Cahiers Charlevoix
Études franco-ontariennes
Volume 10, 2014
Sommaire (7 articles)
Études
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L’évêque Scollard et la question canadienne-française. Le diocèse de Sault-Sainte-Marie au coeur du conflit franco-irlandais (1904-1934)
Michel Bock
p. 13–63
RésuméFR :
Michel Bock porte son regard sur le conflit franco-irlandais qui a divisé les catholiques du diocèse de Sault-Sainte-Marie, dans le nord de l’Ontario, pendant le règne de l’évêque David Scollard (1904-1934). En situant le conflit dans le contexte des événements qui déclenchèrent la crise du Règlement 17 (1912-1927) et dans celui de la Première Guerre mondiale (1914-1918), il analyse le rôle qu’ont pu jouer les nombreux affrontements entre coreligionnaires canadiens-français et irlando-canadiens entourant les nominations paroissiales et le bilinguisme scolaire dans la mutation du champ intellectuel franco-ontarien. En effet, la double intervention du Saint-Siège dans la crise des écoles bilingues, par les encycliques Commisso Divinitus (1916) et Litteris Apostolicis (1918), conduisit l’élite nationaliste de l’Ontario français non seulement à abandonner l’ardeur belliqueuse et l’intransigeance qui caractérisaient son combat contre les « Irlandais » depuis le début du siècle, mais aussi à remettre en cause, du moins publiquement, le fondement même du nationalisme canadien-français traditionaliste, soit l’union, jugée inviolable jusqu’alors, des questions nationale et religieuse. La thèse de la langue « gardienne » de la foi étant devenue insoutenable aux yeux de la hiérarchie romaine, dont la compréhension du nationalisme était pour l’essentiel inspirée du contexte européen, l’élite franco-ontarienne sentit la nécessité de faire preuve d’une plus grande modération idéologique et stratégique dans ses tractations avec l’évêque Scollard.
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Germain Lemieux par lui-même (1952-1995)
Jean-Pierre Pichette
p. 65–169
RésuméFR :
Jean-Pierre Pichette propose l’édition de la suite des confidences que le père Germain Lemieux lui livrait à l’automne 1995. Cette deuxième tranche reprend le fil en 1952, au moment de la relance de ses études à l’Université Laval, et s’attache à l’évolution de sa carrière qui culmine avec l’achèvement de sa monumentale publication en trente-trois volumes des Vieux m’ont conté. Germain Lemieux évoque cette période transitoire où les motivations des autorités jésuites se confondent à son cheminement personnel et le ramènent aux études universitaires à l’aube de la quarantaine. Ses découvertes auprès des professeurs qui le guident, spécialement en rédigeant son mémoire de maîtrise et sa thèse de doctorat, mais aussi la perspective particulière et la distance critique que lui procure l’expérience d’enquête acquise sur le terrain lui forgent une personnalité forte. Son passage à l’université comme professeur allait connaître élans et soubresauts : embauché d’abord à la Laurentienne qu’il quitte à la suite d’un malentendu pour Laval, son alma mater, où il recrute des étudiants afin de transcrire le fruit de ses cueillettes, il achève son parcours à l’Université de Sudbury qui lui fournit l’occasion de créer le Centre franco-ontarien de folklore et un programme d’enseignement du folklore. Il réalisera finalement son grand projet à l’écart de l’université, après en avoir détaché son centre, mais aussi éloigné de ses collègues ethnologues en raison de son caractère inébranlable, voire intransigeant. Ce retour sur sa carrière révèle un homme curieux, passionné et engagé, mais surtout un pédagogue soucieux d’assurer le passage du patrimoine qu’il a mis au jour aux jeunes générations.
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Les perspectives amoureuses et conjugales chez les jeunes du nord-est de l’Ontario
Simon Laflamme
p. 171–209
RésuméFR :
Simon Laflamme poursuit ici sa comparaison entre les Ontariens, selon qu’ils sont anglophones ou francophones, et fait état de quelques différences entre les populations, mais surtout d’une grande similitude. La comparaison porte cette fois sur les perspectives amoureuses et familiales des jeunes du nord-est de l’Ontario. On pourrait s’imaginer que, compte tenu des statistiques de la vie conjugale des dernières décennies, lesquelles témoignent d’abondantes ruptures, ces perspectives soient plutôt pessimistes. L’étude montre que ce n’est pas tout à fait le cas : s’il y a quelques doutes, l’avenir conjugal et parental est, dans l’ensemble, envisagé avec optimisme. Et, malgré quelques particularismes, ce constat se vérifie aussi bien chez les francophones que chez les anglophones. Pour tenter d’expliquer autrement les représentations, l’auteur a aussi fait intervenir quelques facteurs additionnels, selon que le jeune se trouve au début ou à la fin des études secondaires, selon la taille de la communauté de résidence, le caractère religieux ou non de l’école, et le genre. Il a souvent trouvé des différences, mais jamais telles qu’elles obligent à constater de grands écarts. Les problématiques de l’amour et de la famille, dans l’esprit des jeunes, comportent des spécificités, mais elles sont surtout marquées du sceau de la transcendance.
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Aspects de l’histoire des Franco-Ontariens du Centre et du Sud-Ouest, 1970-2000
Yves Frenette
p. 211–254
RésuméFR :
Yves Frenette continue à s’intéresser aux destinées des Franco-Ontariens du centre et du sud-ouest de la province. Il scrute les trois dernières décennies du xxe siècle, examinant, malgré la rareté des sources, certains aspects de l’évolution des Franco-Ontariens des deux régions. Grâce à un important apport migratoire, le nombre de francophones s’accroît dans le Centre, alors qu’il demeure stationnaire dans le Sud-Ouest. À l’orée du xxie siècle, les deux régions abritent 35 % des Franco-Ontariens de la province ; mais, comme la population totale de ces régions a aussi augmenté, le poids de cette francophonie demeure très faible. Néanmoins, ces Franco-Ontariens sont financièrement plus à l’aise et ils sont plus instruits que dans le reste de la province. Par ailleurs, dans les deux régions, les transferts linguistiques vers l’anglais continuent de plus belle, ce qui va de pair avec des transformations sur le plan de l’identité, notamment chez les jeunes. En raison de ces tendances et de l’éparpillement historique de la population de langue française, le réseau institutionnel est ténu et il fait face à de grands défis. Toutefois, le réseau scolaire prend de l’ampleur, notamment au palier secondaire, souvent après des luttes épiques. Après avoir vu le jour, les établissements doivent affronter de nombreux obstacles, le plus important étant leur petite taille. Quant aux programmes postsecondaires en français, ils sont très limités. Ce survol des deux régions permet à l’auteur de contraster l’évolution des communautés franco-ontariennes de Welland et de Toronto. Dans le premier cas, le déclin de la petite ville ouvrière se traduit en parallèle par celui de sa population de langue française, en dépit d’un certain essor institutionnel. À Toronto, par contre, la communauté francophone est dynamique et diversifiée, et traversée de redéfinitions identitaires et de questionnements institutionnels. En épilogue, Yves Frenette se demande si, en dépit du fractionnement qui ressort de son étude, une conscience régionale francophone ne serait pas en voie d’éclosion dans le Centre et le Sud-Ouest, en raison notamment de la fonction métropolitaine de Toronto et de la restructuration des conseils scolaires.
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L’art perdu de « faire des chansons » : la chanson de composition locale dans la région du Détroit
Marcel Bénéteau
p. 255–314
RésuméFR :
L’ethnologue Marcel Bénéteau s’intéresse à la chanson de composition locale, un secteur négligé dans le domaine de la chanson folklorique. Le plus souvent créées par des non-professionnels sur des airs connus, les chansons de ce type ont longtemps été considérées par les experts comme étant de facture maladroite, de contenu douteux et de valeur insignifiante comparées aux pièces importées de la France à l’époque coloniale. Conséquemment, les grands folkloristes du Canada français les ont peu recueillies. Pourtant, la facture de telles chansons, qui commémorent des événements locaux, qui mettent en valeur des incidents de la petite histoire et qui commentent les conditions sociales dans les communautés en question, est au coeur même de la démarche folklorique. « Faire des chansons » est une pratique qui engage les gens dans un dialogue avec la tradition et les amène à situer leur vécu dans le contexte plus large d’un procédé transmis d’une génération à l’autre. À partir d’un corpus de chansons locales composées dans la région de Windsor, l’auteur analyse les modalités de cet art de « faire des chansons », depuis l’appropriation et l’adaptation de chants existants jusqu’à la création de nouvelles chansons. De plus, il s’intéresse à la fonction sociale des chansons locales ainsi qu’à leur apport aux études ethnologiques, linguistiques et historiques.