Résumés
Résumé
Le présent texte se penche sur les organismes et comités de solidarité qui se sont créés au sein de la population québécoise à la suite du coup d’État au Chili, et tout au long des 17 années de dictature. Cet article est divisé en deux périodes afin de mettre en évidence l’évolution de ces différents organismes et de leur travail de solidarité pour la défense des droits de la personne et le retour à la démocratie : le Comité de solidarité Québec-Chili (1973-1980) et le Nouveau Comité Québec-Chili (1987-1990).
Mots-clés :
- Solidarité,
- Québec,
- Chili,
- comité,
- bulletin
Corps de l’article
Les événements survenus au Chili au cours des années 1970 ont suscité beaucoup d’intérêt au Québec. Ils ont donné naissance à un courant de solidarité qui a pris de l’ampleur dans l’ensemble de la société québécoise à partir de 1973. Ce texte a pour but de retracer brièvement l’évolution historique de la solidarité avec le Chili au Québec entre 1970, au moment où le gouvernement de Salvador Allende exerce le pouvoir à la tête d’une coalition de gauche, jusqu’au retour à la démocratie en 1990. Bien que divers groupes aient été actifs dans l’ensemble de la province, notre texte se concentre sur les activités solidaires s’étant développées dans la grande région de Montréal.
Nous y examinons plus spécifiquement le phénomène de solidarité, que nous définissons comme étant un « lien fraternel » et un « sentiment de responsabilité mutuelle entre plusieurs groupes[1] ». Elle peut se manifester toutefois de diverses façons. Dans le cas de la Vicaría de la Solidaridad, l’organisme mis sur pied par l’Église catholique chilienne pour aider les personnes qui subissaient les effets de la répression de la dictature, il s’agit d’une solidarité défensive, puisque son but principal est de faire respecter les droits des victimes du régime. Cependant, comme nous le soulignerons plus loin, la solidarité du principal organisme québécois, le Comité Québec-Chili, va plus loin. Elle vise à appuyer la résistance, y compris armée, contre la dictature.
Nous nous attardons, dans ce qui suit, à deux interrogations principales. D’abord, comment le mouvement de solidarité s’organise-t-il ? Est-ce un mouvement spontané, ou émerge-t-il d’un effort de conscientisation qui s’échelonne dans le temps ? Ensuite, qui sont les acteurs et les actrices de la solidarité Québec-Chili ? Existe-t-il une pluralité de groupes solidaires ? Si oui, quelles sont leurs visées respectives ?
Notre recherche repose sur un corpus de sources qui provient de la Collection de publications de groupes de gauche et de groupes populaires du Service des archives et de gestion des documents de l’Université du Québec à Montréal. Nous avons dépouillé les numéros du bulletin Chili-Québec Informations, l’organe officiel du Comité de Solidarité Québec-Chili, conservés dans cette collection. De façon plus spécifique, nous avons colligé les numéros parus mensuellement entre 1974 et 1982 (l’organisme de développement international canadien CUSO a repris le contrôle du bulletin Chili-Québec Informations à la suite de la dissolution du Comité 1980). Cette publication procurait des informations sur les activités de solidarité du Comité Québec-Chili avec le Chili, mais aussi avec l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale plus largement. Ses articles visaient à informer son lectorat sur des thèmes variés, allant de l’immigration à l’exploitation des travailleurs, et dénonçaient farouchement les violations des droits de la personne qui avaient cours au Chili pendant la dictature. À ces sources documentaires s’ajoutent quelques enquêtes orales complémentaires. Nous avons mené des entrevues semi-dirigées auprès de trois acteurs québécois de la solidarité avec le Chili. Le premier, Jacques Boivin, était un leader important du Comité Québec-Chili dans les années 1970. Nous avons mené deux entretiens avec ce premier témoin. Nous avons ensuite interviewé Marcel Quirion, un oblat qui avait vécu de nombreuses décennies au Chili avant de revenir au Québec en 1976, et Yves Vaillancourt, un professeur à l’Université du Québec à Montréal qui avait été marqué par un séjour effectué au Chili en 1972, à l’époque de l’Unité populaire. Ces acteurs nous ont permis de confirmer certaines hypothèses et de compléter notre enquête grâce à des détails et précisions historiques que ne dévoilaient pas les sources documentaires étudiées.
Notre recherche démontre que la solidarité avec le peuple chilien ne fut pas une action spontanée. Au contraire, elle a été portée par différentes organisations québécoises qui étaient influencées par de nouvelles conceptions marxistes d’internationalisation prolétaire, introduites notamment dans le syndicalisme et les secteurs populaires du Québec. Bien qu’une pluralité d’acteurs et d’actrices au Québec ait exprimé leur solidarité avec le Chili, l’analyse souligne le rôle central joué par le Comité de solidarité Québec-Chili dans l’organisation de cette solidarité dans les années 1970 et 1980.
La radicalisation du mouvement social au Québec
À la fin des années 1960 et dans la première moitié des années 1970, les secteurs les plus radicaux de la société québécoise critiquent avec une ardeur renouvelée les structures capitalistes. Ces secteurs sont majoritairement composés des partis populaires de gauche, des syndicats, d’intellectuels et d’étudiants. Ces acteurs sociaux s’inspirent de l’idéologie marxiste dans leurs discours, leurs programmes et leurs luttes. Ils appuient également la solidarité internationale contre le système capitaliste[2].
Néanmoins, malgré les prétentions internationalistes de certaines organisations de la gauche, celles-ci n’ont jamais fait grand cas des communautés immigrantes de Montréal. À son congrès de 1968, le conseil central des syndicats nationaux de Montréal tente de s’attaquer à ce paradoxe bien ancré et d’ouvrir la porte à toutes les associations populaires québécoises qui ne sont pas de langue française[3]. Il est bien entendu que pour créer une nouvelle société, tous doivent participer. Le conseil fait ainsi un grand pas en amplifiant son aide et en donnant la parole à ceux qui n’en possèdent pas.
Au niveau international, les mêmes insatisfactions se manifestent dans les mouvements contestataires des étudiants français en mai 1968, la protestation internationale contre la guerre au Vietnam, la lutte contre l’impérialisme et le développement de la contre-culture[4]. En Amérique latine, deux types d’événements portent des condamnations anticapitalistes similaires. Le premier, à caractère politique, économique et social, s’exprime dans la révolution cubaine de 1959 puis dans la victoire de l’Unité populaire au Chili en 1970. Le deuxième, d’ordre religieux, se réalise en 1968 lors de la première Conférence épiscopale latino-américaine à Medellín en Colombie. Les évêques y recherchent une position intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme afin de résoudre les problèmes d’injustice sociale qui fragmentaient les sociétés latino-américaines.
Pendant cette époque de radicalisation des mouvements sociaux québécois, les centrales syndicales manifestent par des grèves et des actions militantes, certes, mais aussi par des publications ouvertement anticapitalistes, et souvent imprégnées du marxisme. À titre d’exemple, citons les manifestes respectifs des trois grandes centrales syndicales de l’époque (L’État, rouage de notre exploitation [FTQ, 1971], Ne comptons que sur nos propres moyens [CSN, 1971] et L’École au service de la classe dominante [CEQ, 1972]). Ces derniers évoquent la nécessité d’élaborer un projet socialiste capable de transformer la société québécoise[5].
Outre leurs stratégies sur le plan national, ces acteurs sociaux développent également des liens de solidarité avec des pays du Sud global qui, à l’image du Québec, souffrent selon eux de l’oppression de l’impérialisme nord-américain par l’intermédiaire des compagnies multinationales. Sur cette base de solidarité, des syndicats et des organisations de gauche du Québec participent à des réunions au Chili en avril 1973, et postérieurement à Montréal en 1975[6]. Il est important également de mentionner l’apport d’organismes de coopération internationale comme la Solidarité Union Coopération (SUCO) ou encore le Carrefour international. On peut signaler que depuis les années 1970, le mouvement progressiste québécois a non seulement pratiqué et plus encore intensifié la solidarité locale et internationale, mais aussi intersyndicale.
Le Québec et l’intérêt pour le Chili : 1970-1973
Avant les années 1970, à l’exception de quelques missionnaires des oblats de Marie Immaculée ayant oeuvré au Chili en 1948, très peu de Québécois et de Québécoises connaissent ce pays[7]. Cependant, c’est au début des années 1970 que divers milieux québécois démocratiques et progressistes s’intéressent au gouvernement de l’Unité populaire. Certains d’entre eux, prêtres, syndicalistes ou militants de groupes populaires, partent alors vers le Chili pour vivre l’expérience de l’Unité populaire. Ces acteurs désirent apprendre des manières de construire une société socialiste de façon démocratique[8]. Surtout, ce séjour au Chili leur permet de développer des liens directs avec les mouvements populaires et syndicaux chiliens[9].
À l’époque, deux importants congrès internationaux sont organisés à Santiago, au Chili : le Congrès des chrétiens pour le socialisme, en mai 1972, et la Conférence internationale ouvrière, organisée par la Central Única de Trabajadores (CUT) en avril 1973, ayant pour thème « La lutte syndicale contre les multinationales ».
Par la suite, le Secrétariat Québec-Amérique latine (SQAL) est officiellement formé en mai 1973 par certains secteurs du mouvement syndical et des militants du Centre de formation populaire (CFP), avec deux objectifs principaux :
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Favoriser le développement des lieux de solidarité entre travailleurs et travailleuses d’Amérique latine.
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Faire connaître les expériences de luttes et d’organisation du mouvement ouvrier et populaire latino-américain pour en tirer les enseignements aptes à renforcer nos propres luttes ouvrières et populaires ici[10].
Les objectifs principaux du SQAL sont basés sur les similitudes entre l’Amérique latine et le Québec. Tous deux ont en commun l’expropriation des richesses naturelles par les capitaux américains et l’exploitation des travailleurs par les multinationales américaines et canadiennes. Deux syndicalistes faisant partie de la délégation québécoise, un de la CSN, l’autre de la FTQ, assistent à la Conférence internationale ouvrière organisée par la CUT-Chili. Les représentations de la CSN et d’autres organisations québécoises sont impressionnées par les liens de fraternité exprimés lors de la conférence et par la détermination à la coopération dans un combat continuel contre l’impérialisme[11].
À la suite de cet événement multisyndical, le Conseil central de Montréal (CSN) émet un appel en faveur de la tenue d’une conférence internationale de solidarité. Cependant, le coup d’État militaire au Chili a pour effet de la retarder ; elle a finalement lieu en juin 1975, à Montréal. Son comité organisateur comprend le Conseil central de Montréal, la CSN, la CEQ, l’Association Québec-Palestine, la SUCO et le SQAL. Au terme de la conférence, les organisations décident de rendre leur travail permanent en mettant sur pied le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) en 1975.
Les deux congrès tenus au Chili ont donc contribué à consolider les liens de solidarité entre le Québec et le Chili autour de la lutte contre un ennemi commun, l’impérialisme nord-américain. Au niveau syndical et étudiant, certains échanges ont eu lieu entre des militants des groupes populaires, des groupes politiques et des communautés chrétiennes. Les nouvelles provenant du Chili se trouvent alors de plus en plus relayées. Par exemple, depuis 1971, le journal Québec-Presse et le Réseau des politisés chrétiens ont fréquemment fait référence à la pratique et à la réflexion des chrétiens pour le socialisme au Chili[12].
Ainsi, la sensibilisation au sujet du Chili est-elle bien développée dans divers milieux québécois au moment du coup d’État de septembre 1973. Cela permet au mouvement ouvrier et populaire québécois de concrétiser la solidarité internationale entre les deux peuples en formant rapidement un organisme de solidarité avec le Chili.
Le Comité de solidarité Québec-Chili, 1973-1974
À la suite du coup d’État chilien, des centaines de voix, individuelles et collectives, cherchent à former un rassemblement organique pour exprimer leurs protestations et leur condamnation de la junte militaire chilienne afin de formuler leur appui et leur solidarité au peuple chilien. Pour tenter de coordonner cet effort, des militants du CFP et du SQAL entament la mise sur pied du futur Comité Québec-Chili. La présence et l’appui du mouvement syndical québécois sont très importants.
Le Comité de solidarité Québec-Chili est officiellement fondé le 19 septembre 1973, à Montréal, à la suite de la tenue d’une assemblée. Il est composé des trois grandes centrales syndicales (CSN, FTQ et CEQ), d’une quinzaine de syndicats locaux, de groupes populaires et du SQAL. Dès les premiers instants de sa création, le Comité poursuit les objectifs suivants :
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Mobiliser l’opinion publique pour faire pression sur le gouvernement d’Ottawa afin qu’il ne reconnaisse pas la junte militaire chilienne, qu’il protège les Québécois et les Canadiens au Chili, qu’il défende les droits fondamentaux des exilés politiques qui sont au Chili et qu’il fasse pression pour la libération des prisonniers politiques.
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Organiser le soutien actif à la lutte de résistance des forces populaires chiliennes en lui donnant l’appui technique et financier nécessaire.
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Susciter l’organisation de comités de solidarité régionaux et les coordonner.
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Organiser l’accueil des Québécois qui pourraient revenir du Chili[13].
Le troisième point de la déclaration concerne la formation de plusieurs comités de solidarité Québec-Chili qui ont surgi spontanément dans plusieurs villes et régions du Québec (Chicoutimi, Lac-Saint-Jean, Sherbrooke, Hull, Outaouais, Trois-Rivières), dans plusieurs quartiers de Montréal (Côte-des-Neiges, Pointe-Saint-Charles), de même que dans les universités (Université de Montréal, UQAM, Université McGill) et les cégeps (Vieux-Montréal)[14].
À ses débuts, la structure organique du comité est divisée en trois instances :
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Un comité de coordination composé de cinq personnes : Fernand Daoust (FTQ), Norbert Rodrigue (CSN), Gaston Sanchez (CEQ), Nicole Perrault (groupes populaires) et Jean Ménard.
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Une assemblée générale formée de délégués des organisations membres.
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Une équipe de militants techniques.
Une des premières actions à caractère organique du Comité est la création de deux nouveaux secrétariats : un comité d’accueil et une équipe de journalistes qui publièrent le bulletin Chili-Québec Informations[15]. Le Comité de coordination est composé de cinq personnes issues du mouvement syndical et populaire. À son stade initial, il est présidé en rotation par les représentants des trois centrales syndicales[16].
Le premier président est un représentant de la CSN, suivi par un représentant de la FTQ, puis de la CEQ. Cette rotation cesse de fonctionner rapidement lorsqu’en novembre 1973, la FTQ se retire du Comité Québec-Chili. Cela nous indique que le Comité Québec-Chili ne peut échapper aux affrontements historiques entre les centrales syndicales. Selon Jacques Boivin, « le retrait rapide de la FTQ était dû spécialement aux différences idéologiques. Nous ne devons pas oublier que la FTQ maintenait des liens avec les centrales nord-américaines, qui avaient joué un rôle important dans la défaite d’Allende[17] ».
Au début de 1974, le comité de coordination commence à céder volontairement à l’équipe technique une partie importante du mandat qu’il avait reçu initialement. Une autre caractéristique de cette période (1973-1974) est l’espacement des assemblées générales. Celles-ci passent de réunions mensuelles à des réunions tenues deux fois par année à cause de l’absentéisme des représentants syndicaux et des groupes populaires. Cela traduit un recul dans les aspirations du Comité, lequel souhaite que les bases syndicales et populaires soient les générateurs de la solidarité internationale[18].
Durant les premiers mois de son existence, le comité d’accueil cherche à recevoir et à incorporer des missionnaires catholiques québécoises qui reviennent du Chili, tel que Clotilde Bertrand[19], Jeannette Pomerleau, Roberto Quevillon, Patrick Donovan, Yves Laneuville, Jacques Boivin et Jean Ménard. Plusieurs d’entre eux s’intégreront ensuite à d’autres organismes populaires et syndicaux.
Dès janvier 1974, le comité d’accueil se constitue de façon autonome pour venir en aide aux réfugiés en provenance du Chili[20]. La publication du bulletin mensuel Chili-Québec Informations tiendra durant cette première étape (1973-1975) un rôle fondamental, orientant son contenu autour de certains grands thèmes :
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Dénoncer et informer sur le coup d’État au Chili.
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Mobiliser la solidarité entre les groupes populaires et syndicaux.
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Faire pression sur le gouvernement canadien pour que celui-ci condamne le coup et apporte son appui aux réfugiés chiliens et latino-américains. Soutenir les campagnes financières à la résistance chilienne.
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Insister sur le fait que le Québec et le Chili doivent livrer un même combat contre l’ennemi commun, l’impérialisme états-unien et canadien, et rappeler les expériences de l’Unité populaire semblables à celles au Québec.
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Souligner l’importance d’appuyer la résistance contre la dictature[21].
La publication prend rapidement de l’ampleur. Dès le début de 1974, on y trouve des textes d’information et d’analyses élaborés sur l’Unité populaire, les organisations syndicales, populaires et politiques chiliennes, les causes du coup d’État, etc.
En 1974, le bulletin est déjà ouvert sur l’ensemble de l’Amérique latine. Des dossiers apparaissent sur les politiques d’immigration canadiennes, les multinationales (Noranda[22], Alcan, ITT), et sur le mouvement syndical au Chili et en Argentine. L’information est concrète et les articles en général assez courts. Dès sa fondation, le bulletin réussit à mettre en circulation plus de 1200 exemplaires distribués dans les syndicats, les kiosques, par des abonnements individuels et collectifs ainsi que dans d’autres villes et d’autres pays.
Activités de solidarité
Durant cette première période, le comité organise une série d’activités de solidarité comme des conférences de presse, la publication et la diffusion de matériel de contre-information, des pétitions et des télégrammes condamnant la politique canadienne au Chili et demandant à l’ambassade canadienne qu’elle accueille les Chiliens et Latino-américains qui désirent une protection[23].
Deux importantes manifestations de solidarité sont tenues à l’automne 1973. La première, le 12 septembre 1973, est lancée par des militants du Comité de citoyens du centre-ville de Montréal, qui manifestent en face du consulat chilien. La deuxième, organisée par divers syndicats et groupes populaires, rassemble mille Québécois pour dénoncer, devant son consulat, le rôle joué par les États-Unis dans le sabotage de l’expérience chilienne[24]. La FTQ, la CSN, la CEQ et divers groupes populaires manifestent en masse leur désapprobation envers le coup d’État militaire chilien. Les actions des syndicats et des mouvements québécois qui ont eu lieu quelques jours avant la création du Comité Québec-Chili avaient trois objectifs :
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Faire pression sur le gouvernement canadien pour qu’il rompe immédiatement les liens avec le régime illégitime et brutal des militaires chiliens.
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Collaborer avec le mouvement syndical occidental et particulièrement nord-américain dans les diverses formes d’appui au mouvement syndical chilien.
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Agir auprès des travailleurs québécois pour développer une vigilance accrue des activités subversives des sociétés multinationales et de leur influence sur les gouvernements mettant ainsi en péril la souveraineté nationale[25].
Dans les semaines qui suivent, l’atmosphère de dénonciation et de solidarité avec le peuple chilien se charge encore. Le 10 octobre, les représentants du Comité Québec-Chili rencontrent Hortensia Bussi, la veuve d’Allende, à l’aéroport de Dorval. Pendant son séjour au Québec, Madame Bussi Allende effectue un discours et participe à une manifestation organisée par toutes les forces progressistes québécoises soutenant le peuple chilien. Elle publie un message au peuple québécois dans les pages du bulletin Chili-Québec Informations :
Chers camarades : En premier lieu, je désire vous remercier très sincèrement, et par votre intermédiaire, les travailleurs, étudiants et intellectuels du Québec, pour l’attitude si claire et courageuse que vous avez adoptée face aux tristes événements qui secouent ma patrie en ce moment. La constitution du Comité de solidarité Québec-Chili apporte aide et soulage ceux-là qui à l’intérieur et à l’extérieur du pays continuent la lutte commencée par les masses et leurs gouvernements depuis le triomphe électoral de 1970. Je suis sûr qu’avec l’appui et la solidarité des travailleurs, étudiants et intellectuels du Québec et du monde, le peuple du Chili reconquerra ce qu’il a perdu provisoirement et renforcera son esprit de lutte en vue de l’établissement d’une patrie socialiste. Avec mes remerciements renouvelés, fraternellement Hortensia B. Allende[26].
Le 1er décembre, une manifestation plus importante encore a lieu au Forum de Montréal. Plus de 5000 personnes y sont rassemblées pour démontrer leur appui au peuple chilien. Les syndicats et les groupes populaires invitent la veuve du président Allende et le président du syndicat des travailleurs agricoles des États-Unis, César Chavez (nos sources ne nous permettent pas de savoir avec certitude s’ils se sont présentés à l’événement)[27]. Les discours dénoncent le coup d’État et exaltent la mémoire de Salvador Allende. Pour sa part, le président de la CSN, Marcel Pépin, dénonce la pauvreté au Québec et déclare que seule la force révolutionnaire du peuple pourra abolir cette injustice. Les discours combatifs prononcés au Forum de Montréal ont pour conséquence de préoccuper quelques députés à la Chambre des Communes, dont Réal Caouette, chef du Ralliement créditiste et député de Témiscamingue, qui déclare : « Le premier ministre n’a peut-être pas entendu les nouvelles de samedi, à l’effet que des gars comme Chartrand, Pépin et Laberge faisaient appel aux armes pour libérer la population du Canada. Le gouvernement prend-il des mesures actuellement pour voir le sérieux des propos tenus par ces gars à Montréal[28] ». Après cet événement historique, des manifestations massives ont lieu chaque année en septembre jusqu’en 1979.
L’appui à la résistance et au MIR
La première période du Comité (1973-1974) se caractérise aussi par des campagnes de financement organisées par les membres. En moins de deux mois d’activités solidaires, le Comité récolte 15 000 $, versés au Fonds de solidarité du Comité Québec-Chili et voués à être utilisés à la discrétion des résistants chiliens.
Dès novembre 1973, le Comité lance une campagne de souscription nommée « Fonds de secours pour le Chili », dont l’objectif est d’amasser 50 000 $ pour la fin du mois de mars 1974. Pour atteindre cet objectif, le comité se propose de faire trois activités : l’envoi de plus de 100 000 lettres personnelles de souscription au « Fonds de secours », la vente de 25 000 boutons pour la résistance et la réalisation d’un spectacle au Centre sportif de l’Université de Montréal[29].
Le même mois, le Comité organise l’opération « Disque ». Le Comité soutient la vente d’un disque intitulé « Chanson et musique de la résistance chilienne ». Rapidement, la vente du premier tirage s’élève à 3000 exemplaires, et quelques semaines plus tard, le second tirage s’élève à 2000. « Tous les bénéfices obtenus par cette vente iront au Comité, qui s’en servira pour aider les réfugiées et les mouvements de résistance du Chili démocratique[30] ».
Lors de cette première période, l’argent envoyé au Chili est destiné au Mouvement de la Gauche révolutionnaire (MIR), décision approuvée majoritairement par l’Assemblée générale du comité, le 28 mai 1974. Lors de cette assemblée, il est décidé « à l’unanimité d’envoyer ces fonds au MIR […] tant pour des raisons politiques et idéologiques qu’organisationnelles[31] ».
Durant cette première phase, le Comité Québec-Chili concentre son soutien économique aux groupes dont les positions politiques et idéologiques coïncident avec celles de ses membres dirigeants. Cette politique convergente est basée sur une « stratégie révolutionnaire, qu’elle développe dans la lutte pour la résistance[32] ». Pour le Comité Québec-Chili, seul le MIR déploie durant cette période une stratégie révolutionnaire au Chili. Le Comité critique spécifiquement la stratégie promue par le Parti communiste chilien, lequel a historiquement maintenu la voie pacifique comme stratégie pour atteindre le pouvoir. Il regrette qu’il n’ait pas anticipé un éventuel coup d’État.
1975-1976 changements organisationnels et affirmation du contrôle québécois sur le Comité
En 1975-1976, trois éléments caractérisent l’organisation du Comité : 1) un changement de structure ; 2) l’arrivée des exilés chiliens au Comité ; 3) la réaffirmation du Comité comme organisme québécois.
La structure organique du Comité durant cette deuxième période connaît un changement radical. Les centrales syndicales cessent de tenir un rôle prépondérant et actif dans la coordination, ce qui entraîne leur éloignement du Comité. Les assemblées générales auxquelles participaient les bases syndicales et populaires, qui apportaient de nouvelles idées et du travail, cessent également de fonctionner[33].
Les raisons de l’éloignement du secteur syndical s’expliquent par deux facteurs. D’abord, il se produit une fatigue naturelle envers la solidarité pour le Chili, résultat de l’absence de changements rapides dans la situation chilienne. Ensuite, le mouvement syndical vit la relance d’un second Front commun entre la CSN, la FTQ et la CEQ dans les secteurs public et parapublic. Ce mouvement est pour lui prioritaire.
Un autre changement résulte de l’arrivée d’exilés chiliens au Comité. Plusieurs des militants du Comité avaient vécu au Chili et avaient travaillé avec ceux qui arrivent en tant que réfugiés. Mais un problème surgit lorsque plusieurs militants chiliens expriment non seulement leur désir de participer avec les Québécois, mais de prendre le contrôle du Comité et de changer ses méthodes de travail. Cela produit une réaction contraire chez les militants locaux du Comité qui ne veulent pas s’éloigner de leurs plans et objectifs originaux et qui réaffirment, par conséquent, que le Comité doit être un organisme québécois :
Le contrôle québécois des comités de solidarité sur leurs activités et leurs orientations est un principe fondamental. Nous voulons dire par là que l’animation et la direction des comités des solidarités n’a [sic] pas à revenir à des Latino-américains. Cette position n’a rien de raciste ou de xénophobe, mais elle découle de notre conception même du travail de solidarité. Si celui-ci cherche à faire le lien de façon explicite et conséquente avec les besoins et les perspectives du mouvement progressiste ici, il doit d’abord reposer sur des militantes et des militants eux-mêmes liés à ce mouvement. Dans le cadre de cette approche « québécoise », fortement axée sur les besoins et les sensibilités des gens d’ici et aussi sur la préoccupation d’intervenir dans la conjoncture politique d’ici, des animateurs ne peuvent être que des personnes fortement intégrées à cette société[34].
Le travail de solidarité durant cette période se concentre sur la publication du bulletin Chili-Québec Informations, la campagne pour la libération des femmes chiliennes emprisonnées (1975) et la campagne contre la compagnie Noranda (1976).
Durant cette période, le bulletin Chili-Québec Informations tient un rôle prépondérant dans le travail de solidarité avec le Chili ; il se convertit également en un moyen d’éducation sur la problématique chilienne et latino-américaine dirigé vers les secteurs plus progressistes de la société québécoise. Pour la direction du Comité, le bulletin doit être l’éducateur du principe de l’internationalisme prolétarien et le générateur d’une organisation révolutionnaire.
Parmi ses activités, le comité s’intègre en 1975 à une campagne internationale pour la libération des enfants emprisonnés au Chili, en particulier en faveur de Laura Allende, soeur du président Allende. Lors de cette campagne, le Comité invite Carmen Castillo, militante et veuve du secrétaire général du MIR Miguel Enriquez, mort au combat en 1974. Carmen Castillo, qui a été emprisonnée puis libérée grâce à la pression internationale, est présente lors d’une soirée organisée pour souligner sa visite le 18 avril 1975, au sous-sol de l’église Saint-Louis-de-France à Montréal. Elle ne peut pas oublier que sa survie et sa liberté sont le fruit de la solidarité internationale. Elle fait la déclaration suivante :
Camarades québécois, je ne veux pas vous brosser exclusivement un tableau misérabiliste. Je ne veux pas seulement vous parler de nos souffrances. Je veux dire, surtout que mon peuple a été battu, mais non vaincu… la résistance est aujourd’hui une réalité que ni nos ennemis ni les défaitistes ne peuvent nier… Une grande mobilisation internationale obligea la junte militaire à me libérer moins d’un mois après mon arrestation. J’ai alors compris, d’une façon très concrète et personnelle, l’importance du mouvement de solidarité internationale qui dénonce les crimes de la junte militaire[35].
Carmen Castillo, comme ex-prisonnière politique, parle non seulement de la dénonciation du régime militaire, mais propose également de nouvelles initiatives afin d’aider des femmes et des enfants prisonniers, comme la réalisation d’une campagne d’envoi de lettres pour soutenir ces prisonniers. Le Comité fait partie de cette campagne et envoie mille cartes postales à Augusto Pinochet, à Kurt Waldheim, secrétaire général de l’ONU, et au Premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau.
Entre 1976-1978, le Comité participe à une campagne de dénonciation au niveau national et international du projet d’investissements au Chili des compagnies minières, des banques et des multinationales canadiennes. Depuis le coup d’État, le Canada est la principale source d’investissements au Chili. La Noranda Mines a lancé un plan de développement de 350 millions de dollars pour ouvrir une mine de cuivre à Andacollo, précédant un projet d’investissements de 500 millions par la Falcon bridge et la Superior Oil des États-Unis, propriétaire partielle de la Falcon bridge.
En mai 1976, la junte ne peut plus refinancer la dette extérieure auprès de ses créanciers d’Europe de l’Ouest, à cause de campagnes menées là-bas contre la dictature chilienne. Mais la junte se tire d’affaire avec 125 millions de dollars que lui prêtent alors les banques Royale, la Toronto-Dominion, la Banque de la Nouvelle-Écosse et des banques américaines[36].
À la mi-décembre 1977, la Banque Royale participe à deux autres prêts de 55 millions chacun. Encore à la mi-décembre, la Banque de Montréal anime le groupe de banques qui prêtent 125 millions de dollars à la junte pour stabiliser son économie. Ces deux prêts coïncident avec la condamnation, par les Nations Unies – appuyée par le Canada –, des violations des droits de l’Homme commises par la junte. Mais les banques, qui pratiquent cette même politique en Afrique du Sud, soutiennent qu’il « est difficile de passer des jugements moraux sur la politique intérieure d’un pays étranger[37] ». Et le 19 décembre, aux Communes, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Jack Horner, avance que le gouvernement n’a pas à juger de la conduite du Chili quand il s’agit de questions commerciales. L’Église anglicane et l’Église unie du Canada signalent l’inopportunité de cet investissement alors que la violation des droits de l’homme dans ce pays persistait.
Un autre facteur important est la participation de différents mouvements de la gauche chilienne présente à Montréal à la réalisation de ce travail de solidarité du Comité : le Mouvement d’action populaire unitaire (MAPU), le MIR et une fraction du Parti socialiste, la Coordination nationale des régionales (CNR[38]). Ce regroupement accentue les divisions au sein de la communauté chilienne, alors majoritairement représentée par l’Association des Chiliens, organisme dirigé par des militants de l’ancienne Unité populaire ne partageant pas les vues du MIR, le parti appuyé par le Comité. Créée en octobre 1974, l’Association répond à une volonté partagée dans la communauté chilienne de l’époque, cherchant l’établissement d’une organisation qui représenterait – et qui serait dirigée par – les Chiliens. Les partis formant cette association étaient le Parti communiste, le Parti socialiste, le MAPU, le MAPU – ouvrier paysan, le Parti radical et la Gauche chrétienne.
La période 1977-1980
À la fin de 1976, le Comité réévalue ses objectifs de travail et sa dynamique organique. Après cette analyse, l’équipe du Comité Québec-Chili publie un document intitulé « Le Comité Québec-Chili et son soutien à la résistance populaire chilienne ». Dans ce document, le Comité affirme :
Le Comité Québec-Chili est un instrument pour canaliser cette sympathie et cette solidarité dans des actions concrètes de soutien à la lutte que le peuple chilien poursuit sous la dictature. De plus, il se propose de transformer cette sympathie spontanée des masses en une conscience politique de classe par un travail ardu d’éducation des masses, convaincu que le cas du Chili est un révélateur puissant qui peut et doit permettre un progrès vers une véritable conscience de classe des travailleurs et des couches exploitées. C’est dans cette perspective de favoriser l’émergence d’une véritable conscience de classe et d’une organisation de classe par un travail d’explication de ce qui s’est passé au Chili et des perspectives de la lutte maintenant que le Comité Québec-Chili oriente son travail d’éducation et d’agitation dans la classe ouvrière, utilise le canal des organisations syndicales et populaires existantes et se lie organisationnelle ment [sic] aux centrales syndicales et aux organisations populaires[39].
Avec ce document, le Comité réaffirme ses principes d’internationalisme prolétarien, tout comme le fait que ses alliés primordiaux sont les mouvements ouvrier et populaire. Le comité propose que les militants se « regroupent dans des équipes de travail selon leurs disponibilités et intérêts réels pour faire un travail spécifique et qu’à tous les deux mois, il y ait une rencontre générale pour tous pour faire le point, débattre les problèmes, les acquis et les avances dans le travail[40] ».
Au début de cette période, le Comité fait preuve d’un nouveau dynamisme. Il recrute de nouveaux membres et ses liens avec le secteur syndical et populaire se réactivent. Le Comité tente d’organiser une grande mobilisation et de mener une campagne pour obtenir la libération de prisonnières politiques[41].
Dès 1978, l’information sur l’Amérique centrale occupe une place de premier plan dans les pages du bulletin du Comité Québec-Chili, et ce jusqu’à la fin de la décennie. La revue devient dès lors plus analytique. Elle propose des synthèses de l’actualité, des mini-dossiers sur certains pays et des articles de fond. Selon Jacques Boivin, le bulletin livrait des analyses élaborées. En parallèle de cette publication voulue plus sophistiquée, le Comité lance au printemps 1978 la publication d’un second périodique, Le Gueulard. Ce bulletin contient des articles très courts, rédigés dans un langage populaire et accessible. Il s’adresse aux travailleurs québécois, principalement aux ouvriers. La revue est de moins en moins liée au travail immédiat de la solidarité. Sans être absent, le souci de lier l’information du Chili aux « luttes d’ici » est plus faible et diffus. La présentation de la revue est grandement améliorée et elle est mise en vente dans les kiosques à partir de 1980. Le caractère plus spécialisé, les articles plus longs et sérieux de la revue Chili-Québec Informations, limitèrent toutefois son audience, de sorte que le tirage stagne autour de 600-800 exemplaires[42].
Durant cette troisième période, le Comité Québec-Chili poursuit sa campagne de dénonciation contre la compagnie Noranda, notamment par l’envoi de lettres et de télégrammes de protestations à la compagnie minière et au gouvernement canadien. En 1977, au moment où se tient à Toronto l’assemblée annuelle des actionnaires, les bureaux montréalais de la Noranda sont occupés par une cinquantaine de personnes[43].
Des activités de solidarité réalisées en septembre 1977 par le Comité sont le fruit d’un travail conjoint avec des organisations politiques de la gauche révolutionnaire chilienne (MIR, MAPU, CNR). Le Comité souligne alors encore une fois ses différences avec une autre gauche chilienne représentée par les partis communiste et socialiste. Dans son bulletin Chili-Québec Informations, le Comité déclare qu’il « créera des politiques d’alliances avec les organisations politiques chiliennes qui seront conséquentes avec la stratégie révolutionnaire[44]. » Pour le Comité, l’Association des Chiliens de Montréal créa une solidarité déconnectée de la réalité et des luttes ici et basée sur le lobbying international.
Ceci est un autre exemple qui démontre que durant la période 1973-1980, il est impossible de réaliser un travail de solidarité conjointe entre toutes les forces progressistes, les différences idéologiques empêchant ce travail.
Les soirées de solidarité organisées par le Comité et un secteur de la gauche chilienne chaque mois de septembre pour commémorer le renversement d’Allende attirent bien souvent une assistance allant au-delà de 1000 personnes[45].
Au cours de l’année 1977, le Comité organise des ateliers qui portent sur les thèmes suivants : la participation des femmes dans les luttes du peuple au Chili, les luttes ouvrières et le pouvoir populaire, les organisations politiques et la résistance populaire[46].
En novembre 1977, le comité organise une soirée, conjointement avec les représentants du PS, du CNR et du MAPU, à l’occasion de la visite à Montréal de Pedro Vuskovic, ministre de l’Économie sous le gouvernement d’Allende (1970 à 1972) et militant de la CNR. Plus de 400 personnes assistent à cette soirée politique[47]. Notons également que le Comité Québec-Chili s’intéresse de plus en plus à l’ensemble des luttes menées par les autres peuples latino-américains[48].
En 1978, le Comité établit une série de contacts afin de réactiver la solidarité. Par exemple, des membres du Comité voyagent à Rimouski afin de participer à une journée de solidarité avec les prisonniers politiques chiliens. Le Comité rencontre également des responsables de la CEQ pour échanger des idées sur son orientation et ses activités, ainsi que pour discuter des collaborations à venir[49]. Les activités de financement sont également réactivées et au début de l’année le Comité envoie 2500 $ aux organisations de résistance au Chili. Cet argent provient des dons de militants québécois, de la vente de documents, de disques et d’émaux[50]. Concernant le secteur financier, le comité envoie au Chili une moyenne de 5 000 $ à 10 000 $ annuellement dans les dernières années de la décennie. Cet argent est partagé entre les différentes organisations qui participent aux activités de solidarité : le MIR, le MAPU et la CNR-PS.
Les activités du Comité sont aussi marquées entre 1977 et 1980 par des campagnes de dénonciation et de boycottage. Le Comité dénonce notamment la Société des alcools du Québec qui vend des vins chiliens et plusieurs membres et amis du Comité s’installent aux portes des différents locaux de vente de la SAQ pour demander aux consommateurs de les boycotter. Pour le Comité, « [e] encourager les politiques d’exploitation de la junte militaire chilienne c’est encourager les secteurs économiques les plus puissants du Chili, qui sont eux-mêmes les soutiens économiques, politiques et idéologiques de Pinochet[51] ».
Au cours de 1979, le Comité Québec-Chili entre dans une période de déclin. L’un des facteurs annonçant sa disparition s’explique par l’existence d’une fatigue naturelle envers l’organisation. Selon Yves Chartrand, peu à peu les valeurs individuelles envahissent plus largement la vie des Québécois et plusieurs militants de la première heure, dont ceux de la solidarité internationale, n’y échappent pas[52]. Il faut noter aussi la diminution des ressources financières et humaines. Ce problème se produit non seulement dans le comité Québec-Chili, mais également pour le SQAL, le CISO et le SUCO[53].
Le Comité cesse de fonctionner en 1980. Son bulletin Chili-Québec Informations continue à être publié jusqu’en janvier 1982. Cette continuité est due au fait que le bulletin est édité par le SQAL. La teneur du bulletin dans la période (1978-1982) englobe non seulement le Chili, mais aussi l’ensemble de l’Amérique latine. Au tournant de la décennie 1980, la situation critique et la répression subie par les peuples argentin, bolivien et haïtien suscitent un élan de solidarité en faveur de la liberté, de la démocratie et de la paix au sein des organisations syndicales et des groupes populaires et féministes du Québec. À cette même époque en Amérique centrale, les luttes menées par les forces révolutionnaires au Nicaragua et au Salvador trouvent des appuis chez les militantes des droits de la personne et de l’aide au développement au Québec ainsi qu’à travers le monde[54].
Le Nouveau Comité Québec-Chili : 1987-1990
À l’automne 1987, différentes centrales syndicales (CSN, CEQ, FTQ), des partis politiques (NPD, PQ) et des organisations des droits de la personne à Montréal (CISO, Développement et paix, Association latino-américaine pour les droits humains) fondent le nouveau Comité Québec-Chili. Ils ont pour objectif de s’unir à la lutte du peuple chilien pour le retour à la démocratie[55]. Cette nouvelle version du Comité Québec-Chili travaille de concert avec la communauté chilienne, particulièrement avec l’Instance de coordination de la solidarité avec le Chili.
Il faut mentionner également la délégation des femmes québécoises qui se rend au Chili en mars 1988 pour visiter les prisons de femmes. C’est la première fois qu’une délégation étrangère réussit à visiter les prisons de la dictature.
La mission québécoise d’observation est envoyée au Chili pour le plébiscite qu’Augusto Pinochet organise le 5 octobre 1988, et qui vise à lui accorder un nouveau mandat de huit ans. La défaite des militaires ouvre les portes à l’élection présidentielle et parlementaire de décembre 1989. À son retour, la mission estime avoir atteint ses objectifs. Dans son rapport préliminaire, elle déclare que la victoire du NON ouvre la porte de l’espoir pour le peuple chilien. Le résultat obtenu (55 % pour le NON et 43 % pour le OUI) exprime de façon convaincante le rejet de la dictature de Pinochet et constitue un appel à toutes les forces démocratiques du monde pour poursuivre leur tâche d’appui et de solidarité envers le Chili. Une nouvelle mission est mise sur pied : la délégation pancanadienne d’observation pour l’élection présidentielle du 14 décembre 1989. André Marcoux, syndicaliste et membre du Comité Québec-Chili, est le coordonateur de la délégation, composée des représentants de plusieurs organismes de la société québécoise. Lors de cette élection, les partis qui appuyaient la dictature sont défaits, et les forces d’opposition prennent le pouvoir. Le démocrate-chrétien Patricio Aylwin devient président[56].
Conclusion
La solidarité qui se manifeste parmi les secteurs progressistes québécois avec le peuple du Chili durant la période 1973-1980 n’a pas été le fruit d’une action spontanée, mais le résultat d’un fort courant idéologique marxiste qui alimentait le mouvement syndical et populaire québécois de cette époque. Ce courant a encouragé un rapprochement naturel avec la nouvelle expérience socialiste chilienne. À cet égard, le Comité Québec-Chili se démarque comme une organisation pionnière de la solidarité avec les pays du Sud global.
Dans la structure de l’organisation du Comité Québec-Chili, nous constatons l’existence d’une division et l’abandon rapide par les centrales syndicales de leur travail de coordination. Cette situation a sérieusement mis en danger les principes d’internationalisme prolétarien du Comité. Il survivra grâce au travail de quelques membres des centres populaires, des sympathisants et du soutien de quelques organisations chiliennes.
La position idéologique du Comité durant cette période a empêché des collaborations qui auraient pu être fructueuses. À titre d’exemple, le Comité Québec-Chili a refusé de s’allier à l’Association des Chiliens de Montréal qui tentait également de mener des actions solidaires. Néanmoins, le Comité a effectué un travail de mobilisation considérable, notamment au moyen de son bulletin Chili-Québec Informations (1973-1982). À travers ses dénonciations, il a contribué à informer et à éduquer la société québécoise sur la problématique latino-américaine, et a appuyé les autres organisations de solidarité qui travaillaient sur l’Amérique centrale ou sur la question des violations de droits de la personne en Argentine, en Uruguay et dans d’autres pays latino-américains passés sous la botte de dictatures. Le travail de solidarité du Comité Québec-Chili et de différentes organisations émanant du peuple québécois a accompagné les Chiliens au Québec tout au long des années de la dictature.
Parties annexes
Notes
-
[1]
A. E. Shiaty, Pierre Poirier et Claude Beauchemin, Dictionnaire du Français plus, Montréal, Les Éditions CEC, 1988, p. 1555.
-
[2]
Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme québécois, Montréal, Boréal, 1989, p. 337.
-
[3]
Sean Mills, Contester l’empire : pensée postcoloniale et militantisme politique à Montréal, 1963-1972, Montréal, Hurtubiste, 2011 [2010], p. 201-202.
-
[4]
Jacques Rouillard, op. cit., p. 367.
-
[5]
Les trois textes de ces manifestes ont été réédités en 2012 chez M Éditeur.
-
[6]
CISO, « La conférence internationale de solidarité ouvrière », The Latin American Working Group (LAWG), vol. 3, no 1, 1975, p. 3.
-
[7]
Entrevue de Roberto Hervas avec Marcel Quirion, 4 août 1994.
-
[8]
Yves Chartrand, « Un peu d’histoire », Liaison Québec-Chili, no 1, 1988, p. 5.
-
[9]
Yves Vaillancourt, « Pourquoi on s’intéressait au Chili en 1970 », À l’heure latino-américaine, no 15-16, 1994, p. 31.
-
[10]
« Pourquoi la solidarité avec l’Amérique latine », Secrétariat Québec-Amérique latine, 1980, p. 1.
-
[11]
CISO, loc. cit., p. 3.
-
[12]
Yves Vaillancourt, loc. cit., p. 33.
-
[13]
Le Comité de solidarité Québec-Chili, « Soutenir la résistance », Revue de Presse-Chili, octobre 1973, p. 47.
-
[14]
« La solidarité chez-nous », Chili-Québec Informations, no 2, décembre 1973, p. 3.
-
[15]
« La période 1973-1978 », Secrétariat Québec-Amérique latine, 1985, p. 5.
-
[16]
Entrevue de Roberto Hervas avec Jacques Boivin, 11 décembre 1995.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
Entrevue de Roberto Hervas avec Jacques Boivin, 3 juin 1997.
-
[19]
Voir son témoignage dans le présent dossier.
-
[20]
« Lettre aux camarades et amis du comité de solidarité Québec-Chili », Chili-Québec Informations, no 3, janvier 1974, p. 3.
-
[21]
Entrevue de Roberto Hervas avec Jacques Boivin, 11 décembre 1995 ; « Éditorial », Chili-Québec Informations, no 12, janvier-février 1975, p. 3.
-
[22]
Voir l’article de Geneviève Dorais sur ce sujet dans le présent dossier.
-
[23]
« La solidarité chez-nous », Chili-Québec Informations, no 2, 1973, p. 3.
-
[24]
« 1000 Québécois manifestent contre la Junte chilienne face au consulat américain », Le Devoir, 14 septembre 1973, p. 7.
-
[25]
Pierre Richard, « Les syndicats expriment leur consternation devant la fin tragique du régime Allende », Le Devoir, 13 septembre 1973 p. 7.
-
[26]
« Visite de Madame Allende », Chili-Québec Informations, no 1, novembre 1973, p. 6-7.
-
[27]
Clément Trudel, « Mme Allende arrive demain à Montréal pour participer au grand meeting du forum », Le Devoir, 28 novembre 1973, p. 20.
-
[28]
Canada, Débats de la Chambre des communes, 1973-1974, 4 décembre 1973, 29e législature, 1re session, Vol. VIII, Ottawa, L’Imprimeur de la Reine pour le Canada, p. 8387.
-
[29]
« Comment on va ramasser 50 000 $ », Chili-Québec Informations, no 4-5, février-mars 1974, p. 9.
-
[30]
Ibid.
-
[31]
« Envoi des fonds de solidarité », Chili-Québec Informations, no 9-10, 1974, p.15.
-
[32]
« Solidarité Québec-Chili », Chili-Québec Informations, no 27, octobre-novembre 1977, p. 4.
-
[33]
Entrevue de Roberto Hervas avec Jacques Boivin, 11 décembre 1995.
-
[34]
« La période 1973-1978 », Secrétariat Québec-Amérique latine, 1985, p. 15.
-
[35]
« Je veux dire surtout que mon peuple a été battu, non vaincu », Chili-Québec Informations, no 15-16, juin-juillet 1975, p. 3 et 5.
-
[36]
Voir Chili-Québec Informations, no 30, 1978, p. 1-4.
-
[37]
« Récriminations contre la Noranda mines », Chili-Québec Informations, no 23-24, mars-avril 1977, p. 5 ; « Nos boss aiment bien le Chili », Chili-Québec Informations, no 30, 1978, p. 1-4.
-
[38]
On désignait ainsi l’une des fractions du PS, fortement divisé à l’époque.
-
[39]
L’équipe du Comité Québec-Chili, « Les travailleurs québécois solidaires de la lutte du peuple chilien », Chili-Québec Informations, janvier 1977, p. 2-7.
-
[40]
« Hypothèse de travail et l’organisation », Comité Québec-Chili Informations, no 26, juillet-août 1977, p. 32.
-
[41]
Yves Chartrand, loc. cit.
-
[42]
Jean-Pierre et Jean Desjardins, « Le Québec et les Amériques : quatre décennies de solidarité », Caminando, vol. 31, 2016, p. 66.
-
[43]
« Solidarité Québec-Chili », Chili-Québec Informations, no 27, octobre-novembre 1977, p. 4.
-
[44]
Ibid.
-
[45]
Entrevue de Roberto Hervas avec Jacques Boivin, 11 décembre 1995.
-
[46]
Ibid.
-
[47]
« Les activités du comité Québec-Chili », Chili-Québec Informations, no 29, avril-mai 1978, p. 19.
-
[48]
Voir le bulletin Chili-Québec Informations, novembre-décembre 1980, p. 19.
-
[49]
Entrevue de Roberto Hervas avec Jacques Boivin, 11 décembre 1995.
-
[50]
« Les activités du comité Québec-Chili », loc. cit., p. 19.
-
[51]
Yves Chartrand, loc. cit., p. 5.
-
[52]
Ibid.
-
[53]
« La période 1973-1978 », loc. cit., p. 20-27.
-
[54]
Entrevue de Roberto Hervas avec Yves Vaillancourt, juillet 1996.
-
[55]
Osvaldo Núñez Riquelme, De Chile al parlamento de Canadá, Chile, Andros Impresores, 2010, p. 183.
-
[56]
CISO, « Rapport final de la mission québécoise d’observation » , Centre International de Solidarité ouvrière , 1989.