Dossier : Québec-Chili, 1973-2023 : mémoire d’un coup d’État et d’une expérience de solidaritéTémoignages : les Chiliens

Une famille divisée : mon expérience du coup d’État[Notice]

  • Rosa María Sandoval

Je suis née en 1952 à Santiago, la deuxième d’une famille de cinq frères et soeurs. Mon père travaillait dans une banque et faisait des affaires à son compte. Ma mère s’occupait des enfants et de la maison. J’ai grandi en écoutant des opinions et des discours du président Jorge Alessandri, un politicien de droite, et plus tard d’Eduardo Frei, démocrate-chrétien. Mon père appuyait ce parti, tout comme mon frère aîné. Par contre, ma soeur Pilar et moi avons opté pour la gauche. Nous avons participé aux activités de la Casa obrera de la juventud, qui a été une expérience de conscientisation politique, puisque lors des rencontres, nous étudiions une interprétation de l’Évangile centrée sur les problématiques sociales. Parmi les animateurs, il y avait des oblats venus du Québec. Au temps de l’Unité populaire, Pilar, qui était beaucoup plus engagée que moi, a commencé à militer dans le Mouvement d’action populaire unifié (MAPU). J’ai appuyé les activités de ce parti, sans toutefois en devenir une militante. Je faisais des études d’ingénierie à l’Université Catholique. J’aurais voulu suivre une formation en mathématiques, pour devenir enseignante, mais mon père considérait que c’était une profession sans avenir et me disait qu’il n’accepterait pas d’assumer les frais de mes études. J’ai opté alors pour l’ingénierie, décision qu’il approuva. Tous mes frères et soeurs ont fait leurs études dans cette université. À l’époque, les frais de scolarité n’étaient pas très élevés et notre condition de famille étudiante nous donnait droit à un rabais : mon frère aîné payait le plein montant, moi la moitié, le suivant un tiers et ainsi de suite. J’ai fait la connaissance de Michel Beaubien, mon futur mari, en 1971. Au Québec, il s’intéressait à la politique et à 19 ans, malgré son jeune âge, il était devenu membre permanent du Parti québécois (PQ). Il avait de nombreuses amitiés avec des gens qui, plus tard, seraient des dirigeants du PQ, tels que Louise Harel. Michel est venu au Chili dans le but de travailler sur un projet d’éducation populaire, mis sur pied par le Centre international d’études pédagogiques (CIEP), une corporation qui faisait un travail d’éducation populaire, et qui était dirigée par Nelson Soucy, un oblat québécois qui habitait au Chili depuis un certain temps. C’est lui qui l’avait contacté, et l’organisation catholique Développement et Paix avait financé son voyage. Michel était motivé par le goût de l’aventure et par l’intérêt de participer à un projet de changement social. Il s’est préparé avant de partir, en suivant des cours d’espagnol à Cuernavaca, au Mexique. Il est arrivé au Chili au mois de novembre 1971. Ma soeur Pilar m’a demandé de l’accompagner à son arrivée à Santiago et lui faire découvrir la ville. Il a commencé à travailler sur le projet, qui incluait la construction d’une école dans un quartier situé au sud de Santiago. Je l’accompagnais parfois dans ses activités. Nous avons rapidement commencé une relation. J’aimais qu’il me traite d’égal à égal. Avec lui, je pouvais fumer si cela me chantait, je me sentais libre, et il m’encourageait à poursuivre mes études. En 1973, nous avons décidé de nous marier. Mais mon père s’y opposait, prétextant que Michel était un étranger, un gauchiste, et que nous ne savions rien de sa famille. Comme je n’avais pas encore l’âge de la majorité (21 ans), son approbation était nécessaire. J’ai dit à mon père que s’il ne me donnait pas son consentement, nous vivrions ensemble de toute manière, sans lien formel. Il a alors accepté. Il faut dire que ma mère appuyait ma décision. Le mariage a eu lieu à la fin …

Parties annexes