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Parmi les changements structurels de première importance instaurés au cours de la Révolution tranquille, une période se caractérisant par une évolution accélérée du processus de modernisation de l’État et de la société québécoise, la création du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) peut paraître relativement secondaire[1]. C’est du moins ce que laisse penser une exploration de l’historiographie. L’évènement peine à se mériter une mention au sein des grandes synthèses historiques[2] et ne reçoit tout au plus que quelques lignes ou courts paragraphes dans les synthèses sur l’histoire de l’éducation[3] ou les ouvrages de référence consacrés à l’organisation scolaire au Québec[4]. Nous jugeons ce désintérêt regrettable, non seulement parce que le CSE a joué un rôle central dans la transition vers un système scolaire déconfessionnalisé et modernisé, mais aussi parce que les débats qui l’ont animé révèlent, comme on le verra plus bas, les tiraillements ayant agité la société québécoise au moment de sa création, en 1964.

Dans un article précédent, nous nous sommes intéressés aux premières années du Conseil supérieur de l’éducation (1964-1966) en tentant d’exposer comment les membres du nouvel organisme ont interprété et opérationnalisé la mission qui leur a été confiée par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (commission Parent) et le ministre de l’Éducation de l’époque, Paul Gérin-Lajoie[5]. À cette occasion, nous sommes revenus tout spécialement sur les quatre priorités que Céline Saint-Pierre, ex-présidente du Conseil, avait placées à la source de la création du CSE, soit la représentation démocratique, la consultation, l’efficacité dans la planification et l’harmonie entre le ministère et les autres acteurs du système scolaire[6]. Le présent texte complète ce portrait en proposant d’approfondir notre compréhension des motifs ayant mené, dans les années 1960, à une recomposition des structures supérieures du système scolaire québécois en général, et du CSE en particulier, ainsi qu’à la conception de la gouvernance retenue par le CSE dans une période de cristallisation des craintes face à des changements jugés par certains trop rapides et malavisés. En conformité avec les recommandations de la commission Parent, le CSE a cherché à promouvoir une « nouvelle forme de démocratie[7] » qui serait en mesure de conjuguer volonté populaire et expertise professionnelle[8]. Dans un tel contexte, le CSE était tout spécialement appelé à remplir « un rôle actif dans la direction du système scolaire[9] » comme courroie de transition entre l’État et la population. Cette visée, qui a pris forme dans les réflexions et les discussions qui précèdent la création du nouvel organisme, n’était pas sans nourrir certaines réticences. Car, si l’idée d’un ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) faisait l’objet d’un assez large consensus chez les élites, libérales comme conservatrices, dès la fin de la décennie 1950[10], force est de constater qu’il en allait autrement du CSE, qui, au moment de sa création, était vu avec suspicion en tant que vestige de l’ancien régime ou, au contraire, en tant que créature de la Révolution tranquille.

Par rapport aux études existantes, l’originalité de notre recherche repose d’abord sur le matériau analysé : nous nous sommes principalement appuyés sur les archives du fonds du CSE. Conservé à Québec, ce fonds contient des documents liés entre autres à l’organisation et à la gestion de l’organisme, dont les dossiers des réunions du Conseil et des assemblées plénières, et la correspondance des présidents et de l’organisme en général. Nous nous sommes concentrés sur les documents produits lors des deux premières années d’existence du CSE, particulièrement sur les procès-verbaux des réunions de la table du Conseil. De manière générale, une réunion est tenue par mois, réunion au cours de laquelle un très grand nombre de sujets peuvent être abordés (le fonctionnement de l’organisme, les relations de la présidence avec le ministre, les rapports et les avis en cours de production, etc.). Cette collecte de documents a été complétée par une revue des commentaires et reportages dont le CSE a été l’objet dans les journaux et revues numérisés sur le site de la BAnQ, grâce à l’utilisation des mots-clés « Conseil supérieur » et « Conseil de l’instruction ». Bien que nous nous appuyions sur l’ensemble de la littérature pertinente, les archives consultées portent sur la période 1961-1966, c’est-à-dire celle du gouvernement libéral de Jean Lesage. Enfin, nous avons consulté les publications officielles pertinentes, principalement le Rapport Parent et le Rapport annuel sur l’état et les besoins de l’éducation de 1966, premier travail d’envergure proposé par le CSE naissant.

Un Conseil de l’instruction publique discrédité et un Conseil supérieur de l’éducation réclamé

Au moment où il est créé, le CSE est appelé à remplacer le Conseil de l’instruction publique (CIP) en tant qu’organisme public central chargé de réunir les différentes parties prenantes s’intéressant à l’éducation au Québec. Établi en 1856, le CIP devait être, dans l’esprit de ses concepteurs, l’organe central du système scolaire au Québec. De tous les aspects de la structure du CIP, le plus notable était sans doute sa composition. Assez rapidement, le CIP s’était organisé en comités confessionnels dont chacun était responsable de prendre les décisions pour l’un des deux grands ensembles religieux, catholique ou protestant. Cette structure était restée à peu près intacte jusqu’à la Révolution tranquille, moment où elle est de plus en plus remise en question.

Les détracteurs du CIP jugeaient l’organisme dépassé[11]. Pour Louis-Philippe Audet, par exemple, auteur de l’Histoire du Conseil de l’Instruction publique, parue en 1964, et secrétaire de la commission Parent de 1961 à 1964, « il n’est pas besoin d’une longue dissertation pour établir que les structures supérieures de 1875 sont inadéquates à répondre aux exigences de la société en cette dernière partie du XXe siècle[12] ». Des acteurs continuaient néanmoins de le défendre, se réjouissant d’avoir permis la perpétuation d’une conception chrétienne de l’enseignement[13]. Plus fondamentalement, dans une province où coexistaient deux grands groupes religieux, la division du CIP en comités confessionnels aurait eu le bénéfice de préserver la paix sociale. N’ayant à exprimer l’un pour l’autre que la plus parfaite indifférence[14], les comités catholique et protestant donnaient en effet l’impression de gouverner dans une certaine harmonie.

En 1964, l’idée de créer un CSE appelé à remplacer le CIP ne sortait pas de nulle part. La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), entre autres, réclamait depuis 1957 l’établissement d’un CSE « représentatif de tous les groupes sociaux – y compris le mouvement syndical – et éducationnels[15] ». Dans la foulée des débats de la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels (commission Tremblay), créée en 1953 sous le gouvernement de Maurice Duplessis et ayant le mandat de se pencher sur les problèmes constitutionnels d’ordres législatif et fiscal, l’Université Laval et la Société Saint-Jean-Baptiste demandaient que soit mis sur pied au minimum un Conseil supérieur des universités et des collèges classiques. La pression était telle pour la création d’un organisme unificateur qu’en 1959, on spéculait sur les chances que l’Union nationale de Paul Sauvé présente un projet de loi visant la création d’un CSE[16].

L’avènement de la Révolution tranquille accélère les choses. L’idée d’un CSE qui aurait une certaine autorité sur l’ensemble du système faisait de plus en plus son chemin dans les esprits[17]. En 1961, le Comité d’éducation de la Commission politique de la Fédération libérale du Québec rendait public un rapport dans lequel on préconisait notamment la création d’un CSE ayant juridiction sur les aspects académiques de l’ensemble des secteurs de l’enseignement. On souhaitait qu’il soit formé de représentants du gouvernement, de l’épiscopat, de la Fédération des commissions scolaires, des diverses catégories d’éducateurs et aussi de personnes représentatives de la société civile choisis par le gouvernement pour un mandat d’une durée limitée[18]. La Fédération libérale du Québec avait endossé le rapport. Elle suggérait de donner compétence au CSE sur tous les secteurs de l’éducation dans la province, et non uniquement sur l’enseignement public et les écoles supérieures, de le diviser selon la langue et la religion, et aussi en fonction des niveaux d’enseignement : primaire, secondaire, technique et universitaire. Si la formule manquait de clarté, elle indiquait tout de même le sens des réformes à entreprendre.

Prenant acte des diverses propositions qui circulaient, le gouvernement Lesage lance en 1961 la commission Parent afin d’ « étudier l’organisation et le financement de l’enseignement dans la province de Québec[19] ». Pour guider ses travaux, cette commission procède à des audiences publiques et reçoit environ 300 mémoires. Selon Arthur Tremblay, qui a fait une analyse étendue des mémoires, près du quart aborde la question des structures supérieures[20]. De ces mémoires, Tremblay relève deux grands modèles politico-juridiques, ainsi que trois modèles intermédiaires. Le premier grand modèle privilégie la forme d’un ministère, alors que le second met de l’avant la constitution d’une société d’État pour administrer tout le champ de l’éducation, de la maternelle jusqu’à l’université. Dans le premier cas, un ministre appartenant à la députation de l’Assemblée législative serait à la tête du ministère ; à ce titre, il serait membre du Conseil des ministres et imputable de ses décisions devant l’Assemblée. Dans le second cas, un surintendant serait à la tête d’un Conseil « autonome » et « indépendant » du politique[21]. Cette volonté de mettre l’éducation à l’abri des aléas politiques est assez répandue à une époque où les combats partisans sont trop souvent vus comme intéressés, brutaux et immoraux[22].

Entre ces deux extrêmes se présentent trois modèles intermédiaires prévoyant la création d’un ministère et d’un conseil, mais procédant autrement au partage de leurs rôles et de leurs responsabilités. Ainsi, certains des individus ou des groupes ayant soumis des mémoires à la commission Parent attribueraient au ministère un rôle purement administratif et financier. En retour, ils accorderaient au Conseil plein pouvoir en matière pédagogique. D’autres octroieraient plutôt les responsabilités pédagogiques au ministère et confineraient le Conseil à un rôle consultatif. Enfin, quelques autres personnes ou groupes réduiraient le Conseil à un rôle consultatif, mais lui attribueraient tout de même un pouvoir décisionnel en matière de confessionnalité. Bien qu’une refonte claire et unique des structures supérieures ne se dégage pas de la lecture des mémoires présentés à la commission Parent, il semble que la préférence pour les modèles bicéphales l’emporte assez nettement.

Dès le début de leurs travaux, les commissaires paraissent, eux aussi, pencher vers des modèles bicéphales. Si l’idée de créer un ministère de l’Éducation est assez tôt acceptée, on relève toutefois une hésitation quant au poids décisionnel à lui accorder. Deux positions se dessinent au cours des réunions de juin 1962 : 1) la création d’un ministère chargé d’exécuter les politiques élaborées par un Conseil et qui serait surveillé par ce dernier ; 2) la création d’un véritable ministère publiquement évalué par un « conseil aviseur[23] ». Alors que Gérard Filion embrasse la première position en affirmant que le Conseil doit disposer d’une réelle autorité, David Munroe, Jeanne Lapointe et Guy Rocher défendent plutôt la seconde position, estimant que le Conseil devrait se borner à établir des normes et des priorités[24]. Ce débat reflète deux visions opposées à l’égard des changements à apporter au système d’éducation. La première invite à respecter le droit des parents en éducation, à procéder à des changements avec prudence et à veiller à une certaine décentralisation, alors que la seconde estime que l’État – et donc le ministère – « est la seule institution en mesure de grouper tous les intéressés, de rejoindre toutes les compétences, d’assurer intégralement la responsabilité du bien commun », et qu’il faut en ce sens éviter de « verser dans les compromis du juste milieu et de la tradition[25] ». Cette division est toujours visible, quoique moins marquée, à la fin du mois de septembre 1962. À la dernière séance de la réunion s’étendant du 26 au 28 septembre (séance à laquelle Filion n’assiste pas), les commissaires s’entendent sur les aspects qui devraient faire l’objet des recommandations suivant la publication du premier tome de leur rapport. Ils affirment alors la « nécessité d’un Ministère de l’Éducation » et, tout autant, la « nécessité d’avoir un organisme consultatif pour telles et telles matières bien déterminées et dont le nom sera “Le Conseil Supérieur de l’Éducation”[26] ».

En octobre et en novembre 1962, les commissaires, poursuivant leur travail, réfléchissent aux conditions de création d’un MEQ et d’un CSE. Si les recommandations liées à la création du MEQ et aux responsabilités du ministre sont acceptées sans trop de débats, celles portant sur le rôle et le fonctionnement du CSE divisent les commissaires. On se questionne sur le nombre de membres à prévoir au sein du CSE, la durée de leur mandat et de celui du président, le rôle du président, le statut des sous-ministres qui seront invités à y siéger, le nombre de commissions devant le composer, le mode de nomination des présidents de commissions, le rôle et les obligations du ministre à l’égard du CSE et, surtout, sur le pouvoir et la composition des comités catholique et protestant. Les commissaires ne semblent rien vouloir laisser au hasard. Les recommandations quant au partage des rôles et des responsabilités entre les organismes devant composer les structures supérieures du système scolaire québécois sont finalement formulées, en avril 1963, dans le cinquième chapitre de la première tranche du Rapport Parent.

Si les commissaires sont d’avis que seul un ministre, redevable devant le conseil des ministres et les membres de l’Assemblée législative, peut jouer le rôle de pivot entre le gouvernement et le système scolaire, ils estiment fondamental que le ministre soit accompagné dans ses réflexions et ses décisions par un CSE qui serait en contact permanent avec l’opinion publique et les acteurs du milieu, et qui serait éloigné de l’agitation des mouvements politiques[27]. Jadis organisme décisionnel, le nouveau conseil est donc pensé comme une entité consacrée à la démocratie participative[28]. Dans l’esprit de ses créateurs, le futur CSE devra servir, en quelque sorte, de « commission d’enquête permanente » afin de guider les réformes à venir dans le domaine de l’éducation, de fixer des objectifs communs, et de constituer un moyen de liaison organique et durable entre le gouvernement et la société[29]. Comme le suggèrent Martin Pâquet et Stéphane Savard, une telle vision est représentative des nouvelles valeurs qui émergent au cours de la Révolution tranquille, les élites politiques et intellectuelles se montrant ouvertes à la participation citoyenne dans le processus de prise de décision politique, tout en tâchant « d’exercer un certain contrôle sur ces citoyens[30] » en canalisant et en modulant leurs revendications.

L’idée de mettre sur pied un CSE est reçue de manière plutôt favorable dans l’opinion publique, si on en juge par les articles et lettres aux journaux publiés dans les périodiques en 1964[31]. On soulève cependant des questions quant à son mode de fonctionnement. Jean Genest, professeur à l’École normale supérieure de l’Université de Montréal et directeur de la revue Collège et Famille, fait part de ses inquiétudes. Dans un texte intitulé « Que penser du rapport Parent[32] ? », il émet des réserves quant à la possibilité que le CSE puisse jouer un rôle réellement autonome. Ses décisions pouvant être renversées à tout moment par le ministre, et ses fonds pouvant être coupés au moindre accroc, le CSE, estime Genest, sera sans influence, ne possédant aucune fonction exécutoire. « Il ne peut qu’émettre des suggestions, comme n’importe quel citoyen ou association de citoyens[33]. » Dans le même esprit, Genest s’interroge sur les modalités de recrutement des membres du CSE. Le fait que le gouvernement se réserve la prérogative ultime de leur sélection serait susceptible de conduire à une immixtion néfaste des joutes partisanes dans la composition du Conseil. « Tous les membres seront choisis par l’État. Ils ne jouiront donc, excepté s’ils ont l’âme du héros, d’aucune indépendance véritable durant leur mandat[34]. » Dans de telles conditions, Genest doute que le CSE puisse jouer le rôle de chien de garde qu’on souhaite lui assigner.

Les premières années du CSE : formation, financement, rôle critique et transparence

Passant outre aux critiques de Genest et à d’autres semblables, le gouvernement Lesage donne rapidement suite aux recommandations du premier tome du Rapport Parent. Le 26 juin 1963, il présente le bill 60, proposant la création d’un MEQ et d’un CSE. Dans la structure projetée, les pouvoirs, les rôles et les responsabilités dévolus jusque-là au ministère de la Jeunesse, au département de l’Instruction publique et au CIP sont centralisés au ministère et concentrés autour du ministre, qui, seul maître à bord, conserverait le dernier mot en matière d’éducation. Il pourra toutefois s’appuyer, pour prendre ses décisions, sur des recherches conduites par le CSE. Le projet de création d’un CSE ne passe pas inaperçu et est longuement débattu. Un peu comme Genest, Daniel Johnson déplore que le CSE n’ait reçu qu’un rôle consultatif dans le bill 60[35]. Lors des débats à l’Assemblée nationale, le chef de l’opposition déclare vouloir « un vrai Conseil supérieur de l’éducation, un conseil qui ne soit pas seulement un organisme consultatif ; mais qui a l’autorité et tous les moyens d’action nécessaires pour prendre en charge les aspects académiques de l’éducation[36] ». Dans l’ensemble, la proposition du bill 60 est toutefois bien accueillie. D’une part, le caractère vétuste du CIP est bien connu, et sa disparition provoque peu d’émoi. D’autre part, les comités confessionnels catholique et protestant, intégrés jusque-là au sein du CIP, continueraient d’exister au sein du CSE[37]. Ils conservent un rôle décisionnel au sein de la nouvelle structure[38], marquant une certaine continuité avec l’ancien modèle, ce qui n’est pas sans rassurer grandement les milieux religieux[39].

Le 19 mars 1964, le bill 60 est adopté. À la suite de la proclamation faite le 13 mai 1964, Paul Gérin-Lajoie est assermenté comme titulaire du nouveau MEQ, en même temps que son sous-ministre, Arthur Tremblay. Les fonctions attribuées au CSE sont alors assez conformes à celles préconisées par la commission Parent. Louis-Philippe Audet, professeur d’université devenu secrétaire de la commission Parent, se montre très enthousiaste à l’égard de la nouvelle structure, qui permettra, selon lui, de « revivifier » le domaine de l’éducation, grâce à la recherche. Il se dit convaincu que le CSE, en palliant le manque d’informations rigoureuses, « aura un rôle consultatif de première importance[40] ». L’accent placé sur la recherche reflète l’esprit technocratique de la Révolution tranquille[41]. L’expertise devant guider le développement d’une société dite « technologique », il est normal de vouloir que des spécialistes chapeautent les réformes dans le domaine de l’éducation[42].

D’autres observateurs de la scène politique hésitent à appuyer la création du CSE. L’éditorialiste du Devoir Claude Ryan juge trop forts les penchants « étatistes » du nouvel organisme. Il s’inquiète de son peu de transparence, rappelant que les personnes présentes aux réunions consultatives de l’été 1963 avaient insisté sur la tenue d’un certain nombre de rencontres du CSE en public et sur la diffusion la plus large possible des décisions et recommandations du CSE. « Ces demandes étaient si importantes, aux yeux de plusieurs, qu’il fallait les insérer dans le texte même de la loi. Or, le nouveau texte est muet à cet égard[43]. » Ryan croit que la loi aurait dû être davantage claire sur ce point. Il soupçonne par ailleurs une volonté de surveillance trop étroite des activités du CSE par le ministère. Dans un même esprit, il critique le fait que le CSE se trouve à la merci financière du gouvernement, lequel détient les cordons de la bourse. Aux yeux de Ryan, « il faut éviter que le Conseil ne soit réduit à recevoir au compte-gouttes sa pitance du ministère. Sans former un empire à part, il doit jouir de la liberté administrative sans laquelle son rôle consultatif lui-même risquerait de devenir symbolique[44] ». Pour que le CSE soit autre chose qu’un simple « rouage » du MEQ, il doit bénéficier d’une ample marge de manoeuvre. Son impartialité et son efficacité dépendent, insiste Ryan, de sa capacité à travailler avec son « propre budget, distinct de celui du ministère, et sa propre équipe de responsables, également distincts de ceux du ministère et non moins généreusement traités que ces derniers[45] ».

Les premières actions du gouvernement Lesage ne feront qu’alimenter ces inquiétudes. Le processus de nomination des membres et le financement du CSE suscitent dès le départ des questionnements quant à leur indépendance vis-à-vis du ministre. Il en va de même en ce qui concerne le partage de ses discussions et travaux avec le vaste public. Dans la section qui suit, nous considérerons ces trois aspects.

Nomination des membres

La loi 60 tient en partie les promesses de la première version du projet de loi. La commission Parent avait recommandé que le CSE soit formé de seize membres. La loi 60 augmente leur nombre à vingt-quatre afin de s’assurer d’une meilleure représentativité. Pour calmer les craintes des groupes religieux et possiblement atténuer le sentiment de rupture avec l’ancien CIP, on oblige le président et le vice-président du CSE à être respectivement de foi catholique et de foi protestante, et on attribue un siège aux présidents des comités catholique et protestant. La loi prévoit de surcroît qu’au moins seize membres doivent être de foi catholique, au moins quatre de foi protestante et au moins un d’une autre conviction religieuse. Le sous-ministre et les deux sous-ministres associés sont membres adjoints du Conseil, mais ils ne disposent pas d’un droit de vote. L’idée de laisser au Conseil, une fois formé, la tâche d’organiser des consultations et de formuler ses recommandations au gouvernement pour la sélection des membres, inscrite dans le bill 60, n’est pas retenue, car on craint qu’une telle démarche limite le recrutement aux réseaux des membres du CSE et qu’elle s’avère antidémocratique[46]. Ainsi, la loi 60 réserve au gouvernement seul la responsabilité des nominations au CSE, non sans avoir au préalable sondé les groupes représentatifs de la population.

Sitôt la loi 60 adoptée, Gérin-Lajoie entame des consultations auprès de différentes associations et organisations afin de s’appuyer sur la collaboration de tous les groupes concernés[47]. Il envoie notamment une lettre aux dirigeants d’une cinquantaine de groupements représentant des parents, des enseignants, des administrateurs scolaires, des corps socioéconomiques et le clergé afin de les inviter à participer au choix des membres du CSE. En réaction à ses démarches, il reçoit plus de 200 suggestions. Vers la fin août, les noms des vingt-deux premiers membres du CSE sont annoncés. On sent qu’un certain esprit de symétrie, d’équité et de représentativité a présidé à la sélection, ce qui n’empêche pas maintes déceptions. En ce qui concerne les options idéologiques, si certaines personnes choisies paraissent plus conservatrices et d’autres plus progressistes, dans l’ensemble, la plupart des membres penchent vers les idées libérales[48], voire vers les idées du Parti libéral du Québec[49]. Plus fondamentalement, le gouvernement semble avoir sélectionné des membres favorables aux conclusions du Rapport Parent. Le vice-président, David C. Munroe, directeur de l’Institut d’éducation à l’Université McGill, est lui-même membre de la commission Parent. Le président, Jean-Marie Martin[50], se serait pour sa part révélé un peu trop en faveur du Rapport Parent dans ses sorties publiques[51]. Cette influence des partisans du Rapport Parent est renforcée par la présence d’Arthur Tremblay, sous-ministre. Bref, la composition du CSE semble indiquer que le gouvernement Lesage s’est doté d’un Conseil adhérant pour l’essentiel aux importants changements qu’il souhaite instaurer dans le secteur de l’éducation. L’analyse des procès-verbaux révèle d’ailleurs une forte adhésion envers la réorganisation scolaire, que la commission Parent préconise[52]. Les réserves de ceux qui soupçonnaient que les modalités de recrutement puissent favoriser la collusion semblent au moins en partie confirmées lors de la formation de la première table du CSE.

Financement

Pour se livrer à sa mission, le CSE doit pouvoir compter sur des employés permanents. Nous en savons toutefois peu à leur sujet au cours de la période étudiée. Nous ne connaissons pas leur nombre, pas plus que leurs salaires totaux. L’étude du budget présentée dans le procès-verbal de la cinquième réunion offre cependant quelques informations à ce chapitre. L’abbé Boulet évoque l’achat de huit sténodactylos, ce qui peut laisser penser que le CSE espère embaucher jusqu’à huit employés. Pagé suggère également l’embauche de deux officiers d’administration bilingues au salaire de 9200 $ pour aider les secrétaires dans leur travail auprès des commissions. Le père Angers recommande pour sa part l’embauche d’un documentaliste au salaire d’environ 12 000 $, un poste qu’il juge essentiel. On propose aussi un budget de 3000 $ pour des services juridiques et de 10 000 $ pour l’impression du rapport annuel[53]. Enfin, un budget pour l’embauche d’un chercheur – André Aubry – et d’un étudiant est dégagé en 1965 pour appuyer le CSE dans la recherche et la rédaction du rapport annuel[54]. Aussi, des éléments présentés dans le procès-verbal de la 35e réunion rendent compte d’une rencontre entre le président du CSE et le nouveau ministre de l’Éducation, Jean-Jacques Bertrand. À la suite de cette réunion, deux décisions sont prises, lesquelles permettent de comprendre les limites des moyens du CSE au cours de ses premières années : 1) le déménagement du Conseil – jusque-là itinérant – dans un nouveau local[55] ; 2) l’acceptation de principe par le ministre de la nécessité d’un budget supplémentaire, notamment pour l’embauche immédiate de nouveaux membres du personnel[56].

De ce que nous pouvons comprendre à la lecture des documents d’archives, le CSE ne semble pas avoir été doté, à ses débuts, du financement nécessaire à sa pleine liberté administrative et critique. Par exemple, ce sera pour l’essentiel le jésuite Pierre Angers[57] qui tiendra la plume dans la rédaction des avis et des rapports du CSE au cours de ces années ; le même qui sera, de 1965 à 1968, président de la Commission de l’enseignement supérieur. Les membres du CSE sont conscients de leurs faibles ressources et souhaitent se voir accorder davantage de moyens financiers. Rappelant les mots de la loi ayant institué le CSE, ils insistent sur l’importance de pouvoir « faire effectuer les études et recherches [que le CSE] juge utiles ou nécessaires à la poursuite de ses fins[58] ». Ils devront se contenter de concentrer leurs efforts sur la production du rapport annuel chargé de décrire leurs activités et les besoins de l’éducation au Québec. Les choses ne changeront que vers la fin des années 1960, quand le CSE sera enfin doté d’un budget davantage à la mesure de sa mission de recherche[59].

Rôle critique, indépendance et transparence

Après avoir jonglé avec plusieurs sujets, les membres choisissent de consacrer leur premier rapport annuel à La participation au plan scolaire (1964-1965). Ce rapport permet de comprendre la vision que le CSE entretient à l’égard de son propre rôle dans l’organisation de l’éducation au Québec. Le CSE tient d’emblée à souligner qu’il se distingue à la fois du MEQ et des groupes d’intérêt : « le Conseil a des traits distinctifs : il n’est pas un organe du Ministère, ni même une émanation de ce dernier ; il n’est pas non plus un corps intermédiaire, au sens ordinaire de ce terme[60] ». Se devant de demeurer, en vertu de la loi, à la disposition du ministre pour toute consultation que celui-ci lui demanderait, le CSE éclaire les décideurs publics par l’émission de conseils, d’avis et d’études, sans prendre directement part aux décisions, et, dans cette fonction, tente d’être une « courroie de communication » entre la population et le ministère.

Au cours de la période étudiée, le rôle consultatif du CSE s’illustre par des avis réglementaires et d’initiative formulés à l’égard des règlements ministériels qui traitent des modalités générales de la réorganisation pédagogique des écoles élémentaires et secondaires, et des examens de celles-ci[61]. Dans certains cas, les membres semblent satisfaits des modifications apportées par le ministère à la suite de leurs recommandations[62]. Toutefois, ils n’hésitent pas à faire part au ministre de leur insatisfaction lorsque leurs recommandations sont ignorées[63] ou que les directives du ministère semblent, à leurs yeux, mal orientées[64]. Les membres s’interrogent d’ailleurs en réunion quant à la liberté de l’organisme de contester le ministre ou le ministère sur la place publique. Par exemple, alors que certains souhaitent que le CSE se prononce sur l’Opération 55[65] menée par Gérin-Lajoie, « un membre est d’avis qu’il ne conviendrait pas que l’action du Conseil crée des embarras au ministre en se prononçant publiquement à ce sujet[66] ». Croyant que la relation entre les deux organisations doit, pour être efficace, demeurer harmonieuse, positive et inspirée par la recherche du bien commun, la majorité des membres du CSE considère préférable, dans un esprit de dialogue, de manifester privément leur droit de contestation quand il ne s’agit pas « de questions de grande portée où la population a intérêt à connaître exactement les positions du Conseil[67] ». En même temps, les membres du CSE ne sont pas sans reconnaître que cette volonté de collaboration étroite peut donner au public l’impression que leur organisme est au service du MEQ. Ils cherchent donc un équilibre entre leur tâche critique et le maintien de relations constructives avec le ministère de l’Éducation, qui détient toujours le dernier mot en matière scolaire.

Enfin, les relations que doit entretenir le nouvel organisme avec le public et les médias suscitent de nombreux questionnements de la part des membres du CSE. Dès les premières réunions, ceux-ci sont divisés quant à la façon de rendre compte de leurs réflexions et délibérations auprès du public : « les uns désirent que le procès-verbal soit publié intégralement, d’autres qu’il le soit en partie seulement ; quelques membres sont d’avis qu’il vaudrait mieux publier un rapport[68] ». À la réunion suivante, un projet de règlement encadrant les relations du CSE avec le public est discuté. Il est alors proposé de tenir les membres au secret des délibérations et de ne pas rendre public l’ensemble des avis présentés au ministre. Il est également prévu que les réunions soient tenues à huis clos, tout en organisant, comme l’y invite le bill 60, des assemblées plénières de même que des activités de consultation ouvertes aux médias et au public afin de rencontrer les citoyennes et les citoyens en divers points du Québec. Le procès-verbal fait état d’une « longue discussion » au cours de laquelle certains membres auraient soutenu que « ce serait manquer à la démocratie que de refuser de publier les procès-verbaux[69] », alors que d’autres estimaient plutôt important, dans un but d’efficacité, « que la liberté et la discrétion des délibérations soient préservées[70] ». Dix-sept membres votèrent en faveur d’une résolution voulant que les procès-verbaux ne soient pas rendus publics. Thérèse Baron (directrice de l’École secondaire Iberville et vice-présidente de la Corporation des Instituteurs et Institutrices catholiques de la province de Québec), Richard Joly (secrétaire général de l’Université de Sherbrooke et président de la Commission scolaire de North Hatley) et Réal Charbonneau (conseiller technique de la Fédération des unions de familles, président de l’Institut canadien d’Éducation des Adultes et secrétaire national de l’Action catholique canadienne) expriment le désir que leur dissidence soit inscrite au procès-verbal[71].

Les membres se promettaient initialement de multiplier les séances ouvertes au public, de rencontrer régulièrement des groupes et de publier des documents spéciaux et un bulletin, en plus de son rapport annuel. Sans se mêler de trop près aux débats du jour, ils voulaient nourrir leurs réflexions en s’informant, en enquêtant et en consultant la population, tout en communiquant à celle-ci, sur une base régulière, les résultats de leurs travaux. En tant que nouvel organisme consacré à la démocratie participative, les responsabilités du CSE à l’égard de la collectivité devaient inclure un dialogue constant avec le grand public. On prend toutefois assez rapidement conscience que les résultats sont en deçà des attentes. Le problème semble même assez grave pour que les membres du CSE trouvent nécessaire de s’y arrêter dans leur premier rapport annuel. Ils espèrent ainsi répondre à des critiques directes qui leur ont été adressées à ce sujet par différents groupes de la société civile[72]. « Disons-le net, afin de dissiper toute équivoque : le Conseil a déjà eu des contacts avec le public ; mais à ses yeux, les relations avec le public ne sont encore qu’amorcées et l’on doit, sur ce sujet, pousser beaucoup plus loin la recherche et la réflexion[73]. »

Les membres se défendent en rappelant que la première année d’existence du CSE en fut surtout une d’organisation et de développement de relations avec le ministère et, plus généralement, de mise en place des éléments indispensables à l’opérationnalisation de leur mission. Parmi les autres excuses évoquées, citons le manque de temps, la difficulté de bâtir des ponts avec le public, ainsi que la nouveauté du CSE[74]. Les membres font cependant abstraction d’un élément fort important qui ressort d’une analyse des procès-verbaux du CSE, soit la lenteur du ministre et du ministère à approuver le projet de règlement du CSE en ce qui concerne ses relations avec le public tout spécialement. Cette lenteur provoque une frustration très palpable chez les membres du CSE[75]. Cette question n’est réglée qu’en août 1965, alors que le président est informé par le ministre que tous les règlements soumis par le CSE ont été adoptés sans modifications[76]. Il demeure que ce laps de temps aura freiné l’élan du CSE dans sa capacité à mener des actions auprès de la population et aura conduit, comme le prévoyait Ryan, à l’impression que le mode de fonctionnement du CSE est opaque.

Conclusion

Que faut-il retenir des réflexions entourant la création du CSE dans les toutes premières années de ce nouvel organisme ? D’abord, il ressort très clairement que son récit est celui d’une quête d’identité quant à son rôle et à sa place au sein d’un appareil gouvernemental en pleine transformation. Dans sa vision la plus idéalisée, le CSE prétend être « une conscience dans la société[77] » et éclairer la marche du Québec. Lors de l’allocution présentée à l’occasion de la première réunion du CSE, Paul Gérin-Lajoie soulignait que « le gouvernement et la société tout entière comptent sur l’apport d’un Conseil supérieur de l’éducation qui sera tout à la fois lucide, attentif aux besoins du milieu, enraciné, éclairé et clairvoyant, franc et direct autant que généreux et ouvert d’esprit, déterminé autant que réaliste[78] ».

Comme nous l’avons vu, les premiers membres du CSE acceptent d’emblée une telle mission. Pour ses détracteurs, il n’est toutefois rien de cela au moment de sa fondation. À côté de ceux qui croient que le fonctionnement du CSE sape toute possibilité de contribuer au développement d’un humanisme chrétien[79], d’autres dénoncent surtout des structures bureaucratiques devenues d’après eux tentaculaires. Pour ces derniers, le CSE est le rouage de plus d’une machine gouvernementale qui ne cesse de grossir et de se complexifier. Il est vrai que les multiples étapes qui ponctuent le fonctionnement du CSE sont compliquées. Les détours par une administration labyrinthique se soldent par « un joli embouteillage dans le dialogue humain[80] », selon Jacques Tremblay[81], qui signe un article dans Cité libre. De toute façon, comme le ministre a toujours le dernier mot, il n’est guère encouragé à négocier quoi que ce soit. Dans ces conditions, les efforts de dialogue ne seraient que « bavardage et perte de temps[82] ». Dans son premier rapport, le CSE reconnaît lui-même, tout en se défendant d’une telle accusation, qu’ « on entend dire assez souvent que dans le Québec, depuis la création du ministère de l’Éducation, on voit s’édifier à la place d’une véritable démocratie une société et un système de gouvernement dans lesquels un cercle restreint d’individus, une oligarchie fermée occupant les postes clés et participant à tous les comités de travail, s’entendent et se coalisent[83] » afin de faire main basse sur la politique de l’éducation.

Bien que ces critiques aient été reprises par le chef de l’opposition officielle, Daniel Johnson, celui-ci, une fois au pouvoir, ne changera pas vraiment la mission ni la constitution de l’organisme. Au contraire, à l’occasion de la 39e réunion du CSE, tenue en novembre 1966, le nouveau ministre de l’Éducation, Jean-Jacques Bertrand, rencontre personnellement les membres du CSE et déclare, à cette occasion, qu’il accepte les dispositions de la loi l’obligeant à consulter le CSE et souhaite même recourir à celui-ci en ce qui a trait à d’autres sujets pour lesquels son avis n’est pas forcément requis. Cette confiance ne s’est pas démentie par la suite, et le CSE traversera tous les régimes successifs, se maintenant de manière à peu près intacte jusqu’à aujourd’hui[84]. Cette survie de l’organisme peut-elle être attribuée à sa fidélité aux intentions premières de la commission Parent et du législateur ? Tient-elle plutôt à sa capacité à jouer habilement le jeu du pouvoir ? Les opinions sur le sujet demeurent tranchées.

Dans un article qu’il consacrait au cinquantième du Rapport Parent, Guy Rocher considérait que le CSE avait réussi à jouer le rôle qui lui avait été confié en 1964. Il avançait que, « depuis sa création en 1964 jusqu’à aujourd’hui, le Conseil n’a pas cessé de rendre publique une impressionnante série d’avis, d’études, de rapports annuels d’une très grande richesse[85] ». En revanche, dans une entrevue conduite au même moment, Jeanne Lapointe (membre de la Commission de l’enseignement supérieur du CSE de 1967 à 1970) se montrait moins enthousiaste que son ex-collègue de la commission Parent. Pour elle, le CSE « était comme un tampon pour calmer les opinions ». Dans cette perspective, cette créature de Rapport Parent avait pour principale qualité, aux yeux des fonctionnaires du ministère de l’Éducation, de n’être « pas tellement dérangeant[e] ni dangereu[se] ». « J’ai l’impression que c’est commode pour l’État d’avoir ce corps de surveillants et de conseillers. Ça case les penseurs, et les acteurs du gouvernement peuvent agir à leur guise. » « J’ai l’impression, ajoute-t-elle, que le Conseil a eu un rôle secondaire. Et peut-être était-ce là le rôle qu’il devait jouer[86].

Entre l’opinion de Rocher et celle de Lapointe, la distance est significative[87]. Le CSE doit-il être perçu comme un instrument d’une « grande richesse » ou comme un « tampon pour calmer les opinions » ? Nous ne trancherons pas ici le débat. Contentons-nous plutôt de formuler l’hypothèse suivante : c’est peut-être dans cette ambivalence que se loge le secret de la pérennité du CSE, pérennité qui contraste avec la vie interrompue d’autres conseils semblables créés au cours de la même période, comme le Conseil d’orientation économique du Québec, démantelé dès 1968, ou le Conseil supérieur de la famille, dont la mission et la composition furent modifiées à plusieurs reprises jusqu’à sa disparition en 2010.