Cahiers Charlevoix
Études franco-ontariennes
Volume 13, 2020
Sommaire (9 articles)
Hommage
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Gaétan Gervais ou l’engagement d’un intellectuel historien
Michel Bock
p. 11–41
RésuméFR :
Notre estimé confrère Gaétan Gervais (1944-2018), cofondateur de la Société Charlevoix et titulaire du premier fauteuil, nous a quittés à l’âge de 74 ans le 20 octobre 2018. Il a rejoint nos regrettés collègues Roger Bernard (1944-2000), Fernand Dorais (1928-2003) et René Dionne (1929-2018), qui formaient, avec Fernand Ouellet, aujourd’hui membre émérite, et le signataire de ce mot, l’équipe du volume inaugural de ce collectif en 1995, soit les titulaires des six premiers fauteuils de notre association. Michel Bock a accepté de retoucher la conférence d’ouverture inédite donnée à Sudbury, le 25 mars 2010, au colloque « L’Université Laurentienne : berceau de la culture et de l’identité franco-ontariennes ». Dans sa mise en contexte – « Gaétan Gervais, l’Université Laurentienne et l’Ontario français : l’engagement d’un intellectuel historien » –, livrée sans flagornerie en présence de l’intéressé, Bock montre la place prépondérante qu’a occupée son maître dans le développement du champ historiographique franco-ontarien et, en relisant ses travaux, il cerne le parcours et les convictions de ce chercheur pionnier.
Études
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Un répertoire de l’Ancien-Ontario : le chansonnier manuscrit de Félix Drouillard (1897-1903)
Marcel Bénéteau
p. 45–141
RésuméFR :
Pour sa troisième contribution à nos Cahiers, Marcel Bénéteau approfondit son exploration du répertoire chanté de la région du Détroit. Si des chercheurs ont identifié certains des airs de la vieille France que chantaient les canotiers voyageant dans les Pays d’en haut avant le xxe siècle et que des ethnologues ont effectué d’importantes collectes dans le nord de l’Ontario auprès des Canadiens français qui ont migré à partir des années 1880, on connaît mal le répertoire des premiers colons français établis en terre ontarienne dès le xviiie siècle. Pour combler cette lacune, notre confrère ajoute une source remarquable : le cahier de chansons d’un jeune fils de cultivateur né à Rivière-aux-Canards en 1878. Ce manuscrit, rédigé par Félix Drouillard entre 1897 et 1903, s’avère le plus ancien répertoire attesté sur le territoire ontarien. Il réunit les paroles de 276 chansons que le scripteur a notées dans son milieu. Fait exceptionnel, en plus de livrer une mine de nouvelles chansons et de premières attestations, tant pour le Canada que pour la France, ce folkloriste avant la lettre inscrit le nom de cinquante et un de ses « informateurs ». Dans son analyse, Marcel Bénéteau pose un premier regard sur cette découverte : il la situe dans le contexte des recherches sur la chanson de tradition orale en Ontario français puis en expose la valeur historique et le rôle des chansonniers manuscrits dans la transmission de ce patrimoine ; il s’intéresse au rédacteur et à son réseau d’informateurs, précise les nouvelles connaissances qu’apporte le manuscrit Drouillard, ce qu’il illustre par une série de pièces choisies pour leur exemplarité.
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Des vies de francophones dans le Nouvel-Ontario. Analyse descriptive et interprétation relationnelle
Simon Laflamme
p. 143–218
RésuméFR :
L’étude de Simon Laflamme, sa huitième dans nos Cahiers, porte sur des entretiens qui ont été réalisés, il y a une vingtaine d’années, auprès de francophones d’une communauté du nord-est de l’Ontario. Ces données, analysées dans une optique relationnelle par Pierre Bouchard, avaient montré que les activités auxquelles s’adonnent les individus ont peu à voir avec les principes d’intention et d’intérêt qui animent la plupart des théories en sciences humaines. L’analyse récente d’un échantillon de ces entretiens qui a été opérée par Claude Vautier, toujours dans une perspective relationnelle, a permis de trialectiser les notions de système, d’individu et d’événement. Il a semblé utile à Simon Laflamme de revenir vers ces données pour deux raisons : d’abord, pour les traiter en marge d’une hypothèse théorique afin de découvrir ce qu’elles révèlent sur la vie de francophones en situation minoritaire ; ensuite, pour interroger les conclusions théoriques précédentes à la lumière de ce travail empirique. Pour aborder nouvellement les données, l’auteur a eu recours à la textométrie, soit aux logiciels Alceste et Lexico. Ces analyses ont mis en évidence l’engagement communautaire, la vie familiale, le rapport au travail et le loisir. Sur le plan théorique, elles ont rappelé l’importance, pour les théories en sciences humaines, de combiner liberté et détermination, conscient et inconscient, raison et émotion, individu et société, dialectiques qui échappent aux théories dans lesquelles est à l’oeuvre un acteur rationnel, conscient, stratégique, guidé par l’intérêt.
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Charles Morin au « Haut-Canada », 1871-1874. Les mémoires d’un charpentier itinérant
Yves Frenette
p. 219–248
RésuméFR :
La sixième contribution de notre confrère Yves Frenette scrute l’itinéraire ontarien d’un jeune travailleur canadien-français du Québec. Entre 1871 et 1874, Charles Morin séjourna trois fois dans la nouvelle province d’Ontario, qu’il nommait toujours « Haut-Canada », selon l’ancienne appellation officielle en vigueur avant 1841. Ces courts séjours s’inscrivaient dans un parcours sinueux qui, pendant dix-huit ans, compta également des haltes dans plusieurs localités du Québec, en Illinois, en Californie et en Colombie-Britannique, avant l’établissement définitif du charpentier au Minnesota. Par deux fois, au moins, Charles Morin rédigea ses mémoires, rares exemples d’écrits personnels de peu-lettrés qui ont été conservés. Ces documents remarquables sont une fenêtre ouverte sur la réalité et l’imaginaire des milliers de jeunes Canadiens français du xixe siècle qui, comme lui, se déplacèrent, pendant de longues ou de brèves périodes, pour gagner leur vie. Souvent aux prises avec la précarité, ces migrants trouvaient néanmoins quelque sécurité et un réconfort certain auprès de membres de leur parenté, de connaissances et d’autres compatriotes.
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Perspectives ethnolinguistiques sur une population francophone du Nord-Est ontarien
Julie Boissonneault
p. 249–321
RésuméFR :
Comme sujet de sa troisième étude dans nos Cahiers Charlevoix, Julie Boissonneault a choisi d’explorer le fonds d’histoire orale, constitué par Gaétan Gervais et ses collaborateurs à l’été 1979, destiné à consigner les témoignages de pionniers franco-ontariens du Nord-Est établis entre Mattawa et Elliot Lake. Après un premier et nécessaire traitement des 230 entretiens pour assurer la sauvegarde des enregistrements de la collection, on a pu lancer l’opération de transcription. Pour ce premier essai, l’auteure a retenu 76 des 140 entretiens présentement accessibles. Elle les examine dans une perspective ethnolinguistique, qui conjugue la présentation ethnographique des discours tenus et la présentation des faits langagiers dans lesquels ils sont énoncés. La langue est ainsi mise de l’avant en tant que vecteur d’un « patrimoine culturel immatériel » : les mots de la langue commune et ceux des savoir-faire professionnels et artisanaux témoignent d’un groupe culturel donné, d’une époque précise et d’une région particulière, car les informateurs, témoins privilégiés de l’établissement de la région, y parlent de leur vécu. Cette analyse rend hommage au travail de notre regretté collègue en révélant toute la richesse d’un corpus qui sommeillait depuis quatre décennies ; la lecture de linguiste que pratique Julie Boissonneault laisse déjà entrevoir les réflexions futures que des ethnologues, des historiens, des sociologues ou des géographes voudront peut-être en tirer.
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Processus phonétiques et variation vocalique en franco-ontarien : analyse articulatoire
Ali Reguigui
p. 323–371
RésuméFR :
Notre confrère Ali Reguigui poursuit son enquête linguistique sur la composante phonétique du franco-ontarien. Sa première contribution à nos Cahiers a traité des aspects prosodiques de l’emprunt intégral et leur rôle dans la détermination du maintien du système d’une langue. La deuxième a porté sur les diverses manifestations du son [r] en Ontario et leur répartition sociale et géographique. Cette nouvelle contribution prend la forme d’une étude sociophonétique visant à brosser un tableau dynamique du système vocalique du français parlé en Ontario et de sa variation. Elle veut établir si, d’un côté, le franco-ontarien connaît un changement depuis les premières investigations qui lui ont été consacrées durant les années 1960 à 1980 et si, d’un autre côté, une description articulatoire de celui-ci est suffisante tant pour le caractériser que pour déterminer s’il se démarque des autres variétés laurentiennes. L’étude présente des analyses articulatoires des phonèmes vocaliques, en prenant en considération tous les environnements segmentaux possibles, en fonction du sexe, du lieu de résidence et du niveau d’instruction. La tâche des sujets a consisté à prononcer sans lire une liste de mots dans lesquels les voyelles sont réparties en fonction des différents contextes et types syllabiques qu’offre le système de la langue française.
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Frères, repoussoirs ou étrangers ? La « diaspora » francophone dans la conscience historique des intellectuels et militants nationalistes du Québec : l’exemple de L’Action nationale (1970-1995)
Michel Bock
p. 373–440
RésuméFR :
En dernier lieu, Michel Bock aborde un sujet encore peu étudié : la conception que se sont faite les nationalistes québécois des minorités francophones au lendemain des États généraux du Canada français jusqu’au second référendum sur la souveraineté du Québec (1970-1995). Les historiens présentent souvent la Révolution tranquille comme le moment au cours duquel l’ancienne conception « diasporique » de la « nation canadienne-française » se serait définitivement éteinte, renvoyant le Québec et les minorités francophones dos à dos. Pour vérifier cette assertion, il examine la place que ces minorités occupent dans la revue mensuelle L’Action nationale, l’un des principaux porte-étendard du mouvement nationaliste québécois. L’analyse de la représentation des Franco-Ontariens, des Acadiens et des autres composantes de l’Amérique française dans la conscience historique des nationalistes québécois donne des résultats parfois étonnants et montre que ces communautés ont continué, pendant toute la période à l’étude, de représenter un enjeu symbolique de première importance pour eux. Si les uns concevaient le Québec comme le foyer d’une nation transfrontalière chargé de responsabilités plus ou moins lourdes envers la « diaspora », les autres en viendraient, quoique beaucoup plus tardivement, à le concevoir comme une collectivité « neuve » ayant rompu avec la conscience historique du Canada français et « exculturé » les communautés francophones situées à l’extérieur de ses frontières. Ainsi, la représentation que l’on se faisait des groupes francophones minoritaires, tantôt « consubstantiels » au Québec, tantôt « étrangers », oscillait entre différents pôles traduisant l’existence d’un vif débat sur le type d’action politique et d’intégration nationale qu’il lui fallait privilégier.
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Chronique
Jean-Pierre Pichette
p. 443–448
RésuméFR :
En annexe, la « Chronique » compile les principales activités de recherche des membres de la Société Charlevoix depuis la parution du dernier volume et s’achève, comme nous en avons pris l’habitude, sur le rapport de leurs collègues de la Société des Dix, que la co-secrétaire Jocelyne Mathieu a bien voulu rédiger à notre intention.