Résumés
Résumé
Un talisman est un « objet, [une] image préparés rituellement pour leur conférer une action magique ou protectrice ». Se pourrait-il que le droit produise ses propres talismans ? Tel est pourtant le cas du droit américain de la liberté d'expression. Ce droit se fonde d'abord sur une mythologie qui présente faussement l'interprétation positive contemporaine de cette liberté comme procédant d'une tradition immémoriale. Tenue pour vraie dans le discours majoritaire, cette mythologie contribue à placer cette interprétation hors du champ critique, étant assistée dans cette tâche par diverses métaphores, dont une, celle du « marché libre des idées », légitime l'inconstitutionnalité de toute intervention étatique visant à remédier aux carences de ce marché, lequel est du reste censé assurer le triomphe de la vérité lors du « choc des idées ». Véritable mantra doctrinal et judiciaire, cette métaphore présuppose l'infaillibilité du « marché libre des idées », encourage la croyance en cette infaillibilité et, dans cette foulée, élève le marché au rang d'instance normative.
Présentées comme relevant du donné plutôt que du construit, outils de justification d'un statu quo interprétatif, cette mythologie et cette métaphore renforcent aussi la charge identitaire attribuée à la liberté d'expression dans la culture politicojuridique américaine et confortent l'idéologie « exceptionnaliste » de cette dernière. Imbriquées dans une structure idéologique de laquelle procède le droit et à laquelle il participe, dès lors rendues invisibles dans le discours majoritaire, elles compliquent singulièrement l'acceptation d'arguments porteurs d'une critique du statu quo. Bref, comme s'il s'agissait de talismans, leur action conjuguée protège ce statu quo contre les velléités de transformation, de sorte que cette mytho-lologie et cette métaphore agissent comme obstacles à l'évolution de la pensée juridique et à la transformation du droit.
Cet épisode de fétichisation juridico-identitaire d'une interprétation constitutionnelle pourtant éminemment située sur le plan sociohistorique incite donc les juristes constitutionnalistes à s'interroger sur l'interaction des mythes, des récits identitaires et du droit dans les discours constitutionnels, ainsi que sur leur participation, souvent acritique, à la perpétuation de ces mythes et récits.
Abstract
A talisman is an object, the result of a ritual preparation seeking to endow talisman objects with magic or protective powers. Might it be that legislative rituals engender their own talismans ? Such is the current case in study, namely freedom of speech as defined under the First Amendment of the U.S. Constitution's Bill of Rights. This freedom initially takes root in a mythology falsely presented by contemporary positive interpretation as something stemming from a time-honoured tradition. Held in popular circles to be a self-evident truth, this mythology contributes to the shielding of such an interpretation from penetrating criticism. It is further assisted in doing so by various metaphors, one of which — « the marketplace of ideas » — legitimises the unconstitutionality of any action aimed at correcting the insufficiencies of such a « marketplace », which indeed is deemed ideally to ensure the triumph of truth thanks to the « confrontation of ideas ». As a veritable doctrinal and judicial mantra, this metaphor presupposes the infallibility of the « marketplace of ideas », fosters belief in such infallibility and, in the process, elevates the marketplace to the stature of a standard.
This mythology and its vocalised metaphor have thus been presented as being self-evident rather than as a legal construct, which in this latter case would have provided the means for justifying an interpretative status quo. In doing so, they have reinforced the identifiable value attributed to freedom of speech in the American politico-legal culture and have thereby ensconced the exceptional origin of this duo. Henceforth enshrined in an ideological matrix from which the law itself flows and in which it participates, these two fictions slide from conscious view into the interstices of popular discourse and as such, genuinely complicate the acceptance of any serious attempts at criticising the status quo. In a nutshell, these are talismans whose concerted actions protect the status quo from the unpredictable winds of change as mythology cloaked in metaphor obstructing evolutionary legal thinking and consequently, meaningful changes in law.
This episode involving constitutional construction based on legally transfigured fetishism thus beckons constitutional specialists to question themselves on the interaction of myths, self-awareness recitals and the law when cast into constitutional discourse, as well as their own unwitting contribution — often acritical — to the perpetuation of such myths and recitals.
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