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Dans le vaste champ de la bande dessinée contemporaine, l’artiste officiant sous le pseudonyme quelque peu saugrenu de Pierre La Police représente à n’en pas douter un cas unique en son genre. Actif depuis les années 1980, régulièrement publié dans la presse française à partir des années 1990 (Les InrockuptiblesTéléramaLibérationSo Foot, etc.), cet auteur a au fil du temps développé une oeuvre abondante et protéiforme qui, pour l’essentiel, ressortit à la « parodie de genre », selon la définition avancée par Thierry Groensteen[1]. Cette verve parodique a trouvé à s’exercer à l’endroit d’objets très diversifiés. Elle s’est ainsi focalisée, tour à tour, sur la presse écrite (la série Véridique!, 1999-2002), sur le récit de science-fiction (La balançoire de Plasma, 1996-1997) et sur les ouvrages à caractère didactique (Les demoiselles de Vienne et Nos meilleurs amis et l’acte interdit, 2006 et 2000). Dans le même élan, cet esprit généralisé de parodie s’est attaqué au discours (pseudo)scientifique (Science Foot, 2012-2018) et, dans un registre plus ouvertement narratif, aux bandes dessinées mettant en scène des superhéros (Les praticiens de l’infernal, 2012-2021).

Dans l’oeuvre de Pierre La Police, la parodie de genre en passe le plus souvent par le procédé du ratage, élevé au rang d’opérateur énonciatif privilégié. Dessins volontairement malhabiles, difformités savamment cultivées, rapports plus que problématiques avec la notion de mimèsis, usages malencontreux de la palette chromatique, énoncés verbaux redondants ou frôlant l’indigence, maladresses de toutes sortes : tels sont les traits caractéristiques de l’univers si singulier patiemment échafaudé par cet auteur. Entre autres audaces, La Police aura fait du ratage, verbal et/ou iconique, le ressort essentiel de toute son oeuvre, quel que soit par ailleurs le genre ou le sous-genre visé par la démarche parodique.

Dans l’ouvrage que nous avons consacré à Pierre La Police (2019), nous traitons de ce phénomène général en termes non pas de ratage, mais de malfaçon, cette dernière catégorie présentant l’avantage de n’emporter avec elle aucun jugement de valeur. Comme nous allons le voir, la notion de malfaçon suggère en outre, quant à l’oeuvre de La Police, l’idée d’un ratage intentionnel, fruit d’une incompétence, verbale ou graphique, qui n’est jamais que feinte, dont l’auteur joue avec une certaine maestria.

Dans le cadre de nos investigations, nous avons été en mesure de démontrer que la malfaçon est en l’occurrence passible, selon un paradoxe qui n’est qu’apparent, d’une esthétique en bonne et due forme. Afin d’en dégager les principes directeurs, nous avons pris le parti d’élaborer un appareil conceptuel spécifique, tout entier fondé sur le préfixe grec kakos (« mauvais »). Lorsque la malfaçon s’applique au domaine de l’écriture (orthographe, syntaxe, ponctuation, etc.), nous indexons ces imperfections à la catégorie de la cacographie. Si la malfaçon opère sur le plan iconique, nous subsumons ces divers dysfonctionnements graphiques sous le terme de cacomorphie. Par la notion de cacosémie, nous désignons tout écart, toute déficience en fait de sémantique élémentaire. Au dossier de la cacologie, nous versons enfin toute forme d’anomalie ou de perturbation affectant « la formulation verbale de la pensée rationnelle et les opérations ou modalités traditionnelles de la démarche analytique (causalité, induction, déduction, différenciation, résolution, etc.) » (Belloï et Leroy, 2019: 11).

Dans les lignes qui suivent, nous nous attacherons à débusquer les termes d’une esthétique de la malfaçon tels qu’ils se font jour dans Top Télé Maximum, un ouvrage publié par les Éditions Cornélius. En substance, ce petit volume, qui a connu plusieurs éditions de 1993 à 2011[2], recueille des planches originellement parues dans la presse française (Libération, Les Inrockuptibles, Rock&Folk et Le Jour, principalement) qui s’emploient à contrefaire, sur un mode burlesque, les rubriques composant habituellement les guides télévisés. Dans le droit fil de la série Véridique! déjà évoquée, Pierre La Police parodie en la circonstance le tout-venant de la production télévisuelle (des films aux émissions de télé-achat, en passant par les feuilletons, les émissions de variétés, les jeux, les événements sportifs, etc.) et les discours convenus auxquels ce type de production donne généralement lieu.

Formes et enjeux d’une double remédiatisation

Pierre La Police, « Gino est bien décidé à se faire respecter », dans Top Télé Maximum (2000)  

Page tirée de Top Télé Maximum, Paris : Éditions Cornélius, 2000, n.p.  

Avec l’aimable permission de Pierre La Police  

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Dans son intention mimétique, Top Télé Maximum procède d’une double remédiatisation : celle qui s’effectue en premier lieu entre l’émission télévisée et le synopsis verbal et iconique qu’en propose le guide TV, produit spécialisé de la presse d’information né dans les années 1950 et 1960 avec l’avènement du médium télévisuel (en France : Télé MagazineTélé 7 JoursTélé-LoisirsTélérama, etc.) (Dakhlia, 2009: 171-175); et celle qui, dans un second temps, revient à transposer les pages de ce type de document sous une forme dessinée et manuscrite. Si, dans cette chaîne de transpositions, l’ironie porte certes sur le référent d’origine (les divers programmes au menu de la télévision française à la fin du XXe siècle), c’est également le rapport parodique qui s’instaure entre les planches élaborées par Pierre La Police et leur hypotexte (la presse de télévision) qui nous intéresse ici. Toutefois, les opérations rhétoriques subversives que l’auteur fait subir à ce type de rubrique télévisuelle ne peuvent être détachées du rapport dévié et problématique que ce dernier entretient lui-même avec l’objet-télévision. En somme, la seconde remédiatisation opérée par La Police se plaît aussi bien à identifier, grossir et disséquer les multiples inadéquations de la première qu’à singer, par un mimétisme burlesque, les codes propres au médium du magazine de télévision. À cet égard, la stratégie de ratage délibéré mise en oeuvre par La Police demeure inséparable de ce piratage de l’imitation et de sa niaiserie intentionnelle. Si Top Télé Maximumconstitue, de toute évidence, un mimotexte, notons cependant que la remédiatisation à laquelle La Police se livre en l’occurrence revêt une tournure hautement singulière. De fait, elle ne s’opère pas dans le sens d’un progrès technologique, comme l’entendait McLuhan (Baetens, 2014: 42), ni dans celui d’un surplus de réalisme, suivant la thèse défendue par Bolter et Grusin (1999; Baetens, 2004). Tout à l’inverse, il s’agit ici, par le truchement du dessin et de la graphie manuscrite, de procéder à une régression formelle à l’endroit du matériau-source. Cette remédiatisation vers le bas ne concerne pas seulement le jeu du texte et de l’image, individuellement ou pris en combinaison, mais aussi le principe paradigmatique même du guide TV, à savoir le choix du téléspectateur entre diverses options, dans la mesure où chaque planche se réduit ici à un seul descriptif d’émission.

En termes de dispositif énonciatif, Pierre La Police développe en effet une relation de mimétisme apparent avec la mise en page propre aux rubriques qui constituent le sous-genre médiatique qu’il prend en ligne de mire[3]. Les différentes planches de Top Télé Maximum comprennent ainsi un nombre stable d’éléments : l’heure de l’émission en question et le nom de la chaîne qui la diffuse, un titre et parfois un sous-titre, un court texte ayant généralement valeur de présentation ou de résumé, une illustration relative au programme concerné et, éventuellement, en bordure de celle-ci, une légende.

À chacune de ces composantes, La Police fait subir un ensemble de détournements ironiques fondés sur les discordances déjà latentes dans les codes du format d’origine. De fait, les conventions discursives et iconiques de la presse télévisuelle se distinguent par leur finalité et leurs contraintes spécifiques. Elles répondent tout d’abord à un objectif descriptif, tenant à l’obligation de détailler un contenu événementiel propre aux rencontres sportives, aux émissions de variétés (et, plus généralement, à tous les programmes diffusés en direct) ou à l’exigence de faire état d’un déroulement narratif correspondant quant à lui à des formats pré-enregistrés (films et séries télévisées, notamment). La principale contrainte afférente à un tel impératif signalétique réside dans la brièveté de cet aperçu, due aux limitations spatiales et typographiques imposées par la mise en page. Le compromis d’usage, en la circonstance, consiste à formuler des énoncés synthétiques et fragmentaires, à partir desquels les spectateurs potentiels peuvent jauger à la fois les qualités de l’émission proposée et l’intérêt qu’ils peuvent lui porter. De surcroît, dans la mesure même où ces sommaires ont une fonction apéritive, ce type de presse tend à privilégier des énoncés accrocheurs ou axiologiques destinés à vanter les mérites du spectacle en question ou prononçant un jugement de valeur à son endroit. Les pages de Top Télé Maximum — dont le titre absurdement hyperbolique accentue délibérément le caractère racoleur de cette configuration discursive — ne cesseront de mettre à nu ces procédés par un ensemble de déviations dont nous nous proposons d’étudier les mécanismes les plus récurrents.

Par ailleurs, dans le format d’origine, les descriptions succinctes de programmes télévisés sont généralement agrémentées d’une composante visuelle, le plus souvent prélevée à même le programme concerné et sélectionnée pour ses vertus emblématiques ou alléchantes : une image (ou un photogramme) découpée de son contexte narratif ou événementiel et placée en regard du texte à titre illustratif. Bien qu’il soit, de toute évidence, motivé par son rapport synecdochique au tout de l’émission ou par son potentiel de séduction, ce fragment choisi ne saurait à lui seul représenter l’ensemble dont il est extrait. Ici encore, parfaitement conscient du degré d’arbitraire dont cet échantillon iconique est investi, Pierre La Police livre, tout au long de Top Télé Maximum, un corpus d’images dessinées qui accusent conjointement les carences sémantiques de leurs référents photographiques et leur fonction aguichante. Les divers procédés par lesquels l’auteur mine ces fonctions dénotatives et diégétiques des images feront donc également l’objet de notre réflexion.

Parodie de genre, parodie de média

Afin de mieux cerner ce qui distingue la parodie de genre d’autres formes de parodies comme la satire ou le pastiche, Thierry Groensteen rappelle fort justement qu’

[e]n plus d’être un répertoire de thèmes, de situations, d’emplois archétypes, un genre a la particularité de fonctionner selon une ‘règle du jeu’ implicite. Ainsi, dans un western, il doit être question de virilité, de bravoure, et les personnages doivent observer un code de l’honneur […]. En règle générale, le parodiste brode des variations sur les ingrédients typiques et les clichés du genre; quant à la règle du jeu, il la bafoue ou au contraire l’exacerbe, la porte à un degré d’absurdité.

2010: 158

À son niveau le plus élémentaire, la stratégie parodique que La Police met en oeuvre dans Top Télé Maximum ressortit fondamentalement aux mêmes principes. À titre d’exemple, une planche annonçant la diffusion de la série Amour, Gloire et Beauté(version francophone du feuilleton américain The Bold and the Beautiful, Lee Phillip Bell et William J. Bell, 1987-) épingle sur un mode minimaliste les tropes qui caractérisent le genre du soap opera. L’épisode s’y voit résumé en une seule phrase qui parodie, à l’évidence, les micro-faits anecdotiques formant la matière première de ce type de fiction, faible en teneur événementielle et tendant à prolonger indéfiniment la torpeur générale du récit : « Félicia est persuadée que c’est Claire qui a cassé son radio-réveil ». Le même appauvrissement disproportionné du contenu diégétique est à l’oeuvre dans le descriptif d’un film de mafia, privé de titre et se réduisant à ce seul énoncé générique : « Gino est bien décidé à se faire respecter ». Tout comme cette réduction d’une intrigue singulière à son trope le plus prégnant (la vendetta) et à sa « règle du jeu » (le code d’honneur mafieux, source de tout développement narratif) se dispense de la moindre référence à une série d’actions spécifiques, l’image proposée en regard opère un rétrécissement analogue, se contentant de représenter, en très gros plan, la portion supérieure d’un visage ridé et menaçant, surmonté d’un borsalino — signes élémentaires d’un genre cinématographique connu et reconnu.

Pierre La Police, « La loi c’est la loi », dans Top Télé Maximum (2000)  

Page tirée de Top Télé Maximum, Paris : Éditions Cornélius, 2000, n.p.  

Avec l’aimable permission de Pierre La Police  

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La Police réserve un traitement similaire à toutes les séries télévisées qu’il convoque dans son pseudo-magazine (NavarroCosmos 1999Mission Impossible, etc.), dont il se plaît à désigner les topoï les plus emblématiques. Prenons-en pour exemple le genre de la série judiciaire américaine (ou « procedural drama ») tel qu’il se manifeste dans La loi est la loi (Jake and the Fatman, Ann Doherty, Dean Hargrove et Joel Steiger, 1987-1992). Lorsqu’il met en évidence les axes thématiques et le fonctionnement structurel d’un épisode de cette série, La Police en fait ressortir deux traits constitutifs. Dans un premier temps, visant à justifier l’intervention du système judiciaire pour rétablir l’ordre civil et moral, conformément à l’éthos qui prime dans ce type de fiction, il surexprime la violence et l’ignominie du crime : « Une vague de viols collectifs maquillés en suicides amène Jake et McCabe à enquêter sur le cas d’un racketteur criminel et psychopathe impliqué dans une affaire de réseau de prostitution, de trafic d’armes et de drogue » (en d’autres termes, un amalgame hautement improbable de cinq crimes). Dans la conclusion du synopsis, La Police met en relief l’activité répressive de l’implacable procureur qu’est Jason « Fatman » McCabe : « En appliquant scrupuleusement la loi, McCabe parviendra à l’attraper et à le menacer avec son pistolet. Finalement, il réussira à lui faire promettre de ne plus jamais recommencer à agir de manière illégale et non conforme à la loi » [nous soulignons]. En réitérant la tautologie du titre (par ailleurs délibérément mal transcrit par La Police en La loi c’est la loi) et en renchérissant sur l’expression de la « règle du jeu » par un pléonasme (puisque « illégale » et « non conforme à la loi » sont strictement synonymes), le début et la fin de cet énoncé signalent avec insistance l’efficacité incontournable de la juridiction américaine — élément central dans la doxa du genre. Toutefois, cette clôture apparente de l’acte juridique est systématiquement minée par l’absurde : contradiction entre les viols « collectifs » et la désignation d’un seul coupable, décalage entre le protagoniste et les actes qui lui sont attribués (en raison de son gabarit et de son statut de procureur, McCabe n’est pas un homme d’action enclin aux coups de poing ou de pistolet; ce travail de terrain est réservé à son comparse Jake) et absence ultime d’arrestation ou de punition du criminel, remplacées par une simple promesse, puérile à maints égards, « de ne plus jamais recommencer », qui invalide en fin de compte le système judiciaire tant encensé.

Pierre La Police, « Brannigan », dans Top Télé Maximum (2000)  

Page tirée de Top Télé Maximum, Paris : Éditions Cornélius, 2000, n.p.  

Avec l’aimable permission de Pierre La Police  

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Comme dans la série Véridique!, qui s’attaquait aux poncifs et aux dispositifs tautologiques de la presse d’information, la déviation parodique à laquelle La Police se livre dans Top Télé Maximum tend donc systématiquement à faire ressortir les tropes du contenu télévisé, en tant que celui-ci se fonde sur une récurrence d’éléments prévisibles et de topoï sériels. En cela, le parodiste exploite le format du synopsis en lui infligeant le plus simple des détournements : il suffit en effet à La Police d’y sur-exprimer ces tropes en réduisant le condensé diégétique à un simple enchaînement d’actions génériques. C’est précisément ce qu’il propose lorsqu’il résume un film d’action comme Brannigan (Douglas Hickox, 1975) en ces termes : « Un dangereux trafiquant d’organes donne un coup de poing dans la figure de Brannigan. Celui-ci tombe par terre en saignant du nez et sa veste est déchirée au coude. Il décide de monter dans sa voiture pour faire une poursuite. Finalement Brannigan rattrape le bandit, il le tape et il gagne. » De toute évidence, cette synthèse très approximative néglige le contenu véritable du scénario (où il n’est aucunement question de trafic d’organes) pour y substituer trois gestes archétypaux du film d’action : la bagarre qui oppose le protagoniste à son antagoniste, la poursuite automobile et le triomphe final du héros, accompli par la violence. Notons à nouveau que cet appauvrissement du signifié diégétique s’accompagne, comme c’est souvent le cas chez La Police, d’un appauvrissement complémentaire du signifiant (notamment lorsque l’auteur s’amuse à employer, dans un registre linguistique quasiment infantile, le verbe « taper » pour désigner toute forme d’agression physique[4]). Quant à la « règle du jeu », c’est dans la très fruste légende bordant l’image qu’elle trouve à s’exprimer sans ambages : « Brannigan (John Wayne) veut tuer tous les bandits. »

Cette planche consacrée au film de Douglas Hickox fait question sur un autre plan : celui de la mimèsis. Située sur la droite de la planche, la vignette vouée à emblématiser le film de Hickox nous donne à voir, cadrée en plan américain, une représentation assez convaincante de son acteur principal, John Wayne, tenant un pistolet à bout de bras. Comme Top Télé Maximum traite de films, de séries télévisées, d’émissions de variétés, etc., Pierre La Police est en toute logique conduit, comme c’est le cas ici, à y représenter des personnalités bien connues du grand public et, par conséquent, de ses propres lecteurs. Or, et c’est là un trait remarquable, pour une fois dans l’oeuvre de l’auteur, ces personnages s’avèrent, en règle générale, assez ressemblants. Tout au long du volume, on reconnaît en effet sans peine les personnages respectifs de Pierre Bellemare, de Michel Drucker, de Roger Hanin, de Thierry Lhermitte, de Serge Reggiani, etc. Cette vérisimilitude a de quoi surprendre de la part de La Police, lui qui nous a depuis longtemps habitués, non seulement à rater systématiquement ses personnages, mais aussi à faire de ces errements graphiques en série une véritable marque de fabrique (renvoyons sous cet angle à l’impressionnante galerie des représentations déficientes de Lionel Jospin dispersées tout au long des quatre volumes de la série Véridique!) (Belloï et Leroy, 2019: 53-57).

Pierre La Police, « Starsky et Hutch », dans Top Télé Maximum (2000)  

Page tirée de Top Télé Maximum, Paris : Éditions Cornélius, 2000, n.p.  

Avec l’aimable permission de Pierre La Police  

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Mais une fois que le lecteur a pris acte de cette apparente ressemblance, une étrange impression subsiste en lui, le sentiment que, dans ces dessins, quelque chose dysfonctionne néanmoins. Ces faits de cacographie trouvent en partie leur explication dans la palette chromatique très limitée qui gouverne la représentation des différents personnages, mais aussi dans les points noirs, crevasses et autres ridules qui criblent assez régulièrement leurs visages. À mieux regarder ces différentes vignettes, il semble en outre que La Police se soit attaché à y introduire subrepticement, sous couvert de fidélité mimétique, de minuscules éléments dirimants. Ainsi de la planche consacrée à la série Starsky et Hutch (William Blinn, 1975-1979). Sur le seul plan iconique, tout le monde aura reconnu, au sein de la vignette illustrative, l’apparence physique de l’acteur Paul Michael Glaser (dans le rôle de Starsky). En première analyse, La Police entend ici faire montre de sa compétence graphique, de sa capacité à dessiner correctement un acteur bien connu. Or, cette vérisimilitude de façade se voit en l’occurrence compromise par un élément de détail : c’est le nez du personnage, assez protubérant chez le modèle, étrangement ratatiné pour ce qui est de sa version dessinée. De même, dans la rubrique consacrée à l’émission Stars 90 (Mathias Ledoux, Jean-Pierre Spiero et Gilles Amado, 1990-1994), la physionomie de Michel Drucker s’avère parfaitement reconnaissable, mais cela n’empêche pas La Police de lui amputer malicieusement l’oreille gauche, au mépris de toute vraisemblance. Quant au portrait du chanteur Demis Roussos, lui aussi facilement identifiable (notamment à sa barbe et à sa chevelure), il souffre cependant d’un évident problème de disproportion (un front démesuré et un oeil nettement plus petit que l’autre).

Dans ces différents cas d’espèce comme dans d’autres, on pourrait parler de cacomorphie sélective, renvoyant à une malfaçon obtenue de manière quasiment chirurgicale. Rater un élément de détail dans la physionomie générale d’un personnage tend manifestement à semer le trouble dans la représentation. En somme, dans ces portraits de stars, La Police nous confronte à une ressemblance savamment piégée, minée de l’intérieur par un trait de malfaçon qui est de nature à la mettre en péril.

Incongruités thématiques et court-circuitages narratifs

La pratique du résumé constituant un élément définitoire du magazine TV, elle devient la cible de multiples manipulations discursives chez La Police, lequel n’hésite pas à insérer dans ses sommaires d’émissions des éléments illogiques ou conceptuellement saugrenus, relevant donc de la cacologie. Sur ce plan, le travail rhétorique de l’auteur consiste à exploiter, à exposer et à parasiter des tendances inhérentes au format du média-source, dans ses dimensions cognitive et herméneutique. En effet, la contrainte de brièveté qui régit toute présentation textuelle d’un contenu télévisé dans un magazine spécialisé a pour conséquence un type particulier d’énoncé par l’entremise duquel un énonciateur qui dispose d’un savoir supérieur à l’énonciataire (dans la mesure où il a déjà pris connaissance de l’émission en question et peut en rendre compte, sauf dans le cas d’événements sportifs ou diffusés en direct) rédige une notice descriptive qui a pour but, non seulement d’informer le spectateur, mais aussi d’aiguiser sa curiosité ou de stimuler son désir de visionnement, mais sans éventer la teneur du spectacle en question. Ces exigences contradictoires tendent le plus souvent à ouvrir des brèches logiques au sein de l’énoncé, soit en lui faisant subir une condensation sémantique excessive, soit en lui imposant des truismes répondant aux attentes génériques du consommateur de télévision.

Pierre La Police, « Michael Douglas va avoir de gros gros problèmes », dans Top Télé Maximum (2000)  

Page tirée de Top Télé Maximum, Paris : Éditions Cornélius, 2000, n.p.  

Avec l’aimable permission de Pierre La Police  

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La Police amplifie et détourne ces tendances existantes par un ensemble de procédés récurrents. Parmi les dispositifs qu’il emploie à cet effet, l’un des plus efficaces consiste à dérégler le dosage d’exposition relatif à l’objet décrit. La sous-exposition tend à réduire la complexité d’un film ou d’une émission à son degré de compréhension le plus bas. C’est le cas notamment lorsque le film Fatal Attraction (Adrian Lyne, 1987) est résumé par une évidence superfétatoire : « Michael Douglas va avoir de gros gros problèmes. » Par cet énoncé rudimentaire, surmonté d’un dessin plus qu’approximatif de l’acteur en slip, avec un personnage féminin partiellement dénudé situé à l’avant-plan de la vignette, La Police ne laisse présager, pour le héros, que de très vagues mésaventures. En outre, la formulation euphémique du synopsis réduit la compréhension du film à son niveau de cognition le plus élémentaire. Le même principe est à l’oeuvre lorsque l’intrigue du film Les Bronzés (Patrice Leconte, 1978) fait l’objet d’un commentaire pour le moins indigent, qui, de surcroît, confond le personnage et l’acteur : « Thierry L’Hermitte aime bien faire l’amour avec des femmes. » Comme souvent chez La Police, cette conceptualisation défaillante, tant au plan cognitif qu’au plan langagier, renvoie plus largement à une infantilisation du monde et des mots. Bien que les modalités de ces contradictions ou incompatibilités sémantiques (que nous désignons donc sous le terme de cacosémie) soient trop nombreuses pour que nous puissions les détailler ou les catégoriser dans leur intégralité, identifions ici quelques récurrences.

Un procédé employé à de nombreuses reprises consiste à faire dériver l’action vers un niveau anecdotique qui contredit les attentes du téléspectateur en se focalisant sur des gestes absurdes et non pertinents dans le cadre d’un genre donné. Par exemple, lorsqu’il offre le condensé d’un épisode de Starsky et Hutch, La Police pervertit les rapports de parallélisme sur lesquels repose cette série, dont le principe narratif est d’alterner les actions des deux personnages titulaires. Après avoir décrit, dans un premier temps, une suite d’actions qui occupe le personnage de Hutch (elles-mêmes totalement insignifiantes et sans dimension policière : l’inspecteur s’est tout simplement inscrit à un stage de thalassothérapie où il fréquente des témoins de Jéhovah), l’auteur nous présente les activités de son comparse Starsky qui, au même moment, « mange de la purée à la cantine du commissariat », autre geste trivial et insipide, sans aucun rapport avec les péripéties attendues d’une série d’action. Si l’expression « pendant ce temps » qui relie ces initiatives parallèles reproduit bien l’organisation structurelle d’usage dans ce type de narration, elle ne prend ici pour objet qu’un contenu diégétique vidé de sa substance. Le synopsis se conclut de manière comiquement abrupte et redondante : « Soudain il [Starsky] est emporté par une embolie pulmonaire et il meurt. » La soudaineté de cet événement imprévu a pour double effet de court-circuiter inopinément toute progression de l’arc narratif et de transformer la nature sérielle même du feuilleton en pur terminus : non seulement ne s’y passe-t-il rien, mais l’un des héros décède et ne pourra par conséquent effectuer son retour lors d’un prochain épisode. Comble de disjonction conceptuelle et ultime bévue : La Police insère, au-dessus de la légende « Hutch veut être sauvé par Jéhovah » — désopilante en soi —, l’image de son partenaire Starsky (Paul Michael Glaser, déjà invoqué), dont le physique brun et trapu est aux antipodes de celui de son collègue grand et blond (David Soul).

Thierry Groensteen (2010: 51-66) remarque à juste titre que l’incongruité constitue un « principe cardinal » de la parodie de genre telle que la pratiquait l’équipe d’Harvey Kurtzman dans la phase initiale du magazine Mad (1952-1956). Cette conception de l’humour rejoint celle de Schopenhauer, qui voyait dans l’incongruité le ressort principal du rire (1912: 434). Adepte du contrepied thématique ou conceptuel, La Police se complaît à associer des réalités antinomiques dans ses sommaires d’émissions. Par exemple, les séquences de l’émission Mystères (Unsolved Mysteries, John Cosgrove et Terry-Dunn Meurer, 1987-2010) (sous-titrée « Reconstitution de faits réels et témoignages inquiétants ») donnent lieu à des énoncés tels que « Tony Mirmier ne croyait pas au yéti jusqu’à ce soir du 14 juillet 1971 dans un camping du Périgord… » et « Sur son répondeur téléphonique, Yolande Piolet reçoit des messages de la vierge Marie… ». Dans un cas comme dans l’autre, les points de suspension qui concluent ces phrases font office de marqueurs d’expectative et se conforment aux règles implicites d’un discours conçu pour susciter l’attente et l’angoisse. Toutefois, ces deux manifestations d’une inquiétante étrangeté sont minées par un ensemble de disjonctions notoires : l’attribution loufoque de noms absurdes et franchouillards aux individus concernés, la localisation fantaisiste du yéti dans le Périgord, le contraste flagrant entre personnalité biblique et technologie moderne, etc.

Pierre La Police, « Sacrée soirée », dans Top Télé Maximum (2000)  

Page tirée de Top Télé Maximum, Paris : Éditions Cornélius, 2000, n.p.  

Avec l’aimable permission de Pierre La Police  

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Au fil de Top Télé Maximum, La Police décline plusieurs variations autour de ce même principe d’incongruité. À de multiples reprises, il attribue notamment un haut contenu intellectuel à des sous-genres réputés pour leur trivialité relative. C’est le cas dans une planche qui résume un épisode des Aventures de Tintin en dessin animé (Ray Goossens, 1959-1964) dans lequel le héros est confronté à de complexes questions de microbiologie et de médecine, ou dans une autre planche où une émission burlesque (La Classe, Guy Lux, 1994-2005) passe pour donner lieu à des débats philosophiques de haute volée (« Garcimore et Lagaff défendront les idées de Jung sur la maîtrise par l’homme de son destin dans un cadre semi-historique donné, reposant sur des coïncidences aléatoires »). L’auteur se complaît par ailleurs dans des associations saugrenues entre des types d’émissions et des contenus antinomiques, comme lorsqu’il évoque « La folie meurtrière de Des chiffres et des Lettres » ou encore une émission de variétés (Sacrée soirée, Gilles Amado, Georges Barrier, Christian Vidalie, Gérard Pullicino et Didier Froehly, 1987-2009) dont le format intrinsèquement hétéroclite est prétexte à faire coexister, dans le cadre de la même séquence verbale, les faits les plus insignifiants et les sujets les plus sensibles : « Avec son nouveau look, Jean-Pierre Foucault va lancer un appel à la pitié pour la faim dans le monde des enfants malades avec de nombreux pin’s à gagner », énoncé où se télescopent de front la superficialité du spectacle télévisuel (le look du présentateur et les colifichets offerts aux spectateurs en guise d’appâts) et la gravité de circonstances sociopolitiques bien réelles (formulée en un énoncé hyperbolique qui cumule famine et maladie). Dans la seconde partie du même sommaire, un contraste analogue oppose crûment une situation atroce et bouleversante (« Des images émouvantes de la petite Corinne, brûlée au 3e degré ») et la légèreté clinquante qui est de mise dans ce type d’émission, ici encore exprimée sur le ton grandiloquent du matraquage auto-publicitaire (« Et, bien sûr les milliards à gogo du télétirage de la carte multicadeaux et la maxi-roulette surprise de la cagnotte supertrésor »). S’il y a une « règle du jeu » en la matière, c’est que l’hétérogénéité propre à l’émission de variétés revient à juxtaposer, sans transition logique ni indication de valeur respective, des sujets et des propos incompatibles. La Police tirait le même effet de la parataxe journalistique dans la série Véridique!

Arrêts sur image et jeux discursifs sur la temporalité

Une procédure récurrente dans Top Télé Maximum consiste à accompagner une vignette d’une légende suggérant un futur proche, l’imminence d’une action ou d’un état. Apparemment simple, voire simpliste, ce procédé est pourtant de nature à remettre en question le rapport que l’image entretient vis-à-vis de son contexte séquentiel dans son médium d’origine. Contrairement à l’articulation des vignettes dans la bande dessinée traditionnelle, où la case effectue un découpage sélectif au sein d’une chaîne d’action inséparable d’un continuum syntagmatique impliquant d’autres cases mises en co-présence, selon le format classique du multicadre, la réduction d’un contenu diégétique à une seule case — elle-même transmédiatisation graphique d’une photographie de plateau ou d’un photogramme extrait d’un film ou d’une série — prive l’image de tout effet périphérique ou arthrologique. Sur un plan iconique, Pierre La Police s’affronte dès lors, dans cet ouvrage, à une contrainte majeure. En effet, dans le dispositif qu’il a choisi d’explorer et qu’il s’impose volontairement, il ne pourra compter, en termes figuratifs, que sur une seule vignette et se trouvera de la sorte mis dans l’incapacité de faire oeuvre de bande dessinée au sens strict du terme.

Dans ce contexte singulier, l’action formulée au futur proche, sur le point de se produire, est précisément celle qui ne pourra être montrée. Dans ces énoncés et ces images prodromatiques, c’est étrangement le geste annoncé qui demeure extérieur à la représentation, au profit du spectacle d’une non-action. Cette maladresse volontaire, en vertu de laquelle La Police semble mal choisir son arrêt sur image en le situant en deçà du moment capital, met néanmoins en évidence la fonction annonciatrice du magazine TV, dont l’objectif est de manifester sur un mode proleptique l’imminence d’un contenu : la réalité la plus élémentaire que quelque chose de supposément intéressant va se passer dans le film ou l’émission. Par ce déplacement du choix de la vignette illustrative, La Police rend compte par ailleurs de l’impossibilité foncière de traduire un développement narratif complexe par le biais d’une seule image fixe, limitation inhérente au médium journalistique d’origine, dans lequel l’iconographie forcément restreinte s’investit toujours d’un degré relatif d’arbitraire.

Pierre La Police, « Tournez manège », dans Top Télé Maximum (2000)  

Page tirée de Top Télé Maximum, Paris : Éditions Cornélius, 2000, n.p.  

Avec l’aimable permission de Pierre La Police  

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Dans Top Télé Maximum, cette configuration d’une action annoncée dans un futur proche donne lieu à deux gags conceptuels de haute volée. Dans le premier d’entre eux, La Police annonce des événements qui se produiront en direct sur le plateau de l’émission Tournez manège! (Jacques Antoine, 1985-1993), sorte de jeu matrimonial où les présentatrices « tenteront de marier les candidats du manège de l’amour ». Outre la charge d’incongruité qu’il ne peut s’empêcher d’introduire dans la description de ce spectacle (notamment en imaginant des récompenses pour le moins piteuses offertes aux candidats : « Séjours de rêves [sic] à gagner dans le Loiret et à Besançon ainsi que des entrées à prix réduit pour le village des Schtroumpfs »), l’auteur élabore un gag visuel à nouveau fondé sur la temporalité. L’illustration figure en effet deux individus de sexe opposé, séparés par un rideau qui leur interdit tout contact visuel. Sous l’image, la légende indique que « C’est le moment de vérité pour Joel qui va découvrir le visage de sa nouvelle partenaire » [nous soulignons]. Ce futur proche distille toute l’anticipation du jeu en programmant le moment subséquent de la révélation, sans toutefois l’exhiber. Cette case expectative, dans la mesure où elle expose au lecteur ce qui est caché au candidat, lui donne tout loisir d’extrapoler la déception de Joel lorsqu’il prendra connaissance du physique ingrat de sa partenaire (notons qu’en vertu de l’esthétique grotesque privilégiée par La Police, le gag se fonde en fait sur la laideur des deux personnages, Joel n’étant guère plus attirant que sa promise).

Pierre La Police, « Ushuaia », dans Top Télé Maximum (2000)  

Page tirée de Top Télé Maximum, Paris : Éditions Cornélius, 2000, n.p.  

Avec l’aimable permission de Pierre La Police  

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Le deuxième gag qui nous paraît digne d’intérêt implique pareillement la référence à un événement posé comme imminent. Il s’agit du sommaire de l’émission documentaire Ushuaïa nature (Pascal Anciaux, 1987-1996), qui comprend notamment ce reportage loufoque : « Séquence frisson : dans son jardin, Maurice Meurchon, retraité, va tenter une cascade avec son tabouret » [nous soulignons]. L’annonce de cet acte de (très) basse voltige fait l’objet d’une illustration agrémentée d’une légende qui s’énonce comme suit : « Attention, Maurice Meurchon va sauter. » Ce qui nous frappe dans cet énoncé, ce n’est pas seulement le caractère ridicule du patronyme affecté au personnage et l’aspect dérisoire de la « cascade » qu’il est supposé exécuter; c’est aussi, une fois encore, l’idée d’une prospection et d’une imminence : celle d’une action sur le point d’advenir, mais qui ne pourra évidemment pas s’actualiser, faute de pouvoir compter sur une deuxième vignette. À cet égard, l’interjection « Attention » paraît pour le moins paradoxale, en ce qu’elle en appelle directement au lecteur/spectateur et vise à focaliser son attention, comme si les faits capturés par la vignette se déroulaient précisément en direct et comme s’il était impensable que le lecteur/spectateur manque ce grand événement en passe de se produire. Dans ce schéma bloqué a priori, aucune complétion de la « cascade » annoncée à grands frais n’est possible.

En termes métaphoriques, on pourrait dire que Pierre La Police inflige à la vignette en question une sorte de jeu de l’élastique. Par l’effet d’annonce dont il l’assortit, l’auteur cherche en effet à étirer et, de la sorte, à éprouver les limites physiques et temporelles de la vignette comme s’il distendait un élastique. Au terme du processus, l’élastique recouvre, comme il se doit, sa forme originelle. La vignette en question n’en ressort que plus isolée, du fait même de la tentative d’étirement dont elle a fait l’objet. En somme, contrairement à ce qu’affirme la légende (mensongère en cela), Maurice Meurchon ne va pas sauter. Du reste, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le vaillant retraité n’a toujours pas sauté. Le personnage est ainsi laissé à lui-même, suspendu dans une solitude un peu pathétique, figé dans une posture qu’il ne pourra plus jamais quitter. En définitive, La Police tente ici de développer un effet-bande dessinée, fût-il très élémentaire (un simple enchaînement : annonce + action), mais dans un cadre qui ne s’y prête pas et qui même, très précisément, le rend impossible. En la circonstance, l’auteur sait par avance qu’il s’expose à un échec sur le plan énonciatif. Autant dire, dès lors, qu’il saborde, en toute conscience et non sans malice, le dispositif qu’il a lui-même choisi d’investir. La force comique de cette planche réside précisément là, dans cette foncière inadéquation entre une intention (ou un désir) et une configuration graphique qui, par définition, lui interdit de s’exprimer. Exposer et explorer les limites d’un dispositif contraignant, le saper de l’intérieur et faire de ce travail de sape le ressort même de sa vis comica : telle pourrait être, exemplairement, l’une des stratégies d’auto-sabotage déployées par Pierre La Police dans Top Télé Maximum.

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Comme le démontre l’oeuvre de Pierre La Police, la malfaçon, qu’elle soit verbale ou iconique, constitue une modalité singulière du ratage, une variété complexe et encore peu étudiée qui inscrit le procédé sous le signe d’une intentionnalité. Privilégiant la parodie de genre, La Police tend même à élever la malfaçon au rang de véritable analyseur, voué à porter au jour, en les grippant partiellement, les rouages intimes d’un artefact culturel donné (dans le cas de Top Télé Maximum, le guide TV, avec sa mécanique et ses contraintes). C’est dire combien, dans l’oeuvre de La Police, la malfaçon se voit investie de pouvoirs hautement révélateurs. Procédant d’un choix parfaitement concerté et assumé, elle fait ici rigoureusement système. En la circonstance, elle s’avère inséparable — tel est le coup de force, telle est la facétie ultime — d’une certaine virtuosité, selon un paradoxe dont on ne connaît guère d’équivalent dans le champ de la bande dessinée contemporaine.