Création

Vente-débarras[Notice]

  • Christiane Lahaie

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  • Christiane Lahaie
    Université de Sherbrooke

Il va faire chaud et humide. Dans le ciel, quelques nuages s’effilochent et annoncent de la pluie pour le lendemain. Peu importe. C’est aujourd’hui qu’Ariane tient sa vente-débarras. Elle aura le temps de tout écouler avant que la première goutte de pluie ne s’abatte sur elle. Ça fait des mois qu’elle vide ses tiroirs. Qu’elle remue la poussière des placards et des coffres. Elle a trouvé des tonnes de lavande en sachet, totalement vidés de leur parfum. Et des vêtements mangés par les mites. Elle en a jeté dans le bac à déchets, et mis de côté ce qui était encore intact. Elle trouvera bien une friperie qui prendra le lot pour quelques billets. Elle sait qu’elle écoulera facilement ses 45 tours et ses vinyles. On a recommencé à en faire tourner sur des platines et à prendre mille précautions pour ne pas les rayer. Elle a tout examiné. S’est étonnée devant l’état de sa collection. Pas d’égratignures. Et pas de poussière. Ou si peu. On dirait qu’elle ne les a jamais fait jouer, ces disques. Pourtant, plein d’airs et de rythmes sonnent encore à ses oreilles. Elle a ce côté maniaque qui l’oblige à prendre soin de tout, même des choses qu’elle n’aime pas. Qu’elle n’aime plus. Mais il y a des limites. Elle garde Abbey Road et Barbara à l’Olympia. Le reste peut partir. Sur une serviette de table, Ariane a étalé sa collection de joyaux en toc. Ils ne valent rien, mais ils attireront les regards. Les bijoux, c’est comme des aimants. Surtout pour les petites filles comme elle. Comme celle qu’elle a déjà été, il y a longtemps. Les fausses perles luisent toujours. Les roses ont un reflet laiteux. On pourrait presque croire qu’elles sont vraies. Les émeraudes et les saphirs de pacotille n’ont pas perdu leur éclat. Rien d’étonnant. Elle ne les a jamais portés. Les gens adorent faire de bonnes affaires. Ils seront servis. Dans une grosse corbeille, elle a disposé une série de poupées de toutes les tailles. On dirait une gerbe de fleurs fanées. Sa poupée espagnole, celle aux cheveux sombres et bouclés, écarquille les yeux. Une autre écarte les bras pour qu’on la prenne. Ça ne saurait tarder. Qui peut résister à des joues aussi rouges et dodues? En revanche, ses Barbies ont une petite mine. Elles ont beaucoup vécu, celles-là. Une des deux, la blonde articulée, n’a plus de rouge à lèvres. La tête de la brunette tient à peine, car le latex a fendu. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle leur arrachait souvent la tête. Puis la remettait en place après avoir constaté que ni la blonde ni la brunette n’avait de cerveau. Une sorte d’habitude. Elle l’habillait avec du velours et du lamé, puis lui tirait sur la tête jusqu’à ce qu’on entende pop. C’était plus difficile de remettre les choses en place. D’où le latex brisé. Puis, au centre de la corbeille, sa poupée rousse. Celle que sa mère appelait sa « tavelée ». Elle ignore pourquoi, mais elle détestait ce corps de caoutchouc tacheté de brun. Il lui arrivait de le battre. De le frapper de ses minuscules poings fermés, en serrant les dents. Il était laid, ce visage au nez trop retroussé. À la bouche dédaigneuse et pâle. Pourquoi lui avoir fait un tel cadeau? Pourquoi lui demander d’en prendre soin? C’était aberrant. Elle la mettait quand même sur son lit, avec les autres, après avoir replacé la couette et l’oreiller. Ariane se demande soudain pourquoi elle n’a pas voulu s’en départir avant. Elle regarde sa montre. Sept heures. Les clients vont commencer …

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