tribunaux ont eu tendance à affirmer les droits constitutionnels du citoyen dès son arrestation, peu importe si la personne ayant procédé à l’arrestation était un agent public ou privé. Cependant, la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada rappelle que la Charte ne s’intéresse qu’aux actions étatiques, tant et si bien que son application demeure tributaire de l’intervention policière.
EN :
In ever increasing numbers, today’s private security agents are performing varied tasks in a wide variety of places : security patrols in shopping malls, monitoring access to residential complexes, transporting prisoners to and from courthouses, etc. Despite the scope of their activities, private security agents work in a near-legal vacuum. Not only is the provincial statute obsolete that is supposed to govern their professional activities, but by stretching the point even further, the legal qualification of their duties is loaded with ambiguity. They act on behalf of a private employer, yet in practice, security agents are participating in the maintaining of social order, the very core of public State activity. Overlaps between the public and private sectors are numerous and the work performed by security agents is always likely to fall within the public domain, supported by a criminal accusation. Within this context, must private security agents be made to comply with the Canadian Charter of Rights and Freedoms ? Court decisions have, in this respect, shifted back and forth over the years. At the outset, courts tended to assert the citizen’s constitutional rights upon arrest, regardless if the person who made the arrest was a public or a private agent. In recent decisions, the Supreme Court of Canada has, however, called attention to the fact that the Charter is only interested in State actions, to such extent that its application remains subject to police actions.
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Éléments de réflexion sur le choix d’un modèle de réglementation pour l’embryon et les cellules souches embryonnaires
Élodie Petit
p. 371–402
RésuméFR :
L’important potentiel thérapeutique que laissent miroiter les cellules souches embryonnaires humaines conduit actuellement de nombreux pays à revoir l’adéquation de leur encadrement juridique concernant la recherche sur l’embryon et ses cellules. Au-delà de la question de l’opportunité de légaliser ou non ces recherches, l’étude des règles substantives en la matière révèle au niveau international l’apparition d’une relative convergence des conditions de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. À cette convergence s’associe pourtant une grande variété de modèles de réglementation retenus ou envisagés. L’auteure s’interroge ici sur l’impact des mécanismes juridiques choisis pour encadrer la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires et évalue leurs qualités respectives en fonction des attentes partagées par les acteurs visés. Son analyse apporte notamment des éléments de réflexion critique quant au recours à une agence de réglementation, retenu dans la récente loi canadienne et préconisé en France, pour régir ces champs de recherche qui touchent notre rapport au symbolique.
EN :
The important therapeutical potential that human embryonic stem cells seem to offer is currently leading several countries to review the adequacy of their legal framework in matters of research on embryos and their cells. Beyond the appropriateness as to whether or not such research should be made legal, an analysis of substantive rules concerning this issue shows that from an international standpoint there is a relative convergence of conditions for doing research on embryos and embryonic stem cells. This convergence, however, brings together a wide variety of regulatory models retained or being considered. In this paper, the author questions the impact of the legal mechanisms chosen for framing research on embryos and embryonic stem cells, and assesses their respective qualities on the basis of expectations shared by interested parties. Her analysis especially contributes critical food for thought as regards the resorting to a regulatory agency, adopted in the recent Canadian Act and recommended in France, to govern fields of research that are intimately related to our symbolization of values.