Volume 35, numéro 3, 1994
Sommaire (11 articles)
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La protection de la vie familiale dans la Convention européenne des droits de l'homme
Jacques Fierens
p. 401–417
RésuméFR :
La Convention européenne des droits de l'homme tient son efficacité du contrôle juridictionnel international qu'elle organise et des effets directs qui lui sont souvent reconnus par les droits internes. Les articles 8 et 12 aménagent particulièrement la protection de la vie familiale, dont la spécificité n'est apparue que récemment au regard de l'histoire des libertés fondamentales. La Commission et la Cour européennes des droits de l'homme sont plus enclines à protéger les liens familiaux qu'à permettre leur dissolution. Elles vont ainsi à contre-courant des tendances de plusieurs États membres du Conseil de l'Europe. Les familles de ressortissants étrangers semblent moins protégées que les ressortissants des États membres. La théorie des « prestations positives » est cependant extrêmement féconde pour la protection de la vie familiale, spécialement pour les familles moins favorisées socialement.
EN :
The European convention on human rights derives its efficiency from the international jurisdictional control that it organizes and the direct effects often acknowledged in it by domestic laws. Articles 8 and 12 go to particular lengths in protecting family life, the specificity of which has only recently taken its place in the history of fundamental rights. The European Commission and Court on human rights are more inclined to protect family bonds than to allow for their dissolution. As such, they buck the trend of several Member States of the Council of Europe. Families of foreign nationals seem to be less well protected than those of Member States. The theory of « positive actions » is extremely fertile for protecting family life, especially for less socially favoured families.
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La représentation syndicale au-delà de l'entreprise
Gregor Murray et Pierre Verge
p. 419–466
RésuméFR :
L'actuel régime juridique de représentation syndicale perçoit le syndicat primordialement comme un agent local de négociation collective et l'investit à cette fin d'un pouvoir de représentation exclusif d'une collectivité particulière de salariés. Privilégiant la représentation sur le plan de l'entreprise, il ne prend en considération la réalité syndicale que partiellement. La réalité de la représentation syndicale est en effet plus riche et plus variée. L'action syndicale s'exerce sur un grand nombre de plans à l'égard d'une variété d'objets. Le présent texte traite de la représentation syndicale au-delà de l'entreprise sous ses diverses formes et, plus particulièrement, de la participation des syndicats au sein de différentes instances étatiques au Québec. A partir d'une distinction entre la représentation du salarié en tant que salarié et du salarié en tant que citoyen, il veut d'abord établir généralement les différentes dimensions de la représentation syndicale au-delà de l'entreprise. Il s'attarde ensuite aux manifestations de cette représentation au Québec pour tenter d'en dégager les traits significatifs.
Au Québec, l'appréhension du rôle des groupements syndicaux ne saurait être complète sans aller au-delà de l'entreprise. Dans ces sphères plus vastes, plusieurs d'entre eux exercent des actions ou, à tout le moins, une influence qui concernent aussi bien le salarié en tant que tel que le salarié-citoyen. Saisie globalement, la représentation syndicale est toutefois loin d'équivaloir à une intégration des mouvements syndicaux à la gouverne de l'État. Au Québec, sans doute peut-on aller jusqu'à parler d'une certaine « inclusion », dans la mesure où les groupements syndicaux sont appelés à participer, à titre consultatif, à diverses institutions à vocation particulière, sans pour autant avoir part à la détermination des orientations de l'État. Au fédéral, la reconnaissance étatique de la représentativité des groupements syndicaux paraît relativement marginale, surtout depuis l'abolition de certains grands organismes étatiques de consultation. En sens inverse, il y a toutefois lieu de tenir compte de l'émergence de nouveaux organismes dont la mission s'étend à certains aspects de la restructuration économique, particulièrement la formation professionnelle, et qui se caractérise par une forte participation syndicale.
Lorsqu'il s'agit du salarié-citoyen, la représentation syndicale subit la concurrence de la part de divers autres groupements établis en fonction de nouvelles identités. La composition des organismes établis par la loi devient alors franchement multipartite. De surcroît, les critères de représentativité des groupements appelés à participer, dont ceux de nature syndicale, sont absents, ce qui affaiblit leur légitimité. D'importants courants d'opinion contemporains favorisent même la représentation directe et exclusive du citoyen-individu, par rapport à l'État, aux dépens de toute intermédiation fonctionnelle. Les acquis de la représentation syndicale, quoique perfectibles, témoignent cependant déjà de façon significative de la présence de divers intérêts collectifs dans la société québécoise, ainsi que de la vocation des groupements syndicaux à participer à leur expression.
EN :
The current legal regime of union representation in Canada has traditionally portrayed the union as a local agent for the purposes of collective bargaining and, to this end, bestowed it with the exclusive right to represent a particular group of workers. This focus on collective bargaining at the level of the firm skews our understanding of the reality of union representation in important ways. It disregards the larger union of which the local agent is generally only a part. It also emphasizes the narrow economic or industrial character of union representation (the worker strictly as a wage earner) to the detriment of an understanding of its civic or sociopolitical character (the worker as a citizen). In the context of current socioeconomic transformations both within and beyond the firm, these other facets of union representation are assuming new importance as we witness the creation of consultative and representative forums and institutions to deal with issues such as training, sectoral adjustment, productivity and regional economic development.
Drawing on the distinction between the worker as a wage earner and the worker as a citizen, this article first sets out a framework for understanding the different facets of union representation beyond the firm. Drawing on legislation in both provincial and federal jurisdictions as well as some other empirical materials, it then uses this framework to analyze the pattern and recent evolution of such union representation in Quebec.
It concludes that there is a wide variety of union representation beyond the enterprise covering both the worker as a wage-earner and the worker as a citizen. These different forms of representation appear more prevalent in the provincial jurisdiction where union representation—primarily consultative in nature—figures in a large number of forums as opposed to the federal jurisdiction where union representation appears quite marginal. An important exception in this latter case concerns the recent emergence of bodies concerned with economic restructuring in which union participation is quite intense. As soon as the consultation concerns the worker as a citizen, unions enter into competition with other groups representing new labour market identities. The resulting bodies are more likely to be multipartite than bipartite or tripartite. Moreover, the criteria governing representativeness are extremely vague which potentially undermines the legitimacy of such bodies. While there are significant trends in favour of the direct representation of the individual citizen, independent of any functional intermediaries, unions in Quebec continue to play a significant role in the expression of collective interests beyond the level of the enterprise.
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L'interprétation du Code civil du Québec : l'occasion d'une réforme de la responsabilité extracontractuelle de l'Administration publique
Johanne Renaud
p. 467–537
RésuméFR :
Le droit de la responsabilité extracontractuelle de l'Administration publique présente de sérieuses lacunes. Une réforme apparaît nécessaire à de nombreux auteurs québécois, canadiens, anglais et américains. Ces auteurs peuvent se regrouper en trois catégories : les défenseurs de l'application accrue du droit privé, les partisans de la création d'un régime mixte et, enfin, les auteurs proposant l'institution d'un régime entièrement autonome de droit public. Deux réformes fondées sur le droit administratif français et proposées par les partisans de la création d'un régime mixte se révèlent particulièrement intéressantes, soit le principe de faute de service et le principe de responsabilité reposant sur le principe d'égalité devant les charges publiques et accordant l'indemnisation du préjudice revêtant un caractère spécial et anormal.
À l'occasion de la réforme du Code civil, ces deux réformes pourraient-elles être introduites par les tribunaux ? Une interprétation large et libérale de la notion floue de la faute, telle qu'elle est reformulée dans l'article 1457 du Code civil du Québec, permettrait aux tribunaux de considérer que l’Administration publique a commis une faute lorsqu'elle fait subir à une victime un préjudice spécial et anormal. Cependant, il n'apparaît pas que la réforme du Code civil permette d'accélérer la tendance vers l'assouplissement de la règle de l'individualisation de la faute en matière de responsabilité administrative.
EN :
Law in matters of extracontractual liability of the Public Administration suffers serious deficiencies. Many Quebec, Canadian, English and American authors endorse the need for reform. These authors may be classified into three categories: the defenders of enhanced application of private law, proponents of the creation of a mixed regime and, lastly, authors who advance the institution of an entirely independent regime in public law. Two reforms based on French administrative law and put forth by proponents of the creation of a mixed regime, prove to be particularly interesting, namely the principle of faulty service and the principle of liability based on the principle of equality before public charges and granting indemnification for injury presenting a special or abnormal character.
In the wake of the Civil Code reform, could these two reforms be introduced through the courts ? A broad and liberal interpretation of the extensive notion of fault as reformulated in Q.C.C. article 1457 could enable the courts to consider that the Public Administration has committed a fault when it causes a victim to sustain a special and abnormal injury. It does not appear, however, that the Civil Code reform enables an acceleration of the trend towards making the rule of individualizing fault in matters of administrative liability more flexible.
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La technique législative québécoise d'entrée en vigueur des lois
Lucie Lauzière
p. 539–550
RésuméFR :
L'entrée en vigueur des lois québécoises est réglée par différents modes de mise en vigueur et différentes formules législatives. L'absence d'uniformité dans l'emploi de ces formules soulève cependant certaines difficultés d'application des lois, particulièrement celles qui entrent en vigueur postérieurement à leur sanction. A la lumière des décisions récentes rendues par la Cour supérieure et la Cour du Québec sur la nécessité de mettre en vigueur les dispositions d'entrée en vigueur des lois elles-mêmes, le présent article expose les principes qui devraient être pris en considération dans la rédaction des dispositions d'entrée en vigueur, notamment la globalité et l'effectivité de la loi. La diversité des formules législatives et des modes de mise en vigueur ayant accentué l'incohérence rédactionnelle des dispositions d'entrée en vigueur des lois québécoises, une nouvelle interprétation de l'article 5 de la Loi d'interprétation est proposée pour légitimiser les dispositions actuelles.
EN :
The coming into force of Quebec statutes is governed by a variety of enabling provisions and distinct legislative formulas. The absence of uniformity in the use of these formulas creates, however, problems in enforcement, especially with laws that come into force after being assented to. In the light of recent decisions handed down by the Superior Court and the Court of Quebec on the need for putting into force the statutory enabling provisions, this article presents the principles that should be taken into account in drafting enabling provisions, namely regarding the scope and effectiveness of the statute. Since the variety of legislative formulas and enabling provisions have underscored the incoherent drafting of provisions for bringing Quebec statutes into force, a new interpretation of Section 5 of the Interpretation Act is proposed to make current provisions legitimate.
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La procédure nécessaire pour modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867
José Woehrling
p. 551–582
RésuméFR :
Dans la présente étude, l'auteur tente de déterminer selon quelles modalités de la procédure de modification constitutionnelle prévue dans les articles 38 à 49 de la Loi constitutionnelle de 1982 pourraient être modifiées, en ce qui concerne le Québec, les dispositions de l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. On constatera que, s'il existe un certain nombre d'arguments en faveur de la thèse voulant que cet article puisse être modifié « bilatéralement » par le Québec et les autorités fédérales, d'autres arguments, par contre, pourraient amener à conclure que, en plus de l'accord du fédéral et du Québec, celui d'une ou de plusieurs autres provinces serait également requis.
EN :
In this study, the author attempts to determine under what conditions of the procedure for constitutional amendment provided under sections 38 to 49 of the Constitution Act, 1982, the provisions of section 93 of the Constitution Act, 1867 could be modified with regard to Quebec. It appears that while there are arguments supporting the thesis whereby this section could be amended « bilaterally » by Quebec and federal authorities, other arguments could on the contrary lead to the conclusion that in addition to the federal-Quebec agreement, the agreement of one or more other provinces could also be required.
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Les mouvements racistes et la Charte des droits et libertés de la personne
Pierre Bosset
p. 583–625
RésuméFR :
Au Québec comme ailleurs, les dernières années ont vu naître et croître une « international raciste », nébuleuse d'organisations et de groupuscules qu'unit un refus profond du caractère pluraliste de nos sociétés modernes. L'émergence de mouvements structurés d'extrême droite, de tendance raciste, constitue peut-être la forme la plus exacerbée de cette pathologie politique. Condamnables sur le plan des principes, les activités de ces mouvements soulèvent un problème épineux. Jusqu'où peut-on militer en faveur d'un ordre politique incompatible avec les idéaux d'égalité, de liberté et de dignité sur lesquels se fonde toute société démocratique ? L'auteur explore les dimensions juridiques du problème, à la lumière du texte fondamental qu'est, en droit québécois, la Charte des droits et libertés de la personne. Il analyse, dans un premier temps, la portée des libertés d'opinion, d'expression, de réunion pacifique et d'association garanties par la Charte. Il montre que ces libertés doivent s'exercer dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général, et tente d'en dégager des normes d'action applicables à certains secteurs (dont l'école et le milieu de travail). L'auteur analyse ensuite la portée normative du droit à l'égalité, dont il fait ressortir tant les potentialités sur le plan des recours disponibles que les limites inhérentes à la formulation actuelle de la Charte. À travers ce portrait à la fois descriptif et critique du droit positif québécois transparaît l'intérêt d'une approche de l’extrémisme raciste fondée sur la Charte, distincte dans ses ressorts fondamentaux d'un droit pénal parfois peu adapté à la réalité du phénomène.
EN :
In Quebec as elsewhere, recent years have seen the birth and growth of organizations and splinter groups that share a profound refusal of the pluralistic character of our modern societies. The emergence of organized extremist right-wing movements sporting racist tendencies, constitutes perhaps the most exacerbated form of this political pathology. Although reprehensible from the standpoint of principles, the activities of these movements present a delicate problem for all democratic societies. How far can one conceivably militate in favour of apolitical order incompatible with the ideals of equality, liberty and dignity upon which that society is founded ? The author deals with the legal dimensions of this problem in light of the Charter of Human Rights and Freedoms, the fundamental text covering such matters in the Quebec legal system. First, he analyzes the scope of freedoms of opinion, expression, peaceful assembly and association guaranteed under the Charter. He demonstrates how these freedoms must be exercised while respecting democratic values, public order and general well-being and he attempts to synthesize action guidelines applicable to various sectors (including schools and the workplace). The author then analyzes the normative scope of the right to equality, illustrating, both its potentialities regarding available recourses and its inherent limits under the present formulation of the Charter. Throughout this descriptive and critical portrayal of our substantive law transpires the interest of an approach to racist extremism based on the Charier, whose distinct mechanisms are sometimes better adapted to the activities of racist organizations than those of criminal law.
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L'alternance au pouvoir dans le système constitutionnel canadien et québécois
Chronique bibliographique
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UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, FACULTÉ DE DROIT ET ASSOCIATION INTERNATIONALE DE MÉTHODOLOGIE JURIDIQUE, Le nouveau Code civil : interprétation et application, Montréal, Éditions Thémis, 1993, 326 p., ISBN 2-89400-018-9.
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ANDRÉE RUFFO, Les enfants de l'indifférence : il suffit pourtant d'un regard, Québec, Éditions de l'Homme, 1993, 170 p., ISBN 2-7619-1091-5.
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ANDRÉ MOREL (dir.), Code des droits et libertés, 5e édition, Montréal, Éditions Themis, 1993, 387 p., ISBN 2-89400-028-6.