Ce dossier sur François-Xavier Garneau est né à l’initiative de la Société historique de Montréal, à l’occasion du 150e anniversaire de sa mort. Considéré d’abord comme « historien national », même s’il fut aussi poète, fondateur de journaux et animateur de la vie intellectuelle de Québec, François-Xavier Garneau est un personnage omniprésent dans l’espace public québécois (toponymie, monuments, etc.), il est même depuis peu personnage historique en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel du Québec. Pourtant son grand oeuvre, l’Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, demeure méconnu et nous sommes nombreux, tant historiens que littéraires, à soupçonner qu’il a été relativement peu lu, du moins au-delà des récits emblématiques qui seront reproduits dans des ouvrages de toute nature au long du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle. Cela tient entre autres au fait que cette oeuvre n’est guère disponible. Actuellement, nous ne disposons, en édition courante, que de celle préparée par Gilles Marcotte, qui donne à lire les livres I et II de même que le « Discours préliminaire » de la première édition, dans un format commode qui favorise l’enseignement. Il y a bien la version numérisée par BAnQ accessible électroniquement, mais cela n’est guère commode et l’absence totale d’appareil critique prive le lecteur de toute information subsidiaire utile. L’édition précédente, publiée par les Éditions de l’Arbre à partir de l’édition parisienne de la Librairie Félix Alcan, est quant à elle proprement illisible, brouillant les voix énonciatives, mêlant les propos de Garneau, ceux d’historiens qui lui sont postérieurs et ceux de son fils Hector dans une sorte de catalogne discursive dans laquelle des informations nouvelles sont ajoutées à celles patiemment recueillies par Garneau lui-même, sans trace de discontinuité. Ce difficile accès à l’oeuvre forme un intéressant contraste avec l’intérêt qu’on lui porte dans les cercles intellectuels, et avec le statut quasi mythique qu’occupent le texte et l’historien dans l’imaginaire social québécois. Garneau a 36 ans lorsqu’il publie son Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours. Dès lors, il est sacré « historien national » et la suite de sa vie sera, hors de l’emploi plutôt lourd de Greffier de la ville de Québec, consacrée à la diffusion et au peaufinage de son oeuvre. Aucun intellectuel n’a, au Québec, été l’objet d’autant d’événements et de gestes commémoratifs que Garneau. Le nombre des travaux qui lui ont été consacrés est considérable. Globalement, la réception de l’oeuvre s’ordonne en cinq grandes périodes. La première réception est double. À l’étranger, on met l’accent sur l’inscription de l’oeuvre dans l’historiographie générale et la réception est favorable ; au Québec, la réception est principalement centrée sur les questions religieuses, l’Histoire faisant l’objet d’une vive polémique (voire d’une cabale) à propos de la relative absence des racines catholiques de la fondation du Canada, et surtout de la présence des postulats laïcs de Garneau, qui se désole de l’interdiction faite aux huguenots de s’installer au Canada. La seconde réception s’amorce avec la publication de l’Abrégé destiné à l’enseignement. Cette entrée officielle dans la mémoire commune s’accompagne de l’effacement de la structure épistémologique choisie par Garneau. En effet, dans la facture questions/ réponses de l’ouvrage préparé sous les soins de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, l’équilibre entre les récits, qui peignent les événements, et les tableaux qui leur composent un horizon interprétatif, se trouve détruit au profit d’une autorité narrative qui dit le vrai de l’histoire. Durant cette période, qui se prolonge jusqu’à la parution de l’édition Félix Alcan (1914-1920) à Paris, l’accent est résolument mis sur les récits rapportés par Garneau, qui …
L’oeuvre de François-Xavier Garneau : de l’Histoire et du savoir historique[Notice]
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Micheline Cambron
Département des littératures de langue française/CRILCQ, Université de Montréal