Les cinq articles de ce dossier spécial sur l’histoire politique des États-Unis résultent d’un appel à contributions lancé en mars 2016. Les manuscrits retenus portant sur les relations étrangères des États-Unis ont paru dans le Bulletin d’histoire politique au printemps 2018 ; ceux qui se trouvent ici sont consacrés à l’histoire politique intérieure ou « domestique ». Les responsables de ces deux dossiers tiennent à remercier ici l’équipe du Bulletin pour la rigueur de son travail. Ces cinq articles témoignent de recherches récentes sur au moins trois objets d’étude historique majeurs : le rôle de la connaissance – particulièrement celle des intellectuels et leurs institutions – et de la mémoire historique dans la définition des enjeux politiques et sociaux ; le caractère politique (politics) des politiques (policy) de sécurité ; et le caractère déterminant du racisme tout au long du XXe siècle américain jusqu’à aujourd’hui. Ce dernier objet, central aux textes de Robinson, Séguin et Wingender, est évidemment brûlant d’actualité et structure tout ce qui s’écrit sur l’histoire des États-Unis depuis des décennies. Ce texte de présentation-ci n’y échappe pas, ainsi nous commencerons par rendre justice en premier lieu aux deux autres objets, puisque le racisme est le proverbial éléphant dans… toutes les pièces. Les mots et les savoirs encadrent la vision du monde de celles et ceux qui les utilisent. Ainsi des idées peuvent être marginalisées faute de mots et de porte-parole. En décrivant les intérêts et motifs derrière le Système américain promu au milieu du XIXe siècle par le New York Tribune et son rédacteur économique Henry C. Carey, Simon Vézina restitue la valeur historique d’un corpus de savoirs économiques, et celle d’une coalition d’intérêts économiques, aujourd’hui marginalisés par l’hégémonie néoclassique. Certes, les historiens qui enseignent de près ou de loin l’histoire économique du XIXe siècle sont habitués à raconter l’opposition féroce entre protectionnistes et libre-échangistes. Et pour cause : selon l’historienne Nell Irvin Painter, ce conflit fut, vers la fin du XIXe siècle, la seule différence programmatique significative entre Démocrates et Républicains au niveau fédéral. De plus, la politique tarifaire fut de celles qui résumaient et unissaient – utilement bien qu’imparfaitement – une myriade d’intérêts et demandes économiques dans le cadre de vastes coalitions nationales. Enfin, les contraintes propres à l’enseignement encouragent à forcer le trait, à résumer des différences socio-économiques complexes par cette dichotomie. Vézina nous rappelle que l’American System fut bien plus que protectionniste : que les tarifs, un système bancaire chapeauté par une banque nationale mandatée et supervisée par le gouvernement fédéral, et les travaux publics fédéraux furent conçus comme des politiques économiques interdépendantes, d’un même système national par lequel les jeunes États-Unis allaient favoriser leur propre développement économique, en dépit des admonestations libre-échangistes des économistes et politiciens anglais. Si l’ascendant actuel du laisser-faire économique semble simple à expliquer, l’analyse de Vézina nous rappelle les contingences historiques – y compris institutionnelles et discursives – qui ont fini par marginaliser les alternatives, dont ces formes de nationalisme économique. Ainsi « le système américain ne fut que peu enseigné dans les universités américaines au XIXe siècle », ce qui a mené l’auteur à chercher ses défenseurs dans les pages économiques de la Tribune, et dans les travaux d’économistes comme Michael Hudson. Pourtant ce système fut en son temps influent, dans les politiques économiques des fédéralistes (1790-1814, Alexander Hamilton en particulier), celles des National Republicans (1824-28, dont John Quincy Adams et Henry Clay), des Whigs états-uniens (1836-1854) et des Républicains (dès l’élection générale de 1856). À la lumière du consensus libre-échangiste depuis les années 1940, le …
La république apprivoisée[Notice]
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Godefroy Desrosiers-Lauzon
Chargé de cours, département d’histoire, UQAMGreg Robinson
Professeur, département d’histoire, UQAM