Hors-dossierRecensions

Patrick Lacroix, « Tout nous serait possible ». Une histoire politique des Franco-Américains, 1874-1945, Québec, Presses de l’Université Laval, 2021, 253 p.[Notice]

  • Yves Frenette

…plus d’informations

  • Yves Frenette
    Université de Saint-Boniface

Ce livre marque d’une pierre blanche l’historiographie franco-américaine. Pierre blanche parce que, exception faite de l’excellent A Distinct Alien Race de David Vermette, paru en 2018 et non encore traduit en français, il n’y avait pas eu d’étude substantielle sur les Franco-Américains depuis belle lurette, vingt ans en fait. Pierre blanche aussi parce qu’une synthèse sur l’histoire politique de ce groupe faisait cruellement défaut, les chercheurs ayant fait surtout porter leurs efforts sur l’histoire sociale et l’histoire institutionnelle. L’auteur, Patrick Lacroix, est un chercheur productif qui multiplie les moyens de diffusion : en plus de faire paraître régulièrement des articles scientifiques de qualité, il se sert à bon escient des nouvelles technologies, notamment de son blogue Query the Past, pour faire connaître l’histoire des Franco-Américains. Il n’y a guère de période que cet érudit n’ait exploré ; il est aussi à l’aise pour traiter des Canadiens établis dans la région du lac Champlain pendant et après la guerre d’Indépendance américaine que pour étudier les émigrés des campagnes de la Nouvelle-Angleterre, ces absents de l’historiographie. La structure de l’ouvrage est simple et efficace. Elle est bâtie sur trois longs chapitres qui portent respectivement sur les « tâtonnements » des années 1874 à 1908, sur la « reconnaissance » des « Franco-Américains dans le maelström partisan » de la période 1890-1914 et sur leur quête du pouvoir pendant l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, à un moment où les « Francos » se rapprochent du Parti démocrate. Le premier chapitre commence par une brève description de la migration du Québec vers les États-Unis et le développement des Petits Canadas dans les villes industrielles du Nord-Est, particulièrement en Nouvelle-Angleterre. Puis, l’auteur s’attarde à la question de la naturalisation, à la formation de clubs partisans chez les émigrés et au développement d’une conscience politique dans leur pays d’adoption. Dans un troisième temps, il étudie le patronage et la partisanerie à travers deux personnages, le vétéran de la guerre de Sécession et haut fonctionnaire Edmond Mallet et le propriétaire de journaux Benjamin Lenthier. Lacroix fait ressortir quatre caractéristiques de la politique canadienne-française au sud de la frontière : la compréhension par les émigrés des enjeux étatsuniens à partir de leur expérience canadienne ; la conversion de plusieurs membres de l’élite à la cause de la naturalisation et l’apparition rapide d’une fracture partisane au sein des communautés ; le rôle crucial des journaux d’expression française ; et la nomination de Canadiens français à des postes dans la fonction publique, ce qui met en exergue les alliances entre politiciens « francos », « irlandais » et « yankees ». Dans le deuxième chapitre, l’auteur étudie la participation politique des Franco-Américains pendant l’ère progressiste et il applaudit le fait qu’ils ne votaient pas en bloc : « En divisant leurs votes, écrit-il, les électeurs franco-américains laissèrent voir une ouverture, une flexibilité, tout selon lequel des partis saurait leur faire la cour — lequel tenterait de les rejoindre, de reconnaître leurs intérêts et de leur offrir les nominations tant convoitées » (p. 47). Dans le reste du chapitre, Lacroix s’attache à observer la diversité de l’environnement sociopolitique et du positionnement tant des « Francos » que des deux grands partis : exclusion dans le Maine, progrès modérés dans le Connecticut, politique de reconnaissance à Cohoes (N. Y.) et à Fall River (Mass.), ascendance républicaine à Woonsocket (R. I.), divisions au Massachusetts, évolutions différenciées au New Hampshire et dans l’État de New York, isolement au Vermont. Pour illustrer le rapport entre la cause de la Survivance et la politique, le chercheur présente la carrière fulgurante …