Corps de l’article
L’historien René Durocher est décédé le 21 novembre 2021. Sa carrière s’est déroulée au département d’histoire de l’Université de Montréal, où il a été chargé d’enseignement de 1967 à 1971, puis professeur agrégé de 1974 à 2000 ; il a enseigné à l’Université York de Toronto, de 1971 et 1974. Il a également occupé de nombreux postes d’administrateur universitaire. Il a contribué de manière considérable au développement de l’histoire du Québec. Je le connaissais depuis cinquante ans, ayant eu le plaisir de l’avoir comme professeur et, surtout, le privilège de travailler avec lui comme collègue durant plusieurs années. C’est donc à ce titre et à celui d’ami que je voudrais saluer sa mémoire et souligner ses réalisations.
La carrière de René Durocher s’est déployée sur trois axes. Comme historien, il est l’un des pionniers de la mise en place du champ d’études sur l’histoire du Québec contemporain dans les universités, en créant dès 1967, un premier cours sur l’histoire du Québec après 1867. Passionné d’histoire politique, il s’est intéressé à quelques hommes politiques du Québec et cette dimension du passé a toujours été au centre de ses réflexions. Sa préoccupation pour l’enseignement de l’histoire a constitué un deuxième axe, ce qui l’a entraîné à prendre part à de nombreux débats et à des prises de position publiques. Enfin, le troisième axe de sa carrière l’a amené à relever avec brio plusieurs défis dans l’administration universitaire.
À la fin des années 1960, pour développer le champ de l’histoire du Québec contemporain, René Durocher et Paul-André Linteau avaient fait le projet d’une série de publications. Une bibliographie voit le jour et quelques recueils d’articles paraissent, permettant de consolider ce nouveau champ. Restait à réaliser une synthèse. Vers le mitan des années 1970, lorsque René Durocher, Paul-André Linteau et moi avons entrepris l’immense chantier des deux volumes de l’Histoire du Québec contemporain, nous avons commencé nos rencontres régulières, souvent hebdomadaires. Le projet de l’écriture à trois mains impliquait un travail suivi et méticuleux : nous avons discuté à trois, puis à quatre plus tard, lorsque François Ricard est venu s’adjoindre à l’équipe pour le second volume.
Chaque phrase, et surtout chaque mot, était analysée, soupesée, discutée, pour nous assurer de bien rendre compte de l’état des connaissances. Pendant ces années, ce fut un magnifique séminaire avancé sur l’histoire du Québec entre 1867 et 1985, où nous avons beaucoup appris. Par ailleurs, la grande sensibilité de René Durocher à la dimension politique de l’histoire a suscité de nombreuses discussions et influencé la rédaction de l’ouvrage.
René Durocher entame sa carrière d’enseignant au niveau secondaire au début des années 1960 et cet intérêt pour la diffusion de la connaissance historique ne s’est jamais démenti. Il a pris part régulièrement aux débats sur l’enseignement de l’histoire, allant du contenu des cours à la formation des enseignants. Cette préoccupation l’a amené à s’impliquer dans plusieurs associations, dont la Société des professeurs d’histoire du Québec.
Le troisième axe de sa carrière témoigne de son sens des responsabilités et de son côté rassembleur. Très tôt, il s’est investi dans la gestion des associations et des institutions auxquelles il appartenait. Il a été directeur de son département, vice-doyen, doyen intérimaire et a occupé plusieurs postes de direction de recherche, à l’université et ailleurs. Ainsi, de 2000 à 2005, il a été directeur exécutif du programme des chaires de recherche du Canada. À la fin des années soixante-dix, j’ai eu le plaisir de siéger en sa compagnie au conseil d’administration de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, principale association d’historiens du Québec et qui était alors en réorganisation. Dans les discussions, son sens de la pondération l’amenait à calmer les ardeurs des plus jeunes, portés à bousculer autant les individus que les structures. Il excellait à ramener la discussion dans les limites du possible, ménageant les susceptibilités, mais surtout permettant à l’entreprise de progresser à coup sûr. Cette pondération, qui était sa marque de commerce, a caractérisé ses activités, qu’il soit directeur, président ou doyen de telle ou telle institution.
René Durocher a donc exercé une influence considérable sur le développement de l’histoire au Québec et c’est avec un sentiment de tristesse, tempéré par la reconnaissance pour le travail accompli, que je salue sa mémoire.