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Anne Legaré, professeure retraitée du Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal, propose avec ce livre une relecture d’une partie de son oeuvre universitaire dans une perspective engagée. Elle y interpelle le mouvement souverainiste québécois en soulevant une série d’enjeux non résolus qui ont marqué, et marquent toujours sa trajectoire : au premier chef le tournant identitaire qu’il a pris à la suite du référendum de 1995. La manifestation la plus significative de ce tournant est le rétrécissement de la clientèle électorale du Parti québécois (PQ) aux seuls Québécois et Québécoises d’ascendance canadienne-française – d’aucuns diraient « de souche » –, alors qu’auparavant, elle englobait l’ensemble de la population du Québec. Legaré souhaite fournir des références qui prendraient le contre-pied de cette vision réductrice en recentrant l’idée de l’identité québécoise bien au coeur du foyer d’interactions avec les autres « ethnies » du Québec. Elle le fait en tissant ce fil conducteur à travers différents textes qu’elle a produits au cours des trois dernières décennies et qui portent sur la souveraineté du Québec.
Le livre est divisé en deux parties, qui se penchent respectivement sur les conditions internes et externes de la formation de l’identité québécoise. Dans la première, l’auteure soutient que les citoyens du Québec sont déchirés par des tensions liées à la nature du fédéralisme canadien. D’abord, on leur demande de consentir à deux ordres symboliques distincts – le canadien et le québécois – intimement enchevêtrés. L’ordre symbolique véhiculé par l’État québécois est bien sûr animé d’une intention souverainiste, mais il est subordonné à l’État canadien, qui lui seul est véritablement souverain. Bien qu’elle puisse paraître secondaire, l’appartenance au fédéral est dès lors un facteur primordial de sa domination.
Par ailleurs, l’affirmation nationale québécoise est minée par des forces centripètes qui cherchent à constituer la province en simple région du Canada. Cette tension nation-région est manifeste dans la politique Québécois, notre façon d’être Canadiens lancée par le gouvernement libéral en juin 2017. Le Québec est donc forcé de s’échapper par des voies inégales et diversifiées. Celle que propose Legaré est de poursuivre l’idéal de la nation moderne et égalitaire issu de la Révolution tranquille, qui conçoit la nation québécoise non plus comme ethnique, mais comme territoriale et inclusive. Cet horizon de sens doit être un objectif absolu, puisque le concept de nation égalitaire n’est pas un héritage, il est une volonté. Son accomplissement permettrait de décupler la puissance de chacun par son appartenance à un ensemble cohérent.
La deuxième partie, qui décrit les conditions externes de la formation de l’identité, fournit d’autres exemples qui favoriseraient l’atteinte de la souveraineté. Le premier est la question de l’américanité. Critique, Legaré estime qu’au cours des années 1990 le PQ a promu de manière démesurée cet univers identitaire dans le but de rassurer autant les Américains que les Québécois quant à la perspective de la souveraineté. L’auteure démontre toutefois que seulement 30 % de la population québécoise affirmait, en 2007, se sentir proche des valeurs américaines. Pourquoi, demande-t-elle, les promoteurs de la souveraineté ont-ils tant insisté sur cette référence, alors qu’un grand nombre de Québécois se considèrent comme des sujets politiques distincts des Américains ?
Legaré croit que cette identité pourrait s’accomplir par un plus grand investissement du Québec dans la francophonie en général et avec la France en particulier. Cependant, la récente désaffection des gouvernements québécois face à cette question a laissé le champ libre au Canada pour prendre toute la place dans une alliance stratégique avec la France. Pourtant, le Québec aurait tout à gagner d’un rapprochement avec l’organisation internationale de la Francophonie, où il pourrait jouer un rôle de premier plan en tant que minorité au sein d’une fédération multinationale, donc d’emblème de la lutte contre l’hégémonie de la culture anglo-saxonne à laquelle se voue l’organisation. En guise de conclusion, Legaré déplore que le PQ, plutôt que de promouvoir ces références par un discours inclusif et volontariste faisant la promotion du fait français auprès des Autochtones, des anglophones et des immigrants, se soit replié sur une nouvelle mouture de l’idéologie de la survivance. Au lieu de parler des droits de la nation, il parle des droits de la majorité ethnique et s’effraie que celle-ci disparaisse.
Malgré sa prémisse militante, ce livre intéressera davantage les spécialistes de la politique québécoise et canadienne que l’auditoire plus large qu’il semble viser. Dans le cas des premiers, ils seront heureux de pouvoir retrouver au sein d’un même opus douze des meilleurs articles que Legaré a produits au cours de sa carrière universitaire et après. On trouve dans ce livre plusieurs contributions importantes pour comprendre la nature du fédéralisme canadien, les transformations du nationalisme québécois et les ramifications des relations internationales du Québec. L’auteure fait ainsi la démonstration d’un parcours aussi riche que cohérent, au cours duquel elle n’a jamais laissé son biais souverainiste (par ailleurs avoué et décortiqué en introduction) nuire à sa sophistication de théoricienne et à la finesse de ses analyses.
En contrepartie, il nous semble que le fil conducteur soit assez difficile à suivre par moments, ce qui peut miner l’intelligibilité du propos, et c’est peut-être la faute de la structure du livre. Chacun des douze chapitres présente un article savant encadré d’une introduction globale – souvent trop succincte pour articuler quoi que ce soit de significatif – et d’une présentation mettant l’accent sur certains des points que l’auteur juge les plus importants. Il est suivi d’un commentaire axé sur les développements actuels de la sphère souverainiste. Le processus est alambiqué et ne contribue que marginalement à schématiser les idées présentées. Signalons toutefois que la deuxième partie est moins affectée par ce phénomène, sans doute parce qu’elle ne touche pas autant la théorie politique que la première. Soulignons aussi que Legaré réussit tout de même un tour de force dans sa conclusion en faisant une synthèse efficace de ses idées.
En somme, Le Québec, une nation imaginaire est un curieux mélange des genres, un recueil de textes aux velléités d’essai politique. Legaré aurait peut-être mieux fait de renoncer à sa démarche éclatée pour produire un essai original qui aurait résumé les idées qu’elle veut transmettre. On peut néanmoins saluer le fait qu’elle se soit pliée à l’exercice de soumettre une partie de son oeuvre à un processus de vulgarisation dans une perspective engagée. À cet effet, la réplique qu’elle donne aux tenants d’un nationalisme conservateur actuellement omniprésents est plus que bienvenue.