Canadian Journal of Bioethics
Revue canadienne de bioéthique
Volume 2, numéro 3, 2019 L’Éthique en Archéologie Ethics in Archaeology Sous la direction de Ségolène Vandevelde et Béline Pasquini
Sommaire (25 articles)
Éditorial / Editorial
-
Un besoin d'éthique en archéologie?
Ségolène Vandevelde et Béline Pasquini
p. 1–8
RésuméFR :
Ce texte introductif dresse le bilan du Colloque Archéo-Éthique qui s'est déroulé à Paris les 25 et 26 mai 2018. Il présente également les contributions de ce numéro spécial consacré à l'éthique en archéologie, qui rassemble les actes du colloque. L'ensemble des contributions a été classé en cinq grandes parties : « Quelles collaborations entre archéologues et populations locales? », « (Ré)appropriation ou instrumentalisation des recherches archéologiques? », « Quelles collaborations entre archéologues professionnels et passionnés du patrimoine (de l’amateur qualifié au pillard)? », « Les restes humains, des vestiges archéologiques pas comme les autres », « L’archéologie face à l’impératif de gestion : quelles conséquences sur notre pratique? ». Deux articles transversaux font office d'introduction et de conclusion au volume, qui est ouvert par cet éditorial, et clos par une conclusion des organisatrices du colloque.
EN :
This introductory text provides a summary of the Archaeo-Ethics Conference held in Paris on May 25-26 2018. It also introduces the texts in this special issue devoted to ethics in archaeology, proceedings of the Conference. The texts have been separated into five parts:"What collaborations between archaeologists and local populations?", "(Re-)appropriation or instrumentalization of archaeological research?",“What collaborations between professional archaeologists and heritage enthusiasts (from qualified amateurs to looters)?”, "Human remains, archaeological remains unlike any other", and "Archaeology in the face of a management imperative: what consequences for our practice?". Two transversal papers serve as an introduction and conclusion to the volume, which starts with this editorial and is closed with a conclusion by the conference organizers.
Articles / Articles
-
L’éthique en archéologie, quels enjeux normatifs? Approches françaises
Marie Cornu et Vincent Négri
p. 9–16
RésuméFR :
Les questions éthiques auxquelles sont confrontés les archéologues doivent être pensées en articulation étroite avec le cadre juridique qui régit leur activité. L’éthique se définit comme un « ensemble de principes et valeurs guidant des comportements sociaux et professionnels ». Elle peut inspirer tout à la fois des lois, mais elle génère aussi des pratiques professionnelles, renvoyant à des devoirs inhérents à l’exercice d’une activité spécifique. Le lien entre éthique et droit, construit à partir de ces sources multiples, est par conséquent complexe. Il s’agit, dans cette contribution, d’appréhender ces formes multiples de normativités et leurs interactions. Plusieurs exemples sont particulièrement intéressants de ce point de vue : celui du traitement de l’archéologie funéraire qui met en tension l’intérêt scientifique et le principe de dignité humaine, parfois aussi l’expression de droits collectifs ; celui de la production scientifique et du partage des résultats et des données qui en sont à la base ; celui de la diligence à observer dans un contexte de possibles pillages ; et encore celui de l’articulation entre l’intérêt scientifique et l’intérêt patrimonial. La nature particulière du patrimoine archéologique, dès lors qu’il est révélé au seul moment de sa découverte, va susciter dans le droit interne comme dans le droit international des règles particulières au croisement du droit et de la déontologie, rapport dans lequel pourrait se jouer un débordement du droit par la déontologie. Ces formes d’internormativité se manifestent doublement dans le processus de patrimonialisation et lorsque se pose la question de l’appropriation des éléments tangibles comme des données.
EN :
The ethical issues facing archaeologists must be considered in close coordination with the legal framework governing their activity. Ethics is defined as a “set of principles and values that guide social and professional behaviour”. It can inspire both laws and professional practices, referring to duties inherent to the exercise of a specific activity. The link between ethics and law, built from these multiple sources, is therefore complex. This contribution aims to understand these multiple forms of normativities and their interactions. Several examples are particularly interesting from this point of view: that of the treatment of funerary archaeology which puts under tension the scientific interest and the principle of human dignity, sometimes also the expression of collective rights; that of scientific production and the sharing of the results and data on which they are based; that of the diligence to be observed in a context of possible looting; and also that of the articulation between scientific and heritage interest. The particular nature of the archaeological heritage, as soon as it is revealed at the moment of a discovery, will give rise to specific rules in both domestic and international law at the intersection of law and deontology, a relationship in which there could be a breach of law by deontology. These forms of internormativity are doubly manifest in the process of patrimonialization and when there is question of the appropriation of tangible elements, such as data.
-
À qui appartient le passé? Perspectives nord-américaines sur l’appropriation du patrimoine archéologique
Christian Gates St-Pierre
p. 17–25
RésuméFR :
L’archéologie préhistorique nord-américaine est entraînée dans un processus de décolonisation qui l’oblige à se remettre en question et à redéfinir ses pratiques, de même que ses liens avec les communautés autochtones et leur patrimoine archéologique. N’ayant plus le monopole du discours sur ce patrimoine, les archéologues élaborent de nouvelles approches plus collaboratives, multivocales et socialement pertinentes. La question de l’appropriation du passé reste toutefois problématique, car sujette à des débats opposant des positions sociopolitiques et interprétatives parfois difficilement réconciliables. Cet article dresse un portrait sommaire de la situation et des défis éthiques qui en résultent, en l’illustrant à l’aide d’une étude de cas contemporaine se déroulant à Montréal.
EN :
Prehistoric archeology in North America is driven by a process of decolonization that forces us to question and redefine its practices, as well as its links with Aboriginal communities and their archaeological heritage. No longer having the monopoly of discourse on this heritage, archaeologists are developing new approaches that are more collaborative, multivocal and socially relevant. The question of appropriating the past remains problematic, however, as it is subject to debates opposing sociopolitical and interpretative positions that are sometimes difficult to reconcile. This article provides a brief overview of the situation and the resulting ethical challenges, illustrated by a contemporary case study located in Montreal.
-
Les recherches-action ou collaboratives sont-elles plus éthiques? Réflexions d’une ethnologue en milieu autochtone canadien
Marie-Pierre Bousquet
p. 26–33
RésuméFR :
Au Canada, depuis le début des années 2000, les recherches-action et collaboratives sont devenues de plus en plus populaires dans les sciences sociales. Dans ces recherches, les connaissances sont produites non pas seulement par les chercheurs spécialisés, mais avec les acteurs de terrain. Elles sont souvent présentées comme la panacée en matière d’éthique vis-à-vis des populations locales, surtout quand celles-ci sont en situation de marginalisation. Ces recherches sont en effet vues comme une voie d’empowerment possible. J’examine ici la façon dont ces types de recherches, appliquées à des disciplines non normatives comme la mienne, peuvent en changer le visage, à partir de mon expérience d’anthropologue en milieu amérindien au Québec. Sont-elles vraiment plus éthiques que les recherches fondamentales? Je montre les questionnements soulevés par ces modèles, qui peuvent changer les façons de pratiquer mon métier, en prêtant une attention particulière à l’engagement du chercheur, à la validité et la solidité des méthodologies et des épistémologies, ainsi qu’aux degrés de participation des informateurs, tout cela dans le cadre des règles éthiques formulées par les conseils subventionnaires canadiens et par les Autochtones eux-mêmes.
EN :
In Canada, since the early 2000s, action and collaborative research have become increasingly popular in the social sciences. In this form of research, knowledge is produced not only by specialized researchers but also with actors in the field; it is often presented as a panacea for ethical research with local populations, especially when they are in a situation of marginalization. This research is in practice seen as a potential means of empowerment. Based on my experience as an anthropologist working in Quebec Aboriginal communities, I examine how, when applied to non-prescriptive disciplines such as mine, these types of research can present different images. Are they really more ethical than fundamental research? I highlight the questions raised by these models, which can change the way I practice my profession, paying particular attention to the commitment of the researcher, the validity and strength of methodologies and epistemologies, and the degrees of participation of informants, all within the framework of the ethical rules formulated by the Canadian granting councils and by Aboriginal people themselves.
-
Ethical Issues in Indigenous Archaeology: Problems with Difference and Collaboration
Alfredo González-Ruibal
p. 34–43
RésuméEN :
The critique of archaeology made from an indigenous and postcolonial perspective has been largely accepted, at least in theory, in many settler colonies, from Canada to New Zealand. In this paper, I would like to expand such critique in two ways: on the one hand, I will point out some issues that have been left unresolved; on the other hand, I will address indigenous and colonial experiences that are different from British settler colonies, which have massively shaped our understanding of indigeneity and the relationship of archaeology to it. I am particularly concerned with two key problems: alterity – how archaeologists conceptualize difference – and collaboration – how archaeologists imagine their relationship with people from a different cultural background. My reflections are based on my personal experiences working with communities in southern Europe, Sub-Saharan Africa and South America that differ markedly from those usually discussed by indigenous archaeologies.
FR :
La critique de l’archéologie dans une perspective autochtone et postcoloniale a été largement acceptée, du moins en théorie, dans de nombreuses colonies de colons, du Canada à la Nouvelle-Zélande. Dans le présent texte, j’aimerais développer cette critique de deux façons : d’une part, je soulignerai certaines questions qui n’ont pas été résolues ; d’autre part, j’aborderai les expériences autochtones et coloniales qui sont différentes de celles des colonies de colons britanniques, qui ont façonné massivement notre compréhension de l’indigénéité et de la relation entre l’archéologie et celle-ci. Je m’intéresse particulièrement à deux problèmes clés : l’altérité – comment les archéologues conçoivent la différence – et la collaboration – comment les archéologues imaginent leur relation avec des personnes d’un autre milieu culturel. Mes réflexions sont basées sur mes expériences personnelles de travail avec des communautés d’Europe du Sud, d’Afrique subsaharienne et d’Amérique du Sud qui diffèrent sensiblement de celles que l’on retrouve habituellement dans les archéologies autochtones.
-
Les alternatives locales face à la mondialisation : réflexions évaluant la possibilité d’une archéologie durable et les contraintes éthiques professionnelles surgissant avec ce processus
Ramiro Javier March
p. 44–56
RésuméFR :
Cet article analyse les conséquences éthiques pour l’archéologie et les archéologues induites par le processus de mondialisation capitaliste et l’intégration du patrimoine archéologique comme une ressource au sein de l’économie de marché. Nous effectuons une réflexion théorique sur la situation actuelle ainsi que sur les questions et repositionnements des différents acteurs dans ce processus à partir de notre participation au débat suscité autour de la déclaration de la Quebrada de Humahuaca (Jujuy, Argentine) comme Patrimoine de l’humanité en 2003. Finalement l’alternative d’une archéologie durable est ainsi évaluée comme une forme possible de transformation pour l’archéologie.
EN :
This article analyses the ethical consequences for archaeology and archaeologists induced by the process of capitalist globalisation and the integration of archaeological heritage as a resource within the market economy. I propose a theoretical reflection on the current situation as well as on the questions and repositioning of the different actors in this process, based on my participation in the 2003 debate on the declaration of the Quebrada de Humahuaca (Jujuy, Argentina) as a World Heritage Site. Finally, the alternative of sustainable archaeology is evaluated as a possible means of transformation for archaeology.
-
L’instrumentalisation des sites archéologiques incas. Questions d’éthique
Antoinette Molinié
p. 57–65
RésuméFR :
À l’occasion de l’Indépendance du Pérou, les champions de la nation d’origine créole ont érigé l’Indien étatique inca en ancêtre présentable, éliminant ainsi l’historicité amérindienne de la population. Les restes archéologiques viennent appuyer alors une idéologie indigéniste qui ignore l’Indien sociologique, considéré comme ontologiquement inférieur. Aujourd’hui ces vestiges incas contribuent à construire le roman national : le culte solaire inca est ainsi réinventé sur le site de Sacsayhuaman. Dans quelle mesure les travaux des archéologues peuvent-ils servir d’argument à des idéologies partisanes? Les présidents des Républiques péruvienne et bolivienne ont été intronisés comme souverains préhispaniques, le premier sur le site inca de Machu Picchu, le second à la porte du Soleil de Tiwanaku. Dans quelle mesure les vestiges d’une civilisation peuvent-ils être instrumentalisés par la politique? Désormais les sites incas sont investis par des mystiques venus des États-Unis et d’Europe sous la conduite de néo-chamanes locaux. Ils sont en effet réputés contenir de l’ « énergie » positive. Celle-ci est exploitée par des agences de tourisme mystique. Dans quelle mesure le patrimoine de la nation, entretenu par les services publics, peut-il faire l’objet de profits privés, d’idéologies parfois sectaires et de dommages irréparables? Dans la culture des communautés andines traditionnelles, les ruines préhispaniques avaient une fonction classificatoire et symbolique. Celle-ci disparaît quand le lieu du mythe est remplacé par des sites historiques. Comment respecter la perception indigène des vestiges archéologiques? Tels sont les questions éthiques que cet article entend poser à partir de cas précis et concrets de sites archéologiques sur lesquels l’auteur a mené des enquêtes.
EN :
On the occasion of Peru’s Independence, the champions of the Creole nation elevated the Inca State Indian to the status of a respectable ancestor, thus eliminating the Amerindian historicity of the population. The archaeological remains provide support to an indigenist ideology that ignores the sociological Indian, considered to be ontologically inferior. Today, these Inca vestiges contribute to the construction of the national narrative: the Inca solar cult is thus reinvented on the site of Sacsayhuaman. To what extent can the work of archaeologists serve to corroborate partisan ideologies? The presidents of the Peruvian and Bolivian Republics were inducted as pre-Hispanic rulers, the first on the Inca site of Machu Picchu, the second at the Tiwanaku Sun gate. To what extent can the vestiges of a civilization be instrumentalized by politics? The Inca sites are now assailed by New Age mystics from the United States and Europe under the leadership of local neo-shamans. They are indeed reputed to carry positive “energy”, one that is exploited by mystical tourism agencies. To what extent can the heritage of the nation, maintained by public services, be the object of private profits, ideologies that may be sectarian and possibly irreparable damages? In the culture of traditional Andean communities, the pre-Hispanic ruins had a classificatory and symbolic function. This function disappears when the setting of a myth is replaced by a historical site. How can we respect the indigenous perception of archaeological remains? These are the ethical questions that this article seeks to raise on the basis of specific and concrete cases of archaeological sites on which the author has carried out excavations.
-
Alésia : l’instrumentalisation actuelle d’une prétendue controverse, entre mythe national et théorie du complot
Jonhattan Vidal et Christophe Petit
p. 66–78
RésuméFR :
Le siège d’Alésia, épisode majeur de la guerre des Gaules, voit en 52 av. n. è. la coalition gauloise rassemblée autour de Vercingétorix échouer à repousser l’armée romaine menée par César. Il y a une forte dichotomie entre la place importante que prend cet épisode dans la construction du mythe national français et la brièveté du siège, avec le peu de traces archéologiques visibles et intelligibles du grand public que laisse ce type d’événement. Ces aspects ont contribué à ce qu’au XIXe siècle la question de la localisation du siège d’Alésia fasse débat. Cette controverse est sortie du champ scientifique au gré d’un siècle et demi de recherches de terrain qui ont mis au jour les vestiges de cet épisode à Alise-Sainte-Reine. Toutefois, des localisations alternatives du site sont toujours défendues et cette pseudo-controverse trouve un écho médiatique inespéré au regard de la faiblesse des arguments évoqués. On s’interroge ici sur les questions éthiques que soulèvent de telles présentations médiatiques de sujets archéologiques, lorsqu’elles soumettent une question scientifique à des considérations mercantiles. En effet, ces théories cherchent à coller au mythe, notamment en faisant correspondre un site à une idée préconçue. Elles se nourrissent également des ingrédients d’une théorie du complot : soit par déduction, car si ces localisations manquent de preuves, c’est donc que ces dernières sont cachées par les archéologues ; soit comme point de départ, par défiance envers le discours scientifique désigné comme « l’histoire officielle ». Se pose également une question éthique pour le chercheur sur l’attitude à avoir face à ces situations.
EN :
The siege of Alesia, a major episode of the Gallic wars, in 52 BC saw the Gallic coalition gathered around Vercingetorix fail to repel the Roman army led by Caesar. There is a strong dichotomy between the important place that this episode plays in the construction of the French national myth and the brevity of the siege, with the few visible and intelligible archaeological traces left by this type of event for the general public. These aspects contributed to the debate in the 19th century on the location of Alesia’s headquarters. This controversy emerged from the scientific field over the course of a century and a half of field research that had brought to light the remains of this episode in Alise-Sainte-Reine. However, alternative locations of the site are still being defended and this pseudo-controversy continues to receive unexpected media coverage in view of the weakness of the arguments put forward. This raises questions about the ethical issues raised by such media presentations of archaeological subjects, when they submit a scientific question to commercial considerations. Indeed, these theories seek to stick to the myth, in particular by matching a site to a preconceived idea. They also feed on the ingredients of a conspiracy theory: either by deduction, because if these locations lack evidence, it is because they are hidden by archaeologists; or as a starting point, out of mistrust of the scientific discourse referred to as “official history”. There is also an ethical question for the researcher about how to deal with these situations.
-
De nouvelles normes à l’égard des restes humains anciens : de la réification à la personnalisation?
Gaëlle Clavandier
p. 79–87
RésuméFR :
Les normes à l’égard des restes humains, anciens ou plus récents, sont en passe de se transformer ; on assiste à des ajustements inédits tendant à humaniser ces restes. Certains d’entre eux, dans des contextes fort différents, sont désormais traités comme des dépouilles mortelles et peuvent bénéficier d’un traitement qui pourrait être qualifié de funéraire et aboutir au cimetière. Ces changements sont fréquemment interprétés comme la résultante de l’expression de liens (liens familiaux, affiliation communautaire) favorisant un processus de deuil ou une dynamique mémorielle. Or une seconde tendance consiste à appliquer des principes dédiés à la dépouille mortelle à des restes humains jusqu’alors réifiés, notamment le principe de la dignité humaine. Elle s’observe à deux niveaux, celui de la doctrine juridique et celui des pratiques. Cet article s’appuie sur une illustration tirée d’une fouille archéologique préventive récente, laquelle permet de saisir à la fois les enjeux, mais aussi les réponses adoptées in situ au sujet de la trajectoire et du devenir de ces restes humains.
EN :
The norms regarding human remains, old or new, are changing; we are witnessing unprecedented adjustments that tend to humanize these remains. Some of these, in very different contexts, are now treated as mortal remains and can benefit from treatment that could be qualified as funeral and lead to the cemetery. These changes are frequently interpreted as the result of the expression of ties (family ties, community affiliation) that promote a grieving process or a memory dynamic. However, a second trend is at work to apply principles dedicated to mortal remains, including the principle of human dignity, to human remains that have until now been reified. This trend can be observed at two levels, that of legal doctrine and that of practice. This article is based on an example from a recent preventive archaeological excavation, that captures both the issues and the responses adopted in situ about the trajectory and fate of these human remains.
-
“I Like to Keep my Archaeology Dead”. Alienation and Othering of the Past as an Ethical Problem
Stefan Schreiber, Sabine Neumann et Vera Egbers
p. 88–96
RésuméEN :
As archaeologists, we have to deal with the dead, and as David Clarke once said, we like to keep our archaeology dead. From an epistemological perspective, alienation from the dead seems almost inevitable; otherwise, we would only project today’s conditions onto the past. Therefore, the past must be, and must remain, a foreign country. These alienating processes have ethical implications, however, especially when it comes to the study of human remains. In this article, we analyze the structures within the scientific discipline of archaeology that normalize practices, such as the labeling of human bone material during excavations and the object-like display of skeletons in museums. We argue that archaeologists have an – often rejected – ethical responsibility towards subjects from the past. We, therefore, seek to open up a debate concerning alternative strategies for the treatment of the dead.
FR :
En tant qu’archéologues, nous avons affaire à la mort. Et, pour reprendre les mots de David Clarke, nous aimons garder notre archéologie morte. D’un point de vue épistémologique, l’aliénation des morts semble être presque inévitable. Sinon, nous ne ferions que projeter les conditions d’aujourd’hui sur celles d’hier. Ainsi, le passé doit être et rester une terre étrangère. Ces processus d’aliénation ont toutefois des implications éthiques, en particulier lorsqu’il s’agit de l’étude des restes humains. Dans cet article, nous analysons les structures dans le domaine scientifique de l’archéologie qui normalisent des pratiques telles que l’étiquetage du matériel osseux humain pendant les fouilles ou l’exposition de squelettes, tels des objets, dans les vitrines de musées. Nous soutenons que les archéologues ont une responsabilité éthique – souvent niée – envers les sujets du passé et souhaitons ouvrir le débat sur l’adoption de stratégies alternatives dans le “traitement” des morts.
-
Les restes humains archéologiques en France : entre objets de science et sujets de droit
Rozenn Colleter et Paul-Anthelme Adèle
p. 97–108
RésuméFR :
Depuis 40 ans, la multiplication des fouilles archéologiques de grands ensembles funéraires en France a entrainé un accroissement considérable des vestiges osseux humains dans les dépôts de fouilles de l’État. Ces restes ne font pas partie du mobilier archéologique stricto-sensu mais relèvent de la « documentation scientifique ». D’un côté, les exigences de la science commandent de mobiliser toutes les techniques disponibles afin de mieux connaître les populations qui nous ont laissé ces traces. De l’autre côté, des limites matérielles et culturelles conduiraient à voir dans les techniques d’échantillonnage un dispositif archéologique efficient. La mission d’intérêt général qu’est la recherche archéologique commande au contraire de porter un soin particulier à ces vestiges en les épargnant d’une vision trop gestionnaire et de court terme. Les vertus éthiques de l’excellence archéologique ne doivent pas être oubliées, ainsi le savoir archéologique doit-il d’abord porter une exigence de rigueur scientifique. Cette exigence première est notamment questionnée par les choix de gestion des collections des restes humains. Une seconde exigence éthique conduit à s’interroger sur les limites juridiques ou morales de la première. L’ambition de rigueur scientifique doit-elle être limitée dans certaines hypothèses, notamment lorsque la recherche porte sur des restes humains? Ces restes doivent-ils faire l’objet d’un statut juridique ou éthique spécifique qui tendrait à les distinguer des autres éléments du mobilier archéologique? L’article se propose d’aborder ces questions sous le prisme de l’étude du cas du corps parfaitement bien conservé de Louise de Quengo, noble bretonne du XVIIe découverte en 2014 à Rennes (France).
EN :
Over the past 40 years, the increase in the number of archaeological excavations of large funeral complexes in France has led to a considerable increase in the number of human remains in the State’s excavation sites. These remains are not strictly speaking part of the archaeological material but are instead considered “scientific documentation”. On the one hand, the requirements of science necessitate the mobilization of all available techniques in order to better understand the populations that have left us these traces. On the other hand, material and cultural limitations necessarily lead to sampling techniques being seen as an efficient archaeological system. On the other hand, the mission of general interest that is archaeological research requires particular care be taken with these remains, sparing them from an overly managerial and short-term vision. The ethical virtues of archaeological excellence must not be forgotten; archaeological knowledge must be based on the requirement of scientific rigour. This primary requirement is questioned in particular by the choices made in the management of human remains collections. A second ethical requirement leads to questions about the legal or moral limits of the first. Should scientific rigour be limited in certain cases, particularly when the research involves human remains? Should remains be subject to a specific legal or ethical status that would distinguish them from other elements of archaeological material? This article addresses these questions through the prism of the study of the case of the perfectly preserved body of Louise de Quengo, a 17th century Breton noble discovered in 2014 in Rennes (France).
-
De la « professionalisation » à la « vassalisation ». L’archéologue entre « éthique professionnelle » et « responsabilité sociale d’entreprise »
Agnès Vandevelde-Rougale et Nicolas Zorzin
p. 109–119
RésuméFR :
À partir du constat d’une perte d’épaisseur de l’éthique en archéologie – « ethical-washing » par lequel l’éthique se voit restreinte à la production d’enregistrements de données archéologiques d’une part et à la communication sociale d’entreprise d’autre part –, cet article examine l’évolution de la profession d’archéologue et sa perte de sens subjective. En s’appuyant sur un cas concret d’expérience de travail sous contrat dans l’archéologie de sauvetage au Royaume-Uni et sur des entretiens avec des professionnels de l’archéologie préventive en France, il interroge l’influence de la rhétorique managériale, liée au néocapitalisme, dans cette dynamique. Il conclut en proposant de premières pistes de résistance de l’archéologie et des archéologues à la soumission aux impératifs de développement portés par les aménageurs, discutées avec le public du colloque « Archéo-Ethique ».
EN :
Based on the observation of a loss of thickness in archaeological ethics – “ethical-washing” by which ethics is restricted to the production of records of archaeological data on the one hand, and to corporate social communication on the other – this article examines the evolution of the archaeological profession and its loss of subjective meaning. Based on a concrete case of contract work experience in rescue archaeology in the United Kingdom, and interviews with professionals in preventive archaeology in France, this article questions the influence on this dynamic of a managerial rhetoric linked to neocapitalism. It concludes by proposing for archaeology and archaeologists, some means to resist submission to the development imperatives of planners, discussed with the public at the “Archaeo-Ethics” conference.
-
L’archéologie préventive, une source de solutions pour demain? Réflexions sur les enjeux scientifiques et sociétaux de l’archéologie préventive face aux effets délétères du néo-libéralisme
Charlotte Blein
p. 120–127
RésuméFR :
Depuis plusieurs décennies, en Europe, l’archéologie préventive met au jour un bien plus grand nombre de vestiges que l’archéologie programmée. La masse d’informations issue de ces recherches préventives est telle que son traitement constitue une tâche colossale, mais aussi incontournable si on ne veut pas que les fouilles préventives deviennent synonymes de destruction des vestiges – ce qu’elles sont précisément censées empêcher. L’effort que doit fournir notre société (en termes de temps et de moyens financiers, notamment) peut paraître lourd, voire insurmontable à certains ; pourtant, cet effort est impératif et primordial, car les fouilles préventives sont porteuses d’enjeux majeurs, aussi bien scientifiques que sociétaux. Cet article vise à détailler ces enjeux et à les analyser au regard des effets délétères de la logique néolibérale sur l’archéologie préventive et des difficultés écologiques et sociétales actuelles.
EN :
In recent decades, rescue archaeology in Europe has uncovered a much larger number of remains than planned archaeology. The mass of information resulting from this preventive research is such that its processing is a colossal task, but also unavoidable if preventive excavations are not to become synonymous with the destruction of the remains – which is precisely what they are supposed to prevent. The effort that our society must make (in terms of time and financial resources in particular) may seem heavy, even insurmountable to some; nevertheless, this effort is imperative and essential, because preventive excavations raise major challenges, both scientific and societal. This article aims to detail these issues and analyse them in the light of the deleterious effects of neoliberal logic on rescue archaeology and the associated ecological and societal difficulties.
-
L'éthique du care en archéologie préventive : un retour d'expérience et quelques pistes de réflexion
Christophe Tufféry
p. 128–137
RésuméFR :
Après avoir rappelé ce qu’est l’archéologie préventive, nous proposons de mobiliser pour ce domaine d’activité la notion d’éthique du care. Cette notion est porteuse d’une polysémie et revêt plusieurs dimensions, éthique, sociologique et politique. Elle ne reste pas théorique et s’ancre dans la réalité et dans les pratiques dans leurs diversités. L’éthique du care peut offrir de nouvelles pistes de réflexion et d’action pour les archéologues mais aussi pour les personnels d’encadrement et les différentes institutions de l’archéologie pour appréhender autrement les comportements, les discours, les pratiques, et les besoins des archéologues en situation. Au cours des vingt dernières années, les archéologues ont dû intégrer la présence de plusieurs facteurs de risques professionnels, face auxquels les attitudes et les discours varient entre la responsabilité, la prévention mais aussi parfois le déni. Les archéologues exercent leurs métiers sur des terrains variés où leurs corps et leurs pratiques s’entrecroisent et traduisent leurs relations « incorporées » aux sites et aux vestiges archéologiques. Les terrains des archéologues sont aussi des lieux de sociabilité où se construisent leurs identités professionnelles et leurs histoires collectives, qui sont des ciments très puissants dans le fonctionnement de leurs groupes sociaux. C’est aussi sur l’importance de ces relations d’interdépendances qu’insiste l’éthique du care.
EN :
After reviewing what constitutes preventive archaeology, I propose mobilizing, for this field of activity, the notion of an ethics of care. This notion is polysemous and has ethical, sociological and political dimensions. It does not remain theoretical but is instead rooted in reality and in the full diversity of practices. An ethics of care can offer new avenues for reflection and action for archaeologists, but also for supervisory staff and the various archaeology institutions to gain a new understanding of the behaviours, discourses, practices and practical needs of archaeologists. Over the past twenty years, archaeologists have had to integrate the presence of multiple professional risk factors, in the face of which attitudes and discourse have varied between responsibility, prevention and sometimes denial. Archaeologists work in a variety of terrains where their bodies and practices intersect and reflect their “embedded” relationships in archaeological sites and remains. Archaeologists’ field areas are also places of sociability where their professional identities and collective histories are built, which are a very powerful glue for the functioning of their social groups. The importance of these interdependent relationships is also emphasized by an ethics of care.
-
Réflexions éthiques relatives à l’étude du Proche-Orient antique
Cécile Michel
p. 138–145
RésuméFR :
L’assyriologie recouvre les disciplines qui portent sur l’étude du Proche-Orient antique, et plus spécifiquement sur la période et la zone géographique définies par l’usage de l’écriture cunéiforme. Les archéologues, historiens et historiens de l’art qui mènent des recherches dans ce domaine, travaillent dans des pays en guerre ou des pays qui ne respectent pas la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ils sont confrontés à des situations qui affectent leur travail au quotidien. Pour mieux appréhender les situations, il est indispensable de maîtriser l’histoire récente de ces pays, le rôle qu’y ont joué les chercheurs occidentaux dans la redécouverte de l’antiquité, et la relation des politiques et des populations locales vis-à-vis de leur passé. En 2003, les assyriologues ont créé l’International Association for Assyriology pour mieux faire face à la situation au Proche-Orient, et depuis 2014, ils ont réagi par le biais de déclarations officielles, avant de mener une réflexion sur le comportement éthique des chercheurs. Celui-ci porte sur le respect des lois des pays objets d’étude, la coopération avec les scientifiques locaux, la formation des futures générations et le bien-être de la main-d’œuvre employée sur les chantiers de fouilles archéologiques. Il concerne les moyens à mettre en œuvre pour la sauvegarde et la restauration du patrimoine culturel, sans pour autant se compromettre avec des régimes dictatoriaux. Enfin, le comportement éthique du chercheur passe par la transmission du savoir vers le public, et en particulier l’information à destination des acheteurs potentiels du danger de contribuer au trafic des antiquités.Depuis 2003, les assyriologues se sont organisés en une association internationale pour mieux faire face à la situation au Proche-Orient, et depuis 2014, ils ont réagi par le biais de déclarations officielles et multilingues, avant de mener une vaste réflexion sur le comportement éthique des chercheurs. Celui-ci porte sur le respect des lois des pays objets d’étude, la coopération avec les scientifiques locaux et l’échange de données, la formation des futures générations et le bien-être de la main-d’œuvre employée sur les chantiers de fouilles archéologiques. Il concerne également les efforts et moyens à mettre en œuvre pour la sauvegarde et la restauration du patrimoine culturel, sans pour autant se compromettre avec des régimes dictatoriaux ou des groupes belligérants. Enfin, le comportement éthique du chercheur passe par la transmission du savoir vers le public, et en particulier l’information à destination des acheteurs potentiels du danger de contribuer au trafic des antiquités.
EN :
Assyriology covers disciplines that concern the study of the ancient Near East, and more specifically the period and the geographic area defined by the use of cuneiform writing. Archaeologists, historians and art historians who conduct research in this field work in countries at war or in countries that do not respect the Universal Declaration of Human Rights. They are confronted with situations that affect their daily work. To better understand these situations, it is essential to understand the recent history of these countries, the role played by Western researchers in the rediscovery of antiquity, and the relationship of local politicians and populations to their past. In 2003, Assyriologists created the International Association for Assyriology to better address the situation in the Near East, and since 2014, they have reacted through official statements, before reflecting on the ethical behaviour of researchers. This concerns respect for the laws of the countries under study, cooperation with local scientists, the training of future generations and the well-being of the workforce employed on archaeological excavation sites. It concerns the means to be implemented for the safeguarding and restoration of cultural heritage, without cooperating with dictatorial regimes. Finally, the ethical behaviour of the researcher depends on the transmission of knowledge to the public, and in particular information to potential buyers about the danger of contributing to the trafficking of antiquities.
Commentaires critiques / Critical commentaries
-
L’archéologie de la mort face aux temps récents : pratiques et questionnements éthiques à partir d’une étude de cas
Anne Frédérique Richier
p. 146–148
RésuméFR :
Partant de la fouille inédite d’un cimetière en usage entre 1784 et 1905 à Marseille, ce commentaire vise à décrypter les questions relevant de la déontologie et de l’éthique que pose l’archéologie de la mort récente.
EN :
Based on an undocumented excavation of a cemetery in use between 1784 and 1905 in Marseille, this commentary aims to decipher the questions of deontology and ethics raised by the archaeology of recent death.
Témoignage / Perspective
-
L'étude des données "grises" issues de la détection illégale de métaux : sauvegarde du patrimoine ou cercle vicieux du pillage?
Thomas Lecroere
p. 149–157
RésuméFR :
La pratique de la détection de métaux a connu un développement considérable durant les quarante dernières années. Prenant la mesure du risque que celle-ci faisait courir au patrimoine archéologique, les pouvoirs publics, à la suite de recommandations internationales, ont mis en place des législations pour tenter de diminuer son impact. Certaines nations à l’image de l’Angleterre et du Pays de Galles, et récemment des Flandres belges, considèrent néanmoins les utilisateurs de détecteurs de métaux plus comme des auxiliaires à la recherche que comme un réel risque pour le patrimoine archéologique, et les encouragent à déclarer leurs trouvailles aux autorités compétentes. De plus, les découvreurs d’objets exceptionnels peuvent se voir récompensés financièrement. En France, où la législation impose l’obtention d’une autorisation administrative pour utiliser un détecteur de métaux, les systèmes déclaratifs font figure d’exemples pour la communauté des utilisateurs de détecteurs, rêvant d’une « collaboration active » entre eux et les archéologues. Certains scientifiques, arguant que la détection illégale est une réalité qu’on ne peut combattre, font cependant le choix d’enregistrer et d’étudier les découvertes des utilisateurs clandestins de détecteurs de métaux, voyant ainsi la possibilité de « sauver ce qui peut l’être ». Cependant, divers exemples issus de l’actualité et de différents médias démontrent que, loin de son but originel, cette pratique offre une caution scientifique à la détection de métaux et une valeur marchande aux objets découverts, créant ainsi une demande alimentant le pillage du patrimoine.
EN :
The practice of metal detection has developed considerably over the past forty years. Taking into account the risk that it posed to the archaeological heritage, public authorities, following international recommendations, have put implemented legislation to try to reduce its impact. Some nations such as England and Wales, and recently Belgium, nevertheless consider users of metal detectors more as research assistants than as a real risk to the archaeological heritage and encourage them to report their findings to the competent authorities. In addition, discoverers of exceptional objects can be rewarded financially. In France, where legislation requires administrative authorization to use a metal detector, declaratory systems are models for the detector user community who have dreamed of “active collaboration” between themselves and archaeologists. Some scientists, arguing that illegal detection is a reality that cannot be combated, nevertheless choose to record and study the discoveries of clandestine users of metal detectors, seeing in this the possibility of “saving what can be saved”. However, various examples from current events and the media show that, far from its original purpose, this practice provides a scientific validation for the detection of metals and a market value for the objects discovered, thus creating a demand for the looting of heritage sites.
-
Le détectorisme en France : quelle situation et quelle politique publique?
Xavier Delestre
p. 158–165
RésuméFR :
La conservation du patrimoine archéologique français est depuis plusieurs décennies gravement menacée par les utilisateurs de détecteurs de métaux. Pour endiguer ce fléau qui porte atteinte à la recherche et à la conservation des vestiges, l’État met en œuvre des actions pédagogiques et répressives.
EN :
The conservation of France’s archaeological heritage has been seriously threatened for several decades by users of metal detectors. To curb this scourge, which undermines research and conservation of the remains, the State implements educational and repressive measures.
-
Professionnels, bénévoles, amateurs et citoyens : des acteurs de la recherche pour quels apports?
Jean-Olivier Gransard-Desmond
p. 166–193
RésuméFR :
Depuis les années 1970, l’archéologie s’est professionnalisée à une très grande vitesse avec l’évolution de l’administration française et l’explosion des postes en archéologie préventive. Les avantages apportés par cette évolution rapide doivent aujourd’hui tenir compte des acteurs non professionnels (bénévoles, amateurs et citoyens) dont la diversité a également évolué. En effet, la distance prise par les professionnels à l’égard de ces derniers se creuse un peu plus chaque jour. Pourtant, pendant longtemps, sociétés savantes et associations ont alimenté la production scientifique. Certaines ont même donné lieu à la création de centres de recherches associés parfois à la création d’un musée. Ces initiatives d’envergure issues de personnes morales peuvent également se retrouver au titre d’une personne physique. À des degrés très divers, bien d’autres archéologues bénévoles, se définissant parfois comme libres chercheurs, ont apporté leur pierre à la connaissance de l’être humain via une approche archéologique. Certains sont même devenus professionnels. Au travers de la présentation des apports et des limites des différents acteurs non professionnels de la recherche (en particulier archéologues bénévoles et chercheurs amateurs), nous mettrons en évidence l’importance qu’il y aurait à renforcer le lien entre professionnels et non professionnels pour la recherche archéologique de demain en mode science 4.0.
EN :
Since the 1970s, archaeology has been very rapidly professionalized with the evolution of the French administration and the explosion of preventive archaeology positions. The benefits of this rapid evolution must now take into account the non-professional actors (volunteers, amateurs and citizens) whose diversity has also evolved. Indeed, the distance taken by professionals towards the latter is increasing a little more every day. Yet, for a long time, learned societies and associations have fuelled scientific production. Some have even led to the creation of research centres, sometimes associated with the creation of a museum. These large-scale initiatives from legal entities may also be found in the case of individuals. To very different degrees, many other volunteer archaeologists, sometimes defining themselves as independent researchers, have contributed to knowledge about human beings through an archaeological approach. Some have even become professionals. Through the presentation of the contributions and limitations of the various non-professional research actors (in particular volunteer archaeologists and amateur researchers), we highlight the importance of strengthening the link between professionals and non-professionals for tomorrow’s archaeological research in mode science 4.0.
-
Archéologie et éthique : quelle place pour les spéléologues?
Christophe Gauchon
p. 194–200
RésuméFR :
Les spéléologues sont à la fois explorateurs, observateurs et usagers du monde souterrain qui recèlent de nombreux patrimoines. Si l’impérieuse obligation de garantir à ces patrimoines la protection la plus efficace est partagée par tous, le texte essaie de tenir compte des différents statuts règlementaires qui s’appliquent aux vestiges archéologiques, aux patrimoines vivants et abiotiques. Or l’éthique consiste justement à rééquilibrer, autant que possible, ces différents niveaux de réglementation. La spéléologie d’exploration vise évidemment à découvrir de nouvelles cavités et de nouveaux réseaux, et même si ce n’est pas leur motivation première, les spéléologues sont parfois amenés à découvrir aussi des vestiges archéologiques. Ces découvertes, obtenues par différents moyens, amènent à repenser les conditions de l’accès au monde souterrain, en général âprement défendu par les spéléologues. Un dialogue doit alors s’instaurer avec les archéologues pour que la protection et l’étude de ces vestiges ne se fasse au détriment ni de la conservation ni des différents acteurs. La responsabilité éthique est alors partagée.
EN :
Speleologists are at the same time explorers, observers and users of the underground world which contains many heritages. While the imperative obligation to guarantee the most effective protection for these heritages is shared by all, the text tries to take into account the different regulatory statutes that apply to archaeological remains, living and abiotic heritages. However, ethics consists precisely in rebalancing, as much as possible, these different levels of regulation. Exploration speleology obviously aims to discover new cavities and new networks, and even if this is not their primary motivation, speleologists are sometimes led to discover archaeological remains as well. These discoveries, obtained by different means, lead to a rethinking of the conditions of access to the underground world, generally strongly defended by speleologists. A dialogue must then be established with archaeologists so that the protection and study of these remains is not at the detriment of conservation or the various stakeholders. Ethical responsibility is thus shared.
-
Les restes humains et l'archéologie : état des lieux juridique
Agnès Mathieu
p. 201–205
RésuméFR :
Le sujet des restes humains en archéologie rejoint des questionnements d’ordre éthique ou sociétal qui mettent en jeu la notion de « dignité » et donc de « respect » dû au corps humain. Dans la recherche archéologique, le « reste humain » est, dans une certaine mesure, un objet d’étude comme les autres biens archéologiques. Cette normalité résulte du caractère scientifique de la démarche, mais également de l’anonymat qui s’attache le plus souvent aux restes humains mis au jour. Cette dualité entre éthique et déontologie professionnelle se retrouve logiquement dans l’appréhension juridique du sujet. Il existe ainsi des normes générales relevant du droit civil ou du droit funéraire qui ne concernent pas spécifiquement l’archéologie, mais qui peuvent s’appliquer à certaines de ses situations. Des normes particulières sont nécessaires pour concilier les enjeux éthiques liés aux restes humains avec les enjeux scientifiques de l’archéologie. Mais la définition de telles normes n’est pas aisée comme en témoignent les récents travaux en France autour de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP).
EN :
The subject of human remains in archaeology is linked to ethical or societal issues that call into question the notion of “dignity” and therefore of “respect” due to the human body. In archaeological research, the “human remain” is, to a certain extent, an object of study like other archaeological objects. This normality results from the scientific nature of the process, but also from the anonymity that is most often attached to the human remains uncovered. This duality between ethics and professional deontology is logically reflected in the subject’s legal understanding. There are thus general standards in civil law or funeral law that do not specifically concern archaeology, but which may apply to some of its situations. Specific standards are needed to reconcile the ethical issues related to human remains with the scientific issues of archaeology. But defining such standards is not easy, as evidenced by recent work in France on the law on freedom of creation, architecture and heritage (LCAP).
-
Le délicat problème des restes humains en archéologie
Philippe Charlier
p. 206–209
RésuméFR :
Le problème qui nous intéresse est avant tout celui de la gestion biomédicale des restes humains en archéologie, ces artefacts anciens « pas comme les autres », ces « patients atypiques ». Dans l’article suivant, on va tenter de voir, avec un regard interdisciplinaire (anthropologique, philosophique et médical), comment il est possible de travailler sur les restes humains en archéologie, mais aussi comment gérer le stockage de ces derniers après étude. Car déjà, travailler sur l’archéologie est un problème politique (au sens grec du terme, c’est-à-dire qui implique littéralement la cité, et l’on pourrait faire référence directement aux travaux de Laurent Olivier sur la politique des fouilles archéologiques pendant le troisième Reich et la diffusion de l’idéologie nazie fondée sur des produits de fouilles et des études anthropologiques. Mais en outre, travailler sur des restes humains peut également poser des problèmes politiques, et nous en avons fait les frais dans notre équipe lorsque nous avons travaillé d’une part sur le masque mortuaire de Robespierre (la reconstitution du visage ayant créé un véritable esclandre du côté de l’extrême gauche française) mais aussi lorsque nous avons travaillé sur la tête de Henri IV (l’identification de celle-ci ayant ravivé considérablement la querelle clanique historique entre Orléans et Bourbon)… Travailler sur les restes humains est donc tout sauf anodin.
EN :
The problem I am interested in is above all that of the biomedical management of human remains in archaeology, these ancient artifacts “unlike any other”, these “atypical patients”. In the following text, I will examine, with an interdisciplinary perspective (anthropological, philosophical and medical), how it is possible to work on human remains in archaeology, but also how to manage their storage after study. Working in archaeology is already a political problem (in the Greek sense of the word, i.e., it literally involves the city), and one could refer directly to Laurent Olivier’s work on the politics of archaeological excavations during the Third Reich and the spread of Nazi ideology based on excavation products and anthropological studies. But in addition, working on human remains can also pose political problems, and we paid the price in my team when we worked on Robespierre’s death mask (the reconstruction of the face having created a real scandal on the part of the French far left) but also when we worked on Henri IV’s head (its identification having considerably revived the historical clan quarrel between Orléans and Bourbon). Working on human remains is therefore anything but insignificant.
-
Archéologie et politique / Archéologie et décroissance
Annick Clavier
p. 210–214
RésuméFR :
Ce texte analyse comment les valeurs de la société néo-libérale ont déterminé l’évolution de la pratique archéologique en France, qu’elle soit de recherche ou préalable aux travaux d’aménagement. Il appelle à la définition d’une archéologie différente, dans un monde sans croissance.
EN :
This text analyses how the values of neo-liberal society have determined the evolution of archaeological practice in France, whether it be research or preliminary to landscaping projects. It calls for the definition of a different archaeology, in a world without development.
Art, culture et oeuvre de création / Art, Culture & Creative Work
-
Le sexisme en archéologie, ça n’existe pas
Laura Mary, Béline Pasquini et Ségolène Vandevelde
p. 215–242
RésuméFR :
Les archéologues sont confronté·e·s à de nombreuses questions éthiques dans leur pratique quotidienne ; ces questionnements portent aussi sur leurs pratiques et sur leurs comportements vis-à-vis de leurs pairs. La mise en lumière des discriminations liées au genre, parfois combinées à d’autres éléments tels que l’ethnicité, l’orientation sexuelle, l’origine sociale, les capacités physiques ou les croyances religieuses, apparaît dès lors comme un élément fondamental de la réflexion sur l’éthique professionnelle en archéologie. L’exposition « Archéo-Sexisme » présentée ici, initiative conjointe de l’association Archéo-Éthique et de Paye Ta Truelle, est un exemple d’une telle réflexion.
EN :
Archaeologists are confronted with many ethical issues in their daily practice; these questions also concern their practices and their behaviour towards their peers. The highlighting of gender discrimination, sometimes combined with other elements such as ethnicity, sexual orientation, social origin, physical abilities or religious beliefs, should thus be a fundamental element in reflections on professional ethics in archaeology. The “Archaeo-Sexism” exhibition presented here, a joint initiative of the Archaeo-Ethics Association and Paye Ta Truelle, is an example of such reflection.
Conclusion / Conclusion
-
Quelques propositions nouvelles pour l’éthique en archéologie
Béline Pasquini et Ségolène Vandevelde
p. 243–250
RésuméFR :
Dans cette conclusion du numéro spécial « Archéo-Ethique », nous revenons sur les constats et analyses communes à plusieurs contributions, ainsi que sur les solutions les plus couramment proposées par les auteurs.
EN :
In this conclusion of the special issue “Archaeo-Ethics”, we summarise the findings and analyses of several texts in this issue, as well as the most common solutions suggested by the authors.