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La Confédération des syndicats nationaux (CSN) a fêté en 2021 son 100e anniversaire. À sa fondation, elle porte l’appellation de Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC). En 1961, elle élimine la qualification de catholique pour devenir la CSN. C’est la même centrale, les mêmes structures, le même fonctionnement, seul le nom change.
Durant l’année qui vient de s’écouler, des événements furent organisés pour célébrer le centenaire. Un ouvrage fut produit : Le Québec à l’ouvrage : 100 ans en 100 photos. Un documentaire fut réalisé : Les unions, qu’ossa donne ?, objet de la chronique cinéma de Jean-Philippe Carlos dans ce numéro. Une exposition photographique fut organisée dans chaque région. Enfin, une exposition d’affiches est présentée dans l’immeuble même de la CSN à Montréal. Ces événements furent pilotés par un Comité centenaire dans lequel on retrouvait le secrétaire général de la CSN, une conseillère syndicale, l’archiviste de la CSN, un conseiller aux communications et une réalisatrice indépendante.
Le présent dossier est une initiative indépendante et qui ne s’inscrit pas dans le plan de travail du Comité centenaire. Il ne se veut nullement exhaustif. Cinq champs d’interventions incontournables de la CSN ont été ciblés à travers le temps : la singularité de la CTCC-CSN en Amérique du Nord, la condition féminine, la santé et la sécurité au travail, l’action politique de la CSN, et les négociations collectives dans les secteurs et les fronts communs. Ce centenaire fut l’occasion de renouer avec l’histoire ouvrière et nous espérons que ces recherches, témoignages et réflexions que l’on retrouve dans ce dossier engendrent de nouvelles pistes de recherche.
Premier auteur de ce dossier, Jacques Rouillard rappelle la fondation et le développement de la CTCC-CSN en Amérique du Nord. Cette évolution traduit le caractère distinctif du Québec dans le continent nord-américain tant dans ses revendications que dans son action. Les premiers syndicats catholiques du début du XXe siècle sont inspirés par le syndicalisme chrétien belge et français.
L’auteur explique que le syndicalisme catholique est né sous l’inspiration de membres du clergé pour faire échec à l’expansion des syndicats internationaux venus des États-Unis. Ces derniers, biens implantés au Canada et au Québec à la fin du XIXe siècle, ont une présence prépondérante au Québec. L’auteur tient compte de ces deux familles syndicales pour mettre en évidence la manière dont les syndicats catholiques ont manifesté leur singularité dans le paysage syndical pancanadien sous quatre volets : idéologie, nationalisme, pratique syndicale et législation du travail.
Dans un deuxième texte, Claudette Carbonneau retrace et analyse la trajectoire et la contribution spécifique de la CSN à l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes. Ce parcours fut tortueux. L’auteure mentionne les facteurs qui y sont tributaires : l’évolution de la société québécoise dans son ensemble, l’entrée des femmes sur le marché du travail, la vision de la CSN quant à la place des femmes dans la société, l’influence de l’Église, l’évolution et l’organisation des effectifs féminins (syndiquées et salariées) au sein de la centrale, etc.
L’auteure situe les luttes des syndicats de la CSN en fonction de quatre thématiques. La première relate la place des femmes dans l’organisation, de la fondation de la CTCC jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. La seconde, qui s’étale de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à la fin des Trente glorieuses, témoigne des virages importants qui se dessinent à la CSN suivant une présence accrue et plus soutenue des femmes dans ses rangs. La troisième, qui va de 1973 jusqu’en 2010, fait état de l’organisation des femmes à l’intérieur de la centrale, dont elles constituent désormais la moitié des effectifs, et de la jonction qui s’opère alors entre la lutte syndicale et la lutte des femmes. La dernière section est quant à elle consacrée au rôle spécifique joué par la CSN dans l’élaboration des grandes politiques publiques que le Québec va adopter à compter de 1996 pour mieux soutenir les Québécoises.
La centrale reste une organisation marquée par les valeurs des époques qu’elle traverse. Elle n’a pas toujours, ni sur toutes les questions, assumé un « leadership glorieux ». Elle s’est largement rattrapée depuis et a même apporté une contribution importante à l’avancement des femmes et à l’évolution des mentalités dans la société.
Michel Rioux, quant à lui, revient sur l’origine du Deuxième front, lancé officiellement en 1968. Il s’agissait de lutter partout où il y a des inégalités sociales, de combattre sur les fronts de la consommation, d’intervenir au niveau des municipalités et des commissions scolaires, du logement social, des droits des locataires, du transport en commun.
À l’image de la Révolution tranquille, l’idée du Deuxième front chemine toutefois bien avant 1968. Quand les libéraux de Jean Lesage prennent le pouvoir en 1960, cette révolution avait été amorcée depuis l’après-guerre. C’est ainsi à la suite de l’élection du Parti libéral du Québec en 1960 que la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) devient la Confédération des syndicats nationaux (CSN). À partir de 1960, l’histoire du monde du travail s’est accélérée. Les travailleuses et les travailleurs revendiquent de meilleures conditions de travail, la syndicalisation fait des pas de géants dans tous les secteurs.
L’idée d’un Deuxième front a conduit à plusieurs résultats probants qui ont profité à toute la population : en particulier l’abolition des clubs privés, l’aide juridique, l’assurance-maladie, l’assurance-automobile, les droits des locataires, le réseau de garderies, l’égalité salariale. En revanche, sur le front des comités populaires d’action politique (CAP), les espoirs du départ ne se sont pas concrétisés. Ce que Paul Cliche appelait « notre projet politique à long terme » n’aura finalement pas vu le jour.
Par la suite, l’article de Claude Rioux porte sur l’engagement de la CSN à promouvoir, défendre et protéger la santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses de l’Acte des manufactures en 1885 à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) en 1985. Il passe en revue les principes d’indemnisation des accidents du travail. Au-delà de l’indemnisation, l’auteur aborde la prévention des maladies professionnelles à travers le cas de l’amiantose, la revendication étant d’éliminer la poussière à la source. L’adoption des lois favorables aux travailleurs et travailleuses est importante, mais encore faut-il les faire appliquer. Localement, des comités furent négociés pour prévenir les accidents industriels. Ces revendications donneront lieu à l’adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en 1979. À l’interne, la CSN améliore son expertise dans les années 1960 en se dotant d’un service du génie industriel. Elle complète ses services-conseils en donnant des formations aux militant.e.s et salarié.e.s. Les négociations collectives furent renforcées par la rédaction d’une clause type en santé et sécurité du travail. Les années 1970 et 1980 furent fécondes : les syndicats passent à l’offensive pour assainir les milieux de travail. En collaboration avec des universitaires, des études sont menées pour proposer des mesures s’attaquant à l’organisation du travail dans les milieux de travail. Cette période donne lieu à nombre d’enquêtes publiques. Deux grands acquis sont notamment le retrait préventif, une disposition pour protéger les femmes enceintes reconnue dans la Loi sur la santé et sécurité du travail en 1979 ; l’autre acquis est le droit de refus : celui de cesser d’exécuter une tâche si le travailleur ou la travailleuse juge qu’elle constitue un danger.
Enfin, Yvan Perrier, dans son article, traite des négociations dans le secteur public, de l’adoption du Code du travail en 1964 et de la Loi de la fonction publique en 1965 jusqu’à la ronde de négociation de 1982-1983. L’auteur cible les revendications syndicales et les offres de l’État employeur. Il analyse les résultats obtenus de ces négociations entre l’État et les centrales syndicales (CSN, CEQ, FTQ). Pour la période étudiée, l’auteur rappelle que les trois centrales syndicales ont su réaliser l’unité autour d’une plate-forme de demandes commune. L’unité du plus grand nombre a permis l’obtention de gains très proches des revendications syndicales. Ainsi l’histoire des négociations est traversée de gains concrets et de reculs. Le régime de négociation dans les secteurs public et parapublic sera refaçonné en limitant la portée du droit de grève. L’auteur rappelle aussi la forte présence des femmes dans les secteurs public et parapublic et l’importance de la lutte autour de l’équité salariale.