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La traversée du Colbert. De Gaulle au Québec en juillet 1967 a été publié en juin 2017, juste à temps pour célébrer le cinquantenaire du voyage du général en terre québécoise. L’auteur, André Duchesne, est chroniqueur culturel au journal La Presse depuis une quinzaine d’années. Il a déjà signé, au cours de ces années, d’autres ouvrages s’intéressant au passé, tels que Le 11 septembre et nous (Boréal, 2006, 360 p.) et Le Canadien, un siècle de hockey à La Presse (Les Éditions La Presse, 2008, 247 p.).
André Duchesne, comme le titre du livre l’indique, s’intéresse au voyage du général de Gaulle au Québec en juillet 1967. Il traite plus précisément du « Vive le Québec libre ! » devenu si célèbre pour y « apporter [sa] vision de ce qui s’est passé avant, pendant et après » (p. 14). Ainsi, le volume est séparé en trois parties égales qui contiennent chacune une dizaine de chapitres. Ceux-ci, d’à peine quelques pages, segmentent le récit en autant de petites histoires pouvant être lues indépendamment. Cependant, ensemble, elles montrent que, si le voyage a mis en évidence des tensions politiques, ce sont tous les acteurs qui, par leurs actions, ont rendu cet événement aussi exceptionnel et mémorable. Les anecdotes qui composent le récit sont abondamment étoffées par un recours systématique aux sources provenant autant du Québec que du Canada ainsi que de la France et des États-Unis. En plus des gouvernements impliqués, plusieurs institutions telles que la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste et des personnalités comme Jean-Claude Labrecque, de même que des hommes de la garde rapprochée du Général, sont scrutés et interpellés par leurs archives, mais aussi lors d’entrevues.
Dans la première partie de La traversée du Colbert, justement appelée « La grande bataille diplomatique », Duchesne décrit comment le voyage du général de Gaulle au Québec se planifie à travers une rivalité entre les gouvernements québécois et canadien. Tous deux se battent pour s’affirmer en tant que représentant privilégié des intérêts des Canadiens français et pour être le principal interlocuteur de la France. Celle-ci, sous la gouverne de Charles de Gaulle, favorise généralement le Québec tout en poursuivant ses propres objectifs. L’évolution des relations au sein du triangle diplomatique ainsi formé est intrinsèquement liée au développement du projet de voyage du général. Duchesne montre que dans la bataille, l’initiative appartient essentiellement au Québec qui cherche à créer un enthousiasme national autour du passage du célèbre visiteur, peu importe les coûts et les efforts qu’il faut déployer pour y arriver. De son côté, le Canada cherche à défendre sa compétence constitutionnelle sur les affaires internationales, l’unité canadienne et ses bonnes relations avec la France. Ces intérêts souvent divergents l’amènent à adopter alternativement des positions de compromis et de fermeté envers le Québec et la France, ce qui ne manque pas de froisser le général. Ce dernier, bien informé de la situation québécoise par l’État français, se prépare à renforcer les liens franco-québécois par ses discours et plusieurs s’attendent à un coup d’éclat.
La traversée de l’Atlantique par De Gaulle sert de transition vers la seconde partie de l’ouvrage, intitulée « En territoire canadien », alors que l’événement grandiose préparé conjointement par la France et le Québec se concrétise. L’auteur montre que tout au long du parcours du général, du 21 au 24 juillet 1967, le renforcement des liens franco-québécois et l’enthousiasme populaire vont en crescendo. L’illustre invité y fait la promotion, graduellement plus explicite au fil des discours, de l’émancipation des Québécois, pendant que le gouvernement canadien est mis hors course. À l’arrivée du cortège à Montréal, le projet québécois est réalisé : de Gaulle a fait un triomphe. Pour sa part, le Canada est irrité par le déroulement des événements. Par un concours de circonstances improbable, le général trouve l’occasion d’expliciter le rôle qu’il a senti devoir jouer depuis l’annonce du voyage et dont l’importance a été confirmée par l’accueil qu’il a reçu ; il lance, du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal, un « Vive le Québec libre ! » qui met en lumière les attitudes du Québec, du Canada et de la France auparavant relativement cachées au public.
Dans la troisième et dernière partie, Duchesne décrit comment les quatre mots du général provoquent une crise politique dans le triangle diplomatique dont l’issue est le départ précipité du général, fâché par la réaction de Pearson à sa déclaration. Cette situation exceptionnelle s’alimente aussi d’une polémique persistante sur le sens à donner aux paroles de De Gaulle qui évolue en un débat plus profond concernant l’avenir politique du Québec. Ainsi, la visite du général est constamment réactualisée dans les médias, ce qui permet de dire que ce sont tous les intervenants qui participent à l’inscrire dans la mémoire collective. De plus, Duchesne avance que le « Vive le Québec libre ! », par les prises de position qu’il provoque, notamment au sujet de l’indépendance québécoise, met les bases du développement des partis politiques québécois pour les années qui vont suivre.
En soi, la trame narrative qu’André Duchesne construit en filigrane tout au long de l’ouvrage est convenue. L’auteur suit les traces laissées par plusieurs commentateurs dont le plus reconnu est probablement Dale C. Thomson (De Gaulle et le Québec, Saint-Laurent, Éditions du Trécarré, 1990, 410 p.). À l’instar de ses prédécesseurs, il essaye de montrer les causes et les conséquences du « Vive le Québec libre ! », mais la structure argumentative de la démonstration est brouillée par une séparation artificielle des chapitres plus fondée sur la rythmique que sur la chronologie ou les thématiques. C’est que, en fait, l’objectif de La traversée du Colbert est moins d’analyser que de faire revivre l’événement. Ainsi, la trame narrative ne doit pas convaincre, mais plutôt alimenter la constitution d’une mémoire collective consensuelle basée sur la dépolitisation de la visite par une distribution égale des contributions et une description neutre des faits. Cette position plus journalistique qu’historienne plaira certainement au grand public amateur d’histoire qui y trouvera une foule d’anecdotes fouillées, mais satisfera également les scientifiques qui verront dans cet ouvrage une description très poussée du voyage du général et une recension exceptionnelle de sources et de petits faits qui pourraient servir de base à la recherche académique. Finalement, le travail d’André Duchesne est un incontournable parce que sa précision est fondée sur le moment charnière que représente le cinquantième anniversaire, où l’on peut croiser les versions des faits provenant de documents consultables depuis peu et de témoins qui ne seront plus là longtemps. Une telle occasion ne se représentera plus .