Ce livre du juriste Éric Poirier débute sur un constat : à huit occasions dans l’histoire canadienne récente, le Québec et les minorités francophones du reste du Canada se sont présentés divisés devant la Cour suprême du Canada (CSC). Ces affaires concernaient différents aspects des droits linguistiques des minorités. Par exemple, dans l’affaire Mahé c. Alberta (1990), le procureur général du Québec intervenait devant la CSC pour plaider – sans succès – que le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité prévu par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés ne comprend pas le droit de gestion et de contrôle des écoles. Si cette division paraît curieuse a priori au néophyte de l’histoire canadienne, elle trouve une justification évidente sur le plan juridique. Du côté québécois, on estime que toute interprétation large du droit des minorités francophones donne de nouvelles armes aux opposants de la loi 101, menaçant la politique linguistique du Québec et minant ainsi la souveraineté de son Assemblée nationale. Du côté de la francophonie canadienne, l’analyse est la même : une augmentation des droits de la minorité anglophone du Québec se traduirait par des gains pour les francophones hors Québec. Cette situation n’est pas un hasard : elle a été imaginée par les concepteurs du bilinguisme canadien, au premier chef Pierre Elliott Trudeau, qui voyait dans sa politique découlant de la Loi sur les langues officielles (1969) et de la Charte de 1982 une condition pour protéger l’unité canadienne de la volonté du Québec de se constituer en État français et autonome, voire souverain. En concordance avec la conception formelle de l’égalité entretenue par Trudeau, les droits des minorités francophones sont exactement les mêmes que ceux des anglophones du Québec, sans égard aux conditions réelles d’existence de ces communautés qui, il va sans dire, sont bien différentes. La thèse de Poirier est que cette intention a été allégrement reprise par les tribunaux, qui entretiennent ainsi la division de la francophonie canadienne. Ainsi, il s’inscrit en porte-à-faux avec les spécialistes qui prétendent, au contraire, que la CSC tient compte des différents contextes provinciaux dans ses jugements sur les politiques linguistiques et qu’il y a donc présence d’asymétrie. Qu’en est-il vraiment ? La démonstration de Poirier se déploie de manière chronologique, de 1867 à 2022. Il établit, d’une part, les cinq moments de l’histoire où se construit l’intention législative canadienne sur la politique linguistique, de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867 (LC1867) et son article 133 à l’adoption de la Loi sur les langues officielles (1969) et ses révisions en 1988 et 2005, en passant par la Charte de 1982. Il montre bien comment Trudeau a conçu la politique de bilinguisme pour piéger le Québec en cimentant les principes symétriques de l’article 133 de la LC1867 dans la loi de 1969. Dans ses efforts pour construire un État français, le Québec se voit subséquemment accusé d’abandonner les minorités en laissant la place au gouvernement central pour occuper un rôle de premier plan. La symétrie est ensuite cimentée dans la Charte et s’impose comme valeur hégémonique à Ottawa, où elle est réaffirmée en 1988, 2005 et peut-être 2023 (j’y reviendrai). D’autre part, Poirier montre comment la symétrie s’incarne dans le monde juridique à travers l’analyse de 37 jugements rendus par la CSC et d’autres tribunaux du Canada, de 1894 à 2020. L’analyse de ces différentes affaires, qui proviennent autant du Québec que du reste du Canada, montre que la symétrie est le principe qui s’impose et que les traces d’asymétrie qui ressortent à l’occasion (comme dans les trois jugements de 1986) sont minoritaires dans …
Éric Poirier, Le piège des langues officielles. Québec et les minorités francophones dos à dos, Québec, Septentrion, 2022, 500 p.
…plus d’informations
Antoine Brousseau Desaulniers
École nationale d’administration publique
L’accès à cet article est réservé aux abonnés. Seuls les 600 premiers mots du texte seront affichés.
Options d’accès :
via un accès institutionnel. Si vous êtes membre de l’une des 1200 bibliothèques abonnées ou partenaires d’Érudit (bibliothèques universitaires et collégiales, bibliothèques publiques, centres de recherche, etc.), vous pouvez vous connecter au portail de ressources numériques de votre bibliothèque. Si votre institution n’est pas abonnée, vous pouvez lui faire part de votre intérêt pour Érudit et cette revue en cliquant sur le bouton “Options d’accès”.
via un accès individuel. Certaines revues proposent un abonnement individuel numérique. Connectez-vous si vous possédez déjà un abonnement, ou cliquez sur le bouton “Options d’accès” pour obtenir plus d’informations sur l’abonnement individuel.
Dans le cadre de l’engagement d’Érudit en faveur du libre accès, seuls les derniers numéros de cette revue sont sous restriction. L’ensemble des numéros antérieurs est consultable librement sur la plateforme.
Options d’accès