L’année 2020 au Québec a été marquée par de nombreuses publications portant sur le Front de libération du Québec (FLQ) à l’occasion du cinquantième anniversaire des événements d’Octobre 1970. Sur le plan des ouvrages académiques plus classiques, nous pouvons entre autres noter les rééditions de l’Histoire d’un mouvement clandestin de l’ancien journaliste Louis Fournier et de la Chronique d’une insurrection appréhendée de l’historien Éric Bédard. Plusieurs anciens acteurs des événements de cette décennie ont également fait paraître des témoignages, que l’on pense notamment à l’Histoire d’un engagement, de l’ancien felquiste Marcel Faulkner, ou bien au film documentaire Les Rose, réalisé par Félix Rose. Le présent ouvrage d’Anne Legaré s’inscrit à mi-chemin entre l’essai politique et le témoignage personnel. Professeure retraitée du Département de science politique de l’Université de Montréal, Anne Legaré a milité au sein de la nébuleuse québécoise indépendantiste-socialiste des années 1960 et 1970, notamment au sein de la communauté des étudiants québécois expatriés en France. Dans un premier temps, Anne Legaré scrute l’histoire intellectuelle et politique de la gauche, québécoise et internationale, soumise aux influences contraires de Jean-Paul Sartre et d’Albert Camus. Elle s’intéresse ensuite à la violence « fantasmée », terme utilisé par Sartre pour définir la violence des groupuscules terroristes et un des concepts de recherche mobilisés par l’autrice. Son ouvrage se complète, dans un troisième temps, avec l’utilisation du concept de « violence réelle », qu’elle applique pour définir les agissements de l’État canadien au cours des événements d’Octobre 1970 et l’assassinat du felquiste François Mario Bachand. Retraçant l’histoire de la gauche québécoise, l’autrice relate sa propre initiation au militantisme au cours de sa vie en l’analysant à travers la lorgnette de la pensée camusienne (chap. 1). Pour Camus, la « révolte » est associée à la société concrète, à la liberté réfléchie et à l’individualisme altruiste, autant de principes que Legaré associe à son propre engagement au sein des organisations vouées à l’animation sociale. L’objectif de celle-ci était « d’organiser les opprimés de la société que le système politique n’a pas réussi à rejoindre, et de leur donner la possibilité d’exiger et d’apporter des améliorations à leur vie ». Cette conjoncture favorable à l’animation sociale s’est traduite par la multiplication des initiatives populaires, dont la création du Front d’action politique (FRAP), des cliniques et garderies populaires, de même que par l’essor du syndicalisme et du mouvement étudiant organisé. Néanmoins, plusieurs militants glissèrent progressivement vers l’action révolutionnaire, en raison de la fermeture croissante des gouvernements face à leurs revendications, de la répression policière croissante et du puissant attrait qu’exerçaient les révolutions anticoloniales du tiers-monde (surtout Cuba et l’Algérie). C’est dans ce contexte que l’autrice explique son retour en France, qui coïncida avec son passage de la pensée camusienne de la révolte à l’idéologie sartrienne de la révolution (chap. 2). Contrairement à Camus, Sartre ne rejetait pas l’emploi de la violence et embrassait une vision téléologique de l’histoire, laquelle aurait pour aboutissement la révolution prolétarienne, sujet historique adoubé par Marx et réadoubé par Mao et Sartre au cours des années 1960. Cette croyance fantasmée envers la violence révolutionnaire en tant que « moteur de l’histoire » est mise en opposition par l’autrice avec la pensée de Camus. Ce dernier n’y voit qu’une répétition du messianisme chrétien d’antan, qui portait également un message d’espérance et de rédemption censé corriger la déchéance dans laquelle seraient tombées les sociétés humaines (chap. 3). Pour Camus, il s’agit plutôt de reconnaître l’absence de finalité de la condition humaine et de répondre aux injustices par la révolte plutôt que par la violence révolutionnaire. Legaré conclut la première partie …
Anne Legaré, La crise d’Octobre, le monde et nous, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2021, 219 p.[Notice]
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Félix Étienne
Université Laval