Résumés
Résumé
Longtemps honni des professionnels, le ratage photographique en raconte pourtant davantage que l’on ne pourrait croire. Du Point de vue du Gras aux intelligences artificielles, les loupés forment une constellation riche de sens et de paradoxes. Flous, surimpressions ou ombres portées sont autant de promesses de lectures futures où affleurent parfois poésie ou humour, fantômes ou aura, et qui débouchent sur une relecture voire une histoire parallèle de la photographie, dont l’insoluble question du ratage permet d’interroger des enjeux esthétiques ou des usages sociaux essentiels.
Mots-clés :
- Photographie,
- Amateur,
- Flou,
- Photographie Spirite,
- Techniques
Abstract
Long shunned by professionals, photographic failure tells us more than we might think. From Le point de vue du Gras to artificial intelligence, failures form a constellation rich in meaning and paradox. Blurs, superimpositions or cast shadows are all promises of future readings in which poetry or humor, ghosts or auras sometimes emerge, leading to a rereading or even a parallel history of photography, whose insoluble question of failure allows us to question essential aesthetic issues or social uses.
Keywords:
- Photography,
- Amateur,
- Blurred,
- Spirit Photography,
- Techniques
Corps de l’article
Parfaitement impure, c’est-à-dire très éloignée des canons de l’image luxueuse et parfaitement aboutie qui adviendrait quelques années plus tard par l’entremise de Daguerre, l’héliographie de Niépce était la première représentation tremblée de l’histoire du médium. L’image originelle était en fait une photographie ratée.
Clément Chéroux[1]
Le point de vue du Gras (1827), il n’est pas vain d’en revenir encore et toujours à lui. Le principe de Niépce, l’image-princeps. Conservée aujourd’hui dans une espèce de caisson spatial étanche au Harry Ransom Humanities Research Center (Austin, Texas), cette image n’en finit pas de fasciner : c’est l’aimant premier, le pôle, la plaque de touche des origines. « Après quelques contorsions, elle apparut soudainement : mi-positive, mi-négative, un peu floue, passablement vaporeuse. J’en fus très ému. » (2019: 13) Clément Chéroux raconte ainsi sa rencontre magique, mystique serait-on tenté de dire, avec la mère de toutes. De toutes les photographies ratées? C’est que Niépce, au bout de ses années de recherches infructueuses, aurait pu faire sien le célèbre adage de Samuel Beckett : « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. » (1991: 8) Première photographie de l’histoire; premier amateur de l’histoire qui nous occupe, au temps même où il n’était pas encore question de professionnels; premier loupé magistral — oui, mais loupé par rapport à quoi?
Car après tout, qu’est-ce qu’un amateur? Est-ce bien lui qui endossera la responsabilité, l’exclusivité presque, dans un premier temps, de ce que l’on s’apprête à considérer comme les « ratés » de la photographie? Voici une étiquette bien douteuse et galvaudée, usée et malmenée, dont l’évocation déchaîne souvent pléthore de commentaires acerbes : entrée du photographe du dimanche et des anniversaires, on redoute les couchers de soleil et les bébés baveux, quand ce n’est pas le coucher de bébé ou le soleil baveux. On s’échine à redresser le sens péjoratif du terme au bénéfice de ses nobles origines étymologiques : ah, l’amour, et l’amateur, celui qui aime (d’emblée, on lui pardonnerait bien tout, sauf ses erreurs), refrain un brin élimé lui aussi, il faut bien le dire. Niépce, à n’en pas douter, était de ceux « qui aiment » la photographie, alors même qu’il l’inventait et qu’il ne savait pas encore ce que c’était au juste. L’amoureux ultime donc. Et le tout premier. Amoureux qui, malgré ses élans, ses nuits blanches et ses incantations mystérieuses, n’aurait ainsi réussi qu’à produire une image floue et presque illisible. Peu séduisante, convenons-en, décevante dès lors qu’on en attendrait quelque chose, et infiniment bouleversante. Ainsi l’amateur, et malgré toute la bonne volonté du monde, ne serait « bon qu’à ça » (si ça, ça ne sonne pas Beckett, encore), qu’au ratage. Il faut l’aimer soit en dépit de cela, soit précisément pour cela, et dès le début — qui était pourtant un sacré aboutissement.
Aussi le présent essai n’a-t-il nullement pour ambition de formuler des jugements définitifs, à des « critères » indiscutables ou à des définitions stables. En ouvrant portes et fenêtres dans un apparent désordre, en reformulant les questions sous des angles parfois inédits, il entend plutôt retraduire et illustrer la complexité théorique, esthétique et historique d’un objet particulièrement labile, qui surfe sur la crête du jugement esthétique, et d’une problématique féconde, qui malmène les critères du succès ou de l’insuccès dans le champ de la photographie, mais aussi très certainement au-delà, dans celui de l’art à travers le formatage de ses pratiques et de ses praticiens.
Comme le rappelle Suzanne Paquet dans un article de la première livraison de la revue Captures, « Photographie de l’Autre, des nôtres, des autres » :
En 1853 Ernest Lacan, alors rédacteur en chef de La Lumière — première revue entièrement consacrée à la photographie (Denoyelle) —, proposait trois « esquisses physiologiques » du photographe (Lacan). […] Lacan, selon ce modèle, classe donc les photographes en trois catégories, « le photographe proprement dit » qui gagne sa vie par l’exercice de la photographie, « le photographe artiste » et « le photographe amateur », ce dernier correspondant au grand amateur; l’amateur ordinaire tel qu’on le connaît aujourd’hui, qui prendra la succession de ce riche dilettante, n’a pas encore fait son apparition.
2016
Et Suzanne Paquet d’observer : « À cette différence près, les photographes pourraient encore, il me semble, être considérés selon ces trois familles. » (2016) À cette différence près et à une autre, sorte de « temps » ou de « révolution » des amateurs très récente pointée par André Gunthert (2009) — que Paquet n’ignore d’ailleurs pas dans son article —, qui par les technologies de communication nouvelles se retrouvent à présent à même de maîtriser la totalité de la chaîne de production et de diffusion, avec une efficacité et une ampleur tout à fait inédites.
On le sait bien, c’est essentiellement grâce aux évolutions technologiques de la seconde moitié du XIXe siècle, et au génial « Vous appuyez sur le bouton, nous faisons le reste » d’Eastman Kodak, que la photographie amateure et la photo de famille vont commencer à connaître un essor sans précédent. Déjà à la fin du XIXe siècle et bien avant les téléphones intelligents, l’idée controversée d’un « tous photographes? » faisait bondir de rage les professionnels (et plus encore les artistes[2]), élite qui s’était coûteusement équipée, privilégiés qui possédaient un studio avec pignon sur rue, et autres oisifs croqués par Lacan plutôt tendrement, qui cueillaient à la main le grain argentique qui fait les grands nectars. Ainsi donc, avant même le tournant du siècle, le moindre passant désinvolte se montrerait capable de rivaliser avec ceux-là? Il fallait trouver une parade, et la question de la technique fut rapidement érigée en barricade. Il faut « s’y connaître », ce qui n’est pas donné à n’importe qui, ni donné tout court, sinon la catastrophe guette. Et des chausse-trapes, en photographie, il y en a plus d’un : le flou, les décadrages, les surimpressions, les fuites de lumière, on en passe. Ce serait évidemment condamner un peu vite la pratique amateure, la réduire à un champ de résultats bien peu probants, alors qu’il n’en est rien. D’autant qu’une théorie chasse l’autre, ou plutôt un dogme : on laissera bientôt à l’amateur la pauvre netteté (dont il n’y a qu’une espèce, plutôt simple : si c’est net, c’est net, inutile de se mettre à laver plus blanc que blanc), tandis que le flou… c’est plus complexe, il y en a autant qu’il y a d’artistes[3]. Il n’empêche, il fallait bien tracer des lignes à un moment : le professionnel réussit ses photographies quoi qu’il arrive, l’amateur est voué à les rater, un point c’est tout. La boucle se boucle, une photo ratée, c’est une photo faite par quelqu’un qui rate ses photos, c’est commode, la tautologie passe en douce et les prés carrés restent bien gardés. À moins bien sûr que vous soyez disposé à « faire vos preuves », à vous faufiler par les fourches caudines de la cooptation.
On sent bien que le bât blesse et la question se doit d’être posée : qu’est-ce qu’une photographie ratée? Simple aveu ou constat de méconnaissance technique, manque d’inspiration ou de propos, pâle copie maladroite des « déjà-vus »? Ou bien interstice ouvert à la magie et à la poésie, à l’humour aussi, pourquoi pas, à une émotion imprévue, à l’accident salutaire (mais qui longtemps s’ignorera, et ne voudra pas voir ses propres qualités en face)? Ou encore, tout cela à la fois? Sans compter la cruciale question du temps, une fois de plus. Nous qui regardons aujourd’hui quelques reliques serons peut-être davantage touchés par une image gauche que par un cadrage bien droit, par un remuant décalage plutôt que par une perfection technique déjà maintes fois observée. Étonnés aussi par un fantôme qui nous fait discrètement, ou pas, signe par l’entrebâillement de quelques manipulations douteuses? La valeur « ratage » d’une image est une étrange constante, question à la fois immuable et infiniment modulable : les échecs supposés sont, à peu de choses près, les mêmes depuis les origines, mais le regard qu’on leur porte varie, évolue, aime même à se contredire. Le lapsus photographique en montre autant qu’il en cache, de celui qui l’a commis comme de celui qui le regarde. Ah, ces fameux « lapsus du révélateur[4] » : voie toute tracée vers l’inconscient, le décodage de l’enfoui, voire le délire d’interprétation. « Ainsi en va-t-il du ratage. Sa nature complexe, versatile, ou retorse en fait un objet parfois difficile à maîtriser. Il se dérobe souvent à l’analyse et se retourne parfois contre ceux qui tentent de le sortir de son purgatoire, en lui attribuant quelques vertus insoupçonnées » (2003: 16), nous glisse aussi Clément Chéroux dans son traité — de référence — de la fautographie. S’il ne faut donc pas trop vite permuter les valeurs et verser dans une contre-culture béate, ou aller ainsi s’imaginer que tout ratage est chef-d’oeuvre (et postulons encore moins l’inverse), on peut tenter de répertorier les gestes qui induisent, amènent voire nourrissent le ratage, et, par conséquent, accouchent fréquemment de quelques spectres approximatifs, qu’ils soient délibérés ou involontaires. Et essayons peut-être de considérer la photographie ratée sous les angles suivants : le résultat n’est conforme ni aux normes techniques en vigueur, ni aux espérances de l’opérateur, ni au confort de l’oeil du spectateur. Bref, « ça ne ressemble pas » à l’image désirée, fantasmée, idéalisée.
À moins précisément que cela ne finisse par « valoir mieux », au gré de l’un de ces renversements de valeurs courants dans l’histoire de l’art. Dans son article déjà évoqué, Suzanne Paquet faisait en effet, à l’autre bout du processus historique, le constat que « tout photographe amateur est aujourd’hui susceptible de participer, sans le savoir, à une oeuvre d’art. C’est que pour bien des artistes sévissant ces jours-ci, la production photographique mondiale est si abondante qu’il s’avère inutile d’ajouter d’autres photos à cette profusion. » (2016) Les arguments du débat ont évolué au point que Joan Fontcuberta, cité par Paquet, a pu affirmer « que la photographie faite par les artistes est devenue ennuyeuse, que la photographie faite par les professionnels est devenue pathétique, et que, peut-être, notre seul espoir réside dans la photographie sans qualités, faite par les amateurs… » (2016) L’expression « sans qualités » peut évidemment poser problème ici : sans quelles qualités? Une photographie sans qualités peut-elle exister hors de tout contexte qui les lui attribuerait, qui les lui reconnaîtrait? Et identifier ce « sans qualités » à l’amateurisme, rabattre l’une sur l’autre d’aussi vastes et délicates catégories, n’est-ce pas aller un peu vite, alors même qu’il s’agit en quelque sorte de faire le tri? Paquet elle-même n’y manque d’ailleurs pas, paraphrasant ou déclinant à sa manière le trop vaste amalgame fontcubertien : « Des images souvent banales, de peu d’intérêt, toutes pareilles, futiles, inutiles. Peut-être, face à ce comportement artistique […], faudrait-il se demander s’il est utile de mimer l’inutile pour pointer l’inutile… » (2016) Du « sans qualités » au « banal », du « futile » à « l’inutile », que de chemin parcouru dans le jugement esthétique, qu’il nous arrivera à l’occasion d’emprunter ici dans un sens contraire, ou en tout cas tangent. Quitte à reprendre, de ce « tri », les fondements parfois les plus rebattus et les plus évidents, en apparence du moins.
Bon grain et ivraie
« Dès 1888, l’usine Kodak fait le tri des bonnes et mauvaises photographies et ne renvoie que les supposées meilleures — distance, ouverture et sensibilité constantes entraînaient quelques échecs. » (Rossion, 2022: 341) L’on imagine déjà les amères déceptions à l’ouverture des enveloppes : de ce jetable-avant-la-lettre, sur la centaine promise, il en manque! Elles sont ratées, c’est décidé, en tout cas cela a été décidé par quelqu’un, quelque part. Que montraient-elles de si terrible ou de si pas terrible, ces pauvres images? Ou que ne montraient-elles pas, plus probablement? La liste des manquements et des indésirables est longue, elle évolue constamment : le flou bien entendu, les divers imprévus devant ou derrière l’objectif, les ombres portées, les surimpressions et les fuites en tous genres, les décadrages, les sur- ou sous-expositions, les coups de lumière à travers un châssis ou un boîtier lâches, les émulsions qui craquent, fondent ou pâlissent, puis plus récemment les yeux rouges (honteux d’abord, populaires ensuite) ou les bouillies de pixels. Et pour les tentatives les plus méritantes, un peu de tout cela à la fois. Car dès l’avènement de la photographie amateur, se substitueront aux manuels rébarbatifs, essentiellement à l’attention des professionnels, toute une série d’écrits plus accessibles et sympathiques, destinés aux néophytes et dont l’objectif avoué est d’éviter coûte que coûte ces mésaventures. Les titres ont généralement plus de couleurs que les contenus, énième signe s’il en fallait des affinités de la photographie avec l’écrit, voire l’hyperbole littéraire, volontiers ironique : Les petites misères du photographe, Les surprises du gélatino, Manuel de premiers secours photographiques ou Traité thérapeutique légal pour insuccès photographiques[5]. Ou comment traquer le ratage sous toutes ses coutures, comment éviter que la marque infamante de l’amateurisme crasse ne vienne balafrer la surface photosensible. Rien de positif, décidément, ne semble donc pouvoir émerger du ratage.
Et pourtant, qu’est-ce qui a incité Nadar à conserver, tirer et diffuser certaines images mal balancées, gâchées (ou transfigurées : Baudelaire, concerné, n’aurait pas renié le mot) par des effets de lumière inattendus ou ingérables? Qu’est-ce qui séduisait ou satisfaisait Julia Margaret Cameron, qui pourtant détruisit par négligence une partie de son propre travail, dans certains portraits outrageusement surexposés, ou brouillés par un flou de mouvement inopiné? Pourquoi les fantômes involontaires ou les effets de vitesse séduisaient-ils le jeune Lartigue au point qu’il fasse de toute sa carrière une course — bien amicale — contre eux ou à leur côté? Amateurisme, dilettantisme, sensibilité artistique, sûrement, et sens de l’anticonformisme semblent bien avoir été les mamelles nourricières de ces premières ébauches de reconnaissance du ratage, de cette prise en compte d’effets malheureux que l’on n’aurait, la plupart du temps, pas voulu voir. Brèches accueillies, plutôt que condamnées ou rejetées.
Toutefois, il demeure rare et difficile de se procurer des images dites ratées du XIXe siècle : dès que les attentes techniques ne sont pas satisfaites, les plaques sont tout simplement jetées ou détruites. L’époque ne considère la photographie que sous son aspect utilitaire voire rentable, aucun besoin de conserver d’étranges apparitions (les flous de mouvements et les déchirures de l’émulsion sont parmi les déboires les plus répandus) qui viennent ruiner la complexe mise en place d’une image où, dans un premier temps du moins, rien n’est laissé au hasard. On veut du net, du propre, du lisible. C’est, encore une fois, l’avènement de l’amateurisme à la fin de ce siècle qui ouvre en grand les vannes de l’erreur ou de l’horreur, « occasionnant une très nette recrudescence des flous, des fantômes et des dédoublements, des films voilés ou abîmés » (Chéroux, 2003: 28). Il n’est pas étonnant que la photographie spirite entre dans son âge d’or à ce moment-là, jouant sur la double impression des plaques et sur la crédulité du public. Ce qui fut longtemps considéré comme une erreur devient style et écriture à part entière, procédé en tout cas : la fabrique à fantômes est en marche. Et ce n’est qu’un début. Il n’est donc pas inutile de s’attarder, à titre d’exemple, sur ce qui fut, dans l’histoire de la photographie, plus et mieux qu’une vaste parenthèse ou une hallucinante et géniale entreprise de recyclage des ratés : une mise en question (et en abîme) des principes mêmes de l’image photographique, tout autant que de ses usages, de ses lectures et de ses limites. Car, en cultivant puis en raffinant le ratage à des fins initialement illusionnistes et mercantiles, la photographie spirite allait paradoxalement contribuer à lui donner quelques lettres de noblesse, à faire bouger les lignes esthétiques traditionnelles, et à nourrir différemment, tout autant de distance critique que de candeur ou de naïveté, le regard posé sur la photographie et sur son contexte de réception.
Dans les coulisses de l’illusion
Après les différentes opérations nécessaires à la révélation photographique, Mumler sortant de la chambre noire vous aurait alors présenté votre portrait. Et là, sur la carte photographique, une image se serait ajoutée à la vôtre. Une image qui vous aurait échappé en quelque sorte. Comme une silhouette oubliée de vous, ou perdue. Une intruse, mais familière. Une surprise venue d’un monde qu’on ne reproduisait pas jusque-là. Le monde de la disparition et de l’absence. Mumler vous aurait demandé : « Vous reconnaissez quelqu’un »? Vous auriez voulu en être bien sûr. La silhouette reproduite derrière vous aurait été floue, indécise. Une ombre blanche. « Réfléchissez bien », aurait encore demandé Mumler doucement. Ce que vous auriez vu sur l’image vous ne l’auriez jamais vu de cette façon. Et vous auriez éprouvé un curieux sentiment de reconnaissance et de mélancolie mêlée. Une envie de sourire aussi. Comme d’avoir sous les yeux l’image qui vous manquait. De ces images impossibles à convoquer autrement qu’en rêve ou par hallucination. Celle d’un être cher disparu, ou d’une présence que vous n’imaginiez pas ou plus visible — ni surtout reproductible en votre présence.
Boyer, 2012: 87-88
La photographie d’orientation spirite, censée traduire l’atmosphère fluidique de l’Homme, « vibrant à sa périphérie comme la manifestation extracutanée de sa force intime et personnelle » (s.a., s.d., a), ou ranimant les morts et leur redonnant corps, apparence voire parole, a connu une vogue grandissante tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle, et, pour certains avatars, bien au-delà. Les résultats photographiques, documents et comptes rendus en demeurent absolument fascinants, livrant un corpus d’images fantomatiques qui semblent trouver leur aboutissement formel versatile dans l’obsession bricolée de l’instant de Lartigue, les clichés ambigus d’Atget, les épreuves expérimentales des futuristes, certaines photographies d’Edvard Munch ou d’August Strindberg, ou encore dans les surimpressions et narrations de Duane Michals — tout cela étalé sur les quelques décennies qui allaient suivre l’assez radicale, quoique trompeuse, mise en veilleuse du courant spirite.
La photographie spirite du tournant du siècle dernier représente en effet un véritable mouvement, constitué autant par des pseudo-scientifiques regroupés en associations que par des amateurs isolés. Presque toujours dans ce type d’images, il s’agit encore de faire apparaître ce que l’oeil humain ne peut voir, et son esprit, croire ou concevoir : lévitations, transfigurations, ectoplasmes, spectres, auras, fluides mesmériques, etc. Il est, avec le recul, sidérant de constater avec quel acharnement obsessionnel — à défaut de rigueur — tous ces phénomènes mystérieux ou occultes, par nature cachés, ont pu être photographiés et, inutile de le dire, le plus souvent mis en scène et orchestrés de toutes pièces.
Fruits d’un travail de recherche de plusieurs années, essentiellement sous la direction de Clément Chéroux, encore, et d’Andreas Fischer, une vaste exposition et une imposante publication — Le troisième oeil. La photographie et l’occulte — ambitionnaient en 2004 de faire, pour ainsi dire, le tour de la question. Organisée conjointement par la Maison Européenne de la Photographie à Paris et le Metropolitan Museum de New York, l’exposition réunissait près de 250 photographies de ces phénomènes, « exhumées des archives des sociétés occultes, de collections privées ou publiques » (s.a., 2004) et, accompagnée de son catalogue, se proposait de retracer l’histoire d’un genre assez singulier, enchâssée dans celle, plus large et générale, de la photographie : ratage d’un jour, recette lucrative dès le lendemain; instauration du mystère comme sublimation de l’indéchiffrable; élection du fantôme comme héros de l’invisible ou porte-parole de l’au-delà.
La synthèse proposée par Chéroux discerne au sein de ce corpus mouvant trois registres (celui des esprits, celui des fluides et celui des médiums), qu’il n’est pas vain de distinguer ici, à sa suite. Le spiritisme, apparu à la fin des années 1840, prétend permettre de communiquer avec les défunts. À partir des années 1860 aux États-Unis et de la décennie suivante en Europe, des photographes dotés de supposés pouvoirs médiumniques produisent des portraits d’« esprits » de personnes décédées posant aux côtés de modèles vivants. Les techniques d’estompage, de surimpression et de double-exposition se perfectionnent rapidement et aident à convaincre de nombreux adeptes. Les débats internes (s’agit-il de pouvoirs propres au médium, ou de manifestations spontanées de l’au-delà?) et les nombreuses controverses autour du spiritisme donneront par la suite naissance à la « photographie des fluides », qui permettrait de capturer les ondes émanant des médiums ou des opérateurs (par exemple la force vitale, les pensées et émotions, voire les rêves). Des phénomènes qui voient leur mystère s’accroître à mesure que diminue la stricte lisibilité des clichés. Ces pratiques expérimentales ou pseudo-scientifiques se démarquent de l’aspect purement commercial du spiritisme au XIXe siècle, et ne seront pas sans favoriser l’émergence d’esthétiques nouvelles, remettant en question les critères déterminant le caractère réussi, ou tout simplement acceptable, d’une image de commande.
S’il est possible, comme l’indique le texte de présentation du projet Le troisième oeil, de
faire remonter ce type d’expériences au début des années 1860, c’est surtout au tournant du siècle que la photographie fluidique se développe en se revendiquant de la légitimité scientifique des recherches sur les rayonnements : la radioactivité et les rayons X. En France, certains opérateurs tentent ainsi de photographier leur énergie vitale ou leurs pensées en apposant simplement sur la plaque sensible leurs doigts ou leur front. Malgré les multiples réfutations d’experts, démontrant que les traces obtenues ainsi ne sont en fait que des artefacts photographiques dus aux conditions mêmes de l’expérience, ces tentatives pour enregistrer le fluide humain perdurent tout au long du XXe siècle.
s.a., 2004
Le catalogue distingue deux démarches « divergentes » qui se sont saisies de la photographie spirite depuis le XIXe siècle : elle serait ainsi « à double face », destinée d’une certaine manière « à la fois à mystifier et à démystifier » (Chéroux, 2004: 46), selon que l’on ait affaire à des adeptes convaincus ou à des manipulateurs lucrativement intéressés. Toutefois, la frontière qui départage ces images demeure trouble. Leur dimension polysémique, allusive voire contradictoire perdure d’autant plus aisément jusqu’à notre sensibilité actuelle, quitte à se prêter volontiers à une lecture post-moderne ou transhistorique[6].
Qu’on veuille bien prendre encore le temps de s’attarder, dans cette parenthèse qui semble un détour anecdotique mais constitue pourtant un avatar déterminant, sur l’aplomb subtil et retors du personnage de Mumler (et d’épigones plus approximatifs), avec toute sa puissance de persuasion et de fascination évoquée plus haut. Photographe américain, actif notamment à New York et à Boston, William H. Mumler (1832-1884) est resté célèbre pour quelques clichés (et certaines « affaires »), les plus fameux étant celui supposé montrer Mary Todd Lincoln vers 1870 avec le « fantôme » de son mari, Abraham Lincoln (image largement diffusée mais démontrée a posteriori comme étant une double exposition de nature frauduleuse), et celui de « Master Herrod » (1872), un jeune médium du Massachusetts qui apparaissait en « transe », entouré d’esprits de natures et cultures variées (Europe, Afrique ou Amérique). Parmi la production de Mumler, on rencontre de nombreux esprits (parents, fiancés, actrices, célébrités, et autres « guides spirituels ») en compagnie de personnes vivantes. Si la guerre civile américaine, avec son cortège de morts et de disparus, a contribué au succès de l’entreprise de deuil bidouillé de Mumler, il semble qu’il ait à l’origine découvert son procédé par accident[7]. Un accident qui l’amena à quitter son métier initial de graveur pour se consacrer à plein temps à la photographie spirite, et même pour développer ensuite le procédé de « photo-électrotypie », qui lui est propre et qui porte son nom, permettant de produire et d’imprimer des plaques aussi facilement que des gravures sur bois. Le « cas Mumler » fit grand bruit, à défaut de faire tout à fait école ou jurisprudence. Traduit en justice, jugé pour fraude et vol, attaqué notamment par le célèbre forain Barnum — qui, secondé d’Abraham Bogardus, produisit des preuves des moyens et de la facilité de falsifier de telles photos —, compromis par l’évidence que certains de ses fantômes incrustés étaient toujours vivants, mais aussi soutenu et secondé par sa femme Hannah (elle-même « médium-guérisseuse » réputée) et quelques journalistes de renom, Mumler semble n’avoir encouru aucune condamnation qui compromette sérieusement la poursuite de ses activités, et avoir finalement déjoué les tentatives de démontrer qu’il aurait, de toutes pièces, monté et truqué ses images[8].
Riche, fascinant, formidablement diversifié, l’épisode de la photographie spirite n’est, dans l’approche du ratage, nullement à négliger : il l’élève au contraire au rang d’une économie (calcul des risques, estimation des bénéfices), puis (ou donc) d’une esthétique, et enfin d’un phénomène culturel à part entière, sinon d’une religion, puisqu’après tout il est ici question de croyance essentiellement. Le problème du ratage ou de la réussite en photographie a d’ailleurs, plus qu’il n’en faut, et jusque dans nos systèmes d’enseignement ou de formation actuels, livré son lot de prosélytes et d’intégristes — un lot de convictions, somme toute, chassant l’autre.
Ombres d’un doute et renouveaux
Prenons un autre de ces défauts largement traqués par les tenants du tout-technique : les ombres portées du photographe, ou plus techniquement et joliment rassemblées sous l’étiquette, un rien symptomatique et médicalisante, d’« auto-ombromanie » (Chéroux, 2003: 69-76). L’amateur, pensant bien faire, positionne son sujet face au soleil pour bénéficier de la meilleure lumière, mais ce faisant, il se retrouve lui-même dos au soleil. L’étrange apparition qui s’ensuit en dit beaucoup et en montre trop : l’ombre noire qui fait irruption dans la photographie s’étire généralement de tout son long, glissant sur le sol, envahissant parfois jusqu’aux personnages ou aux accessoires. Cette « auto-ombromanie » atteste que le photographe existe bel et bien dans son oeuvre, que celle-ci n’est produite ni par l’apparition du Saint-Esprit (ne se fait pas Suaire qui veut) ni par une machine neutre, puisqu’il y a quelqu’un derrière, et qui passe dedans. Réfutant le désir d’objectivité si cher aux premiers temps de la photographie, l’ombre portée devient, à partir des années 1920, un élément constitutif et délibéré, presque une signature, dans des oeuvres aussi différentes que celles de László Moholy-Nagy, André Kertesz, Man Ray, Jacques-Henri Lartigue, ou plus récemment Lee Friedlander, Denis Roche ou Arthur Tress. « J’existe », proclament ouvertement ces ombres noires, « j’habite cet espace et ce temps », affirment ces doubles sombres, même si c’est aussi parfois dans la douceur, comme dans cet autoportrait célèbre d’Elliott Erwitt (Ireland, 1991), les yeux transfigurés en deux lumineuses pâquerettes.
L’erreur serait donc bel et bien un terreau fertile d’où les avant-gardes diverses tireront un à un des fils créatifs des plus inattendus, jusqu’à instiller dans des domaines photographiques corsetés et codifiés ce « petit quelque chose en plus » qui fait la différence. Même la mode n’a pas échappé au raz-de-marée du ratage en vogue dans les années 1990 : Wolfgang Tillmans et Jurgen Teller, usant sans modération du flash, du décadrage, négligeant la profondeur de champ, bref, injectant dans tout ce propre et ce lisse une dose de mauvais goût et de décadent, produisent une iconographie pleine de peaux pâlichonnes ou rougeaudes, d’attitudes décalées ou excessivement familières, d’esthétiques aplaties, banalisées. Les frontières se brouillent entre les grands professionnels qu’ils sont censés incarner et une photographie du quotidien sans enjeu ni prétention, avec son lot de défauts et de maladresses. Soudain envahies de zombies aux pupilles cramoisies et de faces hallucinées, tant la presse que la publicité se délectent de ce rapprochement entre les politiciens en vue et nous, entre le haut et le bas, le dedans et le dehors, entre le produit et l’acheteur : une photographie ratée, « comme tout, comme partout et comme tout le monde », peut être la garante d’un lien fort avec son spectateur/consommateur. Après avoir été longtemps honni, érigé en critère de distinction, voilà que le ratage nous rapproche finalement les uns des autres. Rater encore, rater mieux, mais surtout, rater ensemble.
Toujours la même bien que toujours en évolution, la photographie ratée aura pourtant eu ses cerbères, gardiens du temple d’une légitimité étroite d’esprit : des daguerréotypistes tatillons aux étiquettes « non facturées » des années 1990, les plantages auront eu à franchir les barrières, à ignorer les rejets pour arriver jusqu’à nous et délivrer leurs messages troubles, rescapés d’un autre temps, en toute innocence le plus souvent : sans volonté, dirions-nous même, de bien ni de mal faire. Reliques déformées d’un passé proche ou lointain, ces rescapés n’ont connu aucune gloire, aucune monstration ni démonstration, n’ont pour la plupart jamais quitté l’album de famille ou le tiroir, mais ils nous touchent d’une façon toute particulière : nous ratons tous, et cela nous rend un peu plus humains. Et pour en revenir à ces fameuses étiquettes collées sur les images argentiques de la fin du siècle précédent, souvent en couleur, souvent de famille ou de copains, il est intéressant de signaler que malgré leur côté péremptoire (« non facturé », « sans débit », enfin bon à rien et sûrement pas pour le service), ces petites inscriptions blanches sur fond noir étaient amovibles : que le tireur les ait jugées mauvaises, soit; mais à nous de faire le tri, aujourd’hui ou demain. Comment ça, ratée, la dernière photo de la grand-mère? Floue, certes, mais tout sourire! De quoi se contenter d’autre d’ailleurs, maintenant qu’elle est partie et ne sourira plus? Ratée, la double exposition de ma petite amie et de (tu me files l’appareil) moi, en surimpression et en surchauffe? À quoi d’autre se suspendre ou se raccrocher, maintenant que la vie nous a séparés? Un peu comme ces visages que l’on aime d’abord malgré un défaut, puis pour lui — passionnément parfois. Ou comme ces bruits parasites sur la bande, dans la courte nouvelle « L’enregistreur » de Dino Buzzati (2006 [1971]), d’abord insupportables sur la pureté de la musique enregistrée, puis chéris comme les dernières traces sonores, involontaires, laissées par l’aimée qui n’est plus là. D’autant plus que, depuis l’avènement du numérique, l’erreur photographique se trouve confrontée à de tout nouveaux ennemis :
Au bénéfice d’un plus grand contrôle de l’image, la place accordée au hasard se réduit. La rapidité avec laquelle l’image prise apparaît sur un écran égale souvent la facilité avec laquelle il est possible de la supprimer et de la recommencer.
Rossion, 2022: 343
Fini ce fameux temps de latence (qui peut s’étirer, dans le cas qui nous occupe, sur presque deux cents ans) au profit de décisions parfois trop rapides.
C’est au milieu de ces images [transférées sur l’ordinateur] que survivent les photographies « ratées ». Il reste à espérer que ces photographies seront un jour montrées, qu’elles feront leur bout de chemin comme celles du siècle passé, qu’elles susciteront les mêmes rires face à l’inattendu; qu’elles attiseront la même curiosité pour ce qui est hors-cadre et qu’elles procureront la même émotion devant l’imprévu.
344
Serons-nous un jour pareillement touchés par ces reliquats et lapsus pixellisés, par ces capteurs défaillants, ces défauts de copie en langage binaire? Il y a fort à parier que oui, s’ils arrivent jusqu’à nous. Mais ce défi semble aujourd’hui peu de chose face à la déferlante d’images produites par les intelligences artificielles : celles-ci se veulent photoréalistes, et le chemin a été long pour arriver à produire cette illusion, mais nous voici déportés sur la voie rapide sans même avoir perçu l’accélération. Prenons l’exemple probant de la couverture du célèbre magazine Réponses Photodaté du mois de février 2023 : l’image en couleur d’un vieil homme, que l’on imagine marin, sur fond de bokeh. Rien ne semble le distinguer de milliers d’images de type « portrait documentaire », et pourtant celle-ci titille le regard. Quelque chose de trop parfait en émane qui, de façon antinomique, la rendrait presque ratée. Le pot aux roses est dévoilé rapidement : l’homme n’existe pas. Il est le produit du logiciel Midjourney, c’est donc une intelligence artificielle qui a donné naissance à ce spectre des temps nouveaux; mais n’allons pas croire cependant que tout cela s’est réalisé dans l’euphorie hors-sol et la simplicité numérique, en toute décontraction. Pour arriver à produire cette seule et unique image, Midjourney a généré auparavant pas moins de 300 essais, qui n’ont pas réussi à convaincre les journalistes du magazine. 300 images « ratées » d’affilée, même le plus courageux (ou le plus maladroit) des amateurs aurait depuis longtemps jeté l’éponge. Finalement, il n’y aura peut-être que l’opiniâtre Niépce qui aura été capable d’autant de patience.
Postérité. Du ratage comme régénération
Toujours est-il que, sur ce point, après 200 ans de pratique et de réflexion, il est tout de même frappant de constater qu’en 2024 la notice « Photographie » de Wikipédia (s.a., 2024) elle-même, loin de faire avancer le dossier, le ferait plutôt reculer. Citant des blogues de photo-amateurs aux tuyaux éculés, elle énonce ainsi, notamment, qu’il « ne suffit pas qu’il y ait de la lumière pour pouvoir faire une bonne [sic] photographie, encore faut-il qu’elle soit adaptée au sujet que veut capturer le photographe ». Et de nous expliquer qu’une photo en contre-jour, par exemple, aboutit souvent à « un fort contraste entre le sujet et le fond », mais donne des détails trop « peu discernables dans les zones sombres » : « [C]’est en cela qu’un portrait pris en contre-jour est souvent considéré comme raté (et nécessite l’usage d’un coup de flash pour déboucher le sujet). » Nuancée en diable, la notice précise toutefois que « ce contre-jour peut constituer par lui-même un effet artistique intéressant pour mettre en évidence une silhouette abstraite[9] ». Insaisissable et indéfinissable, la photographie ratée n’en a pas moins eu ses concours et ses lauréats, ses recettes et ses préceptes, ses blogues branchés et ses numéros spéciaux de magazines (« pro » ou « amateur », d’ailleurs), et jusqu’à ses coteries et ses snobismes, pas toujours exempts d’opportunisme[10].
Parmi ces vagues, parfois sympathiques et facétieuses, il faut sûrement mentionner celle de la lomographie, même si elle semble elle aussi être considérablement retombée ces derniers temps. Baptisé à l’origine (1992) d’après le nom d’une entreprise autrichienne (Lomographische AG) active dans le domaine de la photographie argentique, le mouvement a initié, puis inspiré ou fédéré toute une série de démarches photographiques lo-fi, à plus ou moins bonne distance de ses préceptes initiaux mais se revendiquant régulièrement d’une filiation avec lui. Les lomographes depuis lors se comptent par milliers, quasi-secte (plutôt douce) éparpillée à travers le monde, reliée au site lomography.com, à la vente des appareils et accessoires et au magazine en ligne qui y est associé — qui permet notamment aux utilisateurs de montrer et partager leurs photos. Lomography a promu la photographie argentique, expérimentale et créative au gré d’un certain nombre de principes qui ont fini par former une sorte de charte, aux équivalents culturels parfois approximativement traduits :
Take your camera everywhere you go
Use it any time — day & night
Lomography is not an interference in your life, but a part of it
Try the shot from the hip
Approach the objects of your lomographic desire as close as possible
Don’t think
Be fast
You don’t have to know beforehand what you captured on film
Afterwards either
Don’t worry about any rules (s.a., s.d., b)
De ces dix commandements, où l’on retrouve un peu pêle-mêle du Capa, du Freud, du Robert Frank, du Proudhon, du Lucky Luke et du Lee Friedelander, on peut aussi bien sourire que puissamment s’inspirer. Mais cette espèce de « Dogme[11] » du pauvre ou de l’amateur, ou du pauvre photographe amateur nous renvoie par bien des aspects à d’autres caractéristiques de la photographie ratée, ou plus exactement à certains préjugés et croyances à son propos.
Car enfin, ne pas viser, ne pas hésiter à s’approcher, quitter le cadre ou enfreindre les règles, ne pas traîner et surtout « ne pas penser », tout cela nous fait toucher de près aux raisons pour lesquelles on a toujours prêté à la photographie en général, et à la photographie ratée en particulier, des rapports privilégiés avec le domaine de l’inconscient. Rapide et instinctive, toute photo l’est; largement immergée au niveau du sens, et demandant à être ré-élaborée (ou perçue « plus consciemment ») a posteriori, toute photo l’est. Mais la labilité des formes, l’indécision des sujets et des mobiles, l’illisibilité du contexte ou du propos, comme autant de bonus, la tirent alors parfois carrément vers le Rorschach ou les tests d’aperception projective, quand ce n’est pas vers une thérapie ouverte et assumée du refoulé, ou une présentification à l’image de symptômes ou de syndromes impossibles à formaliser verbalement. Si la photographie, dans son instinctive immédiateté, tend à s’approcher des pulsions, la photographie ratée pourrait-elle pour autant se nicher en leur sein même, au plus près, au coeur? Porte ouverte à tous les vertiges, à tous les mirages, mais aussi à tous les charlatanismes — on en a évoqué quelques-uns plus haut.
Conclusion ratée
Peut-être rater constitue-t-il une troisième voie, médiane, à disposition de ceux qui n’arrivent pas à conclure, mais qui redoutent de ne pas le faire et de laisser ainsi béantes ou ballantes des pistes, des portes, des hypothèses. En tout cas, tout passionnant soit-il, le problème de ce que peut bien être une photo ratée ou pas ratée demeure probablement sans solution, d’autant plus qu’il renvoie à l’infinité de réponses possibles à la question, connexe ou parallèle, de ce que peuvent finalement être une « bonne » ou une « mauvaise » photographie. Car, un cran plus loin encore, qu’est-ce qu’une « bonne » mauvaise photographie? À partir de quand une photo ratée peut-elle être considérée comme réussie ou à tout le moins, pour ne pas forcer le paradoxe, comme intéressante ou valable? Insolubles questions, au fond. Tout au fond du laboratoire du photographe, de l’inconscient individuel, de l’imaginaire collectif, ou des relectures de l’histoire des formes. Laissons à un artiste, même pas vraiment photographe, le dernier mot sur le sujet — puisque, selon Ben Vautier et l’une de ses célèbres toiles de mots, « Il n’y a pas de photos ratées » (1997). Et certes, du point de vue philosophique, ontologique, phénoménologique, intrinsèquement, toute photo en vaut une autre : trace d’un événement, d’accord, mais trace de quoi au juste? Singulière trame d’espace et de temps, vertige paradoxal même, pour peu que l’on consente à l’abîme et que l’on ne se contente pas de surfer, de balayer un écran, de grignoter… Pour le reste, affaire de goûts et de couleurs (subjectivement revendiqués, socialement déterminés), et les raisons d’établir des hiérarchies sont systématiquement secondaires et contestables : plus de sol ou moins de ciel, un peu moins cyan ou un peu plus à l’ouest, point d’équilibre entre le moins flou et le plus net, lisibilité dictée par le but, le cadre ou le contexte… Oui, fondamentalement, une photo en vaut une autre; et s’il n’y a pas de photographies ratées, il n’y en a donc, de fait, jamais eu non plus de réussies. D’une image ratée à l’autre, de quelques traces et toits dans la brume du temps à la chirurgie clinique des intelligences artificielles[12], bientôt deux cents ans d’erreurs nous observent par le bout de la lorgnette et attendent de nous raconter leur époque et ses obsessions, dans une glossolalie qui échouera toujours à se faire passer pour un langage sérieux, légitime. En espérant que l’essentiel, comme si souvent, jaillisse une fois encore des interstices de la magie, de l’inattendu, du bord-cadre, du hors-contrôle.
L’assertion pseudo-définitive de Ben pourrait se suffire à elle-même, mais elle prend d’autres couleurs quand on laisse l’artiste l’expliquer et qu’on la replace dans son contexte, comme toujours délicieusement anarchique et légèrement logorrhéique :
(En vérité, je suis un voyeur exhibitionniste qui aime se photographier nu devant les miroirs des chambres d’hôtel [sic].) Mes dernières photos de 1999 contiennent une mise en scène où je me fais photographier avec un panneau qui contient un texte qui renvoie à l’idée de la photo. Exemple : achetez-moi cette photo, c’est pour qu’on en parle. […] Il n’y a pas de photo ratée car toute l’espèce humaine est fantastique. Imaginez la photo de votre concierge vue par un Martien… Je ne suis pas un professionnel de la photo mais quelqu’un qui a la démangeaison du déclic, surtout au bistrot après deux bières. Et puis j’aime les astuces : la photo dans la photo, la photo déchirée, la photo trempée dans l’eau, il est interdit de photographier, la photo qu’on ramasse à terre, etc. Et puis il y a les actions qu’on photographie : se coucher par terre dans la rue pendant trois heures, vendre la terre de Nice, les graffiti dans la rue, la photo-trace… etc, etc.
Vautier, s.d.
On découvre en outre, sur le site web de l’artiste, qu’il n’en a pas moins eu maintes expos exclusivement photographiques, et il égrène enfin des séries, accomplies ou en gestation, mi-bilan, mi-programme, tout aussi alléchantes, absurdes et délicatement nombrilistes :
BIENTÔT ICI :
Photos de famille
Photos de Ben nu avec Elise
Photos de performances Nice/1964-66
Photos de Annie
Photos de gestes
Photos de photos
Photos théoriques
Photos incroyables
Photos de Ben avec texte à la main
Photos d’idées idiotes (Vautier, s.d.)
« Photos d’idées idiotes » : comme s’il suffisait de ne pas y penser. Rater mieux? Pas si facile, tout compte fait. Rater plus? Sûrement toujours possible. Rater trop? Pas de danger, il reste de la place. Allons, rater n’est pas si difficile, au fond. On conviendra que, comme souvent chez Ben, c’est un peu en vrac. Mais on ne peut pas lui enlever ceci : à sa manière de le faire et dans sa façon de le dire, tout y est. Formidablement.
Tant et si bien qu’au bout du chemin, le curieux de passage, mais plus encore le pédagogue inquiet, ou le parent d’élève un peu hésitant, pourrait à bon droit en venir à se demander si finalement « ça s’apprend », cette affaire-là, l’art en général, et la photographie en particulier. Est-ce vraiment dans les écoles que ça s’attrape? Vaste débat, on le sait, tout comme ceux, plus récents, de « la recherche en art » ou des exigences managériales dissuasives au sein des institutions culturelles. Bien sûr, on brandira Michel Foucault, plus pertinent encore peut-être ici qu’ailleurs (« Les diplômes sont surtout faits pour ceux qui ne les ont pas », dans Chancel, 1975), et quelques sociologues du champ culturel d’inspiration marxiste, prompts à dénicher et faire apparaître les logiques clivantes de distinction, de reproduction et d’héritage[13].
Il n’empêche qu’au XVIIe siècle, quand s’élabore en cahiers préparatoires le tout premier Dictionnaire de l’Académie française, on y trouve cette remarque, nette et tranchante, pas floue pour un sou : l’orthographe servira à « distingu[er] les gents de lettres d’auec les ignorants et les simples femmes » (Pasques, 1979: 83). Ce constat, repris par Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans leur génial réquisitoire contre le dogmatisme hiérarchisant d’une orthographe française outrageusement compliquée (2020), peut être rapproché de maints préceptes en art (l’orthographe en est un, à sa manière), de nombreux manuels prescriptifs de technique photographique… En témoigne par exemple ce livret édité en 1930, L’amateur photographe qui ne se contente pas de pousser le bouton (s.a., 1930), dont le titre fait directement référence aux premières publicités Kodak citées plus haut. Nombreux étaient alors les manuels dédiés aux photographes amateurs, remplis d’indications techniques pour « réussir au mieux sa prise de vue et le développement de ses tirages, comme si la maîtrise technique était l’élément qui distinguait les amateurs avertis des dilettantes issus de la génération Kodak » (Rossion, 2022: 15). Dès janvier 1892, dans une lettre adressée à Myron G. Peck, le fondateur de Kodak, George Eastman, s’appuie d’ailleurs lui-même sur ce critère de l’expérience technique pour séparer deux classes distinctes — selon lui — d’amateurs : d’un côté, les « véritables amateurs qui s’adonnent suffisamment à la photographie pour parvenir à maîtriser les techniques de développement, d’impression et de tirage; peu nombreux sont ceux qui ont le temps et l’envie de le faire et possèdent les installations nécessaires, comme une chambre noire »; de l’autre, ceux qui « n’ont pas tout ce qu’il faut pour être de véritables amateurs et désirent simplement conserver des scènes de leur vie quotidienne en souvenir» (lettre datée du 19 janvier 1892, citée dans Rossion, 2022: 13-15[14]).
Comme souvent lorsque l’hésitation est grande (la photographie que j’ai sous les yeux est-elle ratée ou réussie? À quel dessein me juge-t-on sur mon orthographe, ma maîtrise technique, mon accent trop ou si peu provincial? En somme, ai-je bien tout ce qu’il faut?), identifier d’où, voire de qui, provient la question, c’est déjà à moitié y répondre. Ou mieux encore : se dispenser d’avoir à le faire.
Parties annexes
Notes
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[1]
CHÉROUX, Clément. 2019. Si la vue vaut d’être vécue. Paris : Textuel, p. 13.
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[2]
Sur ce sujet, on consultera par exemple l’instructive et jouissive anthologie composée par Paul Edwards, Je hais les photographes! (2006), et notamment la section « Le photographe est méprisable » (30-136). À titre d’exemple de la manière dont la « mauvaise » photographie pouvait inspirer une poésie non moins douteuse (mais à la naïveté assumée), ces quelques vers retors d’Emile Cernay, dans « Les chevaliers de l’objectif » (1905) : « Aujourd’hui, l’Art se vulgarise / pourvu qu’on ait de la maîtrise / à l’aide d’un simple joujou / on fait de l’art, quoi qu’on en dise / Le photographe en fait partout » (cité dans Edwards, 2006: 231). Les publications, sociétés de photographie, cercles et associations de l’époque regorgent de ce genre d’anathèmes, de jugements dévalorisants et de moqueries à peine voilées, certes formulées, le plus souvent, sur un ton moins familier ou égrillard.
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[3]
Sur la question du flou, on consultera notamment les publications de la spécialiste Julia Elchinger, et en premier lieu sa thèse de doctorat, Un éloge du flou dans et par la photographie (2010), notamment les parties « Flous à lier à la modernité technique » (168-187) et « Autres formes d’hyper-flous » (274-286).
-
[4]
C’est d’ailleurs là le titre (« La photographie des fluides ou les lapsus du révélateur ») de l’un des chapitres de l’essai Fautographie de Clément Chéroux (2003: 133).
-
[5]
Pour n’en citer que quelques-uns, mentionnés par Clément Chéroux dans Fautographie (2003: 37). Il en donne les références précises en pages 64 et 65, et les complète de nombre d’autres en bibliographie.
-
[6]
Troisième et dernière catégorie de photographies occultes, la « photographie des médiums » semble quant à elle la plus diversifiée, sinon la plus insaisissable. Présente çà et là depuis pratiquement les tout débuts de la photographie, Chéroux constate qu’elle compose un ensemble repérable, malgré la disparité des phénomènes abordés et de leurs manifestations visuelles (lévitation, transfiguration, télékinésie, production d’ectoplasmes voire apparition de fées et autres personnages mythiques, impalpables et facétieux), qui se focalise sur les capacités extraordinaires (et prétendument objectivables) du praticien médiumnique. À ces trois catégories (« La photographie des esprits », « La photographie des fluides », « La photographie des médiums ») correspondent ainsi les trois grandes parties du livre, respectivement pages 20 à 112, 114 à 169, 171 à 270.
-
[7]
Au début des années 1860, Mumler a réalisé un autoportrait qui semblait représenter l’apparition de son cousin mort depuis douze ans. Cette photo est généralement considérée comme la première photographie spirite.
-
[8]
La trajectoire de Mumler en évoque et en appelle d’autres, toutes singulières, toutes fascinantes. On pourrait s’attarder ainsi sur celle d’Edouard Buguet, actif à Dijon dans les années 1860 : constatant rapidement l’accroissement de son chiffre d’affaires grâce à sa pratique, au départ marginale, du spiritisme, Buguet, installé à Paris, tirera alors bénéfice d’erreurs initiales ainsi que des techniques de plus en plus accessibles de surimpression, pour finir enfin par avouer ses trucs, se débarrasser de ses étiquettes et revendiquer un esprit purement « récréatif ».
-
[9]
Avant de conclure qu’inversement, « le photographe peut choisir de corriger l’exposition pour saturer le fond, et restituer son sujet dans un halo lumineux » (s.d.). Conseil interchangeable entre mille.
-
[10]
Pour exemple, à son corps défendant peut-être, le foudroyant succès du Manuel de la photo ratée de Thomas Lélu (2007), qui décline pourtant les ingrédients les plus surjoués et les recettes les plus attendues, de façon presque didactique, systématique.
-
[11]
Voir le manifeste du Dogme 95, proclamé en 1995 par les cinéastes Lars von Trier et Thomas Vinterberg, déclaration d’opposition radicale à l’esthétique tant d’Hollywood que des vieilles avant-gardes, et imposition de règles concrètes pour respecter ce qui leur apparaissait comme la seule garantie de la morale et de l’intégrité de l’artiste.
-
[12]
Même si cette « chirurgie clinique des intelligences artificielles » reste toute relative : voir à cet égard, par exemple, les nombreuses critiques sur la manière dont elles génèrent à l’occasion des parties de corps fantaisistes, notamment des mains à quatre ou à six doigts.
-
[13]
De Pierre Bourdieu, prolongeant la pensée de Weber ou de Durkheim, rappelons quelques-uns des travaux principaux : La distinction (1979), Les héritiers (dès 1964, avec Jean-Claude Passeron), La reproduction (1970, avec Jean-Claude Passeron), qui mettent au jour les logiques puissantes et souvent escamotées des processus de légitimation. On puisera aussi avec profit, sur ce sujet, dans les études éclairantes de Lucien Goldmann ou René Lourau.
-
[14]
Ouvrage auquel nous renvoyons pour ces éléments d’information et les références qui précèdent.
Bibliographie
- [s. a.]. [s. d.]a. « Photographie spirite (médium et spectres) ». Musée d’Orsay. https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/photographie-spirite-medium-et-spectres-109361#:~:text=La%20photographie%20à%20vocation%20spirite,à%20partir%20des%20années%201890. Consultée le 29 mai 2024.
- [s. a.]. [s. d.]b. « The 10 Golden Rules ». Lomography. https://www.lomography.com/about/the-ten-golden-rules. Consultée le 29 mai 2024.
- [s. a.]. 1930. L’amateur photographe qui ne se contente pas de pousser le bouton. Gand : OIP.
- [s. a.]. 2004. « Le troisième oeil. La photographie et l'occulte ». MEP. https://www.mep-fr.org/event/le-troisieme-oeil/#:~:text=S'il%20est%20possible%20de,radioactivité%20et%20les%20rayons%20X. Consultée le 29 mai 2024.
- [s. a.]. 2023. Réponses Photo, no 357. février.
- [s. a.]. 2024. « Photographie ». Wikipédia. L’encyclopédie libre. http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Photographie&oldid=208282295. Consultée le 25 mars 2024.
- Beckett, Samuel. 1991. Cap au pire, traduction d’Edith Fournier. Paris : Les éditions de minuit, 64 p.
- Boyer, Frédéric. 2012. « William Howard Mumler et sa machine mélancolique ». Les carnets du Bal, no 3 « Les images manquantes », Marseille/Paris : Images en manoeuvres/Éditions du Bal, p. 84-113.
- Buzatti, Dino. 2006 [1971]. « L’enregistreur », dans Les Nuits difficiles, trad. par Michel Sager. Paris : 10/18, p. 13-23.
- Chancel, Jacques. 1975. « Michel Foucault. “Je me suis toujours intéressé aux bas-fonds” », dans Radioscopie. Radio France, 10 mars. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/radioscopie-par-jacques-chancel/michel-foucault-je-me-suis-toujours-interesse-aux-bas-fonds-1991744.
- Chéroux, Clément. 2003. Fautographie. Petite histoire de l’erreur photographique. Crisnée : Yellow Now, 192 p.
- Chéroux, Clément. 2019. Si la vue vaut d’être vécue. Paris : Textuel, 200 p.
- Chéroux, Clément, Andréas Fischer, Pierre Apraxine, Pierre Canguilhem et al.. 2004. Le troisième oeil. La photographie et l’occulte. Paris : Gallimard, 292 p.
- Edwards, Paul. 2006. Je hais les photographes! Textes clés d'une polémique de l'image, 1850-1916. Paris : Anabet, 421 p.
- Elchinger, Julia. 2010. « Un éloge du flou dans et par la photographie ». Thèse de doctorat. Arts visuels, Université de Strasbourg, 324 f.
- Gunthert, André. 2009. « L’image partagée. Comment Internet a changé l’économie des images ». Études photographiques, no 24, novembre, p. 182-209.
- Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron. 2020. Le français n’existe pas. Paris : Éditions le Robert, 160 p.
- Lélu, Thomas. 2007. Manuel de la photo ratée. Paris : Léo Scheer, 96 p.
- Paquet, Suzanne. 2016. « Photographie de l’Autre, des nôtres, des autres. De la persistance de quelques usages (sociaux) ». Captures, vol. 1, no 1 « Post-photographie? », mai. https://revuecaptures.org/node/237.
- Pasques, Liselotte. 1979. « Approche linguistique des fondements de l'orthographe du français, du XVIe au XXe siècle ». Pratiques. Linguistique, littérature, didactique, no 25, p. 82-93.
- Rossion, Adeline, Michel F. David et Anne Delrez. 2022. En dilettante. Histoire et petites histoires de la photographie amateur. Charleroi : Musée de la photographie/Éditions du caïd, 400 p.
- Vautier, Ben. [s. d.]. « Ben photographe ». ben-vautier.com. http://www.ben-vautier.com/ben_photographe/. Consultée le 29 mai 2024.