Volume 44, numéro 4, 2003
Sommaire (15 articles)
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Présentation
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Le droit et la sécurité alimentaire
Sophie Thériault et Ghislain Otis
p. 573–596
RésuméFR :
Dans la présente étude, les auteurs proposent une réflexion sur le rôle essentiel des juristes dans la réalisation de la sécurité alimentaire pour tous ainsi que sur la complémentarité entre le droit à l’alimentation et la sécurité alimentaire. D’une part, le droit à l’alimentation qui, en droit international, fait partie intégrante des droits fondamentaux de la personne, participe au fondement même de la sécurité alimentaire. D’autre part, le concept de sécurité alimentaire permet de mettre en évidence les mesures concrètes — dont les mesures juridiques — nécessaires à la réalisation du droit de chacun à l’alimentation. Ainsi, dans une perspective plus instrumentale, l’ordre juridique peut concourir par de multiples mécanismes à la réalisation de la sécurité alimentaire en favorisant la disponibilité, l’accessibilité et la consommation sécuritaire de la nourriture. Afin d’illustrer la fonction instrumentale du droit dans la réalisation de la sécurité alimentaire, les auteurs proposent l’exemple du droit des autochtones qui joue un rôle important dans la mise en place de mécanismes favorisant l’accès des populations autochtones à leurs sources de nourriture traditionnelle. Par la mise en lumière de l’importance de la sécurité alimentaire et du rôle du droit dans sa réalisation, les auteurs espèrent encourager une contribution élargie des juristes à la compréhension des enjeux de la sécurité alimentaire dans leur domaine respectif.
EN :
In this paper, the authors set forth their thinking on the essential role played by legal scholars in the achievement of food security for all peoples and on the complementarity of the human right to food and food security. On the one hand, the human right to food that in international law is an integral part of basic human rights is a part and parcel of food security. On the other, the concept of food security makes it possible to emphasize the tangible measures, including legal initiatives needed to attain each individual’s right to food. Thus, from a more instrumental viewpoint, the legal system may contribute in many ways to bring about food security by favouring the availability, accessibility and secure consumption of food. To illustrate the instrumental function of law instigating food security, the authors propose the example of aboriginal law, which plays an important role in implementing the means favouring aboriginal peoples’ access to their traditional sources of food. By shedding light on the importance of food security and the role played by law in achieving such security, the authors hope to encourage an even greater contribution of legal scholars to understanding what is at stake in their respective fields with regard to food security.
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La sécurité alimentaire des peuples autochtones quant à la réglementation internationale de la chasse à la baleine : un avenir mal assuré
J.-Maurice Arbour
p. 597–666
RésuméFR :
Dans la mesure où la chasse à la baleine constitue encore de nos jours une activité économique importante pour plusieurs populations autochtones, l’analyse qui suit tente d’évaluer la nature des contraintes juridiques qui découlent des instruments internationaux adoptés pour réglementer la chasse à la baleine. Trois régimes juridiques sont ainsi étroitement étudiés, soit celui qui a été établi par la Convention sur la réglementation de la chasse à la baleine de 1946, celui qui a été mis en oeuvre en vertu de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) et celui qui se trouve dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Chacun de ces trois régimes vient condamner à des degrés divers tout discours qui voudrait prôner un accès illimité à la ressource et la liberté de commercialiser les produits baleiniers sur les marchés internationaux. En effet, tant le moratoire universel imposé par la Commission baleinière internationale (CBI) en 1982 que le classement des baleines comme des espèces menacées d’extinction en vertu de la CITES s’opposent à toute chasse commerciale ainsi qu’à tout commerce international de la baleine. Ce n’est donc que par la porte étroite d’une exception sévèrement réglementée — la chasse de subsistance au profit de certaines populations autochtones — que le concept de sécurité alimentaire peut s’enraciner dans la réalité juridique ; avec raison, nous semble-t-il, cette situation est loin d’être idéale pour les populations visées qui souhaiteraient voir disparaître le régime actuel de l’interdiction commerciale. Parmi toutes les solutions envisageables pour asseoir sur de meilleurs fondements la sécurité alimentaire des peuples du Nord, nous croyons que la stratégie consistant à travailler à l’intérieur des régimes actuels, que ce soit de celui de la CBI ou celui de la CITES, serait à terme la plus prometteuse.
EN :
Since whaling still constitutes even today an important economic activity for many aboriginal peoples, the following analysis attempts to evaluate the nature of the legal constraints issuing from international instruments adopted for regulating whale hunting. As such, three legal frameworks are closely examined, the first one being the 1946 Convention for the Regulation of Whaling, the second one the Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora (CITES) and the one found in the United Nations Convention on the Law of the Sea. Each of these three framework agreements condemn in varying degrees any contention that would argue in favour of unlimited access to this resource and freedom to trade in whale-derived products on international markets. Indeed, both the moratorium imposed by the International Whaling Commission (IWC) in 1982 and the classifying of whales as an endangered species under CITES are opposed to any form of commercial whaling as well as the international marketing of whales. In this context, the concept of food security may only find its place in a legal framework by squeezing through the narrow opening of whaling as a strictly regulated exception for specific aboriginal peoples ; rightfully so from our standpoint, this situation is far from being an ideal one for interested peoples who would like to see the current commercial regulatory prohibition abolished. Among the various conceivable solutions for putting the food security of Northern peoples on a more solid footing, we maintain that the strategy consisting in working within current frameworks, whether they be the IWC or CITES, would in the long run be the most promising.
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Organisational Design for Co-Management : Comparing Four Committees in Nunavik
Evelyn J. Peters
p. 667–690
RésuméEN :
The Brundtland Report focused on the importance of institutional arrangements in solving pressing resource problems. Co-management arrangements have been an important avenue for Aboriginals to participate in the management of country foods, and the environments that support them. The James Bay and Northern Quebec Agreement, signed in 1975, created several co-management bodies that focus on environments and wildlife. This paper draws on the extensive body of literature on co-management to develop three principles to evaluate these arrangements. These principles have to do with the ability of committees to adapt to changing environments and demands, their effectiveness in influencing government decision-making, and their ability to represent Aboriginal cultures and values. Each of the co-management bodies created by the Agreement is evaluated according to these criteria.
FR :
Le Rapport Brundtland a souligné l’importance des arrangements institutionnels pour résoudre les problèmes liés à la gestion des ressources naturelles. Pour les autochtones, les arrangements de cogestion représentent une façon de participer à la gestion des ressources fauniques et à la protection environnementale. La Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signée en 1975, créa plusieurs comités de cogestion ayant pour objet l’environnement et les ressources fauniques. Cet article examine la littérature sur la cogestion et en dégage trois principes généraux. Plus particulièrement, ces principes interrogent la capacité des comités de cogestion de s’adapter aux nouvelles demandes et défis environnementaux, d’influencer les décisions des autorités gouvernementales et de représenter la culture et les valeurs autochtones. Chacun des comités de cogestion créés par la Convention est évalué suivant cette grille.
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La protection juridique de la biodiversité et des activités d’exploitation faunique des Inuits du Nunavik
Paule Halley
p. 691–747
RésuméFR :
Encore aujourd’hui, les activités de chasse, de pêche et de piégeage des communautés inuites vivant dans le Nord canadien représentent des activités fondamentales en matière d’alimentation, de culture et de développement économique. Le caractère pérenne de ces activités doit pouvoir compter sur des mesures positives destinées à protéger la qualité environnementale, la conservation des ressources fauniques et le maintien de leur productivité. Actuellement, la protection de la biodiversité des régions nordiques canadiennes et des activités traditionnelles des Autochtones font l’objet de lois, de conventions et de traités internationaux. Des textes, comme celui de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, reconnaissent des droits particuliers aux Autochtones et introduisent des modes de gestion de l’environnement et de la faune ayant pour objectif de sécuriser l’exercice des activités traditionnelles et de développement économique de ces communautés nordiques. La recherche examine comment les droits reconnus aux Inuits du Nunavik dans cette dernière convention se concilient avec les régimes juridiques élaborés par les autorités fédérales et provinciales en vue d’assurer, d’une part, la gestion des activités de chasse, de pêche et de piégeage des usagers des ressources fauniques et, d’autre part, la conservation de la biodiversité sur le territoire du Nunavik. Bien que le tout soit complexe et perfectible, la lecture proposée rend compte de la capacité du système juridique mis en place de protéger les droits des Inuits et de maintenir l’équilibre avec les objectifs de conservation et les activités des autres usagers.
EN :
Hunting, fishing and trapping among the Inuit communities of Northern Canada remain today as in the past fundamental activities for food supply, cultural activities and economic development. The sustainable character of these activities must rely on positive measures intended to protect environmental quality, the conservation of wildlife resources and their ability to regenerate. Currently, the protecting of the biodiversity of Northern Canadian regions and Aboriginal Peoples’ traditional activities has become the subject of laws, agreements and international treaties. Documents such as the Agreement concerning James Bay and Northern Québec recognize the specific rights of Aboriginal Peoples and implement means for managing the environment and wildlife so as to make more secure the exercising of traditional activities and the economic development of these northern communities. This research examines how the rights recognized to the Inuit in the preceding agreement are reconciliated with the legal regimes set up by federal and provincial authorities with a view to ensuring on the one hand, the management of hunting, fishing and trapping for peoples who use wildlife resources and, on the other, the conservation of biodiversity throughout the Nunavik territory. While all of this is complex and perfectible, the proposed interpretation takes into account the capacity of the legal system set in place to protect the rights of the Inuit and maintain equilibrium between conservation objectives and the activities of other users.
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La sécurité alimentaire durable au Nunavik : les enjeux juridiques de la commercialisation de la viande de caribou et de ses sous-produits par les Inuits
Geneviève Parent et Marie-Claude Desjardins
p. 749–778
RésuméFR :
Le régime alimentaire des Inuits du Nunavik s’est modifié considérablement au cours des dernières décennies. Leur alimentation traditionnelle, constituée de viande et de poisson, a évolué vers un régime composé majoritairement de produits alimentaires importés du Sud, bien que l’apport en protéines demeure largement basé sur la consommation de gibier et de poisson. En raison du coût important lié à cette nouvelle forme d’alimentation, la transformation des habitudes alimentaires des Inuits modifie l’état de la sécurité alimentaire au Nunavik. Parce qu’elle permettrait de générer des revenus supplémentaires aux Inuits, la commercialisation de la viande de caribou et de ses sous-produits pourrait contribuer à renforcer l’accessibilité économique des Inuits aux produits du Sud et ainsi participer à l’atteinte d’une sécurité alimentaire durable au Nunavik. La Convention de la Baie-James et du Nord québécois et ses conventions complémentaires, qui établissent le régime de chasse des Inuits, permettent effectivement à ces derniers de pratiquer la chasse commerciale du caribou tout en leur assurant un accès sécurisé à cette ressource faunique dans une perspective de développement durable. Toutefois, certaines dispositions de ces conventions posent problème, principalement en cas de diminution importante des populations de caribous. De plus, des difficultés sont prévisibles quant au respect des règles nationales et internationales liées au commerce des produits alimentaires, notamment en ce qui a trait aux règles d’innocuité et de salubrité.
EN :
Over the past decades, the food patterns of the Inuit of Nunavik have undergone substantial changes. Their traditional diet, mainly of meat and fish, has evolved towards a regimen made up largely of food products imported from the south, despite the fact that their intake of proteins is mainly based on the consumption of game animals and fish. Owing to the high cost of their new eating habits, the change in diet among the Inuit has modified food security in Nunavik. Since this enables the Inuit to generate extra income, the marketing of caribou meat and its derivative products could contribute to reinforcing Inuit economic access to products from the south and thereby participate in the attainment of sustainable food security for Nunavik. The Agreement concerning James Bay and Northern Québec and its complementary agreements, which establish the Inuit hunting regime, do in effect allow them to practice commercial hunting while ensuring for themselves secure access to this wildlife resource with a view to sustainable development. Nonetheless, some provisions of these agreements are problematical, especially in the case of a significant decline in caribou populations. Moreover, difficulties are foreseen regarding compliance with national and international rules relevant to the marketing of food products, particularly with regard to rules of safety and health.
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La sécurité alimentaire du tiers-monde : cadre conceptuel de l’action des pays en développement dans le contexte de la mondialisation
Pierre-François Mercure
p. 779–827
RésuméFR :
Une grande partie de l’élaboration et de l’adoption des droits de la personne s’est faite dans le contexte de l’après-guerre. L’évolution du modèle économique néo-libéral durant cette période et les conséquences qu’il a engendré sur le développement des pays du tiers-monde constituent des entraves évidentes à la réalisation de bon nombre de droits prioritaires de la personne à caractère économique.
L’analyse qui suit tentera de démontrer que, pour le droit fondamental de la personne à caractère économique que constitue le droit à la nourriture, les États en développement jouissent de ce qui sera appelé un « droit à la conditionnalité universelle ». Passé sous silence par la doctrine, ce dernier existerait néanmoins et pourrait être défini comme le droit dont sont investis les pays en développement de rendre conditionnelle, ou de soumettre à un processus d’échange, leur participation à la résolution de problématiques mondiales, en contrepartie de l’assouplissement ou du réaménagement des conditions économiques qui empêchent la réalisation d’un droit fondamental de la personne à caractère économique. Le droit à la conditionnalité universelle existerait, par conséquent, au profit des États qui verraient leurs possibilités d’intervention, en vue d’assurer l’application effective d’un droit prioritaire de la personne à caractère économique, paralysées par les effets de la mise en oeuvre d’accords à caractère économique.
EN :
In the development and adoption of human rights, the greater part of this movement occurred in the post-war context. During this period, the evolution of the neo-liberal economic model and the consequences that it would cause for third-world development constitute obvious obstacles in the fulfillment of many economically oriented priority human rights.
The following analysis attempts to demonstrate that as regards the economically oriented priority human rights found in the right for food, developing States have what we may call a “right to universal condition-ality.” Never qualified as such in authoritative writings, this right would exist and could be defined as the right of developing countries to make their participation in the resolving of global issues conditional or to submit it to a trade-off process in exchange for the relaxing or reorganizing of economic conditions that prevent the satisfaction of a basic economically oriented human right. Consequently, the right to universal condition-ality would exist to the advantage of States that could then empower their possibilities to take actions for ensuring the effective application of an economically oriented priority human right currently paralyzed by the effects of implementing economic agreements.
Chronique bibliographique
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DANIEL POULIN et autres, Guide juridique du commerçant électronique, Montréal, Thémis, 2003, 398 p., ISBN 2-89400-160-6.
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NICHOLAS KASIRER et PIERRE NOREAU (dir.), Sources et instruments de justice en droit privé, Montréal, Thémis, 2002, 627 p., ISBN 2-89400-153-3.
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GÉRARD DUHAIME (DIR.), Sustainable Food Security in the Arctic : State of Knowledge, EDMONTON, CCI PRESS/QUÉBEC, GÉTIC, OCCASIONAL PUBLICATION, NO 52, 2002, 242 P., ISBN 1-896445-23-3/2-921-438-48-8.
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HUGUES PARENT, Traité de droit criminel, T. 1, MONTRÉAL, ÉDITIONS THÉMIS, 2003, 587 P., ISBN 2-89400-170-3.